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09.12.07

 

Vastes choses confinées au détail

Au sourire mutin de ses yeux

Au vert paradis de ses mains

A sa peau blanche ses cheveux noirs

Aux rougeurs effacées de ses lèvres

Aux grandes rixes du désespoir et de la vaillance

Aux soleils navrants, à la forme laconique des oiseaux,

A l'inopérante impatience du cœur

Aux maladies suspendues de se connaître et de se perdre

A la tendresse illusoire de l'instant mensonger,

Je pense.

 

Le jour était rempli, selon ses habitudes, de possibilités infâmes.

Et des enfants perdus brûlaient leur regard triste dans un cinéma morne.

Des odeurs de parfum oublié et de pluie triomphale s'attachaient à ses gestes.

Je n'aime pas les gens qui prennent trop de place par rapport à ce qu'ils sont.

Par rapport à ce qui est supportable.

Pourtant il arrive qu'une fille qui m'intéresse parte toujours avec le type le plus bruyant,

La conduite la plus sale.

Mon silence pétrifié accompagne leur départ sauvage et si le chagrin me tourmente

Comme une averse soudaine

Je hausse les épaules et porte mon regard vers la fille suivante

Si celle-ci n'est pas capable de se soustraire aux schémas de la nuit.

 

10.12.07 Les bottes rouges / Les bottes en caoutchouc

 

Mauvaise nuit de l'impossible dodo. J'ai crié victoire un peu vite pour l'autre nuit de vendredi à samedi où je serrais dans mes bras le rêve fragile d'un corps et un visage qui m'ont fasciné, et que je ne connais même pas bien. Sur lesquels je n'ai aucune emprise autre qu'un désir brûlant et univoque de rencontre et d'histoire.

Au petit matin la figure pâle, les yeux (verts) bien explosés, mais l'ensemble parfaitement romantique dans mon grand manteau de saison.

Métro Ségur je tombe sur Anne. Nous parlons de Fra Angelico et de Paolo Uccello. Elle me dit qu'elle est allée à Londres ce week-end. Je lui dis que je devrais aussi aller à Londres le week-end, j'ai plusieurs amis qui m'y invitent tout le temps (mais qui y sont pour moi), et la plupart d'entre eux pensent qu'il y aurait mon genre de filles là-bas.

- Pas du tout, objecte Anne, les anglaises n'ont rien de Saint-Germain !"

Je ne sais où elle a pêché qu'il me faut une fille de St-Germain-des-Prés, mais j'acquiesse avec un sourire. Elle a deux sacs avec elle, et je lui demande si elle veut que je les porte.

- Oh, non, me dit-elle, c'est très léger. Elle ouvre à moitié l'un des sacs m'en présentant le contenu :

- J'ai juste mes bottes rouges dans celui-ci. Mes bottes rouges que tu connais certainement..."

J'ai adoré ça. Qu'elle me dise : J'ai mes bottes rouges que tu connais certainement. J'ai trouvé ça éperdument sexy. De l'ordre de la connivence, et éperdument sexy.

Puis Anne m'apprend qu'elle a un nouvel amoureux.

- Ah, c'est formidable, dis-je.

Elle me dit qu'elle commençait à désespérer des garçons, et qu'elle pense vraiment avoir trouvé le bon cette fois-ci. Je me suis demandé en silence s'il connaissait aussi bien ses bottes rouges que moi pendant qu'elle continuait à en faire l'éloge en soulignant une parfaite harmonie entre eux, et aussi qu'il lui avait dit qu'elle était exactement celle qu'il lui fallait.

- Ah, c'est formidable ! Ai-je dit encore.

Après j'ai ajouté quand même que c'était toujours très pur l'enthousiasme des débuts, mais comme j'ai compris qu'elle semblait vraiment amoureuse de son type et que celui-ci avait l'air de bien la protéger et d'être très bien, alors j'ai étouffé mon pessimisme. Nous nous sommes quittés rue de Sèvres, et en partant je n'ai pas pû m'empêcher de dire à Anne :

- Bon promets-moi quand même que si ton type dans quatre mois s'avère un sombre connard, promets-moi que tu tombes raide dingue amoureuse de moi ? Tu verras, je suis le meilleur."

Et je suis reparti vers mes aventures du hasard et de la pluie.

 

En me dirigeant vers Saint-Germain je pensais quand même à la façon dont les filles tombent amoureuses. Je suis toujours abasourdi de l'aisance avec laquelle elles trouvent un nouveau type. Je veux dire je conçois que les très jolies filles ne puissent pas rester longtemps sans être sollicitées, mais d'elles-mêmes comment font-elles pour recommencer aussi vite avec quelqu'un ? A moins qu'elles ne fassent que poursuivre ?

Tout cela m'a laissé bien perplexe, un peu découragé, mais j'étais content pour Anne parce qu'il faut qu'elle soit heureuse. Anne doit être heureuse.

 

Quand j'avais cinq, six ans, une après-midi de vacances au bord de la mer avec mes parents, barbottant dans l'eau et jouant avec un canot pneumatique, je me rappelle très bien avoir failli me noyer. Le bateau  a basculé, je me suis retrouvé sous l'eau, sous le pneumatique, complètement désemparé, me débattant avec une surface devenue solide contre laquelle je me cognais et qui me barrait l'air libre. Je me voyais en train de couler et ne comprenais pas pourquoi mes parents à quelques mètres de moi ne tentaient pas de me repêcher, d'écarter la masse uniforme et solide du bateau; ou, plus exactement, comment ils pouvaient ne pas comprendre la situation... Oui, c'est cela, comment mes parents, comment le monde entier pouvait ne pas comprendre que j'étais en train de me noyer?

Soudain, au lieu de tourner sur moi-même comme une guêpe prise dans une rigole, je me suis déplacé un tout petit peu, posé les pieds à terre, redressé, et à ma grande surprise je me suis soulevé d'un trait. Durant tout le temps où j'avais crû me noyer, je n'avais pas imaginé une seule seconde que je pouvais avoir pieds et qu'il suffirait de me redresser pour venir à bout de la masse noire du dos en pneumatique, de prendre appui et de me mettre debout pour retrouver l'air libre.

 

L'autre soir Cécile et Stéphanie s'étonnaient que je ne me souvienne qu'avec tristesse des souvenirs heureux dans mes anciennes histoires d'amour, et que les moments durs me soient toujours plus vifs à l'esprit.

- Nous, avec nos ex, on se souvient davantage des moments heureux que des moments pénibles, proclamaient-elles à l'unisson, comment peux-tu dire ça ?"

Et bien je peux d'autant le dire que je le pense, répondais-je avec un sourire égal, et je m'expliquais. D'accord il y a eu des moments immenses de bonheur, immenses de beauté, mais que valent-ils aujourd'hui en permanence et en présence face à la tristesse ? Ils ont été déclassés par les moments durs, ils se sont couverts de tristesse comme de vieilles cachettes se couvrent de rouille ou de vigne vierge. Et je ne peux pas y repenser sans souffrir. Ils n'ont plus d'actualité et chaque souvenir heureux est tellement noyé de larmes, tellement noyé sous des flaques et des étangs et des nuits de larmes qu'il faudrait je ne sais quelle paire de bottes en caoutchouc résistant pour pouvoir m'aventurer dans un souvenir heureux.

 

Douce après-midi sombre et bruineuse. Je rentre dans un magasin idiot de la rue de Sèvres pour emboîter le pas à une passante qui m'a plu et dont la silhouette m'a chaviré, et je fais semblant de m'intéresser pendant un bon quart d'heure à des t-shirts imprimés Hello Kitty (qui peuvent par ailleurs intéresser les lynx, les renards, et les types de mon espèce dans des situations d'extrême sentimentalisme) et divers gadgets et babioles, dans la douce proximité de cette fille, avançant dans la boutique à son rythme, ou prenant un peu d'avance ou de recul dans les rayons pour mieux la retrouver à un point stratégique, ne demandant pas davantage que de me tenir à côté d'elle une partie de l'après-midi (et une partie de ma vie), un bon quart d'heure encore, avant de m'apercevoir et comprendre que c'est Charlotte Gainsbourg.

 

11.12.07 Le roi et le meunier.

 

"Ce qu'il y a d'effrayant aujourd'hui, d'ailleurs surtout en France, c'est l'indifférence des gens devant la manifestation de l'esprit." (Balthus, 1er janvier 1934)

 

Je suis dans une soirée, l'inauguration d'un truc branché, je vais d'un petit groupe à l'autre, fébrile et désincarné. Emmanuelle s'approche de moi et me dit :

- Ce genre de soirées c'est amusant quand on connaît tout le monde.

- Oui, réponds-je, hé bien moi je connais tout le monde et je ne comprends personne."

Cécile me présente plusieurs filles, des copines qui se sont habillées comme si et l'hiver et la mode étaient une blague. Elle revient me voir après pour me dire :

- Tu as parlé à Daphné ?

- Non, dis-je ne voyant pas du tout qui est Daphné (ou alors le prénom d'une des héroïnes de Scoubidou), pourquoi ? Je devrais ?

- Oui, affirme Cécile, tu lui as plu !

- Ah, comme c'est simple ! Comme c'est rapide !" Et soudain je suis pris d'une immense tristesse au milieu de la fête parce que je pense à mon papa et à l'expression : C'est un rapide. Mon père disait souvent ça à mon sujet quand il parlait de moi à un tiers en ma présence. Et moi être un rapide ça m'évoquait les fleuves qui coupaient les westerns des mardis soirs en deux, je voulais toujours me faire prisonnier des indiennes avec leurs nattes et leurs tresses, me livrer entre leurs mains qui ne devaient pas être si douces que ça à force de manier le tomahawk. 

Après j'arrive à visualiser qui est Daphné et je suis vaguement flatté parce qu'à première vue c'est la fille la plus sexuellement affriolante de cette soirée bien pourvue en filles sexuellement affriolantes. Cécile me retrouve après un moment et me demande si je suis allé lui parler.

- Non, réponds-je, parce que j'aurais toujours peur qu'elle m'avoue avoir un chien qui s'appelle Scoubidou.

Cécile hausse les épaules en pensant que je suis une sorte d'incorrigible taré mais je crois qu'elle préfère ça plutôt que je vive une grande histoire avec sa copine. En fait ça devient vite une soirée comme il y en a sept par semaine, où il ne se dit strictement rien d'intéressant, mais dans une ambiance très glamour et très sympathique.

Fred me dit que ça fait longtemps qu'il n'avait pas vu une concentration aussi spectaculaire de jolies filles. Et je lui dis que oui, il y en a des sexuellement affriolantes, surtout celles qui ont des chiens cachés. Fred me regarde bizarrement et me demande une définition du sexuellement affriolant :

- Une fille qui garde les mains douces après avoir manié des tomahawk, réponds-je.

 

Dans l'après-midi je suis passé voir Christian (R) rue Saint-André-des-Arts. Nous parlons de choses et d'autres, et du garçon dont il est amoureux, et soudain Christian me dit :

- Ne t'en fais pour rien Jérôme, le grand amour c'est pour 2008 ! C'est-à-dire à partir de dans quinze jours ! Ajoute-t-il malicieusement.

- Oh tu es gentil de dire ça, lui réponds-je.

Puis il me regarde d'un air à la fois concerné et sévère, et prononce :

- Tu sais tu devrais te laisser aller, baisouiller à droite à gauche, et à force le grand amour arrivera.

- Oh non, lui dis-je sur un air de tendre reproche, c'est dégueulasse de dire ça. C'est pas comme ça que ça marche, voyons !

- Tu as raison ! Atténue-t-il tout de suite, C'est quand on baisse les bras que ça arrive.

 

Paris est désespérant de lenteur et d'inertie avec ces gens qui courent partout ivres de cadeaux à faire pour des familles immenses, période de fêtes et de sécurité dont je me sens un peu exclu.

Grande fatigue comme si j'accusais le coup de l'année. Une année où j'aurais quand même pas mal travaillé, laissé quelques trucs qui me plaisent.

Je n'arrive pas à dormir, chaviré par une pensée persistante, obsédante, usante. Je pense souvent à ce que m'avait dit Audrey (Diwan) quand je m'étais promené avec elle dans les allées du salon du Livre en Avril dernier :  

-  C'est fou comme parfois on peut être fasciné par un visage."

Pratiquement pas dormi, je file dans les Yvelines pour faire les courses de ma maman. Elle me parle de mon père et me dit :

- Ce qui frappait tous ceux qui l'ont rencontré c'est sa spontanéité et la sympathie naturelle qu'il inspirait. Il était à la fois à l'aise avec le roi et avec le meunier."

 

13.12.07 Toute la nuit j’ai marché dans New York dans la neige

 

Je descendais la Cinquième avenue me dirigeant vers Washington square, comptais descendre jusqu'à Tribeca même si j'avais perdu depuis bien longtemps l'adresse exacte de la salle de concert où je pourrais parler un peu avec Raphaëlle, ma fatigue réduisait en poudre ma volonté et j'étais désemparé comme on peut l'être en pays étranger quand la moindre contrariété rend le panorama hostile et même si dans ces moments-là on a la sensation qu'une pelleté d'anges vient se poser sur les fils électriques bordant votre déroute. Je descendais la cinquième avenue et ça ne m'amusait pas du tout parce que déjà la neige abondante de la veille s'était transformée en boue grisâtre sur les trottoirs, et c'est toujours l'amertume qui vous gagne quand la neige se transforme en boue, pourquoi d'ailleurs la neige doit-elle toujours se transformer en boue ? Le vent d'Est fouettait mon visage et j'essayais de m'emmitoufler dans le col molletonné de mon grand manteau droit coupé au genou. Des flocons géants artificiels étaient suspendus aux façades des buildings et les passants traversaient les voies avec des bonnets de toutes les couleurs sur la tête, un sourire s'échappait parfois d'une légère bousculade puis retombait comme s'il avait glissé dans la fente d'une tirelire ou quelque chose comme ça. J'avais quelques doughnuts dans le ventre, avalés en vitesse à l'aéroport, et trop de sucre dans le sang, l'effet que me faisait le crépuscule teinté de lumières crépitantes, trop de sucre dans le sang de New York. Dans une vitrine sur la Cinquième avenue j'étais tombé sur mon reflet - aux lèvres barbouillées de rouge à la merci d'un néon, et mon reflet m'avait dit esquissant un sourire :

- Pour moi la tendresse est non seulement le but mais la forme supérieure de toute intelligence."

Moins frigorifié j'aurais volontiers balancé une pierre dans la vitrine, mais la NYPD rôdait toutes sirènes dehors et les policiers croient toujours qu'on balance des pierres dans les vitrines pour y chaparder des trucs, alors que, la plupart du temps, c'est pour faire la peau à son reflet.

A l'angle avec la douzième rue, là où s'élevait autrefois le building de l'Institute of Musical Art, j'ai vu traverser une fille qui montait une jument grise, et tout de suite j'ai reconnu Marie.

- Ah Marie justement je pensais à toi, lui dis-je pendant que le museau de la jument disparaissait sous un petit monticule de neige friable, je voulais te dire : il ne faut pas être triste des gens qui vous lâchent la main. Parce qu'ils vous donnent la possibilité de retomber amoureux. Voilà. Je voulais te dire ça."

Après j'ai évité la masse trop sombre de Washington square et j'ai coupé vers West Village où je suis tombé sur Renaud qui était dans un état pas possible. Il se tenait à une grande horloge de style rococo et il claironnait que c'était la seule amie qui lui restait, cette horloge dont le cadran à l'ancienne n'avait plus l'air de fonctionner, les heures figées à jamais sur quatre heures, de l'après-midi ou du matin, même glas pour le désespoir.

- J'ai fait la bringue toute la nuit, m'expliqua Renaud. Il a neigé toute la nuit, et maintenant c'est ce vent pas possible. Et j'ai peur que le temps ne s'envole. J'étais avec une fille, qu'est ce qu'on s'est mis ! Pour se réchauffer tu vois ! Une descente pas possible ! Toutes les réserves de la Prohibition y sont passées !  Et, figure-toi, c'est ça le plus beau, c'était la petite fille aux allumettes !

- Ah ! Ici, à New-York ? Terrible ! Dis-je.

- Ouais sauf que j'ai su qu'après que c'était la petite fille aux allumettes ! On a tellement bu d'alcool qu'à un moment elle a voulu craquer une allumette, et Poum ! Elle a explosé !

- Aïe, aïe, aïe ! Dis-je.

- C'est une fin comme une autre. On ne peut pas dire : Plus de douleur que de mal ! On peut juste dire : Égalité !

- Je comprends. C'est comme quand on regarde le monde, bizarrement, parfois, on a envie de dire : Pas plus de douleur que de mal, égalité ! Mais c'est un raisonnement un peu court. L'étendue l'emporte sur le nombre. Tu sais je suis content de te voir parce que justement je pensais à toi, je voulais te dire quelque chose. Je voulais te dire qu'il y a quelque chose de supérieur à l'idée de la mort. Et c'est : l'intelligence de la vie. Mais je reconnais que c'est dur d'avoir une intelligence de la vie tout du long. Et qu'il y a peu de personnes qui sont intelligentes avec la vie, que souvent les gens que tu rencontres ils finissent par se foutre dedans et toi avec."

Renaud me demande les raisons de ma venue à New York, je lui parle de cette histoire, de quelque chose que j'ai à demander à quelqu'un qui est à New York en ce moment, que je suis si bouleversé à propos d'une affaire qu'il faut que je parle à cette personne qui seule peut me renseigner, me conseiller et me comprendre, et cette personne est à New-York en ce moment. Et qu'il y a une accélération à New York en période de Noël qui correspond bien à mon état. Paris est immobile et lourde en décembre, et à New York il y a cette fébrilité totale qui correspond à l'état de mon coeur. Et puis, à Paris, personne ne comprend rien à rien, il faut toujours que les gens soient en état de grâce ou en état de chute pour qu'ils puissent vraiment soupeser l'urgence de ce que vous racontez. Biensûr, rétorque Renaud, à New York tu continues à parler de Paris, tu as la maladie des boulevards.

Le vent apporte une nouvelle moisson de neige. Le vent siffle à mes oreilles les voix de sirènes des Pretty Penny, et je m'en fais une amie de ce vent, je suis prêt à monter en haut de son échelle pour la nuit, à la tangente de New York. Au loin j'aperçois un couple qui s'abrite sous un parapluie de la forme d'une casquette géante des Yankees. C'est Katia et Doriand. Doriand me hèle pour me parler de Un hiver de Bernard Manciet. Il faut absolument que tu lises ce livre, me dit-il, c'est très beau. Il s'aperçoit de l'état de fébrilité dans lequel je suis. C'est la neige, réponds-je, ce qui vient du ciel est si lent, regarde bien la neige sans vitesse, alors que ce qui vient de nous est si rapide, si tranchant, alors cette nuit dans New York sous la neige je cherche l'endroit exact de rencontre entre la lenteur de ce qui tombe du ciel et la vitesse de ce qui vient de moi, et ce point de rencontre et de totalité se trouve parfois dans l'amour mais le plus souvent dans le travail. Demain je promènerai mon enfant dans Central Park, me dit Katia, si tu veux je te le prête pour un tour, tu serais très sexy à promener un enfant, toutes les femmes voudraient prendre dans leurs bras le plus enfant des deux. Je poursuis plein sud et si je continue à marcher comme un dingue je vais arriver à South Street Seaport qui est un peu la fin laconique du monde. Je tremble comme une feuille chaque fois qu'une voiture me dépasse d'un peu trop près et cherche dans le brouillard d'eau et de neige mêlée une enseigne qui m'évoque le nom du club que j'ai perdu. Je tombe à genoux dans la neige et je vois déjà les pompiers me retrouver au matin avec les yeux translucides gelés et une carotte plantée par un plaisantin à la place du nez. Genoux dans la neige, face au pont de Brooklyn, je pense à cette phrase d'Anaïs Nin : Quand les gens sont méchants avec vous, j'ai envie de me mettre à genoux devant vous."

- Elle est quand même formidable cette phrase !" Dit une petite fille maigrichonne et très blonde plantée devant moi, et qui me regarde d'un air fureteur sous ses mèches de cheveux mouillés.

- Vous ressemblez à la petite fille aux allumettes, dis-je à son attention.

- Ah non moi je suis la gamine aux allumettes, répond-elle fièrement. Je me suis saoulé toute la nuit. Toutes les réserves de la prohibition y sont passées.

- Ah oui, vous étiez avec Renaud, mais il m'a dit que vous aviez craqué l'allumette de trop.

- Il raconte des cracks ! S'insurge la gamine aux allumettes.

- Je trouve ça charmant de la part de la gamine aux allumettes d'employer l'expression : "raconter des cracks". Mon père me disait souvent que j'étais un rapide. Et pour moi les rapides c'étaient les fleuves qui traversaient les westerns du mardi soir.

- Vous aussi vous êtes toujours prêt à craquer toute la boîte d'allumettes. Pour un seul visage. Pour un seul visage vous êtes prêt à craquer toute la boîte d'allumettes. Je trouve que c'est super ! Je ne peux pas vous offrir une boîte entière parce qu'avec le froid en ce moment il ne m'en reste qu'une, plus qu'une seule allumette, est-ce que vous voulez voir le pont de Brooklyn à la lueur d'une seule allumette ?

- Si c'est aussi beau que la rue Visconti allumée aux bougies, je veux bien.

- Super, dit-elle avec beaucoup d'enthousiasme et une pointe d'accent irlandais. Je craque la dernière allumette à condition que vous me disiez un secret. Nous n'aurons plus jamais froid.

- D'accord, petite. Nous n'aurons plus jamais froid. Alors voilà. La tendresse est non seulement le but mais la forme supérieure de toute intelligence.

- Jérôme ! crie Raphaëlle qui court vers moi enveloppée dans un imperméable crème. Je suis à New York et j'ai rêvé que tu voulais absolument me joindre, absolument me parler de quelque chose de capital.

 

18.12.07

 

Tourmenté par un visage. Tourmenté tant et tant que j'ai beaucoup de mal à écrire dans ce Journal où, finalement, c'est toujours la nécessité et le désir qui l'emportent.

Dans cette salle d'attente que sont les journées de décembre, je pioche un magazine télé, et, à la rubrique horoscope pour la semaine prochaine, tombe sur cette sentence qui concerne mon signe :

Coeur : Vous vous sentez plus vulnérable que d'habitude.

Et bien ça promet !

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