01.09.07
Nous voulions des tas de choses problématiques,
Nous voulions épouser une jeune femme qui descend au métro Ségur,
Nous voulions de l'amour l'absolu et pas ses terribles saccades,
Nous voulions voir ce que la vie réservait aux êtres qui s'efforcent de garder le cœur pur,
Nous voulions de vrais engagements et non pas la dureté ou le dégoût dès que le regard porte en arrière,
Des visages et des actes qui fassent sens, plutôt que des pays ou des coeurs à traverser en toute hâte,
Nous voulions être protégés par nos amis et être portés par nos amours,
Nous voulions que le désespoir soit un sirop dans les bras de celle qui saura mêler fantaisie et droiture sans crainte ni trahir,
Nous voulions des fantasmes acquiessés par chuchotement, révélés et tendus, vécus parfois et désamorcés toujours dans la protection de l'étreinte.
L'aube consolatrice coupée comme une orange effacera toute trace.
Nous voulions la solitude et le mouvement ; à nous le siècle et pour nous la soirée ;
Nous voulions échapper aux brutalités de l'existence par la seule force de caractère et l'attention de chaque instant - ratage dès les premiers pas,
Nous voulions ne jamais agir à la légère avec les personnes qui nous bouleversaient ou qui nous avaient sauvé des moments de fatigue, de désarroi ou de chagrin,
Mais c'était impossible car, dans une certaine mesure, pardonner leurs fautes ou leurs manquements était agir à la légère.
Nous voulions l'ardeur, l'immensité, la pertinence et la douceur.
Violemment la douceur.
Nous voulions parler de choses cruciales dans les cafés,
Et puis qu'une femme arrive et nous capture pour la soirée...
- Il en sera fini alors des choses cruciales ?
- Non, mais il en sera fini de les discuter."
02.09.07 La Belgique
Belgique.
Ces maisons de briques rouges aux fenêtres muettes,
Et les églises brunes comme des maisons encore
Que rien ne distingue sauf un élan vers le ciel.
Et les maigres jardins qui basculent dans les prés,
Le chemin de fer et le pont sur la Dendre,
L'enfance et le voyage, et le supermarché Delhaize
Plein de choses agréables.
L'horloge tinte et bourdonne dès sept heures du matin
Sur le carrelage froid.
Et les chats intrigants, le grenier plein de toiles
Dont quatre d'araignées et trente-huit du même peintre.
Les maisons rapprochées de l'arrivée vers Ath,
Dès qu'on franchit la porte la chaleur immédiate
Et toujours l'impression que le ciel est étang,
Que de longs peupliers le blessent sans le vouloir
Comme les êtres croisés dans la douceur du soir
Balaient le coeur trop lourd d'amertume sincère.
Et cette fille frêle et brune des dimanche ordinaires
Accroupie dans le pré ou l'envie de séduire
Qui a tant de cheveux pour couvrir mes épaules
Qui m'a vu dans son coeur abolir la frontière
Et qui me dit tout bas
De ne pas lâcher prise jusqu'au bout du chemin.
Et la seule prise que j'ai c'est le creux de sa main
Et tant de paysages aimés de la Belgique
Les vies que j'imagine, les lumières qui crépitent,
La voiture qui brinquebale, le chemin des bettraves,
Le faisan étourdi et la place d'Ath le soir,
La vendeuse de frites, le marchand de cigares.
On pourra bien encore couper Belgique en deux
Tant de versions d'Europe dorment sous cette terre
La nuit recouvre tout, le temps altère ma voix.
Le miroir devant nous est une plaie ouverte
J'ai d'autres soucis en tête, voyons, qu'est-ce que tu crois ?
D'autres que ton départ.
Comment s'appelait ce peintre dont tu parlais déjà ?
Ah oui ! Léon Spilliaert.
La douleur ne peut rien quand tu es près de moi
Dis-moi encore des choses à retenir tout bas
Qui me feront le ciel quand j'irai aux fenêtres
Que je pourrais cacher sous ma robe légère.
Et même que je ressemble à
Ann-Catherine Lacroix.
Paris 02.09.07. 3 a.m. / 3.29 a.m.
02.09.07
Soirée où je trimballe un sac de feuilles mortes à la place du cœur. Mais je sais ce que je veux maintenant ; marre des amours incapables.
Un petit tour à la fête de T. Beauté de X faite d'un complot d'imperfections. Ce soir pourtant la beauté me fait l'effet d'un précipice au bord duquel il n'y a rien à attendre, ou que de la fatigue nerveuse, et ce n'est encore ni le moment, ni le lieu de toute façon pour le cœur et la volonté.
Rentré à deux heures du matin, essayé de regarder un film avec Monica Vitti et Maurice Ronet, La femme écarlate, mais fermé la télé pour écrire un poème sur la Belgique. J'ai pensé à Louis et Renaud qui l'autre jour se moquaient gentiment de moi en déclarant à une petite assemblée : Ah non, désolé, Jérôme ne peut pas rester dîner avec nous, il doit rentrer terminer un poème !"
Toute la journée passée à Auteuil, j'aime l'ambiance particulière, grisâtre comme un matou des fins de dimanche après-midi, l'automne arrive doucement, et je suis septembrisé.
En écoutant une élégie pour violon et orchestre de cordes de Keith Jarrett, je feuillette quelques pages de la correspondance de Fitzgerald ; à l'époque de la sortie française de Tendre est la nuit, il doute que cela puisse intéresser le public hexagonal, un romancier américain qui s'attarde en France, et il préconise de l'envoyer d'abord à quelques personnes de valeur, quelques alliés, quelqu'un comme Jean Cocteau.
Je suis très ému de voir la volonté de Fitzgerald d'envoyer son roman à Cocteau, c'est la phrase de l'auteur du Testament d'Orphée que je cite en exergue de ce Journal et qui parle de ces alliés intimes de par le monde, mais, également, Cocteau fait le lien à travers les époques entre deux personnes que j'admire et qui l'ont admiré : Francis Scott Fitzgerald et François Truffaut dont à mon sens le travail communique secrètement.
Il y a aussi l'idée que toucher des alliés de valeur qui sauront parler de notre travail avec un enthousiasme déclencheur et sincère sera toujours plus important que d'essayer de convaincre ou d'abêtir les masses par de mauvaises raisons et de la poudre aux yeux.
Je n'en finis pas de chercher des alliés. Quand la nuit tombe sur mon travail, j'espère toujours que des alliés viennent à le survoler et à s'y poser.
Trouvé sur internet la mise en ligne d'un questionnaire auquel on m'avait demandé de me prêter il y a quelques mois pour le site : Impudiques. Je relis mes réponses pour voir si elles tiennent toujours la route. Comme j'essaye toujours de créer quelque chose d'inédit et de valable jusque dans la moindre petite interview, ce genre d'exercices m'intéresse toujours. Mes réponses aux questions 2 et 13 sont franchement nulles, j'essaye en les relisant de me rappeler où j'ai voulu en venir, mais non, j'aurais définitivement pu mieux faire. En revanche j'aime bien ce que je dis aux 1, 4, 6, 7 et 15. C'est-à-dire :
1- Et si vous me racontiez votre première fois ?
Hé bien je dirai que je ne me souviens pas de ma première fois seul ; vaguement de ma première fois à deux ; en revanche j’ai un assez bon souvenir de ma première fois à trois.
4- Selon vous, coucher, ce n’est pas jouer ?
Coucher c’est se battre contre l’idée de se perdre.
6- Un bon coup pour vous, qu’est-ce que c’est ?
Un bon coup n’abolira jamais le bazar (phrase dite par Man Ray en sortant du lit Miller)
7- Être amoureux et aimer. La différence réside-t-elle dans l’expression ?
Aimer c’est être amoureux quoiqu’il arrive. Être amoureux c’est aimer quoiqu’elle s’en aille.
15- Si j’écris le mot sexe au pluriel, il devient palindrome : sexes. La lettre « x » en devient le centre. Qu’y voyez-vous ?
Une inconnue coincée entre deux possessifs.
Peut-être que pour la 7 j'aurais pu intervertir et dire : "Être amoureux c'est aimer quoiqu'il arrive. Aimer c'est être amoureux quoiqu'elle s'en aille".
Ainsi, et avec la réponse 15, j'eus été en mesure de bien faire la nique à Oscar (Wilde).
On me sollicite pour savoir si je veux proposer ou écrire des textes de chansons pour une des filles de la comédie musicale Le roi soleil qui a gagné le droit de faire son album.
Je trouve ça particulièrement charmant qu'on donne le droit à tout le casting des comédies musicales de pouvoir faire des disques, en dehors du fait que c'est parfaitement insultant pour des gens comme moi ou d'autres qui mettent toujours beaucoup d'énergie et un temps fou à trouver des partenaires valables pour faire un disque, cela démontre le cynisme bon enfant de ce milieu qui estime qu'il y aura un minimum de ventes assurées rien qu'en misant sur un faible pourcentage du nombreux public qui a assisté aux représentations des comédies musicales.
Bon, en même temps, je trouve ça parfaitement moral que quand on ait été enrôlé pendant plus de trois ans pour chanter les trucs du Roi soleil, on ait gagné le droit de faire son album, il faut voir ça sous l'angle du mérite et de la juste récompense.
D'un autre côté, je me dis aussi : heureusement qu'ils n'ont pas encore prévu de donner une version comédie musicale de L'arche de Noé.
03.09.07 Basile Green à l’école des sorcières
Je dois dire que les insomnies, s'il faut leur trouver une signification maintenant depuis tant de semaines et à ce niveau d'endurance, doivent chercher à témoigner d'une sorte d'appétit double pour la vie, alerter sur le fait de ne pas perdre une seule miette de l'existence ; il est vrai que la nuit offre tellement de possibilités et de connaissances en tout genre, ici, à Paris...
De quoi sera fait le prochain amour ? Comme le pense Nabokov, si le passé semble chargé d'une poignée de motifs qui se répètent, l'avenir est toujours imprévisible. Mais où trouver une Zelda Sayre, une Jane Birkin, où trouver l'éléctricité d'une œuvre et dans le même mouvement la consolation de chaque journée ? Les lettres que je lis de Zelda à Fitzgerald me semblent des modèles d'intelligence, de grâce, de malice et d'amour. Mais je ne sais pas où ces gens-là ont eu la chance et le bonheur de rencontrer des femmes qui leur donnaient la force de travailler, quand il me semble que la plupart de celles que j'aie aimées m'ont juste offert la possibilité de me détruire.
Je fuis les miroirs depuis la semaine dernière. Je m'en veux d'avoir joué cette comédie au milieu de tous ces gens qui stagnaient sur des pelouses ou allaient d'un endroit à un autre. Ce qui est de l'intensité pour vous ne peut être que du mauvais théâtre pour celles et ceux qui ne sont pas dans le registre de cette intensité, qui ne sont pas dans le désir de recevoir ce que vous dites, le corps, le cœur et la voix, dans le même mot.
J'ai juste été ridicule ; dans mes romans ça passe, mais il serait temps, un jour, de tracer une frontière nette, je ne peux pas dans la réalité aller à la rencontre de quelqu'un que j'ai aimé (même + que tout) et lui servir le genre de discussions que l'amoureux en lambeaux donne au dernier chapitre. Et même si l'instant d'après je suis content de moi, l'instant d'encore après je me trouve juste ridicule (parce que seul).
Je me méprise à n'en plus finir depuis la semaine dernière. Il faudrait garder l'intensité pour l'écriture ou le travail, l'instant n'est valable qu'avec très peu.
Avant de tomber amoureux des gens je crois qu'il faudrait pouvoir estimer leurs capacités à recevoir ou non votre intensité, à la comprendre hors des schémas momentanés du désir. Mais malgré le joyeux aveuglement des débuts on espère toujours que l'histoire fasse corps davantage que l'éventuelle séparation des corps...
Et bien que dans mon cas, tomber amoureux de quelqu'un est certainement la seule manière d'éprouver le lieu, la teneur et la tenue, de son intensité.
Stéphane a lu le manuscrit de mon deuxième roman ce week-end. Son retour est + que positif, cela me rassure énormément car il avait émis beaucoup de réserves sur la première version,
à croire que mon chagrin de cet été (si je puis dire) - suite à quoi je l'ai ré-écrit - a transporté l'histoire à un autre niveau, l'a nourrie d'une intemporelle et implacable urgence. Stéphane m'écrit :
"Il faut que je digère ton roman car la lecture est bouleversante, même pour un cynique comme moi.
Et puis, il faudrait s'occuper de ton journal, qui est une Merveille. Cette journée lue de Basile Green est d'une force incroyable, de cette perdition, de cette chute nonchalante désabusée tu lâches pas les étoiles du regard."
Un peu plus tard il me téléphone pour me dire : "Je suis désolé de te féliciter pour un roman si dur. C'est très dur. Et très beau."
Trois éditeurs l'ont en leur possession pour le moment : Stéphane ; Guillaume chez Flammarion ; et Denis chez Plon. Je ne sais pas du tout ce qui va passer. Je suis dans une fièvre intenable de le voir exister au plus vite. Je crois que cette histoire autour du personnage de Basile Green résume vraiment ce à quoi je suis arrivé à penser de l'existence - aujourd'hui ; bien sûr ça peut paraître très sombre, désespéré, mais c'est cette "descente aux enfers sentimentale ponctuée de gais souvenirs d'enfance" que je voulais écrire, j'y suis parvenu parce que je n'avais pas d'autre choix cet été, je crois que c'est encore plus fiévreux que L'amoureux en lambeaux, et plus définitif aussi.
J'ai besoin maintenant d'une sortie autant que mon personnage quémande une issue dans chaque personne rencontrée lors de sa dernière journée.
Je discute avec Stéphane de cette phrase géniale de Fitzgerald - tombant dessus l'autre jour j'ai pensé qu'elle lui plairait autant qu'à moi :
"Je n'avais pas les deux choses principales : un grand magnétisme animal ou de l'argent. J'avais les deux choses qui comptaient en second : bonne apparence et intelligence. Aussi ai-je toujours eu la fille la mieux."
04.09.07 De la défaite dans l’existence expliuqée au Centaure de César
Dans les titres que je pressens pour le moment concernant mon deuxième roman, je suis assez tenté par : Basile Green à l'école des sorcières, parce qu'il y a comme un côté best-seller dans le titre, je ne sais pas pourquoi, et puis aussi parce que si à l'école des sorciers avec un peu de travail, le minimum requis vous savez comment se passent les trucs scolaires, on peut sans problème progresser d'années en années, en revanche à l'école des sorcières une seule journée suffit pour se faire éjecter.
Je discute de mon roman avec Stéphane, je lui dis : Tu sais quand même, bien que ça parle beaucoup des filles, du rapport à soi et à l'autre dans une histoire d'amour, c'est aussi un roman philosophique et comment dire : un roman de chevalerie, oui c'est ça, je dirai que c'est un roman de chevalerie moderne, il y a quand même quelque chose d'une haute moralité et d'un souci entre les personnages masculins, Odilon, Simon, Thomas et Basile, il y a quand même quelque chose de l'ordre de la chevalerie.
-Oui mais ce sont tous des Lancelot, répond Stéphane avec beaucoup de justesse, chacun va droit dans sa direction...
- C'est une chevalerie errante, subtile, solitaire..."
Stéphane me parle d'une de ses relations récentes pour déplorer des sautes d'humeur, et les improvisations de la jeune femme dans leur histoire qui frôlent les ténèbres.
- Pourtant, me dit Stephane, si je lui avais parlé sur le mode du grand amour, si j'avais conçu pour elle des ambitions ou simplement un désir de grand amour, peut-être que ça l'aurait sauvée, du moins décidée...
- Peut-être pas, réponds-je, c'est ce que je dis dans mon roman tu sais bien, on ne peut ni aimer ni sauver les gens malgré eux, et tout ce qu'on peut faire ou ce qu'on peut être, si immense soit-il, n'est que construction vaine face au non désir ou à la non volonté de quelqu'un de s'y impliquer totalement. Mon personnage dès le départ il est malade de ça. Ce qu'il fait, si triomphant que ça ait l'air, n'est que construction vaine. Une cathédrale, un poème pour Thomas, une chanson pour Basile, mille combats contre mille dragons sont des victoires éphémères et..."
À ce moment de notre conversation il se passe un truc étrange, je suis en train de parler à Stéphane et tout d'un coup c'est comme si une grande atonie doublée d'une grande désolation s'abattaient sur le moment et le quartier... Tout semble solidifié, je ne trouve plus Stéphane dans mon champ de vision, je le vois disparaître au loin, avalé par un flot de passants immobiles, et j'entends la voix caverneuse aux accents de bronze du Centaure de César qui m'interpelle du haut de ces cinq mètres de hauteur :
- Hé bien petit ! C'est quoi cette histoire de mille dragons ? Un seul suffit à la quête de toute une vie !
- Je n'ai pas l'habitude de me faire couper la parole par quelqu'un qui a un balai dans le cul !" Dis-je assez vertement, pincé par cette intrusion alors que je discutais d'un point crucial avec Stéphane.
- Je me permets d'intervenir parce que tu marches trop vite quand tu passes par ici et il faut bien qu'on t'arrête un jour. Et puis je surveille, j'écoute, j'en tire certaines idées vois-tu, et là j'en ai un peu marre de tout garder pour moi ! Et tu ferais bien de m'écouter parce que je suis un Centaure, je suis très fort !
- Tu es peut-être très fort mais moi j'ai toujours réussi à embrasser les filles que j'aie convoitées, dis-je avec un sourire perfide.
- Hum, s'ébroue le Centaure dans un bruit de breloques, je ne préfère pas relever l'allusion et je comprends que tu as besoin d'être un peu rassuré en ce moment d'où ton orgueil puissant....Mais est-ce que ça t'a rendu heureux pour autant d'avoir réussi à embrasser toutes les filles que tu as convoité comme tu dis ?
- Non. Parce que chaque fois que j'ai voulu embrasser, j'ai voulu davantage. D'où une série de catastrophes qui commence par un baiser.
- Aïe !
- Oui. Ou alors dès que j'ai arrêté d'en vouloir davantage, j'ai été malheureux. La maladie insupportable de l'interruption des choses quand on atteint un certain niveau de relation avec quelqu'un, vraiment. Je ne sais pas comment font les gens.
- Il faut bien qu'il y en ait qui meurent de mort naturelle, éructe le Centaure, de mort naturelle ou d'un tas d'autres morts d'ailleurs sinon le kiosque à journaux de Sèvres Babylone ne vendrait que tes livres !
- Oui je comprends. Mais vous savez cette histoire du temps qui guérit toutes les blessures...Est-ce qu'on a à être fier de ça ? Est-ce qu'on droit trouver ça supportable ? Vraiment...C'est une question que je pose.
- Je ne suis pas un Sphinx, je suis un Centaure !
- Oh je ne voulais pas vous froisser...
- Ca ira pour cette fois. Et puis c'est le Sphinx qui pose les questions. Toi, là, dit-il en plissant les yeux qu'il a, sévères et malicieux, du sculpteur César...Tu es une sorte de Sphinx...
- Non je ne suis pas un Sphinx. Je suis juste quelqu'un qui ne supporte pas la façon dont les choses se passent. Aucune question ni réponse ne saurait satisfaire mon cœur qui bat.
- C'est beau.
- C'est gentil de ne pas rester de marbre, et c'est peut-être parce que vous êtes en bronze, mais je ne dis pas ça parce que c'est beau, je dis ça parce que je ne peux pas faire autrement de le dire !
- C'est ça la beauté ! La beauté est belle parce qu'elle ne sait pas faire autrement que d'être belle.
- Ce n'est pas vrai. La beauté est belle quand quelqu'un la trouve belle. Ce que vous trouverez beau sera juste insignifiant pour quelqu'un d'autre, ou alors ce sera une beauté qui ne touche pas, qui ne produit rien. La beauté n'a aucune valeur s'il n'y a pas quelqu'un qui souffre pour elle. Même en secret. Je veux dire : surtout en secret.
- Oui, peut-être Jérôme, quand il n'y a pas quelqu'un qui souffre la beauté n'existe pas. Tu as raison, mon petit. Et dans la souffrance pour cette beauté il y a déjà l'idée que la beauté disparaisse, qu'elle ne soit plus, qu'elle ne touche plus.
- Oui, il y a déjà ça. C'est exactement ça.
- Toi tu souffres parce que tu ne supportes pas les choses comme elles sont. Tu veux toujours les rendre plus belles qu'elles ne sont. C'est de l'orgueil. Sois déjà content d'être ce que tu es. Tu as un coeur capable de stabilité. C'est rare. Il faut que tu acceptes ton cœur immuable malgré les épisodes, et malgré la toute impudence avec laquelle les gens que tu rencontreras voudront te réduire à des épisodes de leur vie. C'est plus simple, il ne faut pas leur en vouloir. C'est plus facile de dissoudre les gens dans les épisodes pour les ramener chez eux. Regarde-moi avec ma tête de César qui rend hommage à Picasso, si quelqu'un venait à m'aimer éperdument, et voulait me ramener chez lui, il devrait me couper en morceaux, ou me ferait fondre, on ne me prendrait jamais d'un bloc comme ça. Bon, en même temps, on préfère m'abandonner, me laisser là, entre la rue de Sèvres et la rue Cherche-Midi, passer mon temps à me faire toucher le pied par des types comme toi qui veulent tout ritualiser, ce serait bien que tu changes de prénom d'ailleurs quand tu me touches le pied...
- C'est la fille que j'aimais, j'en étais dingue, on était fort tous les deux ensemble, il fallait nous voir, c'est son prénom que je dis. C'est ridicule, vous vous en rendez-compte, de venir toucher votre pied en prononçant le prénom de quelqu'un, mais c'est un truc que j'ai inventé, comme le passage de la rue Visconti, et parfois je vois des gens faire ça, alors c'est soit un pur hasard soit des personnes qui me lisent ou qui m'ont entendu le dire quelque part, c'est touchant, c'est comme cette petite vieille l'autre jour j'étais avec Damien, et une petite vieille se jette sur moi, ici, rue de Sèvres, et elle me dit : Ô je vous aime beaucoup, restez comme vous êtes...des choses comme ça, elle avait dû me voir peut-être à la télé une ou deux fois, ou dans un magazine, et avec Damien on était heureux parce qu'elle avait vraiment un sourire illuminé et bienveillant alors c'était très touchant...Comme lorsque je vois de jeunes types qui vous touchent le pied en prononçant quelque chose, un voeu...
- Oui pour être touchant, ça, je suis touché ! Bon mais heureusement que pour le moment tu es adulé seulement par une poignée de tarés parce qu'il est hors de question que je devienne un lieu de pèlerinage ou quelque chose comme ça. Je suis agoraphobe ! Ce sont mes origines grecques que veux-tu. Avec tous les abrutis qui se promènent dans le quartier ! Et puis heureusement qu'on m'a mis sur un socle, parce que le samedi avec le monde qu'il y a les gens me passeraient dessus, tu verrais comment ils se comportent les gens, à l'échelle d'un type comme toi c'est dramatique, mais à l'échelle d'un Centaure c'est effroyable !
- Pour le prénom que je dis quand je vous touche le pied, c'est parce que je suis si malheureux encore...
- Mais voyons, le prochain amour te délivrera de cette tristesse. Le prochain amour sera un enchantement. Comme elle fut un enchantement comparé au précédent. Voyons Jérôme ! Tu parles comme le personnage de ton roman. D'ailleurs c'est quoi ce caprice ? Qu'est-ce qui lui prend de se tuer ?
- Mais c'est parce qu'il sait qu'il a beau faire des choses immenses, ça n'engage que lui, et l'immensité de ces choses, la valeur qu'il y accorde, ne provoquent rien, c'est-à-dire il n'y a pas de critère absolu, faire quelque chose d'immense ne retient personne, ne décide de l'amour de personne, ne rejaillit pas sur la vie, et s'il n'y a pas de critère absolu, il n'y a pas d'amour absolu...
- Tu n'y crois pas une seconde !
- Pardon ?
- Je dis : tu n'y crois pas une seconde. Tu crois en l'amour absolu. C'est ça qui te porte.
- Oui je le voudrais mais vous avez beau faire quelque chose qui vous apparaisse immense, la volonté, les buts, l'effort et l'attente comme dirait Deleuze, ne seront perçus que par vous seul, et il n'y aura pas d'exploit en retour, ni tendresse ni décision en totalité qui englobe et console le chemin parcouru.., Alors on peut y penser avec légèreté, mais il y a un moment où on si on y pense vraiment on ne peut y penser qu'aux larmes, et mon personnage est dans ce moment-là.
- Tu ne peux pas prendre la tristesse de tes personnages en plus de la tienne, et la tristesse des gens que tu rencontres, sinon monte sur mon dos et qu'il se mette à pleuvoir du bronze tout de suite ! Et puis aussi je voudrais te dire un truc important : tu n'as pas à être triste de l'idiotie des gens. Parce que tu rencontres beaucoup de monde, dans les fêtes à la con où tu vas par exemple, ou pour ton travail, et parfois il y a des gens très bien, mais le plus souvent tu es blessé parce que tu trouves les gens idiots, hé bien c'est idiot ! Il faut que tu arrêtes ça, parce que là c'est le revolver ! Si tu prends pour une attaque personnelle l'idiotie des gens que tu peux rencontrer, c'est le revolver tout de suite. Ton personnage, il est comme ça. Tous tes romans à venir ils sont pleins de personnages comme ça.
- Mais c'est parce que je suis comme ça ! Je ne comprends pas comment les gens peuvent se décerner des médailles pour des choses ridicules ou futiles. Se sentir pousser des ailes parce qu'ils ont accès aux clubs à la mode. Ou comment ils peuvent partir en week-end...
- Pardon ?
- Oui je ne comprends pas comment les gens peuvent partir en week-end ! Comme s'ils avaient fait des choses incroyables dans la semaine...
- Mais les gens ne partent pas en week-end comme une récompense Jérôme ! Il ne faut pas du tout réfléchir comme ça ! Les gens partent en week-end pour se reposer, faire des activités, voir du pays, se divertir.
- Le temps est si court ; à quoi bon chercher à le divertir, on ne peut qu'essayer d'aimer plus fort, pour voir ce que ça fait.
- Mais pourquoi s'occuper tant de l'amour et...
- Mais parce que tout le reste est d'une grande simplicité finalement. Aimer ses amis, être loyal avec eux, c'est très simple à faire, sauf dans le cas où ils vous font des crasses mais encore on finit par tomber dans une espèce d'indifférence à leur égard qui ne chamboule pas en profondeur. Et le travail c'est tellement rien, il n'y a vraiment que soi qui puisse juger de l'ampleur de son travail, et de toute façon il y aura toujours plus d'applaudissements pour....enfin c'est vraiment ce qu'il y a de plus haut, les histoires d'amour.
- Mais toi tu es toujours à battre des records ; ça ne rime à rien ; tu veux toujours être le plus fort ; tu veux battre Rimbaud, Gainsbourg, je sais plus qui d'autre encore...Attends de mourir à ton tour, les gens auront le temps de voir l'ampleur, l'intensité et la valeur, de ton travail. C'est très dur de s'intéresser à ce point à quelqu'un de vivant, c'est même contre nature, il faut un esprit exceptionnel pour applaudir aux succès d'un contemporain, d'un type qui peut vous voler la vedette dans une soirée et vous piquer la fille la mieux ou quelque chose comme ça.
- La fille la mieux dans une soirée c'est couvent la pire une fois ramenée à la maison et puis de toute façon ce n'est pas avec ce que je suis qu'on pique la fille la mieux dans les soirées...
- Bah, allez ! Tu sais ce que dit Fitzgerald ?
- Oui je sais. D'accord. Mais pour en revenir à cette histoire de records, hé bien un explorateur ou un sportif essaye de battre des records et le fait très bien, je ne vois pas pourquoi dans ma discipline je ne pourrais pas essayer de faire mieux aussi, d'aller plus loin...
- Parce qu'il y a une différence entre la poésie et le saut en hauteur.
- Une différence d'altitude ?
- Oui. L'ascension de l'Himalaya n'est rien à côté d'un poème réussi.
- Peut-être. Mais il y a plus de refuges en montagne que dans la poésie.
- Jérôme !
- Et puis tout Centaure que vous êtes, avec votre morale à la con de ne pas chercher à être solide et s'obstiner, qu'est-ce que vous faites ici depuis 1985 ? Vous partez en week-end peut-être ? Non, moi je sais très bien ce que vous faites, vous convoitez le petit dragon qui est là bas, dis-je en désignant le mur du premier étage de l'angle des rues de Grenelle et du Dragon et revenant ainsi à la première réplique un peu perfide de notre entretien. Ce petit dragon vous le regardez fixement depuis tout ce temps, depuis que vous êtes arrivé ici. J'ai compris ça très vite vous savez. Vous crevez d'un rapprochement. Vous êtes amoureux à vous disloquer, la nuit tous vos éléments tremblent, mais il faut faire bonne figure n'est-ce pas ? Vous ne pouvez même pas récupérer de cet amour; César vous a fabriqué sur le mode de la récupération. Et c'est pour ça que vous êtes intervenu quand j'ai parlé de mon nouveau roman à Stéphane et que ça ne servait à rien de tuer mille dragons pour remporter le coeur de quelqu'un, parce que vous : un seul vous captive et vous détruit, le petit dragon qui est là-bas, que vous ne pouvez quitter du regard. Vous l'aimez à en crever mais il a des ailes, il est léger, et vous êtes lourd, maladroit, immense.
- En ce moment je lis L'amoureux en lambeaux tu sais. J'en suis à la page 38. C'est très beau.
- Merci, c'est gentil mais comment faites-vous, si je puis me permettre, pour lire L'amoureux en lambeaux ?
- Hé ho c'est pas les librairies qui manquent dans le quartier. Et puis il y a des jeunes femmes qui passent, et des types aussi, des types bizarres, plongés dans leur lecture de ton roman, alors je lis un mot, quelques lignes, par-dessus les épaules, personne ne me voit faire de là où je suis évidemment, parfois une page entière quand la circulation le permet, et puis après j'ai le temps de réfléchir aux quelques phrases que j'aie lues avant qu'une autre personne ne passe et que je puisse poursuivre. C'est comme ça qu'on devrait lire les livres à mon avis, même si ça prend du temps. J'en suis à la page 38. Tiens, je peux te demander quelque chose ?
- Vous voyez que vous êtes un Sphinx !
- Très drôle ! Je voudrais te demander un service. Tu pourrais aller porter un message...Un message de ma part au petit dragon qui est là-bas. Je sais c'est pas sérieux, surtout après tout ce que j'ai dit, mais Il n'y a qu'à toi que je peux demander ça .
- Oui bien sûr.
- Bon alors voilà. Il faudrait que tu lui portes le message suivant..." Et pour la première fois de mes voyages et de ma vie dans le quartier, je vis le long Centaure se pencher jusqu'au sol, pattes fléchies quasiment à genoux, pour me confier à l'oreille un message que, traversant le carrefour, j'allais aussitôt porter au petit être ailé de l'immeuble à l'angle des rues de Grenelle et du Dragon.
05.09.07 Saint-Tropez / Las Végas
St-Tropez.
Réécrit deux trois passages de mon dialogue avec le Centaure, notamment un petit truc que j'ai trouvé à relecture, sur les refuges en montagne et en poésie, la défaite dans l'existence.
Fin d'après-midi avec Marie (qui veut gentiment me proposer pour la journée signature à Sciences Po, je tiendrai un stand L'amoureux en lambeaux / revue Bordel ), Mathilde, Sofia, Stéphane et un de ses amis : Rodolphe, sur la fine bande de terrasse du Chai de l'Abbaye.
Sofia (Guellaty) m'a hélé dans le quartier et je l'ai accompagnée faire la tournée des éditeurs pour récupérer des livres qu'elle doit lire dans le cadre d'une chronique qu'elle va tenir dans la nouvelle émission de Fred Begbeider. Sofia me parle avec enthousiasme de Chanson pour Zo, elle me dit : Tu te rends compte le nombre de personnes qui sont différentes et que ça touche comme rarement pour une chanson...
Pierre (Charvet) au téléphone sur la route de Caen, pour discuter de choses et d'autres, des Beatles et des Stones, et aussi de son émission musicale : Presto, qui commence sur France 2, dimanche, entre Drucker et Stade 2. Visionnant le pilote de l'émission il y a quelques mois, j'avais déjà félicité Pierre pour le parallèle exquis dans son texte : Découverte de la lune, découverte des fesses de Bardot par Gainsbourg (Sauf que s'il faut rétablir les faits, dans la mesure où ils sont aussi brillants que les raccourcis, il y a à préciser que Initials B.B. n'est pas une chanson de découverte mais une chanson qui cristallise une rupture).
Mathilde me dit de jolies choses sur mon poème La Belgique, on parle un peu du quartier, de son retour dans le quartier après son séjour à Berlin, et je lui dis que j'aime bien le Chai parce qu'on est un peu à l'écart de la rue de Buci, qu'on y est sans y être, que là-bas dans le passage de la rue de Buci c'est quand même un peu trop violemment Saint-Tropez.
Las Végas.
J'ai rêvé que la mer rejetait des marrons
Par milliers,
Et qu'il tombait des coquillages des arbres du boulevard
Un dérèglement surprenant
Comme le jour où tu es partie.
On mangeait du chocolat Las Végas
J'en glissais une tablette dans ton sac,
Pour la journée
Et j'écrivais des mots d'amour dans ton agenda
Pour toujours et même
Pour des jours lointains
Des jours à venir,
Que l'oubli et le dédain n'ont pas encore corné.
Qu'importe le temps qui passe,
Mmm...Las Vegas.
Gloomy life, dark chocolate,
Je sais la vie est dégueulasse
- Rien ne revient mais rien ne passe -
Et c'est toi qui l'as décidé.
C'était un chocolat sensass
Qui avait le goût des baisers
Chocolate Fabulous Las Végas,
Mais le désert l'a remporté.
07.09.07 Le jour où Mayane m’a suivi dans la rue / Carnet de bal
Le jour où Mayane m'a suivi.
Cocktail à L'hôtel Amour (Paris IX). Je tombe sur Mayane qui me dit :
- Oh Jérôme hier je t'ai suivi dans la rue. Tu faisais tes courses au Bon Marché, enfin des courses, tu achetais du chocolat...
- Oui, du chocolat Las Végas, tiens-je à préciser.
- Et je t'ai appelé mais tu ne m'as pas entendu, tu étais tellement dans tes pensées, et puis je ne pouvais pas continuer à appeler : Jérôme, Jérôme, comme une folle, et après je ne voulais pas distraire tes pensées alors je t'ai suivi dans la rue, tout un temps. C'était vraiment une aventure de te suivre, j'étais derrière toi à deux centimètres de toi, je me disais : il y a des gens qui en suivent d'autres comme ça, en secret, sans se révéler ; je voulais faire un film qui se serait appelé : Le jour où j'ai suivi Jérôme Attal ; je te suivais dans la rue, et il ne pouvait rien t'arriver, parce que j'étais tout près, à deux centimètres de toi, je veillais sur toi...Comme un ange sur ton épaule...
- Ô tu es trop gentille, dis-je à Mayane, mais que voulais-tu qu'il m'arrive ?
- Je ne sais pas...mais n'importe quoi te serait arrivé, j'aurais été là. Tu serais tombé, j'aurais été là pour te relever. Je te suivais. C'était une vraie histoire en plein cœur de la journée.
- Et puis ?
- Et puis tu as pris le métro et j'allais autre part. Nous avons pris deux directions différentes.
- Oui, dis-je, c'est souvent comme ça que se terminent les histoires."
Nous parlons de choses et autres, à l'écart du cocktail on fait notre petit coin à nous, bientôt rejoints par Cécile (Cassel), Albertine et Pierre, Nicolas, Adam..
Marc, l'amoureux de Mayane est à l'étranger. Elle me confie que c'est dur de tenir, loin de lui.
- Oui, mais c'est bien tu peux lui envoyer des messages, le cœur vibre plus fort que le téléphone, tu peux réduire les distances c'est bien aussi, de temps en temps...Quand c'est solide comme ça, comme vous..."
- Ô tu sais les messages...me dit-elle dans un soupir, rien ne remplace les bras !"
Je regarde Mayane tristement. Je suis bien d'accord avec elle. Moi aussi je suis dans une période où je vis dans un monde sans bras, une période plus soutenue que celle qu'elle endure bien sûr, puisque c'est un nouveau moment de ma vie où il n'y a les bras de personne à l'issue de chaque journée ou de chaque voyage.
J'aime bien l'entendre parler de la difficulté d'un monde sans les bras d'un amour. Il y a des tas de gens qui peuvent supporter ça, ne pas trouver ça insurmontable, qui auront d'autres chagrins mais je suis toujours touché de rencontrer des personnes pour qui c'est difficile de vivre dans un monde où il n'y a pas de bras pour vous récupérer dès que la nuit tombe.
Il y a de très jolies filles, dans la douceur du soir sur la terrasse de l'hôtel Amour. C'est le constat que je peux faire, je vis quand même dans une ville où il y a une réserve inépuisable de filles dont je suis encore capable d'être touché par la beauté, mais qu'est-ce que la beauté ? Que vaut-elle sans la notion d'histoire, d'appel, de décision, de solitudes rompues par une réciproque et d'un voyage terrible où pour commenter ce qui se donne à entendre et à voir on n'a que l'absolu plein la bouche ?
Il y a une longue fille brune, très belle, qui happe tous mes regards, elle dîne avec deux amies et je profite que Nicolas et Adam sont allés leur parler à toutes trois avec leur volubilité, habile et impeccable, de showmen pour venir me placer à leur côté, et m'inscrire dans la proximité de cette fille, m'accroupir presque à la fôler, pour saisir ce qui se passe, pour écouter ce que dit mon coeur, pour voir si quelque chose se produit, me convoque, m'étourdit, me blesse et me répare tout autant.
Nicolas est épatant, il fait les présentations, voltige d'une conversation et d'une table à l'autre. Je reste parmi les filles un moment, comme près d'un feu qui réchauffe après une longue traversée sous la pluie, et puis je m'en vais.
Carnet de bal.
Je sors beaucoup. Puisque c'est comme ça qu'on guérit des sentiments terribles, à ce qu'on me dit. Ce n'est pas exact dans mon cas, mais je suis invité à tellement de fêtes et de soirées dans les jours qui viennent qu'il y a un moment où je dois bien troubler cette haute solitude ne serait-ce que par amitié pour les personnes qui m'invitent : Des soirées, des vernissages, des concerts, des fêtes de rentrée cette semaine, le cocktail W. mardi, la fête de la revue Bordel jeudi soir dans une boîte de nuit