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05.09.05

 

Les cheminées de Saint-Cloud.

 

Passant en voiture le pont qui prélude à l'autoroute de l'Ouest, ma maman avisant la colline de Saint-Cloud me dit qu'avec mon père ils ont failli habiter là, jadis ; qu'ils avaient visité un appartement, jugé idéal du fait de la proximité avec Paris, de la vue imprenable sur la ville ; mais une fois arrivés sur place ma mère s'avançant directement vers les grandes fenêtres eût loisir d'observer, outre les Tour Eiffel et Montparnasse, une quantité innombrable de cheminées plantées sur les immeubles d'en-dessous. Elle se ravisa avec cet instinct noble et tranchant de la jeune femme de bonne famille wallone, dans l'âme de laquelle se disputent des origines espagnoles (maternelle) et hollandaises (paternelle), décidant qu'en hiver la vue serait réduite à un écran de fumée, un brouillard trop épais pour y voir net, et nous n'habitâmes pas Saint-Cloud.

Je pense aux rendez-vous que nous fixe l'existence. Ceux qui nous paraissent déterminants, avec le temps, quand on se penche sur son passé - malgré les écrans de fumée des émotions récentes. Est-ce que ma vie eût été différente si j'avais passé mon enfance, une partie de ma scolarité, à Saint-Cloud ? Ou bien, que je la passe ici ou ailleurs, à Paris ou à Pétaouchnok, quelque événement eût fait que de toute façon je me fusse retrouvé pour mes dix-huit ans en classe de Terminale au dernier étage du lycée Notre Dame de Verneuil, environnement qui me semble incontournable, puisqu'il cristallisa de manière péremptoire ce qui vivait en moi à l'état d'intuitions.

Je me demande si toutes nos routes possibles à partir d'un seul point, toutes nos routes possibles + celle que nous empruntons, celle qu'il nous faut bien emprunter, finissent de toute manière par se rejoindre en un point que celui-là nous ne pouvions éviter : une rencontre, une clairière ou une blessure obligées.

J'ai souvent décelé en la passion amoureuse - quand elle est partagée - une clairière et une source ; quitte à ce que les mauvaises herbes de la vie, l'orgueil et le désamour reprennent le dessus, envahissent la clairière et tarissent la source pour leur donner l'apparence d'un nouveau chemin plus mince encore que le précédent, oppressant et sombre.

Je n'ai rien connu de plus dur que de voir deux personnes qui s'aimaient devenir étrangers l'un pour l'autre. Face à l'hostilité et le non-sens du monde, c'est la perte et la négation de tout refuge. 

L'habitude délicieuse et pressante que l'on avait de se jeter au cou de l'autre pour n'importe quel degré de soucis se coupe d'elle-même. On y songe encore, mais on n'y revient plus.

Et ce qui fût beau à deux, cruellement ne le reste plus que pour soi-même. Les souvenirs aussi perdent du sang.

Je n'aime pas cette vie ordinaire qui change le désir et la présence de l'autre en un état de comédie ; un statut d'étoile filante ; ou de bibelot pour le coeur. Mais je ne vois jamais où la vie veut en venir. Il y a des moments je me sens terriblement seul, isolé, et faible de ne pas savoir ce que je veux. Je veux le bonheur absolu pour des personnes et il suffit que je les fréquente d'un peu plus près pour être écoeuré de la manière dont elles se comportent. D'un côté en amour je veux des aventures d'une nuit, électriques et ardentes à n'en pas démordre, surprenantes comme le jeu de la salière en papier avec ses dix points de couleurs, où la révélation immédiate l'emporte sur la fascination patiente du hasard ; et de l'autre côté je voudrais passer toute ma vie au secret, la tête, les mains (et le reste) fourrées dans les plis et replis de la fille que j'aimerais. 

Sur la route incertaine où je me rends, je n'ai pas d'autre choix que d'enfer. Non, je veux dire : je n'ai pas d'autre choix que d'en faire. Et je me dirige vers ma prochaine histoire d'amour comme on va peut-être à l'abattoir. Parce que voilà : Dès les premières blessures, et plus l'atteinte est profonde, plus les souvenirs aussi perdent du sang.  

 

06.09.05

 

Le tournage du clip s'est déroulé à merveille ; toute la nuit de samedi à dimanche ; plan séquence réalisé par Frédéric (Taddéï) ; une dizaine de prises ; l'appartement mis sans dessus-dessous ; Vahina et Marie qui se croquent ; Je me faufile entre elles telle une ombre désincarnée ; Je ferme le rideau pour la tranquillité ; le groupe joue dans la chambre étouffante comme dans une boîte à musique ; la batterie rouge et blanche de Cyrille ; j'espère qu'on la verra à l'image ; Olivier (Chini) a organisé les choses de main de maître ; il y a une fille jolie (Cécile) et elle me demande de poser mes poignets sur ses genoux pour coudre les manches de ma chemise aux avant-bras flottants ; Mes poignets fragiles sur ses genoux rassurants ; Elle me parle de la boutique sexy de Sonia Rykiel, avec les godemichés chics, donc, je dis : des godemichics ; c'est remarquable comme tout le monde moi compris vient lui parler, recherche sa présence, à un moment ou l'autre de la nuit - comme on va chercher un verre d'eau fraîche pour le coeur ; Il y a des bougies partout dans la pièce et me faufilant derrière la caméra pour retrouver ma place dans le cadre, je fais la bourde de brûler la veste qui m'a été prêté par Sonia Rykiel ; Aïe, le feu des premières fois ; Pascale invente le maquillage-massage pour le plaisir de nos fronts soucieux ; Frédéric (Taddéi) secondé de Julien, dégaine la caméra, inspiré et précis dans la fluidité de l'action ; Fabien (Benzaquen) est un chef opérateur lumineux ; Marie me raconte par le détail la liste des cadeaux qu'elle a eus à son anniversaire ; Je lui dis : je suis certain que ton préféré est la confiture finlandaise et elle me répond oui ; Marie sera en Suisse pour jouer l'adaptation des Illuminations de Rimbaud mises en scène par Thierry De Peretti au moment où nous devrions y être pour les concerts, alors nous nous promettons de nous voir là-bas, de dîner ensemble ; en attendant, Olivier (Chini) nous fait des pâtes à quatre heures du matin ; pendant le maquillage Frédéric (Rouet), Mathieu et moi nous jouons à Qui va perdre ses cheveux le premier ? ; Je crois bien que j'ai une longueur d'avance - pour la chute, dis-je, en hommage à Albert (Camus) ; une longueur d'avance qui étrangement en matière capillaire ne m'aide pas ; je ne peux pas me cacher derrière ma longueur (d'avance).

- C'est pathétique ces cheveux qui tombent, se tourmente Frédéric.

- Ne t'en fais pas, réponds-je, c'est signe de créativité et promesse de succès amoureux ! Hé bien oui regarde Picasso ! Et Yul Brynner, sa femme elle était délicieuse et superbe, Doris Brynner, très intelligente. Et Marilyn elle ne part pas avec Emmanuel Petit, Marilyn, mais avec Arthur Miller mon vieux ! Et si tu préfères les filles avec des cheveux longs, plus tu vas vieillir plus elles vont être attirées par toi. Et tu sais pourquoi ? Parce que l'amour c'est une histoire de puzzle, on recherche toujours sa pièce manquante ! Et, de surcroît, c'est meilleur quand on s'emboîte. La fille qui a des longs cheveux, elle en a rien à foutre du type qui a plein de cheveux comme elle ! Qu'est-ce qu'elle aura à lui donner sinon ? Rien. Tandis que là, elle se sentira appelée. Elle te dira : couvre-toi mon amour, viens sous le rideau de mes cheveux. Tiens, Natalia Vodianova. Comment ça, tu ne connais pas Natalia Vodianova ? C'est une bombe mon vieux. Une fille sublime qui a travaillé pour Marc Jacobs et Calvin Klein. Très joli sourire. Et franchement vivre avec une fille sublime à l'extérieur de soi, y a pas de quoi se marrer ! Natalia Vodianova sais-tu avec qui elle s'est mariée ? Avec Justin Portman. Chauve comme un oeuf ! Il est chauve comme un oeuf Justin Portman ! C'est loin d'être ton cas mon tendre Frédéric. Tu vois, tu as encore du chemin à faire avant d'arriver à Natalia Vodianova. Et puis je vais te dire : les filles qui aiment les types avec de longs cheveux, elles sont : soit des hippies, soit des narcissiques. Franchement, personne n'a envie de passer sa vie avec une hippie narcissique ! Regarde tous ces types excellents : Picasso, Zinédine Zidane, Gabriel Matzneff, Stéphane Million...Les filles intelligentes, elles aiment les types qui perdent leurs cheveux ! Comme ça elles se sentent plus près de leurs pensées."

- Stéphane Million ne perd pas ses cheveux, objecte Mathieu qui a l'oeil du photographe.

- Oui mon petit mais c'est parce qu'il se camoufle, il se protège. C'est un homme intelligent, il retarde le moment de se faire mettre les pinces par une Natalia Vodianova. Comment veux-tu écrire si tu vis avec Natalia ? Tu ne peux plus écrire, tu as tout le temps envie de t'occuper d'elle. De faire ton possible pour que la vie ne sois pas trop dure pour elle. Et puis tu as tout le temps envie de lui faire l'amour. Ou alors, s'il faut poursuivre son oeuvre, puisqu'il faut bien poursuivre son oeuvre n'est-ce pas ? Tu lui écris sur la peau. Rien de définitif, mais bon, une petite phrase à se damner, par ci par là.

- Parce que toi tu écris sur la peau ? 

- A fleur de peau oui ça m'arrive, du bout des doigts."

 

07.09.05

 

Vincent Lemonnier.

 

Le disque est arrivé le jour où Vincent est parti. Emporté à l'âge de 36 ans, des suites d'une longue maladie comme c'est écrit dans le quotidien Libération ce matin. On ne se connaissait que depuis quelques mois. Il avait rejoint l'aventure pour s'occuper des concerts, et c'est lui qui avait booké les dates de mars 2006 au Théâtre de la Coupe d'or à Rochefort et au Théâtre de Suresnes, lui qui s'était occupé des lundis au Réservoir qui arrivent en octobre, il se faisait une joie de ces quatre concerts à Paris, car il allait pouvoir y faire venir tous les programmateurs de salles de spectacle qu'il avait en tête, et il brûlait de leurs faire découvrir notre travail, de porter le disque sur une grande tournée.

Dès le départ, très pudiquement, il avait voulu me faire savoir par l'intermédiaire de Rodolphe qu'il était malade, plutôt très malade, et qu'il y aurait des jours où il n'aurait la force de rien faire. La force, pas le courage. C'est important, c'est juste la force qui lui manquerait certains jours, pas le courage. Il avait rejoint l'aventure que je mène avec le groupe un peu avant que l'on se prépare à concevoir et enregistrer ce disque, il l'attendait avec une grande impatience. On parlait des idées de lieux et d'événements qu'on aurait, pour aller chanter notre Chanson de Noël par exemple.

Je me demande parfois - parfois je suis comme un enfant - pour quelles raisons les gens s'attachent à une démarche si personnelle au fond, ont envie de faire partie de cette histoire, et s'y donnent coeur et âme, que ce soit Olivier, Frédéric (Pertusier) et toutes les autres personnes qui donnent chaque jour ou sporadiquement plus que d'eux-mêmes pour le disque, les concerts, l'avancée.

J'essaye toujours d'inclure les gens avec lesquels je travaille dans une aventure, quelque chose de vibrant et de créatif tout le temps, un travail qui produit du sens, qui s'accroche contre ce qui passe, une vision de voir les choses peut-être, mais je suis toujours heureux et surpris de sentir à quel point ces personnes bataillent, et portent haute en eux et autour d'eux l'histoire de ces grains de sable que sont les chansons. Peut-être parce qu'ils savent que les grains de sable sont des éléments les plus proches de l'océan, et qu'ils ont les déserts dans le dos.

On s'écrivait avec Vincent, on s'envoyait des mails ces derniers temps - je les ai relu la nuit dernière et j'ai regretté je crois que ce ne soit pas des lettres sur du papier.

Sans pour autant dédramatiser la maladie, on en parlait comme d'une présence indésirable à chasser. Une visite. Je lui disais : Hé ho je sais bien qu'elle a envie de s'inviter mais y a déjà trop de monde qui bosse avec nous, alors on va pas lui faire de place à ta maladie, on va l'occire ! 

Il y a des fois où Vincent semblait reprendre le dessus, il s'était marié au printemps dernier, la présence de sa femme, sa famille, ses amis, l'équipe de l'hôpital Saint-louis, lui donnaient de l'ardeur, de l'élan. Et finalement le désistement d'une péniche pour l'organisation de son mariage ou les types tièdes qui faisaient la sourde oreille à notre travail, ou ceux qui promettaient de venir au concert et au final ne venaient pas, le mettaient dans une colère et une rage bien plus folles que les assauts sauvages et solitaires de la maladie.

Dans les moments où il se sentait fatigué, il revenait souvent sur le fait qu'il ne pourrait se donner à 100 % de manière régulière dans notre travail, cela semblait le tracasser amèrement. Alors je lui répondais avec bonne humeur : Ne t'en fais pas, je connais ça, c'est pareil avec la poésie, il y a des jours où je suis incapable de rien, parfois une semaine entière, et tout d'un coup c'est reparti, un éclair et c'est l'usine !" 

Sans jamais minimiser une maladie brutale et sans pitié que j'avais vu à l'oeuvre si je puis dire avec mon papa, j'essayais de lui envoyer quelques petits mots, de temps en temps, dans sa boîte aux lettres électronique, comme ça, si je sentais le sourire du dernier mail s'effacer. Est-ce que je me basais sur la durée de vie des fleurs coupées pour connaître la persistance des mots que j'envoyais ? 

Vincent me répondait généralement assez vite, des mots pleins d'instinct, d'urgence et d'avenir. La dernière fois, fin août, il m'écrivait qu'il rageait d'être scotché chez lui sans pouvoir travailler, le moindre geste entraînant un essoufflement digne d'un marathon. Je lui ai répondu aussitôt, et puis une autre lettre quelques jours après qui m'est cette fois restée sans retour. J'ai appelé Rodolphe aujourd'hui dans l'après-midi parce que le coup du courrier électronique m'a travaillé, je ne trouvais pas ça bien le courrier électronique, susceptible de se perdre, de n'avoir pas de valeur, d'être avalé à tout moment par l'indifférence blanche des ordinateurs, alors j'ai dit à Rodolphe : voilà j'aimerais bien mettre nos derniers échanges de mail avec Vincent, les mettre sur le site, dans le Journal pourquoi pas, pour qu'il y en ait une trace quelque part (parce qu'en fait j'avais tapé son nom sur les moteurs de recherche et je n'ai pratiquement rien trouvé ; ce qui - bêtement peut-être, m'a paru très choquant, comme si on lui retirait l'existence de son travail dans la musique - mais je ne sais pas pour l'histoire des lettres à reproduire, c'est peut-être très impudique ; et Rodolphe m'a encouragé à le faire, mais quelque chose me retient quand même, alors je me contenterais de ce texte ce soir. Le jour de grand bonheur où nous avons reçu le disque, il y a eu cette tristesse infinie d'apprendre le départ de Vincent. Rodolphe a accusé le coup. Pour Vincent surtout dont il était l'ami proche et puis aussi, parce que c'est un boomerang par rapport à soi ; et Rodolphe se sent fragile, souvent, par rapport à ça. La soudaineté et la violence avec lesquelles on peut concevoir la fin. Je n'arrivais pas à dormir - cette nuit encore - et j'ai voulu appeler Rodolphe pour lui dire que dans ce disque je pensais avoir fait quelques chansons pour apaiser la souffrance amoureuse, pour mettre comme un petit baume sur la dureté inconsolable de l'amour qui s'en va, que ça pouvait marcher je pense dans ce disque, pas forcément pour moi mais en tout cas pour les auditeurs je l'espère, pour qu'on ait pas peur - même si ce n'est jamais enviable - de se retrouver seul à nouveau ; alors je voulais appeler Rodolphe pour lui dire que comme j'avais fait ça dans ce disque, dans le prochain je ferai une chanson pour qu'il n'ait pas peur de la mort.

C'était un peu enfantin comme pensée, je m'en suis rendu compte et je n'ai pas appelé Rodolphe. Peut-être aussi parce qu'il était vraiment tard. Trois, quatre heures du matin. On appelle pas les garçons à cette heure-là. Tout le reste oui, mais pas les garçons.

Et si vraiment il y a eu trop de choses dégueulasses dans sa journée pour qu'on puisse fermer les yeux, et qu'on soit dans cette déveine d'une période où l'amoureuse à venir ronge son frein ou s'en fout pas mal de n'être pas encore identifiée, hé bien hop : c'est l'écriture. C'est comme ça depuis l'adolescence : aucun autre choix pour moi, que le plumard ou la plume.

 

14.09.05

 

Le retour du poète solitaire.

 

Métro Sèvres -Babylone (14h37), jeune femme d'une grande beauté : aplat d'un petit haut rose pâle, fine armature du casque et des fils d'un baladeur numérique, figure baconienne des petits seins (i)coniques et mouvants ; élancée comme une virgule prête à tomber dans les bras d'une parenthèse.

 

Quelqu'un qui aime vraiment les femmes considère : la tentation de poursuivre toute sa vie l'amour d'une personne qui se refuse, et la joie d'aimer toute une vie une seule et même personne d'un amour partagé, à égalité comme toutes deux de l'ordre du fantasme.

Pourtant, la plus belle et la plus haute trahison qu'un homme qui aime les femmes puisse exercer envers lui-même est de n'en aimer qu'une.

 

Tatiana A. : Je n'ai jamais connu de femme plus absolue. Elle n'avait de masculin que cette maladie intense et dévorante de mourir pour quelque chose ou quelqu'un qui n'en vaut pas la peine. 

 

Je parle cuisine avec Jean-Vic ; je dis que je comprends ces artistes qui font une première chanson plus facile pour attirer davantage de public vers des oeuvres plus personnelles, mais que moi je ne sais pas faire ça ; dans la chanson Comme elle se donne par exemple qui est le single de l'album à venir, il y a dans le propos outrageusement sexy une intransigeance dans mon phrasé qui ne se veut pas du tout racoleuse, qui ne va pas chercher, haranguer le plus de monde possible.

- C'est comme avec les filles, poursuit Jean-Vic, il y a ceux qui cherchent à les attraper tout de suite, qui les étouffent...Et il y a les autres, ça s'appelle l'élégance.

- Tu dois confondre avec la solitude, dis-je."

 

15.09.05

 

L'épaule dénudée du passé qui n'est plus.

 

L'épaule dénudée du passé qui n'est plus,

La serveuse très sexy du restaurant qui vient d'ouvrir

Sous les arcades du marché Saint-Germain

Le Caffe Rovi

Jette des bouteilles vides dans le contenaire,

Le verre se brise comme des étoiles après qu'une maladroite ait secoué la nappe du ciel

Dans le jardin des chuchotements.

Les soirs d'automne elle démissionne pour aller coucher avec le premier venu

Mais elle ne supporte pas la saleté

Des petits matins.

L'amour qu'ils donnent lui semble toujours insuffisant.

Trouver quelqu'un et ne retenir personne.

A l'intérieur des capsules des bouteilles de coca il y avait des points à collectionner

Dans une matière caoutchouteuse.

Elle pense à ça pendant qu'il s'occupe du préservatif.

Elle est allée avec lui ce soir comme on ouvre le bac à glaces pour attraper un ice-cream.

Elle pense à ce qu'elle portera demain

- Nuit noire qu'une bougie démasque.

Elle fait le point avec sa garde robe

Le point avec l'océan

Qui n'a pas de vies parallèles.

Les femmes à l'oreille desquelles on ne dit pas de secret dépérissent plus vite que les autres,

Et c'est cela,

Le secret.

 

16.09.05

 

Fête hier soir dans les magasins Sonia Rykiel du boulevard Saint-Germain. Boulevard qui me happe depuis toujours et dont j'aime tant la lumière le soir. Mathilde m'écrit que lorsqu'elle m'aperçoit marcher dans le quartier, j'ai l'air d'un enfant triste perdu dans les grands magasins. Avec Nathalie (Rykiel), Frédéric (Taddéi) et Lambert (Wilson) nous allons voir le clip qui est projeté sur un écran plasma dans la boutique de la rue des Saints-Pères. Je me confonds en excuses auprès des vendeuses qui vont se farcir la chanson en boucle, tous les jours, pendant un mois, mais elles sont très enjouées et, à la fin de la soirée, me disent que le clip a plu à tous les visiteurs, un tas de monde, l'attroupement constant de l'exclusivité. Nous sommes très fiers avec le groupe d'être ainsi soutenus par Nathalie et Sonia Rykiel, et, du coup, même si l'accident sur le tournage me donne une crédibilité de pop-star internationale puisqu'il paraît que Michaël Jackson s'est cramé pendant une pub Pepsi, personne n'a encore osé dire que j'avais brûlé la superbe veste Rykiel qu'on m'a prêté pour le clip.

Je donne en avant-première un disque à Lisa (Arbellot) qui est resplendissante dans cette foule compacte, légère et irradiante au milieu de toutes ces filles et types à l'affût d'une flûte (de champagne), j'embrasse en coup de vent Pauline (Klein) très jolie toute de noir vêtue, Faustine (Caglia) me dit des choses gentilles sur mon Journal dont la lecture est l'un de ces luxes quotidiens..., puis elle me parle d'un livre où il est question d'amour et de duperie, je lui dis : la duperie de l'amour consiste à faire croire qu'on peut se rendre irremplaçable, et la duperie de la rupture est de faire croire qu'on peut rester inconsolable ; après je suis chahuté à droite et à gauche et n'arrive pas à retrouver Faustine mais je voudrais lui dire que j'ai parlé à la légère, pour le mot, que bien sûr je ne pense pas vraiment ce que je lui ai dit, ou alors par grand vent d'amertume, mais que bien sûr il y a des êtres irremplaçables, et qu'il y aura des êtres et des situations qui nous laisseront inconsolables ; et qu'il ne faut jamais perdre espoir ; que ce qui n'est pas grand chose mais déjà à l'état de braises, ardent, peut devenir un jour le foyer principal.

Ecartelé entre des bises et des bulles (à qui pétille le plus), je cherche intensément X dans la foule, confusément, et m'accroche enfin à son visage et ses yeux  - aperçus sous une casquette - dont la lumière particulière me blesse et m'appelle, me tourmente et m'éclaire à la fois. La tentation de créer un espace tout le temps où ne lui dire que l'essentiel. J'ai hâte des concerts pour poursuivre et retrouver cette qualité de lumière.  

J'ai sur la main droite le parfum de quelqu'un et je ne sais pas de qui. Magda me dit :

- Ce n'est pas comme la chaussure de Cendrillon. Tu ne peux quand même pas faire essayer ton poignet à tout le monde."

Même si j'étais auteur de contes et que j'eusse trouvé plus élégant d'exhiber son poignet que son pied (quels terribles fétichistes que ces Grimm et Perrault !), il est vrai que je ne peux pas faire essayer mon poignet à tout le monde. La pluie de la nuit de toute façon redistribue le parfum des attentes, des épreuves et des joies.

 

23.09.05

 

Quand j'arrive dans la fête, surprendre ma silhouette pâle flotter dans un miroir me fait penser à Léon Spilliaert, et je me dis que ce soir, dans mes yeux, l'effroi de la fatigue et l'agonie du jour tirent sur le vert. Je pense que si je trouve une fille qui me plait, passé le barrage soluble des conversations d'usage : "Et qu'est-ce que tu fais toi (dans la vie) ? Et tu connais qui ici ?"je m'endors dans ses bras ; en réalité je suis tellement fatigué que je me contenterais même du reflet d'une épaule dans la fenêtre d'une chambre pour y poser ma tête.

Pierre (B) me rejoint à l'écart des petits groupes qui se forment dans le salon et me dit : "Jérôme, si tu veux je te présente une japonaise avec des jambes interminables. Je n'ai qu'un coup de fil à passer !" ajoute Pierre d'un ton impérial.

- Tu es gentil, lui réponds-je, mais en ce moment c'est le coeur qui me semble interminable.

- Il y a cette blonde superbe, vous l'avez-vue ? demande David qui surgit comme un fou.

- Oui, magnifique, dis-je. Très belle. Et vous avez remarqué, elle est avec un type chauve. Exactement comme Natalia Vodianova !

- Je n'ai pas touché une blonde depuis 1998, intervient Pierre, pensif.

David me tend un gressin :

- Mange-ça, je suis sûr que tu n'as rien mangé depuis trois jours, et ça te va bien de manger des gressins, c'est la classe !"

Tout en faisant des considérations sur la bouffe (les salades de pâtes c'est super dans les situations de crise) et en regardant de manière un peu outrancière les cuisses nues et les jambes bottées de la jeune femme blonde, David descend le bol de gressins comme Bugs Bunny une plantation de carottes. Au gré d'une de ces associations d'idées dont elle a le secret, Emma m'accapare et me parle de fellation et quête du petit nerf. Elle dit : Voilà, pour faire une bonne fellation il faut trouver le petit nerf qui est sous le prépuce. Le secret de la bonne fellation c'est le petit nerf." Je songe à m'éclipser un moment - car j'ai un peu de vague à l'âme - le désespoir de l'amour, la proximité des écluses ? - mais ce que je saisis de la conversation des trois quatre personnes réunies à côté de moi est le mot : prime d'investissement, alors quitte à choisir le sujet je préfère de loin la quête du petit nerf. David jauge Emma et lui dit crânement : 

- Ce qu'il y a de mieux dans la fellation c'est l'effet visuel, la perspective !" 

Après, quand elle est partie, Frédérique dit : "Elle bluffe cette fille, elle se la joue, ça l'amuse de tenir des propos obscènes devant toi Jérôme, elle cherche à t'impressionner, mais je pense qu'au lit elle se laisse faire, elle doit faire sa princesse dans un lit."

Je m'isole dans la cuisine - l'un de mes replis préférés - après avoir pioché un livre de Marguerite (Duras) dans la bibliothèque (réduite à trois étagères peu inspirées et qui vibrent à chaque coup de sonnette) - pendant que je relis quelques pages superbes de Les Yeux bleus, cheveux noirs, Frédérique vient me servir une part de gâteau au chocolat et me dit gentiment :

- De toute façon de tous les écrivains contemporains tu es de loin mon préféré.

- Mais je n'ai pratiquement rien publié tu sais, dis-je.

- Oui mais ça viendra !" tranche-t-elle avec un ton d'Antigone bienveillante.

Alice vient me parler de sa nouvelle copine, on la distingue près d'un sofa - d'un air si triste qu'il absorbe ma propre peine - elle végète un peu en débardeur blanc en marge des conversations, d'un sourire sans y croire.

- Je ne suis pas amoureuse, dit Alice, je ne la trouve pas spécialement jolie, ni passionnante, mais je couche avec elle parce que j'aime le désir qu'elle a de moi. Tu me trouves dégueulasse n'est-ce pas ? En fait, pour moi, cette fille c'est comme un doudou qui fuck !!"

David qui sert des assiettes de pâtes à tout le monde (l'habitude de gérer les situations de crise) saisit au passage l'expression "doudou qui fuck" et me lance des oeillades interrogatives.

Je reçois un texto de Julien (Le Monnier). Je traverse le salon et m'isole dans la chambre qui donne sur le canal pour l'appeler, lui parler un peu au téléphone. Je pense à ces gens qui ne me connaissent pas, agglutinés dans le salon un verre à la main, et qui me voient traverser la pièce d'un bout à l'autre, sans jamais me mêler à eux, pour aller me réfugier soit dans la cuisine soit dans la chambre, rejoint sans cesse par une fille ou deux, ils doivent me prendre pour un drôle de type, certains doivent même commencer à me détester ou penser que j'organise le trafic de quelque chose d'important, mais je suis si fatigué ce soir que je n'ai pas d'autre choix que le repli. Après avoir raccroché avec Julien, je retrouve Pierre qui me parle encore de la japonaise aux jambes interminables. Cela me fait penser que, ce matin, dans ma boîte aux lettres, de son écriture très enfantine Sanae m'a envoyé de Kawasaki (2120016 Japon) trois cartes postales très belles reproduisant des oeuvres du peintre Yuméji Takehisa.

- Des jambes interminables, et en plus elle a de petits seins comme tu aimes !", ajoute Pierre. Je repense à l'émission Nous ne sommes pas des anges, et au type collé à moi qui rouspétait de tout son être comme si j'avais insulté le bon goût masculin (il vient d'écrire un livre qui s'appelle : Les hommes préfèrent les rondes, alors, forcément) en affichant ma préférence. Je raconte à Pierre l'épisode avec Daphné, quand Daphné s'assoit à côté de moi, qu'elle me dit : je m'installe à côté de toi. Que je dis : Chouette ! (comme lorsqu'une fille jolie vient s'asseoir à côté de vous dans le car de transports scolaires) et qu'elle répond : Oui, mais c'est provisoire. 

- Au moins une qui prévient !" dit Pierre très spirituellement.  

Nous parlons avec un type qui, après dix ans d'une histoire d'amour qui s'est transformée en totale déconfiture, cumule les fiancées avec une joyeuse insolence, s'enthousiasme des filles extraordinaires qu'il peut lever, et nous confie amèrement que quand même, avec les filles, c'est mieux quand on a de l'argent. Son discours tient en ce triste syllogisme : Il faut de l'argent pour séduire les filles. Parce que les filles il faut tout le temps les surprendre. Et il n'y a rien de mieux que le fric pour ça !"  

Le héros romantique que mon coeur, au fond, abrite se sent totalement insulté par une telle assertion - et je lui rétorque que ce n'est pas spécialement avec les filles voyons, mais de manière générale - dans la vie - qu'avoir un peu d'aisance et de facilité financière apporte plus de confort (oui, moi-même je suis surpris par la pertinence et le haut degré d'originalité de mes réflexions). Et le type nous parle de sa nouvelle copine - mannequin dans le huitième (je suppose qu'il s'agit de l'arrondissement) qu'il emmènerait bien en avion à Biarritz ce week-end s'il en avait les moyens...Devant mon air dépité, David raconte que pendant six mois il est sorti avec une fille de grande famille, très belle, mannequin dans le septième, et qui a l'habitude des soirées, des boîtes, tout le tralala, qu'il l'emmenait dîner dans des endroits chics trois fois par semaine, que ça finissait par lui coûter une fortune, mais que le jour où il l'a sentie la plus heureuse c'est quand il l'a invitée chez lui et qu'il lui a préparé un dîner à base de Picard surgelés !

Le type n'en démord pas - voudrait appuyer que les filles sont aussi vénales et impressionnées par ce qui brille que les garçons sont concupiscents, mais tel un Bruce Banner déchaîné devant une forte concentration de bêtise je me suis transformé en héros romantique (aux yeux verts) et commence à lui expliquer que de toute façon on s'en fout d'aller faire la dînette dans les endroits huppés du monde, puisque l'histoire d'amour est déjà une faim (de l'autre) en soi. Ce à quoi David explose :

- De toute façon vous ne jouez pas dans la même catégorie. Jérôme il est différent, il propose autre chose. 

- Ah oui, et qu'est-ce que tu leur proposes alors ? défie le type en me fixant du regard. 

- L'absolu, dis-je.

- Exactement ! L'absolu mon vieux ! jubile David en se servant une louche de pâtes.  

Ensuite David m'accompagne dans l'un de mes derniers trajets cuisine-chambre de la soirée :

- Tu sais, il faut me croire Jérôme, ce que je te raconte c'est pas des bobards ! Avec X, on allait au Fumoir, au Man Ray, au Buddha Bar, à toutes les conneries de Sushis bars, et elle grignotait. Je te jure qu'elle grignotait ! La seule fois où je l'aie vue se régaler de bon coeur, c'est quand nous étions à la maison et que je lui préparais du Picard Surgelé."

La jeune femme élancée, très belle, à côté de laquelle toutes les filles qui ont voulu faire un effort pour s'habiller ressemblent maintenant à des Spice-Girls, et dont David a reluqué les jambes une bonne partie de la soirée (ce qui a eu pour effet que quelques louches de pâtes se répandent sur le parquet), vient me voir pendant que je prends le pouls du canal et la douceur de septembre sur le balcon. Elle me dit deux trois choses gentilles, et me demande en portant les yeux loin devant elle ce que je préfère dans Paris. J'essaye de trouver une réponse parmi tant de réponses possibles et parle de la petite porte dans le bâtiment de l'Académie qui débouche directement rue de Seine. Je lui dis : Voilà j'aime pour rentrer rive gauche passer par cette petite porte.

- Je ne suis pas conne tu sais, me dit-elle, je comprends parfaitement l'allusion sexuelle ! " Et elle me donne son numéro de portable.

 

25.09.05

 

Les forêts du dimanche se lèvent au seuil de l'insomnie. Dans le beau film de Jim Sheridan : In America, j'aime bien le passage où la petite fille chante Desperado. 

J'ai hâte de la lumière des concerts d'octobre ; on se dirige doucement vers cette lumière, il faudra créer le lieu adéquat en scène. Une vraie forteresse contre la matière décevante des jours qui passent.

Tisser des liens indiscutables avec les gens qui viendront me voir en concert sera mon job d'automne.

En interview vendredi sur la radio que Télérama va créer pour le web, j'ai envoyé des messages codés, comme un pilote au dessus de l'océan, vers le coeur de X.

Des rafales de mots (peut-être) perdus. Chaque journée s'ouvre en deux pour faire naître l'atlantique. Boulevard Saint-Germain rencontrer à la sauvette des gens qu'on aime bien, un salut lointain, un baiser précipité, ou se laisser joyeusement convaincre d'un moment et glisser dans un Café. La première fois que je suis venu dans ce Café-ci je devais avoir dix-huit ans, et, comme après nous être blessés et réparés sous toutes les coutures, C. ne m'avait pas retenu le visage entre ses mains, sortant dans le froid du boulevard j'avais vraiment eu l'impression que les passants au coeur planqué sous leurs manteaux étaient tous en sursis.

Dans mon rêve d'hier nuit j'ai été élu : L'homme le plus sexy de l'année qui pousse un caddie dans les allées du supermarché ATAC du centre commercial Parly 2. Le titre est long, le challenge ambitieux, mais c'est une toute petite distinction. D'autant que j'ai gagné il y a quelques mois le titre de Porteur de panier le plus classe au Shopi d'Orgeval le dimanche matin (l'emportant d'une voix sur Claude Rich). Et j'ai reçu l'autre nuit un trophée d'honneur pour l'ensemble de ma carrière dans les rayons de la grande épicerie du Bon marché (remis divinement par Ann Catherine Lacroix).  

Combien pâles sont les efforts désolés du soleil pour réchauffer les coeurs solitaires le dimanche. Quand j'avais quatorze ans une jeune fille de seize ans m'avait emmené en forêt de Saint-Germain-en-Laye pour d'un baiser m'y enterrer vivant. Je n'étais pas retourné en classe pendant trois semaines. Faut pas déconner. Quelle équation mathématique peut rivaliser avec ça ?

On est toujours à la recherche de clairières persistantes. Il faut creuser à même le gris. Se battre contre des sous-marins. Ne jamais se laisser emporter par le courant de la résignation, braver les ténèbres du dépit, viser toujours ce qui ne peut pas mourir. 

04.10.05

Un grand amour donne au moins l'illusion d'être compris. Jusqu'à ce qu'il s'en aille et laisse derrière lui une somme phénoménale d'incompréhensions.

 

07.10.05

 

Rongé par l'impatience du concert de lundi. Triste comme le grand bassin de la Concorde dans les jardins des Tuileries. Le défilé Sonia Rykiel est une pause enchanteresse, une fête de couleurs quand apparaît sur le podium le manteau en plumes d'autruche rouges. La beauté fulgurante du mannequin qui portait le modèle n°21, la longue robe débardeur noir et blanc. Sonia Rykiel arrive sur une version live de Barbara de : Ma plus belle histoire d'amour c'est vous, suivie de la cohorte fragile de mannequins qui ont revêtues pour le final des t-shirt : J'aime - le chocolat - le sexe - la Tour Eiffel - la bonté - la beauté - un homme - la musique etc. Placé au deuxième rang j'ai été bien choyé. Je crois que si une fille existe et si elle veut m'épouser ce sera dans la robe trench en taffetas de soie rose pâle, robe admirable et touchante comme le regret d'un dessert de l'enfance. Après cette courte apnée en pleine beauté je reprends contact avec la ville en descendant le boulevard Saint-Germain. Stéphane me raconte l'histoire d'une fille qui pleurait au téléphone et je voudrais aider. Je voudrais faire quelque chose pour que les filles ne puissent plus pleurer, même si, de temps en temps, ça fait du bien. Je ne sais pas où aller, je voudrais travailler pour quelqu'un, écrire un amour. J'ai besoin de la terre eschyléenne du concert de lundi. De la scène territoire du Réservoir. Et puis voilà, le disque sort lundi aussi. Je voulais faire le disque le plus sexy et le plus profond qui soit, le plus amoureux et le plus sombre. Mais s'il est un peu profond et très sexy, ça me va.

 

11.10.05

 

Il m'est souvent difficile de surmonter les grandes journées désertiques d'après-concert. Il faudrait que je puisse réduire les signes que je tente de produire dans ce que je fais, dans des tâches de la vie futiles, mais je n'ai jamais envie que la vie passe futile.

Vu que cette fois les concerts sont étalés sur quatre lundis et que le disque est à peine sorti en bacs, l'affluence était moindre que les dernières fois où nous avons joué au Réservoir, à refuser du monde dans des climax définitifs d'une soirée unique, mais le public était magnifique d'attention et de présence, et très avide d'intimité, aussi j'ai beaucoup parlé entre les morceaux, j'ai essayé de créer un climat et je suis à peu près arrivé à ce que je voulais faire. Mes musiciens étaient très heureux du concert et c'est une des choses primordiales pour moi. Après, je voudrais réduire en éclats et recomposer dans le même mouvement, ce qui est très périlleux. Je ne me rends jamais compte si je touche comme je le souhaiterais, ce que je laisse (en termes de résonances). Mais je pense que c'est comme dans n'importe quelle rencontre, on ne sait jamais vraiment ce qu'on atteint et ce qu'on laisse chez l'autre, à quelle intensité réellement.

Il y a toujours à chaque concert la fidélité de certaines personnes qui me porte et me rassure comme une deuxième enceinte (la première étant celle du groupe). Les concerts suivants vont être très particuliers je crois, avec cette histoire de chaque lundi, cette récurrence impitoyable, ils vont se nourrir des événements heureux ou tristes de la semaine, de ce que je suis dans le mouvement de ce que je souhaite, et c'est promis pour les gens qui viendront à chaque fois j'essaierai d'être plus brûlant et incisif, protecteur et définitif, comme lorsque l'on est amoureux et qu'on ne peut pas faire autrement que d'être toujours à la hauteur des sentiments qui nous dévorent.  

Je voulais aller trouver X récemment et lui dire à l'oreille un mot comme : C'est nul, il y a trop de temps qui passe entre nous, porté par ce coeur intransigeant et terrible que j'abrite - auquel je sers d'enveloppe ; mais c'est comme si mon assurance s'était éparpillée en chemin et quand je suis arrivé devant elle j'étais devenu fragile comme la pluie.  

 

14.10.05

Pourquoi le concert de lundi sera brûlant et magnifique ? Parce que la semaine entière produit des petites coupures qu'il faudra bien panser ; parce que la plupart des gens filent directement vers la Joconde et passent devant le Uccello sans le voir ; parce que je voudrais qu'elle m'ordonne doucement de poser une main sur son front fiévreux et de ne la retirer jamais - ou alors lorsque la maladie se sera endormie au-delà de son propre sommeil (comme un nuage à saisir du poing) ; parce que l'impatience porte une lumière trop vive qui blesse mes yeux (verts) ; parce que le passé est champ de mines ; parce que je voudrais réussir là où Nicolas de Staël s'est abîmé (en pleine musique, en plein ciel, en pleine mer) ; parce que les forêts d'Au plaisir sont une barque immense et secourable ; parce qu'il y a des soirs où la mélancolie pose ses lèvres sur l'existence ; parce que je voudrais que ma colère soit vaincue par les gens qui seront présents ; parce que je n'ai pas le choix.

 

19.10.05

Les jardins du Luxembourg.

Les dénivellations du coeur épousent

Le contour blanc du soleil.

Nos réticences tombent comme les feuilles des arbres en automne.

Si on interdisait l'accès des jardins aux fumeurs

Les garçons ne pourraient plus

Demander du feu aux jeunes femmes

Et du coup la drague aurait les bras ballants

Et le coeur pareil à celui des statues.

- D'une part et d'autre des jardins, me dit Chloé,

On peut acheter ton disque :

D'un côté Gibert, de l'autre la Fnac Montparnasse.

Et ce qui est super c'est pour la dédicace,

Car on peut toujours te trouver

Avec tes yeux impossibles

Dans les parages, tu as un stylo sur toi n'est-ce pas ?

Jérôme ?"

Les bonnes nouvelles : leur façon d'exister s'ouvre la plupart du temps

Comme une boîte de conserve à mains nues.

Et parfois comme le zip d'une robe.

à ton cou les filles de peu d'amour ont surjoué leur énigme

Tu es en colère contre la vie,

Contre l'effacement

L'effacement des soins prodigués à la part fuyante de l'autre.

Platitude des miroirs dans lesquels ne déteignent même plus tes hautes fissures

Tas de feuilles au bord des Tennis

Chez tes intimes la vie produit des étrangers auxquels il faut toujours tout réexpliquer, tout réapprendre.

Le regard oblique des amoureuses qui portent des gabardines

S'attache à ton visage fiévreux d'une absente.

Où est-elle ?

Dans ce nouveau froissé des solitudes brûlantes ?

Dans les crépitements du désir que la nuit élime  ?

Dans les coutures apparentes de son coeur que ton amour révèle ?

Ou bien dans ce Café qui ne dit pas son nom.

Je croise des filles dans les rues qui cernent les jardins et je me demande :

- Y a-t-il quelqu'un dans le soir pour prendre soin d'elles ?"

L'exil pur de ne jamais se revoir.

Les jardins du Luxembourg.

 

23.10.05

 

Petite maladie des grands voyages.

 

Très bon accueil du Fri-son, la salle de concerts rock de Fribourg (Suisse). Public attentif, écarquillé, auquel nous avons livré un set électrique, sans concessions, une bonne dose d'adrénaline qui nous a laissé ensuite, le groupe et moi, heureux mais sur le carreau. Milieu de nuit regroupés dans une des chambres de l'hôtel à boire des verres et regarder des chaînes de clip - Shakira, Britney Spears - le son coupé, remplacé par des titres de Serge Reggiani en boucle sur l'I-pod.

Manu m'avait apporté un thermos plein à rabord du délicieux thé à la cannelle que prépare Emilie, thé à la cannelle incroyable qui est ma potion magique suisse, et que j'ai avalé en quelques tasses réparatrices.

Pas beaucoup dormi comme à chaque fois que nous jouons à l'extérieur. Depuis l'enfance je crois je n'ai jamais réussi à m'endormir ailleurs que dans un lieu où j'avais des repères, une histoire de sommeils et une histoire de rêves.

Alors le désastre c'était les colonies de vacances, deux semaines sans fermer l'oeil, des cernes pas possibles, une addiction contractée à la pâleur et la mauvaise habitude prise de trop réfléchir la nuit. 

C'est une des idées que j'exprime dans la chanson Le pays des Filles qui sentent bon, quand je dis : "Et pour s'endormir plus besoin de compter les moutons, au pays des filles qui sentent bon". D'accord il y a une perspective un peu sexuelle, mais aussi l'idée que seuls les bras de quelqu'un qu'on aime sont le lieu des souffrances désamorcées et de tous les replis. Plis du corps, replis de la vie.

J'ai toujours trouvé la sensation des voyages très hostile à ce que je suis. Je n'ai jamais envie de partir de là où je me sens bien. Enfant à Noël quand j'arrivais au dernier cadeau à ouvrir, triste projet, c'est comme si tirant la ficelle toute la somme et l'ensemble des cadeaux précédents venaient à s'évanouir.  

Et puis je trouve que les voyages n'ont de goût que lorsqu'il y a quelqu'un qui nous attend à la maison, au retour. Dans ce cas-là les voyages sont un allié, un mercenaire à rendre le trajet épique et le coeur palpitant. Dans les périodes de la vie où personne ne nous attend alors il faut s'entendre avec son propre revenant.

Et c'est ce qui me plait tant dans les grands récits de mythologie grecque, c'est qu'il y est question d'une intelligence du retour. C'est la soif d'un retour qui nourrit et éclaire, inspire et détermine le héros. Bien sûr le pays des filles qui sentent bon est un pays d'où quelqu'un comme moi, lorsqu'il l'aura atteint, ne voudra pas revenir. C'est le joli conte écrit par Novalis aussi : l'histoire qu'on s'en va toujours chercher au plus loin ce qui se trouve tout près de nous.

Ce qui me blesse dans les voyages c'est que c'est un temps mou, inopérant, que je ne peux pas utiliser à écrire ce que j'ai dans le coeur.

Enfin pour la Suisse, ce week-end, ça valait vraiment le coup. Même si après l'émotion du concert et durant le voyage de retour, j'ai été malade il m'a semblé comme jamais.

 

26.10.05

 

La République des soupirs.

 

La nuit tombe si vite en ce moment, avec une vigueur de couteau, que je me sens blessé, exsangue, habitant de la république des soupirs.

Enfant je régnais déjà sur un imaginaire démobilisé.

J'appelle Lysa, tombe sur son répondeur. Je lui dis ça : Que je l'appelle parce que la nuit est en train de tomber et j'ai peur que la nuit ne l'avale. Que cette pensée me blesse.

Je peuple les nuits de mots pour éviter le rapt des vies que je croise et qui me bouleversent. Rapt du hasard monté de toutes pièces et secondé par d'autres que moi plus inconséquents. Par les porteurs du soir délétères. Par les hommes-ténèbres qui rôdent dans le cimetière de la Garenne-Colombes les poches pleines de graviers sans chemin.

Jusqu'à disparition de ce monde, devant le 29 rue de Buci on croisera mon fantôme impatient, préoccupé mais volontaire, orgueilleux lui dire au téléphone : "Je te protégerais toujours".

Nos bras n'ont de grâce et d'utilité que pour enserrer quelqu'un. Je le sais depuis le début. La vanité de tout autre usage ne m'a jamais intéressé ; à peine excité mon mépris de ce monde.  

Un jour comme je crevais d'impatience de dormir tout contre elle, à bout de forces je lui avais dit :

- Bon, alors si tu as mieux à faire de tes nuits, présente-moi au moins une copine belle et gentille qui voudrait bien d'un type comme moi." Et elle m'avait répondu aussitôt :

- Impossible mon amour, je n'ai que des copines belles et très cruelles. "

Plus tard encore je lui avais écrit que la beauté, de toute façon, ce n'est que le produit de deux ; et quant à ses copines cruelles qu'elle en mette une en ma présence et qu'elle nous laisse seule à seul alors elle comprendrait comment je suis capable d'enlever leur cruauté comme un accessoire, comme une robe tiens. Oui, voilà, je lui arracherai sa cruauté comme une robe.   

 

27.10.05

 

Le dernier cran de protection d'une étreinte.

 

Le couteau cran d'arrêt du temps qui passe

Toujours au bord du vertige - ô comme nous nous aimerons.

Des témoins de ce qu'est la vie rapportent

Que tout est égal.

Et ce savoir

M'est,

Tu le sais,

Insupportable.

 

La vie je trouve que c'est toujours au bord de se perdre.

Au bord de passer à côté des choses, au bord que jamais tu ne me prennes en pleine conscience.

Au bord de foncer vers la frontière de ce qu'on peut supporter,

Et ensuite plus rien.

Le désert de refaire un nouveau chemin

Et parfois

Le dernier cran de protection d'une étreinte

Nourrit d'une courte flamme

L'espoir.

 

29.10.05

  

Samedi après-midi à baguenauder avec Tarek (issaoui) dans les galeries du quartier du Marais. Rue de Turenne, chez Emmanuel Perrotin, une magnifique Anthropologie de l'époque bleue d'Yves Klein (collection Claude Berri) qui date de 1960. Sur fond de gouttes de pluie séchées, le jaillissement de la partie angélique d'un corps de femme. Une projection, un élan et un plongeon de l'ordre du souffle et de la flamme.

 

 

 

 

Entre deux visites nous parlons Tarek et moi de sujets et d'autres pour, à chaque fois, constater avec amusement que nous avons deux tempéraments opposés. Tarek a une soif inextinguible de comprendre le réel, de trouver en toute chose une explication sensée et en quelque sorte de s'en satisfaire, d'en éprouver du bonheur ou du moins de la consolation, tandis que moi je ne suis jamais satisfait et je vois en toute explication une limite par rapport à ce que je porte et ce qui s'agite dans mon coeur ; je veux dire je suis un turbulent, un impatient de l'imaginaire, et Tarek est un patient du réel.

Il me parle des astro-physiciens, de cette façon qu'il partage avec les astro-physiciens de reconnaître la beauté dans ce monde et de l'apprécier sans pour autant vouloir y placer une histoire, un récit, une volonté personnelle. Et en ce sens, du fait que moi je ne me satisfait jamais de ce qu'on me raconte et suis toujours en colère contre la vie, ou la beauté, telle qu'elle se donne, Tarek pense que je suis un romantique absolu. Le dernier des romantiques absolus.

Je parle d'une épaule, je dis combien je peux être chaviré, bouleversé par le dessin mouvant d'une épaule, et écrire c'est avoir la sensation magique de retenir cette épaule, de l'avoir pour soi, de la protéger de la corrosion d'un temps indifférent à son destin, oui de la protéger ne serait-ce que par ce qui reste - en l'occurrence l'écrit - et ce qui fixe à jamais l'émotion en lui donnant une structure, une histoire et un imaginaire. C'est aussi vouloir rendre un moment unique, transcender la brutalité et l'épuisement du quotidien. Et Tarek lui pense que s'il y a eu apparition d'une épaule une fois, s'il y a eu un tel jaillissement d'émotion, un impact sensible en moi, hé bien la nature est ainsi faite que cette épaule réapparaîtra ailleurs, et d'autres fois encore, dans d'autres circonstances, l'épaule d'une autre personne tout aussi belle et tout aussi prometteuse d'émotions. Et c'est en ce sens qu'à l'inverse de Tarek je suis absolument romantique. C'est que lorsqu'une personne me touche - je veux dire me touche à ce point qu'une épaule - je ne pense pas qu'elle réapparaîtra ailleurs, dans d'autres circonstances et à l'infini, je souhaite qu'elle soit unique et, au cas où elle ne le serait pas, mon travail, ce que j'écris, ce que je fais, comme ce que je suis et ce que je pense, la rendront unique.

De savoir que cette émotion puisse se répéter de la même manière encore, tout aussi bien, me blesse.

- D'accord me dit Tarek, mais tu as été quand même amoureux plusieurs fois, ça n'a jamais fonctionné pour toujours ?" 

Il y aurait beaucoup de choses à répondre à ça, beaucoup de nuances à apporter mais d'un bref aperçu sur ce que j'ai été et ce que je suis, j'ai envie de répondre à Tarek que si ça n'a pas tenu ça n'a jamais été de ma faute. Je sais que c'est une pensée très orgueilleuse, infiniment orgueilleuse et cruelle, mais je dis ça à Tarek.

Je comprends que le temps qui passe - qui scalpe tout inexorablement - fait qu'il est presque impossible de garder une intensité de départ dans l'emploi de nos toujours. Et pourtant, il y a quelque chose d'impérieux qui tambourine en moi et dit à Tarek : Je n'ai jamais l'impression que ce soit de ma faute.    

Mais peut-être au lieu de faute, faudrait-il employer le terme : volonté.

 

30.10.05

 

Très fiévreux de tout le week-end, je n'ai pas su faire grand chose. Parfois quand je pense à mon papa, les larmes me montent aux yeux. Je souffre d'un manque de signes, d'espaces ou de moments à percevoir sa présence même en filigrane, comprendre qu'il ouvre des portes, aiguille, intercède. J'ai du mal à admettre aussi ce flot continu de petites déchirures qu'est la vie, ce manque de correspondances entre les moments passés et la vie d'aujourd'hui. L'autre soir X m'a demandé ce dont j'avais manqué dans l'enfance. J'ai eu envie de lui répondre que je pourrais aller chercher jusqu'à très loin au fond de moi le manque de m'endormir dans ses bras, mais bon, j'ai joué le jeu, et à son grand étonnement j'ai répondu : rien. Il m'a semblé ne manquer de rien dans l'enfance ; grande production de vignettes heureuses. Et puis comme le dit si justement François (Truffaut) dans le monologue final de L'argent de poche, c'est après que ça se gâte, par un drôle d'inversement les personnes qui ont eu une enfance heureuse semblent moins bien armées pour la vie. Tout d'un coup je me suis retrouvé seul avec la mort de mon papa ; il n'y avait pas de frères et soeurs avec lesquels continuer à habiter quelques souvenirs ; à simplement poser deux ou trois chaises dans quelques souvenirs ; ou les habiller d'un châle de larmes ou d'un gilet de rires les soirs de grand froid. J'étais tout seul. Je rentrais le soir et voilà, il n'y avait que l'écriture ou les cent pas sur le boulevard.

Alors parfois j'aimerais bien sentir un signe, quelque chose qui tout en faisant resurgir une part de passé guide mes pas au travers des brumes présentes, et puisse me sauver de ces moments perdus où je n'ai même pas la force de répondre au téléphone pour les affaires courantes, pour les ami(e)s qui cherchent à me joindre et à qui j'en veux, peut-être, de n'être pas mes frères et soeurs.  

 

Samedi soir j'étais tellement fiévreux que j'ai failli glisser de l'accoudoir du canapé où je m'étais perché ; il y avait ces deux filles (jolies) qui parlaient de la neige - mais pas en termes poétiques, je veux dire : l'une s'interrogeait : est-ce qu'il y a déjà de la neige ? Et l'autre lui répondait crânement : Oui, oui sur le glacier" ; il y avait Y qui racontait que bien qu'il ait vécu sept ans avec une femme, le fantasme de toutes les femmes restait de "se faire prendre par un voyou à grosse bite sans manières et rustre" - et ce constat de Y m'a beaucoup remué ; il y avait Z qui venait me voir toutes les cinq minutes pour me demander si je voulais d'une fille très belle - grande brune au visage de faon et aux yeux chinois - et je ne voulais de personne mais Z insistait et venait encore et encore me trouver pour me dire : Tu es sûr que tu n'en veux pas ? Parce que vous iriez bien ensemble ça saute aux yeux...mais bon si tu n'en veux pas je vais tenter quelque chose parce qu'elle a des lèvres on dirait des petits coussinets...Tu te rends compte, des petits coussinets !" ; Au téléphone Matthieu (C) me racontait que les filles aujourd'hui sont carriéristes, qu'elles ne se laissent plus emporter même pour les choses agréables, et que de toute façon la plupart des femmes respire l'ennui : "Tu ne les as pas encore touchées que déjà tu sais que tu vas t'ennuyer au lit !" ; pour finir par me dire : "Tu sais Jérôme, faut arrêter de dire que la vie est décevante, ce n'est pas la vie qui est décevante ce sont les gens !" ; J'ai juste trouvé la force de remonter le moral d'Emilie qui, en larmes à cause d'un crétin, se mouchait dans un tas de contraventions à l'arrêt ou au stationnement ; et j'ai donné à Florence le DVD de Bande à Part de Godard en collection Criterion que j'étais venu lui apporter. En rentrant à pieds vers minuit et demi j'ai relu les notes prises dans mon carnet suite à l'après-midi passée avec Tarek. J'ai parlé de quelqu'un à Tarek et je lui ai dit : Si elle me le demande, je serais capable de l'aimer pour l'éternité. Et Tarek m'a répondu aimablement : jusqu'à la prochaine !

Alors j'ai noté la formule complète que j'ai trouvé belle : "Pour l'éternité jusqu'à la prochaine", belle parce qu'on ne sait pas si l'on parle avec défaite d'une prochaine personne (le sens de Tarek), ou de la persistance du sentiment malgré l'arrivée d'une prochaine éternité.

Et puis j'ai dit à Tarek qu'il faudrait écrire un livre ensemble qui rende compte de nos conversations où bataillent férocement nos points de vue opposés ; et que l'on pourrait appeler ce livre : Pour l'éternité jusqu'à la prochaine.

Dans une page entière de mon carnet moleskine j'ai aussi écrit que Tarek était un patient du réel (en assumant le double-sens du mot patient) et que pour ma part j'étais plutôt un impatient de l'imaginaire, un insurgé du réel.  

Sur la page d'à côté j'ai écrit : C'est la démission du réel qui donne un corps et une impulsion à notre imaginaire. 

J'ai laissé deux trois pages vierges, et j'ai écrit enfin : Je ne me satisfais jamais de ce qui apparaît aux autres merveilleux.  

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