top of page

02.05.08 Deauville.  De petites frappes assommées par le soleil et le shit. Et de jeunes princesses libanaises Qui, à l'aide d'une longue cuillère, touillent le fond de coupes de glaces montées comme des palais perdus. Dans le chahut des villes la mer n'a pas sa place Jusqu'à ce que le souvenir d'une absence Surgisse et se précise. À la tombée de la nuit, des petites filles postées sur des énormes talus de sable.Ce sont les futures conquérantes de tes soirées, jeune homme. 

 

Je demande à A. :- Tu sais ce qu'il y a de plus sexy chez moi ?" Et, dans la foulée, je lui indique la paire de chaussures à talons qu'elle a laissé sur le tapis : Des Canna Vanella bordeaux. 

 

Musique. Malheureux dans le travail. A la fois dans mes propres morceaux parce que n'étant pas autonome musicalement cela dépend de trop de personnes dilettantes ou détachées, aux priorités secondaires, et je me sens otage des horaires, du bon vouloir ou des impulsions des autres, impulsions toujours faibles, décevantes quant à ma vision des choses, et malheureux également dans le travail que je peux faire pour d'autres car souvent soit mes textes à la manière de projets d'architecte sont mis de côté pour des raisons qui ne dépendent ni de moi ni de mon travail et que je peux finir par juger invraisemblables ou débiles (au résultat de ce qu'on leur préfère), ou bien n'ayant pas le final cut je me vois souvent accepter des solutions qui sont en dessous de ce que j'aurais pu produire si on m'avait laissé carte blanche. Au final, le travail d'écrire des romans devient plus facile que celui de faire des chansons ou de la musique. Alors que c'est un travail plus difficile, bien sûr. Sans comparaison difficile. Mais ce travail plus difficile, plus complexe, est pour moi en ce moment le plus simple. Comme Francis Bacon je ne considère pas que la photographie soit un art, mais tout comme lui (bien que dans une très moindre mesure) il m'arrive d'en être consommateur, pour l'impact que certaines photographies peuvent produire, disons les images qu'elles peuvent me suggérer, tous les instants qui ne sont pas capables d'être exploités par l'instant photographique. En général, quand je suis attiré par une photo, c'est que je suis attiré par la fille qui est sur la photo. Il n'y a pas à aller chercher midi à quatorze heures. Et puis c'est juste que les photos, ça ne me trotte jamais dans la tête, ensuite. Je n'ai pas une sensibilité dans ce sens. Il y a pourtant un cas où la photographie m'aide à surmonter la trivialité de la vie, c'est dans le cas de mon père. Avoir à la maison une ou deux photos de mon père, sur lesquelles je peux tomber tous les jours et qui le montre au travail, le surprend au travail (il ne s'agit jamais de photos mises en scène), dans la tour de contrôle de Roissy Charles de Gaulle ou dans le cock-pit d'un avion, en pleine possession de ses moyens physiques, fait que ce sont dorénavant ses images mentales qui me viennent à l'esprit quand je pense à lui, l'image des photos, et elles m'aident à échapper au souvenir de ses derniers instants, sa décrépitude physique sur le lit d'hôpital, sa peau grise et son trou dans la gorge. Dans le cas de mon père l'instant triomphal de deux ou trois photographies repousse dans un temps de moindre importance l'image incendiaire de la mort.  En revanche, face au jaillissement incontrôlable de ce qui se produit dans les rêves, ces images photographiques n'ont aucun pouvoir, et, en rêve, dans les trop rares moments où mon père apparaît, c'est sous une apparence arbitraire prise à tout moment de ceux où je l'ai connu, ou bien une image plus intuitive, un souvenir vivifiant qui est de l'ordre de la sensation intime dans le sens où je pourrais dire que c'est une image qui se passe d'images. 

 

10.05.08 Sortie de la revue Bordel numéro 8. Premier livre qui paraît sous le nom de Stéphane et des éditions qu'il vient de créer. Je lui ai donné un extrait du roman que je suis en train d'écrire et qui s'appelle : On ne se souvient pas du goût des baisers. Un chapitre entier qui fonctionne comme une petite nouvelle. Je suis heureux d'être parmi les auteurs présents au début de cette aventure : le premier livre Stéphane Milion éditeur, comme j'ai été heureux d'avoir un texte publié lors du premier numéro de la revue, éditée à l'époque par Flammarion au printemps 2003. Gloire à Stéphane car rares sont les personnes qui, au cours d'une vie, vous offrent plusieurs débuts.  Déçu par Control le film d'Anton Corbijn. La sensation durant tout le film que le réalisateur avait survolé son sujet. Les allers-retours entre la vie et l'oeuvre sont vraiment expliquées avec de grosses ficelles (pas de mauvais jeu de mots avec la corde), la plupart des plans et des séquences sont prévisibles ; on voit bien que c'est raconté par un type qui ne comprend pas le fond des choses ; il n'y a pas de moments de gouffre dans ce film, très peu d'idées ou de perceptions poétiques et du coup le personnage paraît à la fois lisse et hermétique, il y a comme une barrière lisse qui se dresse entre ses préoccupations, ses fictions, ses troubles, et le spectateur. Les plans intéressants sont toujours trop courts, toujours la porte se ferme sur la possibilité de toucher à quelque chose de plus grand ou la nécessité de faire corps. Le paradoxe du film est qu'il est assez long (1h51) et pourtant bâclé à chaque fois que quelque chose d'important risque d'être dit. C'est en somme un film qui devrait être sur le risque et qui n'en comporte aucun. Il faut dire que vu les sujets qu'il aurait dû aborder - ainsi que le rapport dostoïveskien de Ian Curtis (l'épilepsie, The idiot, la trinité amoureuse) j'attendais sans doute un peu trop de cette odyssée funèbre, j'ai été déçu du début à la fin, je suis resté à l'extérieur de ce qu'on me racontait - récit froid et en surface - alors que la moindre des choses - quand on sait que l'une des données fondamentales du héros est l'épilepsie - eût été de pouvoir faire corps. Mon plan préféré se trouve vers la fin du film quand Sam Riley est dans la même pièce que l'actrice qui joue la mère de Ian Curtis, elle assise de face et lui de dos penché sur le téléphone, de sorte qu'on ne voit pas sa tête mais juste la masse noire, déjà funèbre, de son apparence ; ce plan m'a frappé pour les rapports plein / vide qu'il produit, pour ce jeu sur l'absorption qu'il propose. Après, j'ai revu Primrose Hill de Mikhaël Hers et bien que ce soit quelque chose de tout à fait différent, en un court dialogue entre deux des jeunes protagonistes du film j'ai eu l'impression qu'on en disait davantage sur la musique et les difficultés de la musique et de l'existence que dans les 1h51 de Control. J'ai revu avec beaucoup de jubilation Primrose Hill. Même si les transitions avec le personnage en voix off sont à mon goût trop artificielles, et sans doute pas la meilleure solution pour relier ou introduire les séquences. Cela étant j'adore ces longues parties de dialogue en proche banlieue, ces territoires de dialogue, dans ce qui est dit et la manière dont cela est fait. Primrose hill reste pour moi le film français qui m'a le plus touché cette année, dans la compagnie, la communauté oserais-je dire, de ce que je ressens. Il y a un moment dans La peau douce de François Truffaut où le film aurait pu s'arrêter là. Sous l'injonction d'une amie de sa femme, Pierre Lachenay, le personnage joué par Jean Desailly, décide de téléphoner à son épouse pour lui dire qu'il a rompu avec sa maîtresse (tiens, il y a une sorte de moment parallèle dans Control). Or, la cabine téléphonique du restaurant dans lequel il déjeune, et où il vient de passer son précédent coup de fil, est maintenant accaparée par une jeune femme. Une inconnue très féminine dans ses manières, très séduisante. Desailly regarde longuement la jeune femme, et bien que son jeu soit plutôt illisible, je me plais à penser qu'une des intentions de François Truffaut, et une solution peut-être meilleure encore, fût que son personnage ne retourne pas dans la cabine une fois celle-ci libérée. L'appel d'une jeune femme et de toutes les autres à loisir. Se remettre encore en jeu. La fonction on de la mélancolie.Lachenay pourrait se dire : Oui il y a eu ma maîtresse (toute Françoise Dorléac qu'elle est), ma maîtresse inespérée, et puis ma femme, et c'est inespéré de la reconquérir mais c'est encore possible, pourtant cette séduisante inconnue dans la cabine téléphonique et qui me plait, est le lien vers toutes celles qui me plairont et vers celle qui demain me conviendra mieux. Tout est foutu de toute façon alors à quoi bon retourner en arrière quand l'inconnu-e m'appelle avec tant de force et de légèreté à la fois.L'autre soir X me demandait : - Mais comment se fait-il qu'on puisse tomber encore amoureux ? Et même si on est bien avec une personne. Comment se fait-il qu'on puisse tomber amoureux, encore, de quelqu'un d'autre, de nouveau. D'où nous vient cette capacité à reprendre, recommencer ?"Je lui répondais que c'est affaire de projection souvent, de nécessité parfois, et qu'aussi : l'inconnu a toujours l'avantage. Enfin, pas toujours.Donc dans La peau douce, le film aurait pu s'arrêter là. Lachenay serait venu se rasseoir. Il aurait renoncé à recoller les morceaux. Je trouve cette solution meilleure de mon point de vue et je me plais à penser que François (Truffaut) y a songé mais qu'il a trouvé meilleur de son point de vue - il était en pleine période Hitchcock - que Lachenay patiente pour revenir dans la cabine téléphonique et que s'en suive le moment de suspens avec sa femme qui est dans l'appartement avec une arme, s'apprête à sortir, court dans les escaliers, la rue, puis vers le restaurant jusqu'au moment fatal. C'est donc le suspens hitchcockien qui l'emporte tandis que moi, à ce moment du film, j'aurais laissé de côté le suspens et poussé sur la fonction on de la mélancolie. Loïc André m'a interviewé longuement le 18 mars dernier pour le webzine, Discordance. C'est un jeune homme qui s'est attaché à mon travail il y a quelques années déjà, qui le connaît très bien, et donc il devrait y avoir des choses intéressantes ou de bonnes phrases dans cette interview - sortie de magnéto et dont je n'ai pas retravaillé par écrit mes réponses. Loïc m'envoie ce soir le lien à suivre pour lire l'interview.

 

12.05.08  Un succès est toujours contagieux jusqu'à ce que votre propre cœur s'improvise médecin. La station Bonne nouvelle est plongée dans l'obscurité. Trajet en métro jusqu'à Oberkampf puis je remonte les rues Oberkampf et Ménilmontant pour me rendre au studio de répétition où William et son groupe travaillent. Répétition de Philosophy football, que je vais chanter avec lui demain soir à la fin de son concert. Le trio qu'a formé William : contrebasse + batterie + guitare, est vraiment très bon, très probant. J'espère vraiment que la formule tiendra plusieurs concerts tant l'espérance de vie des trucs à trois dépasse rarement une nuit. De mon côté quand je pense à la musique, à ma place dans le monde de la musique, ou aux chansons que j'aurais envie de faire, envie de faire comme des espaces à conquérir quand j'y pense, je me sens comme un Christophe Colomb qu'on aurait privé de bateaux ou auquel on aurait filé des canots de sauvetage. Aujourd'hui il me semble que les gens parlent si fort, sont si bruyants, livrés de manière sonore avec leur apparence, que c'est comme s'ils étaient nés sans pudeur. Ce n'est même pas qu'ils font du bruit pour exister. Comme de jeunes musiciens. Non, c'est comme si faire du bruit était planté dans leur existence.  

 

23.05.08 Nous sommes des êtres incomplets et parfois, à plusieurs, nous parvenons à donner le change pour former le puzzle d'un instant, d'une période de vie.Les plus chanceux d'entre nous s'en vont faire des puzzles ailleurs, les moins résistants échouent dans leur entité manquante. Ils s'écrasent dans leur entité manquante, imbus du souvenir pour eux-mêmes de protections lâches.  L'élégance qui surgit dans la simplicité d'une femme dont le cou élancé est noué d'un joli foulard ; elle regarde la carte des itinéraires de bus ; le calvaire de la légèreté pour celui qui porte vers elle un regard qui ne sait pas être - ou s'en sortir - sans conséquence.Car être c'est sans sortir, noué d'un regret. Je suis toujours tiraillé entre un désir de sécurité et de minutie qui me permettraient de travailler à mon rythme - lentement quand je sens que ça doit aller ainsi, à toute vitesse quand la passion me guide - et la précipitation un peu désinvolte qui s'empare de moi dans l'enthousiasme que les choses existent pour de bon. J'ai des idées pour mon travail et je suis toujours à la recherche d'un territoire et d'un demain sécurisants. Le problème du temps est un problème de rythme.  Quelques jours sans grande activité stoppés par l'accélération assourdissante de la chute du collier de la jolie vendeuse asiatique sur le carrelage du magasin Agnès B. de l'avenue Georges V. Plus tard, je lis dans le Dhammapada : "Vivrait-on cent ans, sans comprendre le surgissement et la chute, meilleur est, vraiment, un seul jour de la vie de celui qui comprend le surgissement et la chute".Hier il est arrivé quelque chose d'étonnant, je rejoins Stéphane dans ce café de St-germain-des-prés que je fréquente depuis un certain temps, et dont je suis un des grands ambassadeurs - si je puis dire. Or, dès qu'il me voit arriver, un des garçons de café - au demeurant le moins sympathique de ceux qui ont l'habitude de tourner durant la semaine - m'apostrophe en déclarant qu'il refuse tout net de me servir. Au départ je crois à une blague, mais il garde un air obstiné et me rétorque : "C'est terminé pour vous, et vous savez très bien pourquoi !". Tout de suite des tas de trucs incroyables ou fabuleux me passent par la tête à propos de ce "Vous savez très bien pourquoi !", mais la raison semble somme toute bien triviale, puisqu'un deuxième garçon vient m'apprendre que son collègue lui a rapporté que samedi soir je me serais comporté comme un voyou (ce qui fait bien rire Stéphane) en jetant un verre de Monaco sur des billets de banque pour protester qu'on ne serve pas de café en terrasse (d'après ce que j'ai compris). Bon, samedi soir je n'étais pas du tout à St-germain-des-prés mais je dînais avec A. dans les jardins du musée Rodin. Et puis je n'ai jamais bu un "Monaco" de ma vie. Après quelques faibles protestations tellement nous étions estomaqués, nous décidons Stéphane et moi de quitter un lieu où on refuse de me servir. Il y a dans cette anecdote un plot vraiment seinfeldien qui me plait, mais au-delà de ça, et au delà de la méprise aussi stupide qu'obstinée du garçon de caféqui a sans doute cristallisé dans son erreur un ressentiment qu'il devait porter depuis longtemps envers ma personne, c'est l'idée qu'un petit événement de cet ordre, maladroit mais décisif, sert de déclencheur à nous faire changer pour de bon d'habitudes - et de période de vie ; Quelque chose est provoqué, un malentendu, un incident, et on change de terrain, quelque chose se casse en nous, c'est comme avec les êtres, une réflexion, une manière de réagir, et malgré tous les efforts qu'on peut faire pour poursuivre, quelque chose s'est cassé. Le sentiment de sécurité ou de bien être est perdu. Mais souvent c'est un bienfait : quand quelque chose se casse, quelque chose se décide. Pour le coup, on passera moins de temps dans les cafés. L'autre jour Yvan (T) me disait avoir entendu que mon prochain roman porterait sur le milieu de la musique, l'expérience d'un chanteur avec son label, et me demandait avec un ton pince sans-rire si j'y réglais mes comptes avec l'expérience Roy Music. En fait, non seulement il n'est pas directement question de Roy Music puisque mon héros et son groupe ont été signés dans une Major compagnie, et puis je m'aperçois que ça ne parle pas spécialement du milieu de la musique, ça évoque simplement quelques comportements comme il nous arrive de croiser des types desquels on pense : Tiens, celui-là il a un drôle de comportement ! De fait j'ai bien envie d'écrire cet été une sorte de roman ou de récit à la première personne qui parlerait du milieu de la musique dans une immersion totale, alors que Le garçon qui dessinait des soleils noirs ne fait que le traverser, il est dans d'autres problématiques de toute façon, des histoires de chevalerie errante, des histoires de famille, des histoires d'amour. L'idée d'une histoire moins grave et plus édifiante me trotte dans la tête ces temps-ci - surtout au moment où la musique n'en finit pas de me consterner (à la fois comme chanteur mais aussi comme auteur de chansons). Sébastien (Mathieu) voulait absolument me faire jouer dans son prochain court-métrage mais je n'étais pas à l'aise avec le scénario et le texte, et comme je lui avais promis il y a longtemps de passer devant sa caméra,  je ne savais pas trop comment mé dépêtrer de la situation, alors je lui ai dit : Ecoute, je ne me vois pas dans ce film mais si tu veux je t'écris le scénario et les dialogues d'un autre film que tu pourras touner quand tu veux." C'est ainsi qu'est né le script de J'embrasse toujours en avril, et Sébastien est en train de se démener pour monter une équipe, un casting, obtenir les autorisations et commencer le tournage. Je dois jouer un des personnages mais je ne me sens pas du tout acteur, ce n'est pas une direction qui m'intéresse, et dans l'idéal j'espère bien qu'on trouvera des acteurs assez pertinents pour que j'aie à m'éclipser de cette fonction, même si Sébastien n'en finit pas de me tendre le script et de me brandir la dernière phrase du dialogue en répétant : "- Mais voyons Jérôme, il n'y a que toi qui puisse dire une phrase pareille et que ce soit crédible !"

 

24.05.08 Sur Direct 8, avec Thierry (Frémont) pour parler de la revue Bordel. 

 

25.05.08 Regardé à la télé le dernier match de Gustavo Kuerten à Roland-Garros. Hier soir, revu avec A. le film de Vincente Minnelli, Some came running. Cela m'a fait pensé à Godard et à Deleuze. Ce que dit Deleuze du cinéma de Vincente Minnelli, dont le thème récurrent est le rêve de l'autre qui est un danger pour celui qui ne rêve pas, le thème du rêve dévorant. Ainsi dans Some came running, le personnage joué par Frank Sinatra illustre à merveille la théorie de Deleuze, il est celui revenu de tout rêve (une sorte de Seymour Glass indifférent) et qui se fait dévorer par les rêves ou les ambitions que les autres projettent à son égard. Ainsi le personnage joué par Shirley MacLaine veut lui imposer le rêve de la fiancée, le personnage joué par Dean Martin veut lui imposer le rêve de l'ami, et celui interprété par Martha Hyer le rêve de l'admiration et de l'âme soeur, admiration qui se porte sur son talent d'écrivain alors qu'il a renoncé à écrire au moment où débute le film. J'ai pensé à Godard qui place le cinéma en tant qu'art et histoire - au même titre que la peinture - par l'envergure des citations qu'il propose, et qui fait référence dans deux de ses films au moins à Some came running de Minnelli : le sac peluche que trimballe Shirley MacLaine et celui d'Anna Karinadans Pierrot le fou ; le chapeau qui ne quitte pas Dean Martin dans chaque séquence de Some came running et la citation directe dans Le mépris où Michel Piccoli annonce à Brigitte Bardot agacée que s'il n'ôte pas son chapeau - même quand il s'installe dans la baignoire - c'est pour faire comme Dean Martin.Or je crois qu'on distingue les grands auteurs par la profondeur qui se cache (comme dessous un chapeau) de chaque détail ou citation. Il est sans doute impossible en 1963 que Godard ait eu connaissance des idées de Deleuze (qu'il n'énoncera ou ne formulera d'ailleurs que bien plus tard) sur le cinéma de Minnelli, pourtant cette histoire de chapeau et de citation directe à Some came running Godard ne les place pas dans Une femme est une femme, ni dans Pierrot le fou, mais bien dans Le mépris, et j'aimerais y comprendre quelque chose qui ne soit pas le fruit du hasard.  De toute façon le fruit du hasard est parmi les fruits accessibles celui qui comporte toujours le plus de vers. Car si Deleuze pense que Minnelli ne fait que développer son thème du rêve dévorant, quoi d'autre que Le mépris et cette histoire de chapeau pour fixer et inclure Godard dans une problématique identique. A savoir que Le mépris est celui de ses films qui parle le plus du cinéma en tant qu'industrie, travail et fascination, d'Hollywood appelée communément "L'usine à rêves", et ici, devenue dans une même trajectoire minnelli-godardienne : L'usine à rêves dévorants. Dans Le mépris tout comme dans Some came running, il est question de rêves dévorants, le réalisateur est dévoré par le producteur, le scénariste est dévoré par son sujet, la femme est dévorée par un choix de directions qui une fois concrétisé conduit à la mort. Enfin, dans tout ce pétrin qui fait le cinéma, le rêve lui même, et le mythe, sont dévorés par la réalité. 

 

30.05.08  Musique. Depuis le début de l'année avec le groupe nous sommes entrés dans l'air du : "C'est déjà ça."J'ai commencé à travailler sur une nouvelle que je voudrais ajouter au roman de septembre. Stéphane n'est pas opposé à l'idée, même s'il trouve que les deux textes qui composent le livre en préparation entretiennent entre eux un très fort équilibre. D'autre part il m'écrit : "J’ai relu Le garçon qui dessinait des soleils noirs, et ce qui est bien, c’est qu’il s’impose toujours, il y a toujours une idée qui germe ou une phrase qui jaillit, un renouveau, une découverte." Ce qui me cause un réel plaisir parce que c'est ce que j'aime chez mes auteurs de chevet, l'idée qui germe et la phrase qui jaillit (Salinger plus encore que Fitzgerald je dirais). Je travaille sur ce nouveau texte qui raconte un épisode de la jeunesse d'un de mes personnages, avec beaucoup d'enthousiasme et d'ardeur, fort des retours de lecture sur Le rouge et le bleu, où l'on m'écrit de toutes parts avoir été très sensible aux passages concernant l'enfance, la petite adolescence. De toute façon si Stéphane estime que ce texte que je voudrais ajouter désquilibre le roman à venir, ce n'est pas du travail perdu, mais une nouvelle qui existera pour plus tard. Les filles dans le métro. Mon premier regard est toujours pour le visage. Et puis je jette un deuxième regard pour voir comment le corps se déploie, se situe, après le visage. Quelques films revus avec A. : Big fish de Tim Burton, et Sabrina de Billy Wilder qu'elle a adoré. Masculin-féminin de Jean-Luc Godard qu'elle a détesté, mais je lui ai expliqué pourquoi c'était très fort, comment ça liquidait Maupassant pour prétexte, et, mine de rien, recollait aux intentions de Maupassant. Par ailleurs j'aime beaucoup Jean-Luc Godard parce que c'est un cinéma pour amoureux, dans le sens où c'est un cinéma de la déclaration. Où poésie et discours sont intimement mêlés. Comme dans la déclaration amoureuse. Faire l'amour pendant un orage = manger un ice cream sur un scénic-railway ? Vu La nuit nous appartient de James Gray. Au départ j'ai du mal à entrer dans le film en raison d'une situation posée qui me semble convenue, à la limite du déjà vu ou de la caricature, et puis les acteurs sont si bons que ce sont eux qui m'amènent à me passionner pour l'histoire, à entrer dans le film, ce que je fais entièrement au bout de vingt minutes, le souffle coupé par l'âpreté des scènes, la sublime poursuite en voiture sous la pluie, la profondeur des personnages dignes de la tragédie grecque. Je retrouve avec bonheur les thèmes, les pistes, le langage de James Gray, déjà amorcés dans Little odessa et The Yards, la liberté individuelle et la raison familiale, la guerre ou la rivalité des prétendants comme dirait Deleuze à propos de la Grèce antique, les limites du choix et la puissance de l'atavisme. Tout cela est nettement supérieur à n'importe quel polar du fait que James Gray fait revivre les problématiques des héros de la Grèce antique dans le New York des années 80. Je ressors du film avec l'impression d'avoir vu un éternel et vivifiant chef d'oeuvre. Le coup de grâce reste un coup. Je pensais à ça l'autre jour, quand me revenaient en mémoire divers épisodes de confrontation concernant mon travail dans la musique. Dans les explications tendues, les querelles quand elles jaillissent, je ne cherche jamais à surenchérir face aux arguments qu'on m'oppose au cas où ils me font pitié. Je reste estomaqué face au caractère édifiant de ce qu'on m'assène, qui n'est souvent que de la mauvaise foi précipitée. J'aurais fait un piètre politique parce que je ne sais pas faire du saute-mouton par-dessus des arguments qui me blessent de surprise, quand ils témoignent du peu de cas ou de la bêtise dont font preuve ceux qui les portent sincèrement. En outre je suis trop pessimiste sur les êtres pour avoir le goût absolu de convaincre.Et, même quand il serait facile de se défendre par une attaque précise, je n'éprouve pas davantage le goût de porter le coup de grâce, puisque la grâce consiste justement à ne pas porter certains coups. 

04.06.08 Tennis féminin à la télé. Match entre Elena Dementieva et Dinara Safina. Dans le dernier jeu du dernier set, Safina mène sur Dementieva, prête à la crucifier d'un jeu blanc, et au moment des deux ultimes balles du match il y a encore des types dans le public pour crier à gorge déployée le nom de Safina, je veux dire s'il y a bien quelqu'un à encourager à ce moment du match c'est Elena Dementieva qui a six jeux quasiment à rattraper...Pourtant, non, il y en a toujours pour crier et encourager celle qui domine haut la main. Encore une fois, c'est très bien que je ne m'occupe pas de politique ou quelque chose comme ça, parce que ce genre de hurleurs je les ferais interdire de cours à vie ou bien j'ordonnerais que leurs corps servent de murs d'entrainement à tout un pelotons de jeunes tennismen fougueux. C'est comme ça la vie, on ne peut pas compter sur une valeur absolue de la justice, du bon sens ou de l'humanité, voilà, il y aura toujours des connards pour, quoi qu'on fasse, hurler avec les gagnants, et ne pas comprendre qu'il faille vous soutenir au moment exact où vous auriez besoin d'aide, et cela me déprime parfaitement. 

 

 07.06.08 Des kilomètres de courrier en retard. Deux jours intenses de travail à La solitude exécutée, nouvelle d'environ quinze pages que je souhaiterais ajouter au roman de septembre. Heureux de mon travail, j'ai avancé à l'intérieur de l'écriture sans doute ni perplexité ; ceux-ci sont revenus dès que je m'en éloignais un peu - pour rejoindre la vie passante (Les bras et l'amour de A. limitant heureusement la casse). Maintenant c'est la tristesse d'être sorti du champ de cette histoire, d'être arrivé à ce que je souhaitais (le seul cas où il m'arrive d'éprouver une petite tristesse quand j'arrive à ce que je souhaite). Il va falloir conquérir d'autres espaces à fixer. Espaces inconnus aux trajectoires intimes qui ne demandent qu'à se donner. Quand même pour ces deux trois journées de travail j'ai trouvé que j'avançais à un rythme satisfaisant, pendant l'écriture, prenant des directions fiables à mon goût, ne perdant pas de temps dans les fausses pistes (phrase à relire les jours de surplace et de créativité nulles). Bon travail parce que j'avançais en confiance, maîtrisant bien le registre des personnages, et aussi une fois que j'ai trouvé la place de mon héros par rapport aux personnages féminins. Les personnages féminins dont les visages ont presque toujours des sources et des origines dans la réalité, m'aident à avancer dans l'écriture, à ne pas faire de sentiment avec le superflu. (Faire du sentiment avec le superflu : ce que je pardonne rarement aux gens que j'aime dans la vie, ou bien c'est que les chemins qu'ils prennent m'indiffèrent, ne m'impliquent guère plus).Pour les filles je dirais que si elles ne me facilitent pas toujours l'existence, elles me facilitent souvent la vie dans l'écriture.J'ai envoyé la nouvelle à Stéphane dans la soirée en espérant qu'il en validera la nécessité pour le livre de septembre.

 

09.06.08 Paris, l'été : Des filles qui portent avec conviction des modèles de robes qui ne leur vont pas. Réponse favorable et enthousiaste de Stéphane au sujet des quinze pages de La solitude exécutée. Il y a juste le titre qu'il n'aime pas, qu'il trouve trop théorique.  Avec les années, la vie ne m'a pas donné davantage le sentiment de l'immédiat que lorsque j'avais, mettons, quinze ans. En revanche, elle m'a enseigné la sensation de l'éphémère - à coups de pertes, de déceptions, d'écoeurements. Bonheur, tristesse, tout cela bien sûr est éphémère ; même si ce sont à leurs tristesses que les âmes nobles pardonnent le moins d'être éphémères. Une autre forme de tristesse que serait un bonheur préoccupé. Musique. Managers et musiciens absents, démobilisés, dans les vapes, dans d'autres préoccupations, dans d'autres galaxies comme dirait X à ce sujet...Les perspectives tournent à vide et si je ne trouve pas une issue, je m'apprête à faire des disques comme Cocteau des films dans l'intervalle des deux Orphée, un tous les dix ans, faute de moyens de production, faute d'intelligences, faute de volontés qui permettent de créer du visible. Après-midi avec Stéphane parmi des moineaux qui, au café le Rouquet, volent de table en table, à relire le manuscrit du Garçon qui dessinait des soleils noirs. Stéphane avait pris des notes concernant quelques virgules, et souhaitait que je lui lise les phrases en question, à haute voix. Souvent, avec ma voix, mon souffle, ça passe. Mais j'objecte à Stéphane qu'il faut peut-être le suivre, que malheureusement chacun des lecteurs ne lira pas ce livre avec mon phrasé. Ou alors, écrire, consisterait justement à ce que la rencontre de deux lectures tourne à l'avantage de celui qui a posé les mots. A reprendre Le garçon qui dessinait des soleils noirs, je m'aperçois de la faiblesse du début. Il faut que ce soit à la fois puissant et plaisant, dans le même mouvement. Recherché, soutenu, et limpide à la fois, comme j'en ai la sensation chez Francis Scott Fitzgerald par exemple. Une fois rentré à la maison, je reprends tout le début, supprime des passages, et réécris encore en essayant de rendre Basile plus humain ; à portée.  Même si cela constitue ma principale source de revenus, écrire des paroles de chansons pour d'autres chanteurs est quelque chose qui me plait de moins en moins. Parce que la plupart du temps, placer un de mes textes chez tel ou tel artiste de grande notoriété dépend de tout un tas de considérations et de personnes qui n'ont rien à voir ni avec le texte ni avec moi. Pour les chanteurs qui me sollicitent directement, dans nombre des cas (sauf de brillantes et superbes exceptions), 80 % de mon temps n'est pas passé à écrire le texte, mais à convaincre de la nécessité, de la pertinence ou de la beauté de telle phrase, ce qui devient parfaitement épuisant. J'ai toujours l'orgueil de croire que si, dans ce milieu, on faisait davantage confiance aux auteurs en général (et à moi en particulier), les chansons seraient meilleures et le milieu de la musique resurgirait poétiquement de son marasme (même si les foules se foutent d'aimer des platitudes, du moment qu'on leur donne le loisir d'aimer). Certains jours, même l'orgueil m'ennuie ; à d'autres moments, seul cet orgueil m'exhorte à travailler sur ce terrain et à me dire que c'est une activité artistique et plaisante.  Après, il existe aussi tout un tas de bonnes chansons que j'aurais écrites avec divers compositeurs et qui restent au placard parce que des types en maisons de disques en ont décidé ainsi. Autant pour ces compositeurs que pour moi, c'est faire une oeuvre sourde, non visible, souterraine, qui est triste, quand on y pense. Une œuvre en négatif.Et encore, si les inepties qui étaient produites à la place, marchaient, rapportaient de l'argent, mais la plupart du temps ce n'est même pas le cas.  Je cherche de belles éditions des aventures de Tom Sawyer et Huckleberry Finn dont l'un des tomes joue un rôle important dans La solitude exécutée sans que je comprenne encore bien pourquoi.Pourquoi ce livre précisément s'est imposé pendant l'écriture. L'intrépidité, l'évasion, les valeurs qu'on y trouve (ou du moins que je suspecte s'y trouver d'après le vague souvenir que j'en ai) et qui servent de refuge au jeune adolescent qui, dans ma nouvelle, possède ce livre et se réfugie dans sa lecture. Comme A. ne connaît pas l'oeuvre de Mark Twain et me demande quel en est le sujet, je lui résume le personnage de Tom Sawyer par : Un rapide au bord de rapides !

 

10.06.08 

Quand une parole creuse

Nous fait douter de nous-mêmes

Il faut remplir d'espoir

Le prochain regard.

 

 15.06.08 J'envoie à Stéphane ma énième version du manuscrit du roman de septembre. J'ai ré-écrit tout le début. Plus simple, mais tout autant aiguisé. Je commence une nouvelle qui a pour titre : Le boulevard Saint-Germain est en sens unique. 

 

Poème pour A. (en l'attendant pour dîner) 

 

Aujourd'hui on m'envoie des mails

Et des qu'en dira-t-on

Avec les gants blancs de la fuite

Ou de l'invitation.

J'aimerais retrouver ces enveloppes

à peau fine, au liseret tricolore,

Destinées au courrier par avion

Qui étaient en circulation

Quand j'étais enfant

Fin des 70, début des 80,

à l'époque où ton visage était un mirage.

Oui, un mirage.

Mais un mirage 2000 ! 

 

17.06.08  L'avenue Kleber. 

 

J'aime chez les japonaises 

Leur air d'enfant des bois

À faire gravure de mode 

En bottes en caoutchouc

Celle qui, avenue Kleber, 

je suivais ce jour-là

Portait sur sa silhouette

Un sourire des plus doux. 

 

18.06.08 Manque d'air, asphyxie de tout. J'emmène A. à Trouville-sur-mer pour une journée improvisée, et, sur la plage quasi-déserte, je lui lis un chapitre entier de L'été 80 de Marguerite Duras, face à la mer et avec dans notre dos l'hôtel des Roches noires. 

 

20.06.08  Douleurs au cœur depuis une semaine, manque de souffle et j'ai perdu ma voix, si bien que parler plus de trois minutes au téléphone est une torture. D'autant que la plupart des gens répètent toujours quinze fois la même chose, pour se rassurer ou je ne sais quoi, au lieu d'aller à l'essentiel.Je pensais que la nullité de mon activité musicale en ce moment, l'angoisse de me sentir pris en otage et dépendant d'un tas de personnes ou de circonstances molles et déficientes, étaient la cause de ce mal-être et de cette perte de voix, mais j'ai préféré aller voir mon médecin pour qu'il s'assure que ça ne vienne ni du cœur ni des poumons. Rien à déceler de ce côté-là heureusement, juste la trachée complètement bloquée, d'où les sensations d'étranglement, de manque de souffle. Du coup me voilà shooté aux antibiotiques ; pour les serrements de coeur, si j'ose dire, une nouvelle cure de magnésium m'attend.A. rentre à la maison, l'air préoccupé. Je lui demande ce qui ne va pas, ce qui s'est passé dans la journée, et elle me dit qu'elle préfère ne pas parler de ça, qu'elle ne veut pas m'embêter mais voilà : "Ce qui est fatiguant avec les gens, c'est qu'on doit toujours s'occuper de tout. On ne peut jamais leur faire confiance." Plus tard encore, alors que je lui confierai en deux mots mon pessimisme sur telle histoire, A. me répondra : "De toute façon, les gens ne comprennent rien tant que ça ne les concerne pas de près."Je ne sais pas quels mystérieux événements de sa journée ont pu provoquer en elle ces solides et amers verdicts, et je ne cherche pas à faire des investigations puisque passer du temps ensemble semble suffir à chasser ses idées noires, mais je retiens encore, longtemps après qu'elle se soit endormie, ces phrases aussi poignantes que véridiques, qui tombent justes. 

 

 21.06.08 Quelque temps après la sortie de L'amoureux en lambeaux, j'ai reçu plusieurs lettres qui me parlaient du plaisir de sa relecture, qu'à la relecture du livre, des phrases ou des formules étaient redécouvertes, soulignées, ressenties différemment, ou tout simplement remarquées alors qu'une première lecture les avait survolées dans l'élan. Bien entendu, ce genre d'affection pour un livre ne peut que toucher, encourager à truffer les prochains livres de pépites pour reprendre le mot d'Armand Biancheri à propos des textes de chansons. De manière plus générale, je crois qu'au mieux un bon lecteur ne retient d'un livre qu'une sensation d'ensemble et une poignée de phrases fortes (et, encore, la poignée est optionnelle). Pourtant, à la relecture, le lecteur n'en finit pas d'être charmé par ce qu'il découvre en terrain conquis (si j'ose dire) ; merveille du temps et de l'oubli, pour une fois. C'est du moins le rapport que j'ai avec les auteurs que je relis en permanence : Duras, Salinger, Dostoïveski, Fitzgerald...Et c'est parce qu'un bon lecteur ne retient d'un livre qu'une sensation d'ensemble, aussi forte et pénétrante soit-elle, et quelques phrases, qu'il faut s'efforcer que chaque phrase soit cruciale, ou bien, si elles ne peuvent pas toutes l'être, elles doivent amener vers une phrase cruciale, comme un chemin en pente sur la mer.  Fuir Paris le jour de la fête de la musique, est un juste retour des choses.Garden party au fin fond des Yvelines, chez Emma et Kad. La sérénité des visages, le calme accueillant des tables dressées dans le jardin, des bougies tout autour de la maison, un immense lustre pendu à un arbre. Plaisir de revoir Daran, et de parler avec lui hors contexte chansons. William lance le sujet : - Qu'y a-t-il de plus important pour un musicien, son instrument ou sa femme ?" Je propose qu'il faille y répondre en prenant pour valeur l'absence. Dans l'absence de l'un ou de l'autre, qui des deux nous fait le plus cruellement ressentir notre solitude, notre empêchement... (Et bien qu'on puisse manquer d'inspiration avec l'un comme avec l'autre).Et aussi, en leur présence, qui des deux nous permet le plus d'être dans une projection totale de soi-même, tout en oubliant parfaitement notre condition (de mortel). Bref, comme fête de la Musique, ça valait largement Tokio Hôtel au Parc des Princes. Au cours de la discussion, le joli mot de Daran : "Si j'avais gardé toutes mes guitares, je serais riche. Si j'avais gardé toutes mes femmes, je serais pauvre !"Fin de soirée avec A. dans un hamac au fond du jardin, pendant que crépitent sur la piste de danse les ombres et la rumeur de l'orchestre et des convives déchaînés. Dès que je rentre à Paris, vers trois heures du matin, après cette sompteuse, douce et dépaysante soirée, me revient - qui m'oppresse depuis plus d'une semaine - la sensation d'étranglement. 

 

30.06.08 Vu le film Across the universe, effrayant de platitude. Tout y est raté, de la scène du premier baiser aux retrouvailles finales, un traitement du romanesque proche des sit-com bas de gamme pour ados. Sur le papier pourtant, le film m'intéressait vraiment, les Beatles et Evan Rachel Wood. Le film souffre aussi de cette idée absurde de réinterpréter les chansons des Beatles dans une soupe de comédie musicale qui en donne des versions navrantes et sirupeuses comparées aux productions originales. C'était bien entendu l'écueil dans lequel ne pas tomber, car comment se frotter de façon hollywoodienne au travail de George Martin et des Beatles ? Pour le reste, tout est très conventionnel ; à côté, Control d'Anton Corbijn c'est Les hauts de Hurlevent d'Emily Brontë ; et l'apparition en une minute des Beatles dans le film génial de Todd Haynes, I'm not there, aux côtés de Bob Dylan est mille fois plus pertinente et sagace que les deux heures et quelques d'Across the Universe. En visionnant ce film je me disais que j'ai peut-être été trop conventionnel dans la durée du Rouge et le bleu sous certains aspects, à l'exception de la nouvelle incluse à l'intérieur de mon petit livre. Si je devais le réécrire aujourd'hui, je rajouterais quelques passages plus détournés je dirai, je ferais ça autrement, même s'il y a des récits que j'aime beaucoup tels quels, comme : She don't care, Abbey road, et, Pourquoi John lennon avait tort. Ainsi que mes poèmes. Je crois que les poèmes dans Le rouge et le bleu tiennent bien la route. Mais il y a quand même des trucs que je ferais autrement ou réécrirais tout à fait, et puis je rajouterais bien quelques pages, je ferais quelque chose sur la chanson : The long and winding road,et la période lost in the sea de Magical Mystery tour, après la mort de Brian Epstein . En même temps, j'explique cette sensation d'avoir été un peu conventionnel par la manière dont j'ai abordé l'exercice de ce livre de commande, à savoir des souvenirs de la petite adolescence, dix-quatorze ans, une période que j'aie traversé sans grande révolte, une enfance protégée, qui m'a peut-être d'ailleurs plus attiré naturellement vers les mélodies réconfortantes de Paul McCartney que vers les pistes dangereuses, les couleurs plus criardes de John Lennon. Quelque chose de conformiste en apparences qui tient à ma situation à cet âge-là, mais de la même manière qu'ont puisse trouver je crois les films et récits de François Truffaut conformistes, je veux dire la magie peut très bien opérer aussi dans ce cadre-là, même peut-être avec plus de poésie et d'acuité, et c'est ce que j'ai essayé de faire avec Le rouge et le bleu.  Un couple, dans le métro. Lui :- Je suis là, donc tu ne sors pas sans moi. Quand je ne suis pas là, c'est différent, tu fais ce que tu veux. - Ah bon...? Dit la fille interloquée, prise entre la révolte et la tentation. - Hé bien oui, répond le type, tu fais ce que tu veux. Je ne serai pas là pour vérifier !"  Travaillé une partie du week-end sur un texte pour une chanson d'accompagnement du livre à paraître, comme je l'avais fait pour L'amoureux en lambeaux. Cette fois, c'est Pierre (Guimard) qui a composé la musique. Il m'a envoyé une petite ritournelle, toute simple, et j'ai essayé de faire un texte en prenant un angle différent de celui pour la chanson de L'amoureux en lambeaux. 

La chaleur écrasante, pas vraiment commode pour travailler. Je crois que je n'ai pas encore trouvé le lieu idéal, envoûtant et sécurisant à la fois pour travailler, écrire à un rythme satisfaisant. Paris est sans doute le lieu le moins pire qui soit à ma portée. Mais le climat me plait de moins en moins, trop étouffant, en été la chaleur est annihilante et les automnes sont maintenant très chauds à leur tour, leur charme frais ou tempétueux se réduit à la peau de chagrin de quelques semaines, ou au monde immense d'imperfections de souvenirs anciens. Et il faut supporter tous ces gens ébahis et excités dès que le soleil s'installe. Le climat idéal est celui que j'ai trouvé à Londres en janvier dernier, une douce tempête, des averses à tout rompre, des éclaircies fraîches et vivifiantes. Je me souviens aussi, seul et perdu dans une chambre d'hôtel, désemparé de solitude vers quatre heures du matin, ouvrant le poste de télévision sur une publicité pour EDF Energy à la bande son géniale, une reprise de la chanson de Kermit la grenouille dans Sesame Street : It's not easy being green. Impression merveilleuse que cette chanson dans l'atmosphère particulière d'une ville étrangère et d'un hôtel endormis.Bon, il faudrait dire aussi : it's not easy having green eyes.  

bottom of page