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02.08.08 Les couples du samedi après-midi (en ville). Le type qui traverse le boulevard parce qu'il en a assez d'attendre un bus improbable, et la fille qui lui hurle dessus de patienter. La fille qui ne cache rien de son exaspération (après avoir croisé mon regard).

Au Café, couple très bruyant, la quarantaine. La femme est très belle dans sa robe d'été. Je les vois arriver de loin, tournoyer de table en table, pour finir par s'installer juste à côté de moi. Rien ne m'est épargné de leur conversation. Ils sont rejoints par leur fils, la vingtaine maniérée, qui fait du théâtre, parle des cours Florent, des acteurs que l'on croise dans les rues, ce genre de trucs enthousiasmants quand on débarque à Paris à vingt ans. A un moment, le père sort un appareil photo et se met à mitrailler compulsivement, avec une emphase artistique, sa femme et son fils qui mangent un sandwich au fromage et boivent un milk shake. Cela risque en effet de donner des photos mémorables. Le type gigote autour de moi avec son appareil, assaisonnant la séance de tout un tas de commentaires du style : "C'est une autre façon de regarder, le format carré...". Oui, et si on regarde à travers le rouleau cylindrique d'un papier toilettes, c'est encore une autre façon de regarder ! C'est dingue ce que les photographes (à deux trois exceptions qui n'ont rien à voir avec la photo) m'exaspèrent. Dans ma nouvelle La nuit verte cependant, j'ai donné au héros la fonction de photographe. Mais c'est un photographe qui ne prend pas de photos, comme ce motif romanesque de l'écrivain qui n'écrit pas. Sauf que pour un photographe c'est à la fois ridicule et superbe. Mon héros s'en sort bien, finalement. A côté de moi, le type continue d'immortaliser l'absorbtion d'un sandwich au fromage et d'un milk-shake, en gesticulant, sans tenir une minute en place (ce qui dérange prodigieusement ma lecture). Bon, pour me réconcilier avec la photographie, j'ai prévu d'aller voir ces jours-ci l'expo-rétrospective Richard Avedon au musée du jeu de Paume. Pour le reste, ce que j'en dis : Je n'ai pas besoin d'appuyer 90 fois sur la languette de mon stylo bic pour tirer quelque chose de valable de la réalité.

 

La seule soirée de l'année où je me rends à un pique-nique (Avenue de Breteuil, pour l'anniversaire de Marie P.) c'est un soir d'orages. Au final quelques gouttes, tout au plus. Soirée calme et agréable. En avance au rendez-vous, Stéphane et moi nous lançons dans ces grandes discussions qui souvent nous font passer d'un quartier à un autre sans s'en rendre compte. Nous parlons de choses et d'autres, de Balzac (qu'il déteste, pouac !) et d'Elie Faure (que j'adore). Nous évoquons ces filles qui se raccrochent à leur intégrité, qui n'ont que ce mot à la bouche, "l'intégrité", et qui passent leur temps à se faire séduire et culbuter par le moindre petit gratte-papier qui écume les soirées à la recherche d'un coup d'un soir. Pour Stéphane, ces filles sont des putes bien plus viscérales que les escort-girls qu'il affectionne tant.

 

09.08.08  Bonne journée de travail. Projets de livres, et des textes de chansons en cours ; j'écris d'un jet un texte sur une musique que Fred m'envoie pour faire une chanson supplémentaire qui une fois enregistrée (sommairement), je mettrai en ligne pour accompagner la sortie du Garçon qui dessinait des soleils noirs. La grâce est difficile à trouver, chaque jour. Mais quand je reçois comme ça une musique et qu'elle m'inspire immédiatement un texte, et que j'arrive à écrire ce texte en à peine une demi-heure, de manière satisfaisante quant à mon goût, la journée est validée.

Il faudrait que je puisse travailler comme ça chaque jour, avec autant d'ardeur, de naturel, et de réussite, mais c'est impossible.

Je n'ai vu personne aujourd'hui et j'ai juste quitté mon travail pour aller m'acheter un pain au chocolat sur le coup de cinq heures, ce qui est une sorte de journée idéale.

 

10.08.08 Hier soir, parc André Citroën, j'assiste avec A. à la projection en plein air, sur le grand écran gonflable du festival Cinéma au clair de lune, du film de Carol Reed, The third man (avec Joseph Cotten et Orson Welles). Heureusement que j'avais déjà vu le film au préalable, sinon la Vienne apocalyptique montrée par Reed aurait gardé à jamais dans mon esprit les relans désagréables de fromages et pâtés en tout genre qu'une bande d’étudiants avaient déballés pour pique-niquer sur les pelouses. Ce genre de pique-niques entre amis de fac, ou un tel retrouve un autre qui vient accompagné d'un tiers et où les nationalités se mélangent de manière bon enfant, chacun finissant par représenter sa nation et à parler au nom de ses compatriotes quand il s'agit de donner son avis sur tout et n'importe quoi, Frenchmen do this, englishmen do that etc. Le genre de réunions auxquelles j'ai sacrifié dans les années 90, quand j'étais étudiant, et qui m'ennuyaient parfaitement à l'époque. Le temps filait pareil, pourtant il file aujourd'hui plus vite il me semble. J'ai moins de place pour me laisser conduire dans des soirées où il ne se passe rien d'exquis ou de crucial.

Comment le savoir à l'avance, qu'il ne se passera rien d'exquis ou de crucial ? C'est à peu-près comme pour les films, cela dépend des acteurs et du réalisateur sans doute, même si on peut toujours se fier en un élément mystère, miser sur l'inconnu(e).

Cette après-midi, à la maison, revu L'homme qui en savait trop, d'Alfred Hitchcock, avec James Stewart. C'est vraiment le film à voir si on veut se décourager de partir en vacances. Entre Lifeboat, L'inconnu du Nord Express, L'homme qui en savait trop...l'un des véritables thèmes d'Hitchcock semble selon moi l'appréhension et le refus de toute idée de voyages, le risque et le désagrément de partir en vacances...

 

Parmi mes relectures du moment, lu des choses intéressantes :

"Oui, c'était le pied d'être la nana de trois hommes. Chacun d'eux était dans son trip particulier, voulant une chose différente,

de sorte que le monde s'étoffait et que cette interaction multiple, comme une photo triplement exposée, rendait l'espace infini.

J'ai trouvé depuis qu'il est généralement bon d'être la femme de plusieurs hommes à la fois, ou bien d'être l'une des femmes entourant un même homme, ou encore une femme parmi d’autres au sein d'une maisonnée comprenant plusieurs hommes, avec un jeu de relations emminement changeant et ambigu entre les partenaires. Ce qui n'est pas bon, ce qui est carrément néfaste, claustrophobe et mortel, c'est la relation classique de un à un. D'accord pour un week-end, ou pour un mois à la montagne, mais pas pour le long terme, pas quand les deux partenaires se sont résolus à ce que ce soit la forme définitive de leur vie. 

Alors commencent les exigences incessantes, les jongleries pour tromper l'ennui et la lente et inexorable fermeture de l'horizon infini de Dieu, à l'image des murs incandescents qui se resserrent dans Le puits et le pendule d'Edgar Poe - un rétrécissement implacable qui va jusqu'à étouffer toute la vie de votre partenaire." (Diane Di Prima, Mémoires d'une beatnik)

Recopiant ceci, je pense que nombre de femmes et d'hommes que je connais ont une frousse évidente de ce que Diane Di Prima nomme "un rétrécissement". Leurs manigances, leurs lâchetés ou leurs crimes en amour, ne sont qu'une fuite devant ce rétrécissement. En revanche, il existe des natures plus vicieuses, délicates et perverses, et profondément romantiques, pour lesquelles seul ce rétrécissement est un délice !

"Quelle âpreté les hommes mettent dans leurs intérêts du moment ! Comme leurs prétentions leur paraissent importantes ! Comme leur amour-propre s'agite ! Comme ils attachent du prix à cette vie si passagère et si tôt oubliée !" (Journal de Benjamin Constant, ventôse 1805)

Relisant ceci j'ai pensé à l'épisode du duo avorté avec Elodie, à l'époque de Comme elle se donne. Au moment où j'essaye de trouver un angle adéquat pour raconter, écrire, cette histoire.

Et enfin, à propos de la tentative d'un roman :

"Ce n'est pas encore ça. C'est bien écrit, mais souvent les grandes belles phrases sans tache, sans blessure, ne révèlent rien, sont, au fond, terriblement creuses.

Les meilleurs morceaux sont les plus simples, ceux où j'ai écrit directement, immédiatement, une émotion, ou un fait vécu, ressenti, ou fortement imaginé. Ne parler que de soi - tout le reste est banal." (Journal de Jean-René Huguenin, ventôse 1957)

 

12.08.08 Pour en revenir à ce qu'écrivait Diane Di Prima, il faut quand même ne pas être bien difficile. Il me semble déjà compliqué de trouver trois êtres qui nous plaisent à intensité égale, successivement, alors trois à la fois ? Hum.

L'autre jour, à la maison, je cherchais un livre sur le Je me souviens de Perec, et impossible de me souvenir où il était passé. C'était un livre d'explications, de pistes et de mise en situation des sentences pérequiennes. Aujourd'hui, rue du Bac, j'évoque l'existence de ce livre à Robert et il me dit : "Mais, c'est moi qui l'ai !! Tu me l'as offert il y a trois ans ! Il est à Montréal, au dessus de mon lit !". Je ne rentre pas dans les détails pour savoir si c'est un livre volant ou quelque chose comme ça, qui fait voleter ses pages pour venir la nuit faire des passages au-dessus des lits (ce que devrait chercher à faire tout écrivain), mais je suis bien content de savoir que c'est Robert qui possède ce livre que j'ai tant cherché il y a quelques semaines dans tous les recoins de ma chambre-bibliothèque. C'était en effet la meilleure place que pouvait prendre et à laquelle se destinait ce livre, à Montréal, chez Robert.

J'ai regardé les infos pour la situation en Georgie, et savoir ce qu'avait donné Laure Manaudou aux J.0. de Pékin. J'aime beaucoup Laure Manaudou. Elle possède une candeur et une sincérité qui ne lui évitent ni les pleurnichages ni les exploits. Ce qui me frappe, ce soir, c'est la manière dont la télévision a banalisé les larmes. Il y a encore vingt ans je crois, les larmes d'une championne auraient fait couler beaucoup d'encre. Et le tour des flashs en une. J'ai été aussi très frappé de ce qu'elle a dit, entre ses larmes : "Je n'avais même plus envie de nager"...

Ce n'est même pas une sorte d'excuse, je crois que cette fille se contrefout de paraître ou de se trouver des excuses dans l'immédiateté d'un micro braqué sur elle, mais c'est l'expression de quelque chose de plus profond - plus profond que tous les bassins olympiques. Ce pour quoi elle est faite, ce autour de quoi son existence s'est construite et sa personnalité s'est affirmée, elle n'a même plus envie de participer à ça. Elle se sent étrangère à cette peau. De temps à autre, à l'orée d'un concert ou après, il a pu m'arriver un sentiment analogue, je n'avais même plus envie de chanter, ou bien, je ne pouvais plus chanter dans ce contexte, qui est une autre manière de dire les choses. Et j'ai donné ça à Basile, le personnage du garçon qui desssinait des soleils noirs, il y a, au moment où démarre l'histoire, un sentiment analogue qui s'empare de Basile jusqu'à l'asphyxie. Il n'a "même plus envie de" chanter. A cause du caractère versatile du public, à cause de l'indigénat, de la grossièreté ou du je m'en foutisme des gens qui l'entourent, et aussi, pour des problèmes sentimentaux, une façon romantique de voir l'existence je dirais... Il n'a même plus envie de chanter. Il est dans la même problématique que celle exprimée par Laure Manaudou, sauf que lui il ne pourra plus jamais remonter à la surface.

 

14.08.08

 

Denis (Parent) me parlait l'autre jour d'un film de Bogie que je n'ai pas vu et qui m'a fortement interpellé pour l'une des scènes dont Denis m'a fait la description. Il s'agit de Bas les masques, de Richard Brooks. Dead line, USA, en v.o. qui date de 1952. Bogart y incarne un journaliste indépendant qui se bat contre un système corrompu. Denis m'a décrit la scène où les adversaires de Bogart font irruption dans son bureau pour lui intimer l'ordre de ne pas publier un de ses articles, et Bogie, avec ce mélange de résolution et de désinvolture caractéristique, cet aquabonisme coupé d'héroïsme, se contente de leur tendre un téléphone relié à l'imprimerie et par lequel les méchants peuvent entendre les rotatives inexorables qui témoignent que leur tentative d'intimidation est vouée à l'échec, trop tard, l'article est en cours d'impression. Je jubilais pendant que Denis me racontait cette scène, souhaitant absolument voir ce geste bogartien que j'imaginais pareil à ma scène préférée de Key Largo quand Bogart fait le tour du bar pour servir un verre à Claire Trevor malgré l'interdiction et les intimidations du redoutable personnage joué par Edward G. Robinson. J'ai essayé de trouver Bas les masques en DVD, mais apparemment il n'a jamais été édité. En outre, dans son essai biographique, essai en quatrième vitesse, sur Bogart, Jonathan Coe considère le film de Richard Brooks d'une médiocrité triomphante, ce qui n'est évidemment pas très engageant... Mais Coe ne porte pas non plus dans son coeur Sabrina de Billy Wilder avec Bogart et Audrey Hepburn, qui est pour moi un très bon film.  

 

Ce soir , au cinéma MK2 bibliothèque, vu Batman the dark knight de Christopher Nolan. C'était aussi l'idée d'expérimenter avec A. ces banquettes deux places qui sont une grande idée truffaldienne. Le film en lui-même m'a laissé un sentiment mitigé. J'ai trouvé la première et dernière demi-heures particulièrement laborieuses, et les scènes de combat complètement artificielles, confuses, embrouillées et mal filmées. Aujourd'hui il faudrait pour toute scène de ce genre s'adjoindre les services des grands maîtres hong-kongais, ou bien pour autant d'efficacité dans le résultat, revenir aux simples bourre-pifs des films de la Warner des années 30 et 40. Soit la chorégraphie, soit l'uppercut. Mais entre les deux, comme dans ce film de Batman, beaucoup de lourdeur et de fouillis. Le plus gênant aussi c'est le manque d'ampleur, de dimension, de profondeur du héros. Il n'a aucun moment d'introspection. Les seuls choix qu'il opère sont au cours de l'action, comme si le film allait à une allure qui lui est supérieur, et qu'il devait toujours se raccrocher aux branches comme Tarzan. Bref, la nuit (même hollywoodienne) a plus d'épaisseur que lui, et c'est dommage. A cet égard je crois d'ailleurs me souvenir que le premier opus était meilleur. J'étais quand même captivé par le film pendant une bonne petite heure grâce à la performance d''Heath Ledger en Joker qui renvoie aux oubliettes l'interprétation cabotine tout en grimaces de Nicholson dans le film de Burton. Si extraordinaire qu'à certains moments, à l'écran, on en vient à se demander : Mais qui est ce personnage ridicule avec son masque cylindrique et sa cape, à côté du Joker ? Pour en revenir à ce manque d'introspection et de profondeur qui sont quand même la signature du héros de Bob Kane, je sauverais mon souvenir du film (et n'est-ce pas un tour de super-héros dans le monde d'aujourd'hui que de s'employer à sauver ses souvenirs ?) en pensant que le vrai sujet du film, comme l'explore un petit peu le dernier quart d'heure, est la lutte du chevalier noir pour retrouver et reconquérir sa solitude, tellement désemparé qu'il est de devoir non seulement vivre la vie de Bruce Wayne mais aussi dans sa partie plus mystérieuse, subir les conseils et l'amitié de tout un tas de personnages envahissants, de son majordome au type qui lui prépare les costumes (d'ailleurs pour ce qui est du costume, Batman me semble soulever les mêmes problèmes d'ergonomie et de performance que Laure Manaudou avec sa combinaison). Ainsi, la vraie problématique du héros se résumerait peut-être à cette réponse superbe et sans appel de Serge Gainsbourg à la question du Questionnaire de Proust : "Qu'est-ce que vous appréciez le plus chez vos amis ?" "La rapidité avec laquelle ils se barrent de chez moi !"

 

15.08.08 Photo envoyée par Stéphanie (Sandoz) et prise sur le clip auquel j'ai participé, début juillet. Juste avant que je m'évanouisse sur le plateau.

  

       

 

J'ai bien aimé la jeune française d'origine chinoise qui jouait au badminton aux Jeux Olympiques, elle s'appelle : Hongyan Pi ; il y a quelque chose d'aérien et de grotesque à courir derrière un volant de badminton, j'ai la sensation de ne faire que ça, certains jours ; j'ai lu un court roman de Truman Capote, La traversée de l'été, à vrai dire la deuxième partie du chapitre 2 est ce que j'ai lu de meilleur depuis longtemps ; j'ai acheté à l'épicerie du Bon Marché de la Classic Yellow Mustard, Mississippi Belle ; à la terrasse du café Le rouquet, l'autre jour, ce couple de touristes, des européens de l'est, dans la lune, qui trimballait avec eux une adolescente, 17, 18 ans peut-être, fine, mystérieuse, et attiffée d'un grand pull en laine, le temps est changeant et couvert pour un été mais la température reste de saison, j'ai été très impressionné par le fait qu'elle portait un pull en laine trop grand pour elle à cette heure-ci de l'été, et aussi que ses parents n'eussent pas échangé un seul mot de tout le temps où ils sont restés à la terrasse du café, le couple en extase devant le spectacle d'un boulevard parisien et de sa circulation, leur fille cherchant souvent mon regard après qu'elle l'eût croisé une fois ; je me suis demandé ce qu'elle faisait de ses journées, comment elle vivait ce moment ? les jours à Paris ? à quoi elle rêvait ? Si elle n'aurait pas préféré être ailleurs pour les vacances ? ce genre d'histoires... ; dans La traversée de l'été de Truman Capote, j'ai adoré le personnage de Anne, mon genre de trucs évidemment ; j'ai vu une histoire de fantômes à la Scoubidou avec des répliques bien marrantes, The ghost breakers, un film de George Marshall avec Bob Hope, que j'ai pris en DVD à cause de certains plans de Paulette Goddard , et en même temps je lisais La traversée de l'été, et à un moment les deux protagonistes vont voir un film de Bob Hope pour échapper

à la canicule new-yorkaise, peut-être celui-là ?  ; j'ai mangé une demi-douzaine de barre chocolatée Kit Kat, parce que j'étais tombé sur leur emballage rouge et blanc invariable, l'autre jour, à l'espace Kiron, pendant le clip de William (Rousseau), mon regard est passé sur un distributeur de friandises flanqué là, et tout de suite je me suis souvenu que mon père m'achetait des Kit Kat au distributeur de la piscine de Bois Colombes, le soir après l'école, en automne il faisait déjà nuit et c'était une sacrée sensation de sortir de la piscine les cheveux encore mouillés et d'avoir le droit de manger un Kit Kat pris dans le distributeur, quand on a, quoi, sept ans, c'est une sacrée histoire, et parce que leur emballage n'a pas changé depuis toutes ces années, et nous avons bien besoin de variété invariable n'est-ce pas ?

 

18.08.08

 

Dans Vertigo d'Hitchcock, film matrice duquel sort une grande partie de l'oeuvre de David Lynch, à un moment le personnage interprété par Kim Novak dit à celui joué par Jimmy Stewart : "On ne peut flâner que tout seul. A deux, on sait toujours où on va".

- Oui, serais-je tenté d'ajouter. Dans le mur !"

Lu dans le Journal de Sylvia Plath, cette phrase qui bute sur, mais rejoint aussi dans un autre sens, la pensée Deleuze-Minnellienne : " Y a-t-il quelque part des gens heureux ? Non, sauf s'ils vivent dans un rêve ou un monde artificiel créé par eux ou d'autres."

J'essaye vraiment de faire des efforts avec Sylvia Plath, qui est si importante pour des amies comme Claire (Fercak) ou Marie (Petit), mais quand j'ouvre son Journal et tombe sur des phrases telle celle-ci : "Je suis rentrée du garage en dansant dans la lumière bleue d'une lune floue, par une nuit chaude et ventée" j'ai juste une indigestion de gnan gnan.

Pour revenir à Vincente Minnelli, je suis allé aujourd'hui à Meudon chez Frédéric pour faire une voix sur une nouvelle chanson, dans la série des petites chansons que je fais pour accompagner la sortie du Garçon qui dessinait des soleils noirs. La musique de Frédéric m'a inspiré une mélodie et un texte à base de sonorités, quelques jeux de mots (dont je ne raffole pas systématiquement, mais que je m'autorise à partir du moment où j'arrive à les amener sur un autre terrain, quelque chose de plus serré) et donc, dans cette chanson, j'ai fait un petit jeu de mots avec Dean Martin et le film de Minnelli que j'adore : Some came running. Voix enregistrée pour que Fred ait le temps de travailler la maquette ces jours-ci, et que je puisse mettre une première version en ligne dès ce week-end.  

 

19.08.08 Claire (Fercak) revient sur mon jugement du Journal de Sylvia Plath. "Ce n'est pas le Journal de Sylvia qu'il faut lire ! Surtout pas. mais le roman et les recueils de poésie ! Le journal on ne peut s'y fier. Ni aux années ni au contenu. parce que son mari a beaucoup relu et retouché, il a même détruit la dernière partie, avant son suicide, parce qu'il trouvait ça trop violent. puis il y avait plein de choses (pas tendres) sur lui, gommées aussi. et quand elle écrivait toute une partie du journal elle était ou sous médoc. ou enfermé. donc...pas sûr qu'elle aurait aimé que ce soit publié, ce journal." 

Bon, je suis d'accord avec Claire, il faut vraiment être sous médocs pour écrire un truc tel que : "dansant dans la lumière bleue d'une lune floue", et je ne sais pas si j'ai une réelle envie de mettre la tête (si je puis dire) dans le roman et les poèmes. De toute façon, je suis certain que le livre très personnel que Claire est en train d'écrire à propos des Smashing pumpkins, sera plus actuel et plus brûlant que le four de Sylvia. A bonne température.

Il y a quelques années, dans mon Journal, j'avais fait un mot à propos de Sylvia Plath, disant qu'elle ne pouvait écrire que des Plath-itudes.

Suite à quoi, une fille que je ne connaissais pas m'avait envoyé ce mail furibard : "Quand on écrit pour Florent Pagny, comment peut-on critiquer Sylvia Plath ?" Si j'avais été un héros de roman russe, j'aurais cherché à épouser cette fille, qui ou quoi qu'elle fût, l'épouser immédiatement, pour tenter d'éponger ou d'atténuer chaque jour, le mieux possible, tant de bêtise.

 

Je suis passé une petite heure chez Renaud, près du couvent de Notre Dame de l'adoration, après qu'il m'ait téléphoné. Préoccupé par son état. Et aussi que les possibilités soient toujours stagnantes ; je lui ai redit que je n'allumerais plus ma télévision tant que je n'aurais pas la certitude de l'y trouver à l'antenne ; à la tête d'une émission de divertissement culturel, quelque chose comme ça ; Renaud a besoin d'une action qui le porte, d'une place ; il me semble qu'il connaît beaucoup de monde à Paris, parce qu'il sort beaucoup, mais au final qui vous aide vraiment ? Qui reconnaît réellement vos mérites et prend les devants pour vous ? Bah, pas grand monde. Je ne comprends pas pourquoi  quelqu'un d'aussi spirituel et cultivé que Renaud ne trouve pas sa place dans son domaine ; mais je ne comprends pas non plus pourquoi personne ne se soucie, par exemple, de m'aider pour un nouveau disque...

Chez Renaud, le chat Pandora qui s'installe sur mes genoux ; un chat noir aux yeux verts qui s'agrippe de toutes ses griffes à mes jeans dès que j'essaie de me lever. En remontant la rue Saint-Jacques, je me suis arrêté à la boutique de Comics, et j'ai pris pour Renaud une bd de Superman, histoire de le ragaillardir. Après, j'avais rendez-vous avec A. pour aller voir : La nuit américaine de François Truffaut, que je connais par coeur, mais que je n'avais jamais vu en salles. Profité de la rétrospective organisée par un cinéma de la rue Champollion. Je suis allé plusieurs fois au cinéma ce mois-ci, et ça faisait, je ne sais pas, quelques années peut-être que je ne fréquentais plus les salles (quand j'étais étudiant à la Sorbonne, j'y allais au moins quatre fois par semaine), et qu'il s'agisse de grandes salles de ciné comme celle du Mk2 bibliothèque ou de petites salles d'art et d'essai, j'ai été surpris par la disparition des ouvreuses, des placeuses. J'avais préparé ma pièce et tout... J'aimais bien l'idée qu'il y ait des ouvreuses. Pour le mouvement de leurs jambes dans les allées, pour les petites lampes de poche qui clignotaient dans la nuit soudaine de la salle, dansant dans la lumière bleue d'une lune floue, même si c'est préférable de faire le point sur l'écran, et pour l'entracte où il était possible d'admirer de plus près le visage de ces filles qui s'organisaient comme elle pouvaient avec leur large panier en osier chargé de cônes glacés et de chocoletti.

Depuis qu'ils ont sucré les ouvreuses, je n'aime plus trop les salles de cinéma. Ce soir, j'ai été très choqué parce que les gens s'esclaffaient à maintes reprises pendant le film ; je veux dire il y a chez François Truffaut un recours aux gags, des phrases qui ont la volonté de faire gag, comme dans Domicile Conjugal par exemple, le type qui voit passer une fille et dit : "Si j'avais des seins, je me les caresserais toute la journée", il y a aussi quelques unes de ces phrases ou courtes situations gagesques dans La nuit américaine, mais pour moi ça reste un film éperdument grave, sur les sentiments, les rapports humains, et surtout sur la fin du cinéma. La fin du cinéma hollywoodien, constatée à plusieurs reprises et par différentes scènes ou personnages, au cours du film. C'est la difficulté de tenir en place, et la fin du cinéma comme utopie.

Et ce soir, par exemple, les gens s'esclaffaient quand la vieille actrice jouée par Valentina Cortese se trompe de porte en plein tournage. Elle se trompe de porte, à deux reprises. Il pourrait y avoir l'effet recherché du comique de répétition, et la plupart des spectateurs se sont dirigés vers ce comique de répétition, sauf que, par la tension qui règne sur le plateau et dans toute cette scène, Truffaut fait dérailler le comique de répétition vers une direction plus pathétique, poignante, qui n'est pas à ressentir comme une scène comique, et quand Jean-Pierre Aumont vient terminer la scène en rassurant d'un simple mot Valentina Cortese, là encore, le public s'est mis à rire.

Et aussi après, toutes les scènes merveilleuses et tragiques qui parlent de la vie et du cinéma, de l'écart entre le travail et la vie personnelle, là encore devant le visage en accent circonflexe de Jean-Pierre Léaud, les gens riaient à gorge déployée. Alors bien sûr, cela est dû aux mimiques parfois Buster keatoniennes de Léaud, mais les spectateurs s'arrêtaient à ça, ne comprenaient rien de la dimension tragique du film, ils étaient prêts à rire dès que Léaud apparaissait comme s'ils l'avaient une fois pour toutes identifié à un jeune Louis de Funès.

J'ai été très choqué de cette expérience de La nuit américaine au cinéma. J'aime tant ce film que je me sentais comme un jeune amoureux épris d'absolu auquel une inconsistante pimbêche rit au nez ; devant lequel une idiote prend à la légère sa dévotion muette et passionnée.

Je ne suis pas prêt de retourner au cinéma. Comme me l'a dit A. très justement en sortant de la salle, il aurait fallu détourner le public de Batman et l'emmener voir La nuit américaine, parce qu'au moins lui riait, s'enthousiasmait, se recueillait ou applaudissait, au bon moment.

 

20.08.08

 

J'ai toujours trouvé étonnants les rapports qu'entretiennent entre eux filles et garçons qui, à un moment de leur vie, ont failli sortir ensemble, ou bien ont vécu une petite idylle de rien du tout, bref ont entrevu pour eux seuls ensemble précisément quelque chose de possible. Des cavales ou des modes de vie, dans l'air. C'est comme lorsqu'on évoque devant nous quelqu'un que nous avons désiré, aimé, en secret ou de manière éclatante. Eclatante à n'en plus pouvoir d'aimer. Il nous monte alors, à l'évocation de cette personne, une douloureuse sensation de proximité, d'isolement, de sauvagerie, de bonheur déçu et de froideur mêlés. Peut-être parce que dans les chemins que nous n'avons pas pris, l'idée de l'absolu est plus présente, plus palpable, plus obsédante, que dans ceux que nous aurons à prendre.

Nous ne sommes ni à cours de regrets, ni à cours de visages. Quand ce qui viendra n'est encore que brumes, brouillards. Le télésiège à deux places de l'éternité ne mène à aucun sommet ; il est juste figé à l'arrêt, quelque part, et il tremble des destinations magiques où nous n'iront jamais. 

 

21.08.08

 

Journée bien pâlotte. Hier, le monde était une catastrophe ambulante. Les jeunes français morts en Afghanistan, l'avion coupé en deux au-dessus de Madrid, les attentats sanglants en Algérie, la Georgie qui a pris des pelletés de désastres plus proches sur la tête...

Et aujourd'hui, la sirène de cette folle et catastrophique ambulance qu'est le monde, n'avait pas cessé de hurler ; j'ai suivi à la télé la cérémonie très digne d'hommage aux jeunes soldats valeureux, dans la cour des Invalides ; Aux actualités, les médailles à titre posthume ont remplacé les médailles d'or, d'argent et de bronze, des J.0.

J'ai un peu travaillé dans la soirée, à un projet encore incertain, que j'ai en tête depuis quelque temps, mais d'y travailler ce soir lui a donné une réalité ambitieuse et une urgence nécessaire.

 

25.08.08

 

Déprimant de voir les étales des librairies chargées à bloc des tonnes de nouveaux livres et titres de la rentrée, ça s'empile dans tous les coins, certains prêts à tomber du présentoir comme les pygmées dans les films de Tarzan.

Dire que d'ici quelques jours, Le garçon qui dessinait des soleils noirs va devoir se faire une place, exister parmi tout ça.

Et encore faut-il que les libraires aient l'intention de le commander dans l'avalanche et la surcharge des livres auxquels ils sont soumis. Basile va devoir monter au feu.

 

Vu avec A. un charmant western parodique de George Marshall, avec James Stewart et Marlene Dietrich, Destry rides again.Lu une nouvelle de Truman Capote, Mojave qui se déploie autour de deux idées, l'une très pessimiste, shopenhauerienne, déjà exprimée dans un dialogue de De sang froid, comme quoi il y a des individus qui ne font des efforts de compréhension que mis à l'épreuve de situations extrêmes, qu'au seul moment où ils ont à craindre pour leur propre vie, et une autre idée d'après cette blague comme quoi les femmes dans leurs rapports avec les hommes se comportent comme des mouches, à savoir qu'elles peuvent se poser, aussi bien et successivement, sur du sucre comme sur de la merde. C'est-à-dire qu'elles sont capables de se passionner pour des hommes d'exception comme pour de vulgaires fripouilles. Bon, je suis assez d'accord. Mais j'imagine que c'est leur liberté aussi de se comporter comme des femmes, le plus frivolement du monde et le plus longtemps possible, tant qu'elles savent que les sucres fondent et que la merde stagne.

 

Difficile ce lundi, dans la rue, d'échapper à la grossièreté et aux bavardages clinquants de la plupart des gens qui rentrent de vacances. La preuve d'une société dégénérée, dans la candeur suffisante à exhiber son bronzage, ne serait-ce déjà qu'à la une des journaux télévisés.

Je me donne encore cette semaine pour mettre un terme provisoire (car seules les fins provisoires nous dispensent de la confiance aveugle en d'ignorants adieux) aux projets de travail en cours, ensuite je profiterai de l'effervescence de septembre pour me lancer dans l'écriture de mon troisième roman. Je viens aussi de rendre un projet de textes et de nouvelles que m'a demandé Yves (Jolivet) pour les éditions Le mot et le reste, et je termine une version longue de ce qui sera ma prochaine participation au numéro d'octobre de la revue Bordel ; si ce texte a des échos favorables et que cela intéresse Stéphane, une version longue, de quoi en faire un vrai petit livre, sera prête.

Sans oublier le travail sur les chansons ; j'essaye vraiment de construire une œuvre à la fois personnelle et identifiable avec les chansons, mais en amont de ça, ce que je cherche c'est la fulgurance qui me donne à travailler, le moment où j'aperçois ce que je pourrais faire et où je suis assez embarqué par ça pour l'atteindre.

 

Nouvelle chanson en ligne, à écouter en suivant ce lien : Easy Basile.

 

Ce que je disais à l'instant de la création, l'aperçu. Il y a un moment où ce que je compte faire m'est promis sous la forme d'un aperçu. Quand je reçois une musique par exemple, c'est différent quand je travaille sur un texte et que la musique se fera ensuite, mais quand je travaille sur une musique, il y a un moment où je trouve un angle, un aperçu, une direction qui m'attire, dans mon registre, vers quelque chose d'inexploré que j'espère à ma portée, et, dans ce registre, plutôt inédit en beauté. Et c'est le même sentiment pour une inconnue qui passerait dans ma vie, ou quelqu'un qui me donnerait à espérer une place, un territoire sensible, au départ cela se donne toujours sous la forme d'un aperçu. Une silhouette, un parfum, une façon de se tenir ou de regarder, sont autant de clés qu'une musique.

En tout je crois, la personnalité se forme sur et dans des registres. En amour ou dans le travail, c'est dans un registre que je devine ce que je peux atteindre. La beauté, la fuite, l'espoir, la consolation, l'absolu, sont autant de signes, de constructions qui peuvent me travailler dans mon registre, mais il y a un moment où il faut que j'atteigne, où il me faut une prise, et il n'y a de regrets que lorsque nous avons eu une prise et qu'elle ne s'est pas avérée suffisante ; je n'ai jamais souffert pour des choses, des personnes ou des idées, qui ne m'avaient laissé aucune prise. Je n'ai pas ce degré d'égocentrisme ou de vanité. Les conquêtes pour conquérir me laissent froides. Je travaille dans un registre. Ce qui me bouleverse, m'appelle.

 

26.08.08

 

Vendredi, avec Stéphane, nous parlions de plusieurs de nos amis qui sont en stand-by de décisions et d'un travail qui les concernent et qui les aident. Je dis à Stéphane que je suis toujours désolé et en colère quand des personnes auxquelles je reconnais du talent (ou davantage) dans leur domaine, restent dans l'ombre et dépérissent, faute de moyens, d'appuis, de décisions franches et de circonstances favorables.

Les temps sont si perméables à la médiocrité, il y a tellement de gens qui applaudissent à tout rompre et sont prêts à mettre de l'argent sur des choses faciles, rabâchées, stupides, clinquantes ou quelconques ; c'est tellement désolant. Stéphane prétend avec juste raison qu'il faut toujours se battre, suivre sa force intérieure. Oui, mais tout le monde n'a pas la force de faire ça, il y a des personnes qui se révèlent et développent leur potentiel une fois seulement qu'ils ont le pied à l'étrier ; ils ont besoin d'une main tendue, d'un incitateur et d'un soutien.

Je crois que Stéphane et moi partageons cette force qui est de poursuivre notre route même face au manque d'aide décisive. Bien sûr, les choses iraient plus vite, seraient plus confortables, si à chacun de nos projets correspondait une main tendue, une attention remarquable, un ange gardien responsable.

Mais en l'absence d'aide extérieure nous continuons à travailler, malgré l'incompréhension, l'indifférence des uns, la défection des autres, la jalousie parfois, le mépris ou la manière de relativiser ce qui nous parait de l'ordre de l'urgence ou de l'évidence ; nous poursuivons au-delà des attitudes et si nous butons contre des murs d'hommes, nous trouvons d'autres routes. Parce que si nos humeurs, notre moral, peuvent parfois s'effondrer devant le refus, la bêtise, ou l'indifférence d'un tiers, cela ne concerne pas le travail, ne l'entache pas, et c'est en cela je crois que nous agissons comme des peintres.

 

Pour en revenir à la nouvelle de Truman Capote dont je parlais hier, Mojave, il y a un passage assez remarquable : un garçon coiffeur qui a envie de tuer son petit ami, qui se confie à sa cliente et quand celle-ci lui répond qu'il ne sera jamais capable de commettre un tel acte, il soupire : "Non. Et c'est la raison de tant de suicides. Quelqu'un vous torture. Vous voulez le tuer, mais vous n'en êtes pas capable. Toute cette souffrance vient de ce que vous les aimez et vous ne pouvez pas les tuer parce que vous les aimez. Alors, vous vous tuez vous-même." J'ai trouvé ça très drôle (si je puis dire) parce que j'ai instantanément pensé au Poisson banane, au Jour rêvé pour le poisson banane, et je me suis dit que c'était une démystification bien ironique de la nouvelle de Salinger.

En écrivant Le garçon qui dessinait des soleils noirs, j'avais conscience de rejoindre un genre, celui du roman de suicidés, Salinger et son banana fish, Drieu la Rochelle et son feu follet. Et j'ai essayé d'être digne de ses deux grandes ombres. Après, ce qui m'a amusé, ce que je trouvais intéressant, dans le même livre, c'est d'ajouter une nouvelle qui raconterait un épisode de l'enfance de Basile. Je trouvais ça intéressant pour le lecteur, d'avoir suivi Basile sur plus de cent pages dans une bien funeste épopée, et puis le retrouver ensuite, enfant. Et Stéphane m'a laissé faire ça.  Il n'était pas chaud pour le titre de la nouvelle : La solitude exécutée, il trouvait mon titre trop théorique, il a essayé de m'en proposer d'autres mais j'ai tenu bon et je lui suis reconnaissant de m'avoir laissé la décision finale. C'est justement ce qui me plaisait, un titre un peu théorique pour une histoire d'enfance, et puis aussi parce que je vois plusieurs sens, plusieurs directions, dans ce titre.

 

Fin d'après-midi chez Frédéric, à Meudon, où j'enregistre un texte que j'ai écrit ce midi, sur une de ses musiques. Frédéric s'est exclamé : "Cela faisait longtemps qu'on n'avait pas fait une chanson aussi triste !" Ce que j'ai trouvé plutôt de bon augure.

 

27.08.08

 

Son image débordait dans mon quotidien, comme l'eau des pâtes sur la plaque électrique du petit vingt mètres carrés, ou comme l'été toujours plus chaud de septembre. Elle envoyait sa main au-dessus de sa tête en un geste répétitif pour dire : "Il y a longtemps". Quand elle était de ces grandes adolescentes qui se traînent dans l'existence comme si elles étaient obligées de visiter un musée plein de choses superbes, artificielles ou utiles, mais qui n'ont pas de poignée pour le regard. Chef d'oeuvre sans rival, quand il s'agissait d'attirer à elle toute la contemplation du monde, elle suffoquait parmi ses rivales. Un jour, elle me dit : "Je ne comprends pas. Je suis fracassée de partout et le miroir est intact."

 

28.08.08

 

Hier soir, acheté des éclairs au chocolat blanc pour dîner avec A.

Nous avons regardé un très bon film d'Howard Hawks : Only angels have wings, avec Cary Grant, Jean Arthur, et Rita Hayworth toute jeune, à ses débuts. La variation et le retour des thèmes qu'il s 'agisse du dialogue ou des grandes idées mélodramatiques en font un film très subtil, et qui se déroule en serpentin, ou en figures aériennes (pour être dans le ton), à la différence des films de Capra de l'époque qui marchent plus par évolutions chronologiques, par avancées biographiques des personnages, en une succession de scènes. La voix grave de Jean Arthur qui joue du piano tout en tenant un verre de bourbon. Hawks s'est très peu entendu avec elle sur le tournage, elle était déjà une comédienne chevronnée, star des films de Capra, et avait un statut et un caractère qui lui permettaient de tenir tête aux volontés du metteur en scène. Plus facile fut sa relation avec la jeune et inexpérimentée Rita Hayworth qu'il pouvait modeler à sa guise. La relation des personnages Cary Grant - Jean Arthur est une ébauche de ce que Hawks affinera dans To have or have not six ans plus tard, puis dans Le grand sommeil, entre Bogart et Bacall.

Lauren Bacall est une combinaison hawkienne parfaite de Jean Arthur et Rita Hayworth ; à la volonté trop franche, trop optimiste de Jean Arthur, elle ajoute une touche d'ironie glaciale et de mystère ; et Bogart serait quant à lui une sorte de Cary Grant qui arrive à tenir en place, qui n'a pas du tout envie de promener son grand corps d'un bout à l'autre du plan. Qui se cramponne à son verre, à son flingue, ou à sa femme.

 

Maquette de la chanson écrite et enregistrée lundi, en ligne ici.

 

Vu V pour Vendetta. Durant la première demi-heure je ne comprenais vraiment pas où ça menait, mais je pensais que si dans le futur il y a des filles comme Natalie Portman hé bien cela vaut le coup de se lever tous les matins et de croire en l'avenir. Après, le héros du film a la même coupe de cheveux que la plupart des filles croisées la saison dernière à Paris.

Passées les 2 heures et quelques j'ai trouvé le contenu de ce film particulièrement douteux, certaines scènes vraiment dangereuses de bêtise dans leur outrance et leur propos, indécentes parfois, et surtout le film est profondément Verbeux. Bref, à fuir.

J'ajouterais que lors de l'explosion finale du parlement de Londres, ça sent autant la maquette que dans le film de 1939 d'Howard Hawks qui est mille fois plus subtile (et jamais nauséeux) dans ce qu'il fait passer, et qu'en règle générale je ne vois pas vraiment l'intérêt de produire des films d'anticipation pour s'apercevoir que ce monde part à vau-l'eau.

 

30.08.08

 

Rodolphe me dit que le grand public n'a pas encore trouvé la porte qui mène à mon travail. Que, pour le moment, je ne suis connu que d'une poignée de farouches afficionnados. Mais, ajoute-t-il, tu auras fait tant de choses que le jour où le grand public ouvrira cette porte c'est toute une bibliothèque qui lui tombera dessus.

 

Quelque chose que j'aime bien avec le téléphone portable. C'est qu'il sert de prétexte à revenir sur ses pas, ou à s'arrêter en pleine rue. Faire croire en la réception d'un appel, et suspendre sa course ou se laisser dépasser par une fille dont la beauté nous a frappé, histoire de poursuivre un peu de cette proximité ; de prolonger le temps de la contemplation (qui est déjà, en lui-même, un mot qui prend son temps).

Comme hier après-midi, avec cette grande fille qui musardait de boutique en boutique, rue du Dragon, et moi au milieu de la rue qui répondais à un tas d'appels imaginaires (comme cela arrive, parfois, sans téléphone).

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