
16.09.07 L'inventaire d'une nuit.
Une vie de chair, un sommeil brûlé,
Des femmes sans conséquences.
La beauté pour camoufler la laideur,
La marque du soutien-gorge,
Les rires comme des lits de camp.
Les capitales du monde où te fuir,
Le danger public de tes yeux posés.
L'idiotie à connaître des hommes
Qui n'ont rien à t'apprendre que tu puisses
Emporter pour hier.
Le voilier sur le pont duquel tu t'es ennuyée ferme,
La petite cicatrice où j'ai posé mes lèvres,
Le soleil qui m'a demandé pardon
Trois fois dans la journée.
La nuit où tous t'auraient volontiers prise,
L'avenue qu'il fallait remonter,
Le poème de ta cousine où il n'y avait pas le mot miroir.
Le destin que tu as cru ouvert,
La porte que tu as cru fermée.
L'inventaire des choses que je ne t'ai pas dites me fait mal chaque soir.
17.09.07 Le temps des visages et de la pluie.
La différence entre le romancier et le poète c'est que le romancier sait mettre des mots sur les choses, et le poète met des mots sur l'absence de choses.
Je suis heureux de mon travail quand j'arrive à être l'un et l'autre dans une même phrase (avec une victoire au bras de fer pour le second).
Cioran à propos de La Mélancolie, de Dürer :
"Si La Mélancolie de Dürer est dépourvue de la moindre ironie qui serait une négativité infinie, c'est parce que la réalité oppose à l'homme une trop grande résistance pour qu'il puisse à son tour lui opposer le sourire de sa propre supériorité."
Je partage l'idée de la faiblesse écrasante de la réalité. Chaque fois que je travaille, que je produis quelque chose et que je le soumets (dans les deux sens du terme), j'essaye de m'extraire comme de triompher de la faiblesse écrasante de la réalité ; en vain pour le moment.
Plusieurs années que Marine et moi avons rompu. Je n'ai jamais je crois tenu une fille aussi démesurément fragile et belle au creux de moi. Parfois nous retrouvons un chemin de courts signaux, nous nous disons des choses qui sont toujours supérieures à ce qu'on peut attendre de la part de quelqu'un ancré pour toujours dans une histoire passée.
Il y a un peu plus de deux ans, elle m'avait appelé en pleurs, plusieurs mois qu'on ne s'était pas croisé et encore juste pour un déjeuner, elle m'avait appelé en pleine nuit, elle n'en pouvait plus de vivre, et puis aussi il y avait dans les grandes lignes l'affront d'un type qui s'était comporté de manière dégueulasse avec elle, je ne voulais pas trop poser de questions, l'abandon vous savez parfois c'est comme la mort, allez, c'est souvent comme la mort, elle m'avait appelé au bord de ne plus pouvoir tenir, parce qu'après ce que nous avions vécu j'étais sans doute le seul à comprendre et à pouvoir tout accepter, je dirais ça comme ça, tout accepter de la détresse de celles que j'aie tenues contre moi, et elle m'avait demandé de venir dormir avec elle, je me souviens j'avais fait des kilomètres en pleine nuit, juste pour dormir avec elle, un connard de type avait dû massacrer sa fragilité, connard inconséquent, et voilà que moi je prenais ma voiture, je récupérais son corps fin baigné de larmes et j'essayais de calmer ce corps et son esprit en les rassemblant contre moi.
Je me souviens être parti avant l'aube, une fois assuré qu'elle allait dormir, qu'elle pouvait s'endormir rassurée de savoir qu'il y avait encore la possibilité que je sois là.
Je suis parti en pleine nuit pour ne pas être tenté de lui faire l'amour. Les corps ont une mémoire plus forte que la mémoire usuelle. Je ne venais pas pour ça. Je venais juste pour dire qu'on ne peut pas figer dans le passé de s'être aimé autant. C'est ce que je pense et ce que je suis. Une continuité d'actes et de choses dites. On ne peut pas réduire ce feu de s'être aimé autant.
Et puis j'étais seul, je n'avais de peine à faire à personne en répondant présent, sauf à moi-même.
Si ça a tenu aussi longtemps avec Marine, cinq ans peut-être, je dirai que c'est parce qu'elle était à la fois la suggestion et le concret, la possibilité et l'acte. Oui, la possibilité et l'acte. La blessure et la consolation ? Non, pas la blessure, mais la consolation à toutes les égratignures au monde. Et puis je l'ai délaissée et perdue, par instants puis en totalité, jusqu'à ce qu'elle me devienne étrangère au moment où je voulais la retenir au bord de son devenir sans moi.
Avez-vous déjà vu un amour devenir étranger ? Quelqu'un qui se débarrasse du lien qu'il a avec vous comme un doigt le fait d'une écharde, ou un manteau d'une fine couche de neige ? Et si vous l'avez vu, qu'avez-vous ressenti et connu de plus atroce ?
Que les filles que j'aie aimées deviennent un jour devant mes yeux, dans leur comportement et leurs manières, dans leurs paroles, de parfaites étrangères, est une des leçons les plus dures que j'aurais reçues de l'existence.
Étrangères comme avant de les connaître et pire encore, étrangères comme oublieuses et idiotes de notre vie ensemble, étrangères à mettre du typex sur les beaux moments et les déclarations d'amour qui donnent de la valeur à l'existence, étrangères à me faire croire que ce fût quelqu'un d'autre qui me parlait tout bas, qui s'inquiétait pour moi, qui jouissait dans mes bras, qui me donait la main et que je laissais souvent s'endormir la première. Étrangères à me nier. Étrangères à me massacrer. Étrangères à me sacrifier à d'autres.
Moi je n'arrive pas bien à être étranger aux gens que j'ai aimé, je ne suis jamais crédible avec ça, pourtant je le suis à ma façon, à mon être défendant ; je deviens étranger à ce qu'elles sont devenues, et si elles ne survivent ce n'est pour moi - dans la plupart des cas - que dans l'état d'esprit dans lequel elles se tenaient au moment où nous étions l'un pour l'autre ; après avoir nié un amoureux de ma trempe, que peuvent-elles bien valoir, les défaillantes ? Quelle protection et quels serments peuvent-elles garantir au suivant ? Comment peuvent-elles jouer le jeu sans pâlir ? Comment peuvent-elles encore passer devant un miroir et sourire ?
- L'abandon, oui, c'est comme la mort, convenait Eric hier pendant que nous discutions.
Et la leçon la plus dure est pour moi, qui reste seul avec le questionnement de la validité de l'instant et du passé, alors que dans cette amère leçon de l'existence je ne me suis pas encore tout à fait prononcé sur les questions de l'ironie et de la justice.
Je suis immergé dans la nouvelle que j'écris en ce moment, et je traîne délibérément pour en sortir. Je suis dans une sorte de conversation entre Odilon Green, Simon et Thomas, et j'ai du mal à terminer l'histoire.
Les lecteurs de L'amoureux en lambeaux et qui se souviennent bien des personnages comprendront certainement cela mais je voudrais dire que la réalité, à côté de ce que j'écris en ce moment, a un degré de fascination ou de protection proche du nul.
Je passe la soirée au Point Éphémère où j'assiste pour la rentrée littéraire des éditions Verticale à une lecture de Claire (Fercak) d'extraits de son beau livre à l'écriture silex et heurtée, Rideau de verre. Elle en lit des extraits aidé par Arnaud (Cathrine) surprenant d'aisance dans ses répliques. Il arrive bien à sécuriser Claire, à la porter plus loin, c'est parfait. Je parle avec Florent (Marchet), nous échangeons nos numéros et promettons de nous voir bientôt autour d'un café. C'est un des rares types je trouve dans la chanson française actuelle à suivre une exigence et une démarche personnelles et artistiques. Il y a une fille très séduisante dans un grand manteau vert, (est-ce un hommage maladroit au livre de Claire, a-t-elle choisi pour manteau une sorte de rideau de vert ?) elle traîne seule parmi le monde, je commence à m'intéresser à la ligne brisée et haute de sa silhouette et à la manière dont elle gère son errance, sa solitude, je demande aux personnes qui m'entourent si quelqu'un la connait, et puis au final elle est rejointe par un type avec qui elle avait rendez-vous, qui lui me connait, s'avance vers moi chaleureusement, ils sont ensemble alors évidemment : fin définitive de l'observation et interdiction formelle à mon coeur d'émettre la moindre question.
Bon et puis il s'avère qu'elle aussi me connait, qu'elle m'a vu en concert il y a quelques années, bref tout le monde me connait, tout le monde a des liens, la fuite est proche.
En même temps ce qui me touche parfaitement dans la silhouette et le visage de cette fille c'est qu'elle ressemble comme deux gouttes d'eau à la dernière fille que j'ai aimée (plus que de raison, oui). Alors, c'est rassurant déjà, que les filles puissent se ressembler, que leur visage et leur silhouette à un ou deux détail près puisse se retrouver ailleurs, à l'identique ou en mieux. Tout ça n'est que bêtise et chimère bien sûr, vous l'aviez compris, je comptais sur vous : Aucune fille ne se ressemble vraiment. Un visage ne se retrouve pas, il est unique d'avoir été regardé et contenu par un unique regard, délimité et changé d'avoir vécu une histoire unique ; la beauté sans histoire n'est que pastille pour photographes. Et celles qui ont vécu une histoire d'amour avec moi ne ressemblent plus à personne après.
Je dis bonjour à des tas de connaissances, jusqu'à perdre connaissance de toutes mes connaissances, je félicite Claire encore pour sa belle lecture et m'apprête à quitter le Point Éphémère quand elle me rattrape et me dit : "Tu sais Jérôme, toi tu connais ça, c'est si difficile de sortir un livre et de n'avoir aucun bras où se reposer...
- Oui, je sais, il n'y a rien de plus dur."
Plus tard je reçois un texto de Stéphane qui me dit : "C'est dur de connaître cent personnes dans une soirée et de n'avoir les bras de personne où se reposer...
- Oui. C'est ce qu'il y a de plus dur."
Je longe le canal Saint-Martin jusqu'à République, dans un état de mélancolie immense, éperdu. Que valent les amours du passé ? Quelle protection ? La pluie acide brûle moins que le comportement léger des jeunes filles et des femmes. Leur comportement de circonstances. Bah !
Prévisible jusque dans l'élan.
J'ai dans la tête la sublime chanson de Bertrand (Soulier) qu'il m'a envoyé en avant-première alors qu'il vient juste de l'enregistrer en studio pour son album. C'est vraiment ma chanson préférée de Bertrand, Morrison hôtel, avec bien-entendu celle dont il a écrit la musique sur un de mes poèmes de Journal et qui s'apelle Vendredi (on peut écouter Vendredi en suivant ce lien). Bien sûr concernant Morrison hôtel, l'époque est trop vulgaire pour qu'ils puissent revendiquer et faire la promotion du sublime, faire découvrir cette chanson à la radio par exemple, lui donner une permanence, qui va faire ça ? Serge Levaillant le fera mais il sera tout seul.
Alors bon, si l'époque est claquée de nullité, moi je suis encore là pour le dire.
Temps de crachin, petite pluie d'encre, fine et tenace. C'est le temps de la pluie et des visages vers vingt-deux heures quand je longe et descends le canal Saint-Martin jusqu'à République ; la venue de l'automne ; et que fait le prochain amour ? Où ses heures se perdent, où ses pas se dirigent, à quel feu ses mains patientent-elles ? C'est l'émergence de Paris tel que je l'ai dans le coeur. Oui je dirai ça comme ça : C'est le temps que j'ai dans le coeur, où les visages ne mentent plus et où la pluie effacera jusqu'aux derniers traits de ceux qui espèrent encore s'en sortir par la médiocrité, la frivolité ou le mensonge.
18.09.07 Les gens à tire-fesses intégrés
Est-ce que j'aurais démêlé ou au contraire entortillé de plus belle mes pensées lors de ces grandes marches que je fais dans Paris, la nuit, après les soirées, au moment où il faut rentrer pour ne pas être cassé tout le jour d'après - et ne pas être dégoûté de voir comment les gens se répandent aussi, comment ils finissent pour commencer avec le jour.
S'il y a une qualité que je n'ai pas c'est l'indulgence, et encore je crois être loin de considérer l'indulgence comme une qualité...
Devant ma mine défaite et mes réflexions amères on me donne des conseils que je ne demande pas, car souvent ils me détruisent encore plus, participent au relâchement complet de voir les choses, à une sorte de résignation que certains peuvent aller jusqu'à appeler espérance.
Beaucoup me parlent de leurs souffrances, du mal qu'on leur a fait, et bien sûr aucune douleur n'est comparable pour la bonne raison que chacun détient sa manière de les recevoir et de s'y protéger, chacun a sa manière d'y réagir et d'y offrir un terrain particulier selon son histoire et sa sensibilité. Le chagrin et la mélancolie (nostalgie d'une perfection qui n'existe pas) sont supérieures à l'idée de la beauté car contrairement à la beauté ils ne peuvent se satisfaire ou ne se révèlent pas dans un système de comparaison.
Souvent je me demande comment les gens peuvent dompter leur douleur dans un éclat de rire, un corps séduisant ou une coupe de champagne, qui passent.
On me conseille d'être plus léger, de profiter de qui je suis (drôle d'idée je n'ai pas envie de profiter de moi à mes dépens) de me servir où l'on se sert, de laisser aux vestiaires de la nuit mes considérations et ma redoutable exigence.
Peut-être qu'ils ont raison, qu'il suffit juste de voir les choses différemment. Mais si j'étais persuadé que ça rende heureux, je me répandrais peut-être dans l'immédiateté et l'inconséquence ; je dis : peut-être ; seulement je vois bien comment ça se passe.
Ils me parlent de leur douleur, et je vois la façon dont ils s'agitent pour surmonter tout ça ; ils ont raison à leur façon. Mais vouloir tout traverser, à ne plus vouloir se prendre de murs, on finit par devenir transparent.
Il s'agitent, sautent de bras en bras comme des singes de branches en branches, ils sont heureux d'avoir une bonne raison à brandir pour pouvoir se justifier et le faire, parfois je ne suis pas loin de penser qu'ils ont raison et que j'ai tort ; mais tant que mon tort produit des fleurs plus belles et plus durables qu'ils ne sauront jamais en dessiner pourquoi rejoindre le rang ?
Souvent je les écoute me parler de leurs douleurs, la nuit est propice à ça, j'écoute et j'observe les diverses façons qu'ils ont de s'en sortir, j'admire du bout des lèvres la capacité qu'ils ont à remonter la pente.
21.09.07
L'héroïsme c'est de mourir pour, le romantisme c'est de mourir à cause.
Vivre est un compromis, un doute à n'en plus finir, une voie médiane.
La plupart des chanteurs ambitionne d'intéresser les masses, tandis que je ne m'adresse qu'à des solitudes.
Jean-Pierre (Pilot) me dit gentiment que notre conversation en janvier dernier, chez lui, l'a tenu et permis d'aller plus loin, il était en pleine période de doute et de surplace dans son travail, et je lui ai donné des exemples d'artistes qui avaient mis trois, quatre ans, sans rien produire, à mâturer, à faire du temps qui s'ajuste, pour que tout vienne ensuite, dans une fulgurance. C'est ce qui est arrivé pour Jean-Pierre depuis janvier, alors aujourd'hui, chaque fois qu'on se croise, il me fait passer pour une sorte de prophète.
Les femmes que je rencontre et qui me plaisent ne sont qu'une succession de miroirs livrés avec caillou.
Défaite de l'égalité. La nuit, à Paris, les femmes veulent toujours paraître la plus belle, et les garçons ne veulent jamais être le plus intelligent.
Lettre de Shelley, en 1821, à propos de l'Antigone de Sophocle : "Quel sublime portrait de femme ! (...) Nous sommes quelques-uns à avoir aimé une Antigone dans une vie antérieure, et c'est à cause de cela que les liens mortels nous paraissent vides."
Les cartons d'invitation à des événements ou des soirées en tout genre s'amoncellent dans ma boîte aux lettres. Rentrant à la maison, j'ouvre le Dhammapada (Odilon Green state of mind) au hasard, et tombe sur cette phrase :
Hinam dhammam na seveyya, pamadena na samvase, Micchaditthim na saveyya, na siya lokavaddhano.
Ne suivez pas les petites choses, ne vivez pas en négligence. N'embrassez pas les vues fausses, ne soyez pas un mondain.
22.09.07 L’anniversaire de sa disparition.
Je repasse souvent rue du Regard où j'ai habité pour la première fois seul, à Paris, après avoir quitté mes parents. C'est une période qui pour moi est plus éloignée dans le temps que l'adolescence pour la raison que ma mère vit encore dans la maison où j'ai passé mon adolescence, en banlieue ouest ; chaque visite garde quelque chose d'immuable ; de la période rue du Regard il ne reste pas grand chose.
Je crois que mon père était triste de me voir partir habiter dans un studio aussi minuscule, je lui expliquais que je préférais vivre dans une presque chambre de bonne dans un quartier où il m'était agréable de sortir à tout moment de la journée et de la nuit, plutôt que dans un gigantesque appartement dans un quartier reculé, loin de mon terrain d'errances et de rencontres, de travail et de jeux. Il aurait aimé que j'aille m'installer dans l'appartement de la Garennes Colombes qu'il a fini par vendre. J'avais vécu jusqu'à mes six, sept ans à la Garennes Colombes, je ne pouvais pas raisonnablement y revenir à dix-huit. Et puis quelque chose s'était produit avec Paris, un lien durable, une conversation, une éclosion un refuge.
Mon père m'a toujours laissé la liberté de mes choix, même s'il devait être un peu triste que je ne sois attiré par aucune des choses qui le passionnaient : le sport, les voyages, les avions, tout cela me laissait froid. A vrai dire nous n'avions pas grand chose en commun, et je crois que ce que j'ai de lui correspond à des choses plus profondes comme la stabilité, l'endurance. Mon athlétisme est intérieur en quelque sorte.
Je crois tenir de lui cette forme de stabilité qui comporte à la fois une implacable rigueur et une grande douceur. J'ai dû le rendre triste à refuser tous les sports auxquels il souhaitait m'inscrire dans ma jeunesse ; je n'avais dit oui qu'au Tennis parce que je trouvais ça assez aristocratique, il n'y avait pas d'échauffements à la con comme le saute-moutons par exemple avant d'aller se tenir sur le cours, et puis il y avait une petite fille qui me plaisait bien dans le club ; ajoutons à cela qu'en sport j'étais souvent au niveau des filles, ce qui facilite les rapprochements (avant quinze ans je dirais).
Je tiens aussi de mon père le désir et l'envie insoumise de faire plaisir aux gens que j'aime ; c'est pour cela qu'il faut aimer peu de monde et très bien. Le sport que je préfère par exemple c'est de passer toute une journée, faire tout un trajet, pour aller chercher un cadeau à une femme qu'on aime. C'est le seul sport qui me plait. Souvent il m'a semblé faire ça plus qu'autre chose dans la vie, faire ça davantage que d'aller en fac ou d'obtenir des diplômes. Que j'ai obtenus d'ailleurs, en passant.
Aujourd'hui cela fait quatre ans jour pour jour qu'il est mort, et je ne sais pas quoi faire de ça. Je n'ai plus comme au début, en automne 2003, l'idée que je vais tomber sur lui quand je téléphone à la maison. Cela est passé avec le temps.
Mes parents m'ont eu alors qu'ils avaient déjà vécu d'autres vies, d'autres histoires d'amour, de précédents mariages, mais sans enfant, alors ils m'ont eu comme un cadeau inespéré à plus de quarante ans. J'ai donc hérité sans doute de leur stabilité, si j'avais eu des parents plus jeunes, plus dilettantes, il en eût peut-être été autrement de mon caractère - mais ce n'est pas certain.
Je tenais donc cette position - que certains jugent privilégiée - d'enfant unique et maintenant je trouve que c'est difficile, c'est ce renversement dont parle François Truffaut dans L'argent de poche, que bizarrement quand on a eu une enfance heureuse on est souvent moins bien armé pour la vie, et aujourd'hui j'aurais voulu aller repêcher des beaux souvenirs mais il faut un présent stable pour ça je crois, comme quelqu'un qui pêche des truites multicolores doit être en appui sur le ponton où il se trouve.
Un présent instable m'empêche d'aller chercher de beaux souvenirs et de croire en leur sens. Mais, si je ne sais pas quoi faire de la mort de mon papa, et si je ne comprends pas où est le sens dans ces quatre années qui viennent de s'écouler, je sais qu'il m'a donné une force et une stabilité, c'est-a-dire surtout la possibilité sans violence de devenir celui vers qui j'allais et que je suis devenu ; une force et une stabilité qui parfois rayonnent sur celles et ceux qui me rencontrent.
23.09.07
Les armes factices.
Quand j'entend X me dire qu'Y a été vexé du fait que je décide de ne plus travailler avec lui alors que ça faisait six mois que mes musiciens et moi n'avions ni nouvelles, ni encouragements, ni perspectives ou idées probantes concernant la suite de notre travail, je suis toujours atterré et n'ai rien à opposer à X que de le voir rapporter, c'est-à-dire : soutenir, ce parti.
Les gens finissent par s'inventer une susceptibilité à votre égard parce que c'est la dernière arme qu'ils ont, et la seule avec laquelle ils pensent pouvoir vous opposer quelque chose, rivaliser avec vous.
Mais c'est une susceptibilité factice, une arme en plastoc. Qui se retournera contre eux un jour ou l'autre, puisque c'est le destin des armes brandies, sans les atteindre pourtant outre mesure, sans les atteindre du tout qu'ils se rassurent, puisque de toute façon cela est factice.
Notes diverses.
Tout le monde cherche quelqu'un qui ne soit pas interchangeable malgré soi, malgré ses propres mouvements d'humeur et le tempérament vacillant pour un terrain d'entente avec la fuite des jours. Tout le monde cherche quelqu'un qui ne soit pas interchangeable malgré lui et malgré soi. Mais est-ce que cela existe ailleurs que dans les mes romans ?
Interview d'un ancien illettré dans une émission de reportages sur TF1. "Le plus douloureux, dit-il, c'était de trouver quelqu'un pour écrire à ma fiancée des mots d'amour." Oui, enfin ce qui est dur aussi c'est de trouver quelqu'un ou une fiancée pour les comprendre.
Ajout (ironique) à un aphorisme d'il y a deux jours : La plupart des chanteurs ambitionne d'intéresser les masses, tandis que je ne m'adresse qu'à des solitudes.
Mais si ces solitudes sont plusieurs, c'est mieux.
Seul parmi les innombrables.
Depuis vendredi il me semble que les rues les boulevards les avenues déversent un nombre incalculable de filles très belles, dont la beauté me parle davantage que la beauté, m'appelle parfois, révèle en moi du vide et de l'élan, des beautés si différentes et dissemblables comme le seraient autant d'histoires, unique pour chacune d'elles ; il suffirait d'une rencontre, d'un rapprochement, d'une décision et deux volontés.
J'avance seul parmi des possibilités d'histoires innombrables, attendant que le destin m'envoie une convocation à laquelle je ne pourrais pas échapper.
Tant de possibles qui sautent aux yeux et que déverse le boulevard dans les derniers beaux jours qui sont comme un printemps inversé ; tant de corps et de regards compatibles vers Sèvres Babylone ; je suis happé par les possibles comme une coquette vaniteuse et versatile, alors que ce qu'il y a d'intéressant dans cette vie c'est d'être arraché aux possibilités infinies du non savoir par la convocation de l'amour fou.
Pourtant pourquoi s'attacher à une seule femme alors que le boulevard en crache de nouvelles à chaque instant, et peut-être une plus étonnante et intime l'instant d'après ?
Hé bien parce qu'à un moment c'est très beau de prendre le risque d'être ensemble.
Jolies, captivantes, frivoles ou fiables ? Les femmes nous aiment aussi parce que notre amour les élit parmi toutes les autres, les distingue de leurs semblables, puis un jour elles nous pressent de bien vouloir les remettre dans la nasse, parce que malgré les efforts qu'elles font envers elles-mêmes - certains commentateurs ont appelé ça : l'hystérie - pour être uniques en leur genre et plus matérielles que leurs baisers, elles succombent au monde et se rassurent à n'avoir de valeur que dans un système d'offre, de demande, et de comparaison.
Je suis seul parmi les innombrables. Elles règnent sur mes regards. Je suis trop fatigué bien sûr, trop démantelé et meurtri pour chasser ; mais ce qui me reste de forces se tend dans la prémonition d'un nouvel amour. Le désir effréné que j'en ai, la réticence encore aussi.
Mais quand elle apparaîtra pour de bon, je lui demanderai de rendre les innombrables anecdotiques, sinon je n'aimerais pas.
Pourquoi voyager ?
Dimanche soir. Le téléphone sonne, c'est William (Rousseau).
- Jérôme, je t'appelle juste un instant parce que je suis à l'aéroport de Rome, je vais embarquer, et je viens de voir passer une fille très jolie qui tenait entre ses mains L'amoureux en lambeaux..."
24.09.07
Je dîne à la petite cuillère d'un peu de confiture à la myrtille maison que m'a préparé Ophélie, de la même manière que Baudelaire devait ingurgiter son absinthe.
Lettre du Japon de Lisa (Tani) qui m'annonce qu'elle vient jouer avec son groupe : le Satanicpornocultshop à Paris le 02 octobre au Palais de Tokyo.
Mon agenda est full-up et j'aimerais le soir garder du temps pour écrire,
mais il faudra que j'essaye d'y être absolument.
La dernière fois que j'ai vu Lisa elle m'avait dessiné mes prénoms et nom en idéogrammes japonais, cela donnait :
La flèche dans la cible expliquant que je suis : celui qui touche exactement où il faut.
Un des problèmes de l'existence est de chercher dans l'amour la plus grande des consolations. Alors que la plupart des histoires nous laissent inconsolable.
Le problème avec les histoires d'amour c'est justement que ce sont des histoires.
Dans la rue : Des femmes sublimes au bras de ce qui semble être de vulgaires crétins. J'ai écrit, dans un moment récent, qu'il fallait sans doute envisager cela sous l'angle de la punition.
A moins qu'elles n'attendent qu'on les en délivre, ou au contraire qu'on les encourage. Oui, qu'on les encourage à s'estimer supérieures à une destinée qu'elles sont bien forcées de choisir un jour ou l'autre, ce qui est une manière de continuer à se considérer belles en toute circonstance et sans risque, puisqu'on finit par leur accorder une valeur supérieure à la médiocrité de leur destin et de leurs choix.
Ligne 10. Station avenue Emile Zola 17h45, jeune fille (17 ans, 18 ?) d'une immense beauté, pénètre dans la rame avec une amie de taille plus petite qu'elle, et qui lui parle en anglais de manière volubile. La jeune fille écarquille des yeux tristes qu'elle a très bleus comme s'ils la maquillaient de l'intérieur. Elle est vêtue d'un large sweat-shirt de couleur verte à l'effigie d'une université ou d'un club sportif qui marque au gré de ses mouvements la forme légère et parfois vaniteuse de ses seins ; les cheveux tombent au-delà des épaules. Elles parlent de Facebook, parlent pour dire qu'elles vont se parler plus tard (sur Facebook). Moi aussi je me suis inscrit à cette connerie et on arrête pas de m'envoyer des requêtes ou des trucs à remplir mais je n'ai pas encore eu le temps de me pencher sur la question de Facebook ; déjà je ne savais pas quoi mettre pour centres d'intérêt, et Marie m'a dit d'écrire que j'aimais "Les filles grandes, minces, aux cheveux longs et aux petits seins ; et le chou farci du Chai de l'Abbaye", ce que j'ai fait textuellement, étant donné que j'approuve l'avis de Marie comme quoi il s'agit bien de deux de mes principaux centres d'intérêt.
Les deux adolescentes sortent du métro (et de l'adolescence) à la station Javel André Citroën, et la copine dit à la jeune fille merveilleuse en guise d'au-revoir : "Strange kid but I love you."
Depuis le début de l'année 2007, je suis de quelques semaines le parcours de X, du moins ce qui lui arrive sentimentalement. Il est tombé fou amoureux, moi aussi à quelques semaines d'intervalle. Il a subi une rupture très difficile qui l'a durement atteint, j'ai été mis au même fait accompli quelque semaines après. Aujourd'hui, j'apprends qu'il est retourné avec une de ses ex qui le cajole et s'occupe divinement bien de lui dans un grand appartement...
Je crois que notre course poursuite s'arrête ici. Après avoir fait en pensées un tour du propriétaire (de souvenirs), je n'ai aucune envie de retourner avec aucune de mes ex ; en revanche je suis heureux de savoir que la vie leur a donné de grands appartements.
La grande question, le grand problème à résoudre de cette vie, est de savoir si on est seul ou pas.
Et si on ne l'est pas, pour combien de temps ?
25.09.07 D’une plus grande violence.
J'avais 19 ans. Je connaissais cette fille de vue, jolie, brune et des allures de faon, Bambi de banlieue ouest en jean et converses. Ses différentes apparitions m'avaient ému, dans les soirées, entre deux portes. J'écoutais le récit de ces deux garçons, un samedi soir à traîner. Le récit qu'ils en faisaient, comment ils la maltraitaient sans gravité à les entendre, ils la prenaient chacun à tour de rôle, chez elle dans le pavillon les après-midi de week-end quand les parents s'absentaient. Ils lui demandaient de se mettre nue. Ils prenaient des photos. Ils avaient un tas de photos d'elle, posant nue, dans leurs portefeuilles. J'avais vu les photos. Rien d'excitant. La seule excitation peut-être venait de ce que je ne comprenais pas qu'elle se laissât faire ainsi, prendre par ces deux garçons, à tour de rôle, les deux sur elle, en elle, successivement. Je pensais qu'elle devait espérer quelque chose de plus, au moins de la part d'un des deux. Une histoire d'amour avec celui qui avait la plus belle gueule ; celui dont toutes les filles s'accordaient à dire qu'il était très mignon. Quelque chose de plus.
Ils étaient contents de me raconter ce qu'ils prenaient pour des exploits. Ils se vantaient, trouvaient ça drôle. Comment ils la faisaient se mettre nue devant eux. Comment ils la touchaient, l'un après l'autre.
Je leur avais dit : Je peux mieux faire. Je peux faire mieux que vous."
J'avais l'adresse de la fille. Nous nous étions croisés deux fois tout au plus, en soirée, entre deux courants d'air. Sa taille fine, ses airs de faon.
Je commençais à lui écrire. Quelques lettres, mais une seule avait peut-être suffi. Et quelques semaines après le début des lettres, elle était chez moi, elle frappait à ma porte, à Paris.
Très rapidement elle se jeta sur moi. Elle se jeta pour m'embrasser, je me souviens de ses baisers humides sur mes lèvres, sa bouche comme une plante tropicale et carnivore. Je la repoussais. Dès le premier baiser je la repoussais. Je ne l'aimais pas. Elle revint à la charge de tous ses nerfs, la bouche humide, le corps implorant. Elle ne comprenait pas que je la repousse. Je ne l'aimais pas. Je ne donnais plus aucune nouvelle après cette entrevue. Les lettres cessèrent immédiatement. Était-ce faire mieux qu'eux ? Je ne l'aimais pas.
26.09.07 Le Sheebeen, la Scala, le Baron.
L'autre soir Camille prétendait que je suis L'homme triste et courageux ; et j'objectais que je ne voyais vraiment pas où était le courage...
Hier après-midi, café avec Bertrand au Chai de l'Abbaye, métro Mabillon. Bertrand me dit :
- C'est drôle quand les gens me parlent de toi, ils te voient tous comme un cow-boy solitaire et crucifié qui à chaque fois se relève plus blessé qu'avant..."
- C'est ce que je suis, dis-je en interrompant Bertrand. Je fixe quand même une certaine limite à la solitude et à la crucifixion dans les rapports amicaux, l'après-midi, au Café.
Nous parlons musique, Neil Young. Je dis à Bertrand que j'adore la chanson : Pocahontas, et il m'encourage à écouter absolument le titre Cortez the killer. Il me raconte l'histoire, une jeune native américaine prend son bain dans un étang quand l'armée de Cortez arrive et fait une vraie boucherie. Bon au final, la chanson de Neil Young n'est pas du tout le gang-bang qu'a imaginé Bertrand, mais ça n'en est pas moins une superbe et sublime chanson.
Deux aphorismes de Bertrand (Soulier) :
1/ "Ian Curtis c'est le Jérôme Attal du pauvre, parce que Curtis lui il s'est tapé que des boudins."
2/ Sur le monde de la musique française. "Dans les années 90 on avait des chanteurs qui n'avaient jamais lu de livre, et aujourd'hui on a des chanteurs qui n'ont jamais lu de livre et jamais écouté de disque."
Je raconte à Bertrand l'obsession de mes managers à vouloir me faire prendre des cours de chant. Il me dit :
- Ok, va voir un prof de chant. Il va te dire : Je ne peux rien pour vous !
Ce qui est intéressant justement, soutient Bertrand, c'est ton côté atonal, comme si tout avait une urgence à être dit.
Soirée d'hier où j'enquille lieux et perspectives nocturnes. Au Sheebeen le truculent patron me file un de ces shots de je ne sais pas trop quoi qui me fait trembler et éructer de tout le corps sans pourtant éteindre ni les souvenirs, ni l'urgence, ni la conscience qui me constituent. C'est drôle, à la Scala, Caroline me parle de cette grande bonde aux yeux bleus translucides, qui sera justement assise à côté de moi, plus tard, dans la nuit, au Baron.
L'ambiance est agréable, rouge et feutrée, spectaculaire et délicate auprès d'une fille aux longues mains qui attache et détache cinq fois de suite ses cheveux en un quart d'heure de temps.
Je pense au mot de Bertrand, plus tôt dans la journée, qui me disait :
- Toi tu aimes les filles qui ressemblent à des coton-tiges,
sauf que dans le cas des filles c'est mieux s'il n'y a du coton que d'un seul côté !"
Les garçons de la nuit donnent le sentiment rassurant d'être tous les mêmes, soit de petits avortons, soit quelque chose de dégingandé et d'imposant, sévèrement looké, dans les deux cas de désarticulé et de profondément ordinaire quand ils se mettent à rire ou à aborder une fille, davantage comme on se rue sur un plat de viande que comme on aborde une idée.
L'autre jour cette déclaration de Camille sur le fait que je suis l'homme triste et courageux, j'y ai repensé en lisant ce mot d'un contemporain sur Saint Just : "Sans courage physique et faible de corps, jusqu'au point de craindre le sifflement des balles, il avait le courage de la réflexion qui fait attendre une mort certaine pour ne pas sacrifier une idée." (Valable en boîte de nuit ?)
Les filles de la nuit ont de figé aux lèvres le sourire qui est né sur leur visage d'être rentrées dans un endroit prédit à la mode et select, et elles ne s'en remettent pas, elles peuvent se faire embrasser et toucher sur les banquettes par des types qu'elles peuvent voir le lendemain en allumant leur poste de télévision, c'est terrible, tout peut arriver puisqu'on leur a fait le privilège immense de les laisser rentrer, et elles ont un air satisfait et béat à ne jamais s'en remettre de toute leur vie.
Parfois il y en a qui vont s'inventer jusqu'à des relations de haine, d'amour ou de sympathie, avec les portiers et les physionomistes, comme chez un dentiste qui aurait beaucoup de succès il serait avantageux de connaître l'assistante ou la secrétaire pour obtenir un rendez-vous.
Davantage encore que le corps des femmes, et je veux dire : au-delà du corps, ce qu'il faut chercher à conquérir c'est la voix.
Puisque souvent, dans le noir ou dans l'étreinte, seule la voix définit et retrouve le corps dans son ensemble.
Je n'ai jamais pu faire l'amour avec des femmes dont je n'étais pas ému par la voix, et même pour celles qui gardaient un certain silence pendant l'acte.
Si le corps appelle ou émeut, seule la voix décide, permet et dicte un ordre supérieur aux simples circonstances de se plaire.
La nuit ne me dit rien qui vaille. Je suis en ce moment à fleur de peau et pourtant : aucune éclosion nulle part.
14h45 : Fille dont la silhouette et le visage me découpent en morceaux, passage de la petite boucherie.
27.09.07 La salope inutile / Le soir intégral
Jean Baudrillard, dans le premier opus de ses Cool memories :
"J'appelle salope la femme capable de se dérober totalement par pure perversité, sans nécessité amoureuse, par la tentation pure de vous glisser entre les doigts. Beaucoup plus que par la prostitution physique et mentale, c'est par cette puissance d'absorption hystérique dans l'absence que les femmes sont des salopes. Et je reconnais et j'admire cette faculté d'échappement qui n'est donnée qu'aux êtres qui ne connaissent pas l'obstacle des jugements de valeur.
Le masculin lui, est fragilisé par les mécanismes de la représentation. Il n'a pas la faculté de se rétracter aussi soudainement et absolument - il lui faut se déprendre de son image. Tandis que la femme peut par pure réflexe ou stratagème se convertir en absence et surprendre l'homme par là aussi cruellement qu'elle peut l'enchanter par sa présence."
Oui, je suis rarement pour une catégorisation aussi franche et systématique du féminin et du masculin - le caractère et la volonté, la capacité amoureuse aussi dirais-je dans un élan d'optimisme, dépassant pour moi ces appréciations propres à chacun des sexes, mais je trouve beaucoup de justesse dans la pensée de Baudrillard - et bien que je serais tenté d'ajouter en relisant la première partie que la pure perversité consisterait justement à se dérober par nécessité amoureuse..!
En outre, même si la définition de la salope vise juste, j'en connais d'autres, et souvent je n'ai aucune indulgence envers les salopes car je trouve les actes qui les définissent et les caractérisent suffisamment stériles et inutiles au final pour verser dans l'anecdote. L'absence sans visage finit toujours par l'emporter sur la décision personnelle et personnifiée de l'absence ; et, à provoquer des courants d'air, on finit toujours par se prendre une porte en pleine gueule un jour ou l'autre.
Voilà : il faudrait dire aux femmes qu'il est inutile d'être des salopes, puisque le courant d'air finit toujours par produire sa porte qui se ferme d'un coup, vlan, en pleine gueule.
Il y a aussi je crois, que la plupart du temps, qualifier une femme de salope est une façon désarmante de donner de l'importance à une conne.
Je ne crois pas comme le prétend Baudrillard que la femme soit en outre étrangère à l'obstacle des jugements de valeur.Quittant un homme qui l'aime, une femme devra encore faire un effort suppélementaire pour fuir son jugement, l'idée qu'il puisse la juger et avec ça, la sentence qu'elle pourrait se jeter elle-même, ou qui pourrait lui revenir, un jour en pleine poire, comme seule image constituante, une fois le jugement et la tyrannie du miroir éteints.
Soirée de pluie sombre en ville. Frigorifié de l'intérieur. Je n'arrive à me réchauffer à aucune idée, aucun visage ; la vacuité du cœur est immense.
Vernissage de l'exposition Canon au 44 rue Lepic mise en perspective et installée par Jean-Charles. Toujours cette gourmandise créatrice de Jean-Charles, cette enfance irréductible qui traverse toutes les batailles.
Très beaux tirages de photos de Claude Azoulay, Warhol en 77 ; et une sublime Marilyn Monroe, visage blanc calé dans un gant noir, qui s'ennuie ferme au bal de l'Actor's studio.
Aujourd'hui il y aurait des Marilyn, aucune ne serait capable de dire la vérité de l'ennui, ou de s'ennuyer à en crever l'écran ; et c'est ça qui est ennuyeux aujourd'hui. Il n'y a plus de capacité à la tragédie ; la vanité ou la frivolité ne sont même pas des poudres à maquiller les sentiments, car une fois les poudres détruites ou sniffées, il n'y a pas de sentiments. On passe d'une sensation à l'autre comme au jeu de saute-moutons. Et je plains celles et ceux qui ont encore un tempérament de noyé de ne trouver sur leur chemin que des piscines vides.
Perdus dans les fantômes hétéroclites, fringants et pomponnés d'un vernissage en ville, Stéphane me dit : "Il n'y a aucune fille pour toi à part peut-être cette grande asperge à la perruque rouge" qui dépasse d'une courte tête les autres filles du défilé. Nous (dé)filons ensuite au Publicis des Champs Elysées pour signer la revue Bordel. Soirée surréaliste car quand nous arrivons une hôtesse nous informe que nous signerons à 22h45 et dans l'intervalle on nous emprisonne au champagne à l'espace VIP. Le souci est que sur les programmes nous devions être en place à 21h. D'où le sentiment d'arriver un peu après la bataille. Mais une belle ambiance tout de même entre nous, et comme à partir de minuit la population du Drugstore publicis a tendance à changer de visage et, que se retrouvent à l'espace librairie tous les damnés de la terre : demi-folles en quête d'auditoire,
insomniaques et illuminés de tout poil, on aurait volontiers tendance à ne vouloir apposer sa signature que sur desDostoïevski.
J'offre le collier de bonbons reçu au vernissage Canon / Castelbajac à Alexandra (Geyser), et un peu avant une heure du matin sonne la dispersion de la team Bordel, puis rentre à la maison à pieds en prenant par le Trocadéro et la rue Raynouard. Frigorifié de l'intérieur.
Personne en qui rêver, c'est-à-dire : personne en qui croire.
29.09.07 La pornographie indifférente.
J'ai l'impression que si l'on avait donné des téléphones portables aux gens il y a vingt ans, la possibilité de se joindre hystériquement à tout moment, j'ai l'impression qu'il y aurait quand même eu une certaine retenue, que les gens n'auraient pas eu l'idée de décrocher où bon leur semble, dans les transports en commun par exemple, et de poursuivre sans aucune décence - je veux dire sans jamais de distance - le fil ininterrompu de leurs petites vies ; mais je peux me tromper et peut-être que s'il y avait eu cette possibilité nous serions tombés il y a vingt ans au même de niveau de vulgarité qu'on peut observer aujourd'hui, où les gens hurlent, pestent, rabrouent des interlocuteurs fantômes dans les rames de métro, se foutant complètement de ce qui les entoure, sans aucune pudeur, et avec une violence qui une fois désamorcée n'est en fin de compte que de la pornographie indifférente.
Je traverse la cour carrée du Louvre. Des filles accroupies et penchées sur des cartons à dessin. Une quantité impressionnante de filles impressionnables - qui s'extasient devant les colonnes de la cour carrée du Louvre et essayent d'en reproduire les lignes. Qu'est-ce qu'elles peuvent bien foutre là ? Qu'est-ce qu'il peut y avoir de carré chez elles ?
L'immense beauté - et immense puissance dix - de l'actrice Anita Yuen dans le film : Bons baisers de Pékin (film très convenable par ailleurs).
Plutôt bonne répétition avec le groupe pour le concert du 11 octobre. J'ai cette appréhension - en répétition et ce sera amplifié sur scène j'imagine - de trouver la bonne distance avec des chansons qui sont très personnelles - et il n'y a plus au répertoire que des chansons très personnelles...Il faut que j'arrive à trouver la bonne distance, voici en quoi consiste mon travail d'interprétation, non pas que je m'en éloigne trop ce qui serait stupide, mais que je fasse attention à ne pas m'y jeter entièrement ce qui deviendrait dangereux.
30.09.07 La Saint-Jérôme.
Quand j'étais enfant, mon anniversaire tombant le 18 juillet, en plein pendant les grandes vacances, période où la quasi totalité des enfants de mon entourage était dispersée aux quatre coins de la France, mes parents organisaient un goûter d'anniversaire le 30 septembre jour de ma fête.
Je voyais ainsi se pointer après la bataille une cohorte de petites filles et de petits garçons avec un cadeau dans les mains et me souhaiter un très joyeux anniversaire. Bien sûr je comprenais déjà qu'il n'eût pas été raisonnable de dire à tout le monde :
- Mais...Rentrez chez vous ! Gardez les cadeaux pour vous ! Ce n'est pas du tout mon anniversaire ! "
Et pourtant la tristesse inconnue et immense que je ne pouvais réprimer, venant de cette comédie décalée, je la gardais pour moi, comprenant également qu'il était inutile de la faire subir à mes parents heureux de pouvoir m'organiser une petite fête.
Mais il y avait quand même quelque chose d'absurde à voir arriver ses enfants, sortant des voitures, accompagnés de leurs génitrices qui bavardaient
quelques minutes avec ma mère, et tout ce protocole barbant de personnes qui me souhaitaient sincèrement un joyeux anniversaire en septembre.
De la même manière que, si on m'avait envoyé en colonie au mois de juillet, je trouvais sordide qu'il fût fêté lors de la veillée du dernier jour par une bande d'animateurs indifférents et stupides qui avait organisé quelque chose d'affreusement convenu pour les quatre ou cinq mioches dont l'anniversaire était tombé durant les trois semaines du séjour. (Ok, je ne suis pas de composition facile).
Très tôt donc, je compris qu'il y aurait souvent un décalage, et que la plupart du temps les adultes - mais les autres enfants aussi - soit s'en foutaient éperdument, soit par leurs actes et leurs décisions aggravaient ce décalage.
Et que c'étaient de ces sortes de décalages à tout propos - dès qu'on y prêtait une once d'attention - que naissait un sentiment de tristesse irréductible, et que j'étais le seul, sinon à vivre, du moins à ressentir le caractère intolérable de ce décalage.
Loin de m'agguerrir cependant et de transformer cette expérience en une lucidité résignée, je commençais à voir le décalage partout, entre les gens, dans leurs actes et dans leurs paroles, leur façon de se comporter les uns vis-à-vis des autres, décalage entre ce qui est et ce qu'on attend, décalage entre ce qu'on attend et ce qui arrive, décalage entre ce qui arrive et ce qu'on en fait... Je commençais à voir les atteintes que certains par leur négligence ou même par leur bonne volonté pouvaient provoquer et porter à d'autres, et je me mettais même à souffrir pour les autres au cas où le décalage les blesserait durement - petites humiliations que je prenais de plein fouet - et même dans les cas où cela ne les touchait pas tant que ça...
Bref, chaque jour de la vie augmentait une hyper sensibilité qui ne devenait ni une force ni un refuge, et qui n'avait pas les vertus d'apaisement qu'on accorde à la confidence.
Et je ne sais toujours pas comment faire.