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Extrait du roman : Le garçon qui dessinait des soleils noirs.

 

                                                        IV

                                              La patinoire.

 

Basile Green avait eu très tôt la possibilité de prendre pour exemple du "Comment il faudra se comporter dans la vie quand il s’agit à peu de choses près de se tenir entre un café, un boulevard, une boîte de nuit et l’idée de la province cantonnée aux vacances", l’excentricité haute et mystérieuse de son grand frère.

En rentrant du collège puis du lycée, il surprenait souvent Odilon en grande conversation en bas d’un des immeubles du quartier avec deux ou trois jeunes gens de son âge qui l’intriguaient par l’air extraordinairement pâle, sérieux, et comment dire : définitif, qu’ils semblaient mettre dans chacune de leurs délibérations.

Ils conversaient et complotaient comme s’il s’agissait de partir pour la guerre et d’être sur le bord de ne plus jamais se revoir, alors que la plupart du temps il était simplement question dans ces conversations ou leurs attitudes d’une fille dont il fallait absolument connaître l’adresse, l’histoire et les fréquentations.

Un jour, il avait surpris Odilon et l’un de ses camarades s’échanger un paquet mystérieux ; une de ces énormes enveloppes à bulle bardée d’étiquettes : attention fragile. L’ami dont l’expression du visage procurait une sensation contrastée d’espièglerie et de détermination, avait confié le colis à Odilon qui rapidement, après avoir jeté des regards anxieux à droite et à gauche, l’avait dissimulé sous son grand manteau noir, puis s’était précipité jusqu’à la poste de la rue de Rennes. Il en était ressorti quelques minutes après, les mains vides, l’air soulagé, étonnamment gai.

Basile lui avait foncé droit dessus pour lui demander ce que c’était que ce paquet. Après un premier : « Mêle-toi de tes oignons ! » Basile était revenu à la charge et finalement, avec un air très détaché, Odilon avait fini par répondre :

- C’est destiné à une fille qui s’est très mal comportée avec un ami. On lui fait parvenir un masque de singe ! »

Une autre fois, peu de temps après, ce devait être à la fin des grandes vacances de la même année, l’année de la terminale, Basile avait mal digéré la rupture par carte postale d’un premier amour qui, en villégiature dans les îles grecques, avait rencontré su place une sorte de jeune skipper italien au sourire athlétique ; la jeune fille expliquait en trois lignes à Basile avec une désinvolture sans retour : "Merci pour ces quelques mois mais il est temps de passer à autre chose !"

La carte postale à la main, il errait comme un chien abandonné quand il tomba nez à nez à l’angle des rues du Four et Bonaparte sur un ami d’Odilon, celui-là même qui lui avait remis le fameux colis pour la poste quelques semaines auparavant, et il profita que le camarade de son frère daignât le reconnaître pour libérer ses larmes, se délester en lui confiant ce qu’il avait sur le cœur.

Le type – Simon qu’il s’appelait, écouta attentivement, fronçant ses épais sourcils et se frottant d’une main le menton et la lèvre inférieure. De l’autre main il sortit de la poche de sa veste un paquet de gaufres industrielles au chocolat noir qu’il décacheta pour en offrir une à Basile, puis il lui proposa de l’accompagner faire un tour à la patinoire.

- Pourquoi la patinoire ? demanda Basile à travers ses larmes.

- Parce que ça fait du bien, répondit son interlocuteur le regard luisant. Ça fait toujours du bien de voir des filles se ramasser ! »

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