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Extrait Pagaille Monstre : 

 

 

 

 

01

 

Le problème d’une rencontre entre célibataires est qu’il y en a un des deux qui cherche l’amour et place ses espoirs en un second qui n’est certainement pas célibataire sans raison.

 

Vous, par exemple. Vous seriez arrivé jusqu’ici les yeux fermés, et c’est maintenant qu’il va falloir les ouvrir.

 

Jeune étudiant en fac de cinéma, vous tenez solidement sous votre bras une enveloppe Kraft contenant l’unique exemplaire (l’idéaliste ne fait pas dans la photocopie) d’un scénario de film sur lequel vous planchez depuis l’adolescence. L’histoire d’un zombie bien décidé à devenir végétarien après avoir goûté à ses contemporains. Au terme de péripéties sanglantes – il faut bien donner un peu de soi – le mort-vivant réfractaire arrive au bord de la mer qu’il prend pour une nuit comestible et n’a d’autre issue que d’affronter le gardien de l’aquarium de Trouville, un bonhomme irascible prêt à faire passer un sale quart d’heure à tout ce qui traîne dans le faisceau de sa lampe de poche.

 

– Encore un effort! C’est au quatorzième étage! lance le camarade de votre âge qui vous précède dans la montée, avec ce ton pince-sans-rire des grands types au physique avenant pour lesquels l’humour a toujours été une planète hors d’atteinte.

Vous n’êtes pas aveugle (bien entendu) et avez repéré que l’immeuble par la porte cochère duquel vous venez d’entrer ne compte pas plus de cinq étages. Vous connaissez Teddy depuis une dizaine de jours – une conférence bavarde sur le cinéma muet – et son appel téléphonique sur les coups de cinq heures vient de décider de votre soirée. Oh la puissante attraction des fêtes dans la capitale! Les jeunes femmes qui sont belles de paraître disponibles à tout. Les mystères de Paris élucidés en un refus. Eugène Sue et vous aussi. Ce sera bon pour ton scénario, A décrété cet ami providentiel, et vous voilà maintenant entraîné à sa suite, dans les venelles en pente sévère du quartier Montmartre, à l’assaut d’escaliers qui grimpent dans le fin fond du bâtiment C, suite à une poussée de lierre et de digicodes comme un accès de fièvre.

– La fête a lieu chez deux sœurs. Elles vont te plaire, a précisé Teddy au téléphone. L’une est actrice et l’autre travaille dans le cinéma!

L’une est actrice et l’autre travaille dans le cinéma, vous répétez-vous pour vous-même, un étage passe, les anges n’existent pas, le soir, dans les cages d’escalier. à la fenêtre intermédiaire entre deux paliers vous découvrez un panorama de la capitale tout en couleurs broyées dans un ciel de bruine et de lampadaires jaunes.

Il y a trois ans, vous débarquiez d’une banlieue grande comme votre désarroi. De pâles avenues plantées de pavillons insensibles au temps qui passe, avec leurs garages transformés en studio de répétition pour musiciens amateurs, en tables de dissection pour mobylettes pétaradantes.

Une fin d’adolescence qui s’étire telle une longue soirée de juin. Des baisers et des frottements qui s’échangent avec la même frénésie que les moustiques vont se griller à l’ampoule des réverbères. Des lieux de rendez-vous – un banc ou la chaise d’arbitre d’un court de tennis – dans des aires inoffensives que l’étendue de la nuit rend propices aux désirs sauvages, aux amours platoniques, dépend de la hauteur où l’on trimballe son cœur. L’ordinaire de l’année, un paysage tout droit sorti d’une boîte de lego et limité à sa périphérie par une gare pour Paris. Bref, le spectacle sans accélération de votre jeunesse.

Le baccalauréat en poche, direction la fac de cinéma avec ce projet de Finaliser un scénario de film qui depuis vos seize ans vous tient à cœur, et qui maintenant tient sous votre bras. Bizarre où vont se loger les choses. La vie est une affaire de glissements. De glissements progressifs jusqu’à l’aboutissement d’un de nos rêves ou l’écroulement de toutes nos forces.

Teddy vous devance dans l’escalier, il grimpe avec assurance, comme en terrain conquis, croise une fille qui descend avec empressement, partie chercher des clopes, évasion réussie, elle a pour elle la descente, l’avantage de la pente, et vous ne récoltez que les miettes du sourire étrangement familier qu’elle a servi à celui qui vous précède. Au travers de ses mèches noires, diables d’ombres chinoises qui dansent sous l’ampoule nue de son visage, il y a une légèreté confuse, c’est ce qui vous frappe, et si la minuterie s’arrête à cet instant précis vous tendrez vos lèvres. allez, aucune chance.

– Dépêche, on y est! entendez-vous depuis l’étage supérieur.

Teddy tremble d’impatience, d’excitation mondaine. Aux rires accidentés des verres qui s’entrechoquent, aux bruits calamiteux des confidences frivoles qui passent dessous la porte tel un gourbi chaud et gluant, vous pourriez deviner sans mal quel genre d’individus se tient en embuscade. Une flopée de monstres?

Non, rien que les visages sans méfiance des soirées qui s’égrènent.

– Tu as le champagne? demande votre camarade avec nervosité.

C’est lui qui a trouvé la soirée, et vous qui vous êtes chargé du champagne. C’est ce qu’on appelle: à la loyale dans le jargon de Teddy. Vous pensez que tous les parisiens agissent de la sorte: ceux qui trouvent les soirées et ceux qui apportent la boisson. Et qu’au bout d’un moment, être véritablement parisien c’est se spécialiser dans les soirées, faire des économies sur tout, sauf sur l’ardeur à se placer.

Trois petites années que vous êtes là. Or, au terme de ce long round d’observation, ce temps passé à vous familiariser avec le territoire, vous avez décidé de ne plus agir en spectateur. C’est le moment de passer à l’action. De se frotter aux gens. Quand vous rejoignez Teddy sur le palier, la porte s’ouvre. En grand.

 

 

02

 

Se frotter aux gens. Votre cœur bat comme le tracas suspendu d’une mélodie indigène, tourne comme une boule de flipper entre les tilts de rires déclenchés au hasard, les bumpers de conversations secrètes ou débridées, et le battement nerveux des jambes nues de jeunes femmes aux silhouettes rapidement magnétiques. Votre regard parcourt des groupes de trois ou quatre personnes immédiatement fascinantes. Votre imagination les élit musiciens, mannequins, acteurs, stylistes, photographes, graphistes, gens de télés, ou tout à la fois même en petite quantité, et vous craignez de ne pas détenir les codes pour soutenir une conversation avant de repérer dans les lointains, comme en lévitation, un mobilier familier: le genre de canapé à s’affaler n’importe comment pour y manger n’importe quoi.

Sur votre droite, deux portes-fenêtres coulissantes séparées par un piano donnent sur un fin balcon. Loge de théâtre suspendue dans le vide. Les fenêtres sont prises d’assaut, c’est le Moyen Âge.

Au bar d’une cuisine à l’américaine sont postés trois jeunes gens dont les figures creusées ou pouponnes portent chacune plusieurs points d’acné en guise de décoration, comme si l’adolescence était un Vietnam, et qui refont leurs plans de bataille (pour une fille aperçue?) au-dessus d’une armada de bouteilles.

L’un d’eux jette dans votre direction un regard noir et sourcilleux qui vous évoque l’expression hallucinée de Patrick McGoohan, le héros de Destination danger et du Prisonnier (deux titres prémonitoires?). D’instinct, vous souhaiteriez le convaincre que vous ne buvez que du lait et qu’il n’a donc aucune raison de vous enfoncer un piolet dans le cœur.

La jeune femme qui vient d’ouvrir la porte s’est propulsée dans les bras de Teddy, laissant à même le sol deux ballerines couleur or.

Plutôt petite, moins d’un mètre soixante dix, mais terriblement attirante et bien proportionnée. Une liane tendre qui donne enfin matière à ce qu’une sensation s’accroche; vous qui n’étiez jusqu’ici que fouillis d’émotions, comme un bouquet de chrysanthèmes Tokyo enveloppé dans du papier journal.

Une mèche de cheveux blonds tombe à la pirate sur son visage affûté. Elle porte un petit haut blanc, suffisamment échancré pour laisser apparaître la finesse des clavicules. Un grain de beauté flotte sur l’une d’elle, en un point qui semble s’éclaircir ou diminuer à mesure que les clavicules s’agitent, comme une lettre s’ajuste frénétiquement sur un panneau d’ophtalmologiste. Ce qui ne permet pas d’y voir plus clair. Juste une idée d’ensemble, une vision de la beauté qui ne cesse de tourbillonner, ou s’emploie à fuir le détail pour mieux vous réduire à sa merci, tel un parfum.

 

Pris de court par le combat terrible entre la spontanéité de sa beauté et la sensation d’infini, de permanence contrariée, qu’elle creuse en vous, vous ne savez plus à qui vous raccrocher – pas de réverbère ni d’ami secourable auquel vous appuyer – d’autant que les présentations n’ont pas été faites et que Teddy prolonge avec ravissement des retrouvailles aussi démonstratives qu’excluantes.

Or, soudain, la voici, par-dessus l’épaule de Teddy, merveilleuse enfant qui braque ses yeux bleus gris directement sur vous. Hôte et visiteuse de votre maladresse. Elle relâche son étreinte. Retombe immédiatement dans le moule doré de ses sandales. Oh la sale petite magicienne. Teddy a esquissé une volte-face et vous présente la jeune femme par son prénom:

– Ariane.

Sublime, il ne lui manquait qu’un prénom pour être envisageable.

– Je m’en souviendrai, répliquez-vous dans un songe, c’est… C’est comme la fusée!

Silence.

Long silence.

Silence épais et accablant.

– Oui, enfin, coupe Teddy d’un ton moqueur à votre égard et complice envers la jeune femme, Je pense que les parents d’Ariane ont surtout voulu faire référence à la mythologie grecque. Ou à l’héroïne de Belle du seigneur!

Bien qu’il se soit montré un compagnon charmant depuis les deux semaines où vous avez fait sa rencontre, Teddy agit comme le parfait margoulin, tout mâle primaire qui ne rate pas une occasion de se faire valoir devant une jolie fille. Cette attitude qui vous agace en temps normal, vous déprime totalement parce que vous aimez bien Teddy. En dehors des traits de comportement rustres et égoïstes assez inévitables chez les jeunes gens de votre âge, il n’a pas fait beaucoup de faux pas sur le chemin qui mène avec intégrité et précaution aux amitiés solides.

Ariane, comme la fusée.

Souhaitant retrouver une contenance, vous décidez à votre tour de moucher Teddy en répliquant aussitôt. Dans ce cas, allez au 34.

Ou bien vous choisissez d’ignorer les sarcasmes de votre camarade, pour vous concentrer sur la jeune femme en lui prodiguant un nouveau compliment. Ce qui vous conduit au 93.

« Un enchantement ! Une écriture magnifique ! », Albert Algoud dans Le Fou du Roi.

 

« Excitant ! », Caroline Rochet dans Marie-Claire.

 

« Ovni littéraire. Un vrai bonheur ! J'ai rarement lu un livre aussi drôle, aussi étonnant ! », Damien Thévenot dans Télématin.

 

« Saurez-vous nouer les bons fils de l’intrigue, trouver enfin l’amour et la gloire ? Il n’y a qu’une seule façon de le savoir… », Barbara Lambert dans Point de vue.

 

« Idée géniale. Écriture aussi limpide que feutrée, aérienne et poétique», Femmezine.

 

« Il a fallu attendre 2010 pour qu'un jeune écrivain réalise cette alchimie : Un livre dont vous êtes le héros...OK, mais tourné vers l'amour ! Un style virevoltant ! », Guillaume Fédou dans Blast.

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