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03.07.03   A vau-l'eau. J'ai perdu en un tour de clic cinq ans de lettres liées à ce Journal en ligne, lettres fleuves bouleversantes, simples mots touchants, correspondances inestimables, enthousiasmes solides, amitiés naissantes, lettres d'insultes, réactions épileptiques, soutiens fidèles, confessions brûlantes, inombrables mots liés à ce que je suis devenu - en marche - perdus à jamais, ce qui m'a profondément affecté. Il y a deux semaines Töve a eu la mauvaise surprise de voir effacer par une tierce personne la série numérique parmi les photos que nous avions faites en studio, elle m'a appelé quelques jours après pour me le dire et a ajouté très joliment : - J'ai été si triste que c'est à peine si je peux en parler aujourd'hui."  Montmartre. Sylvie dit qu'elle ne cuisine jamais sauf quand je passe la voir, elle dit qu'elle est persuadée que quand je suis chez moi je ne mange pas mais je grignote, alors elle me fait quelque chose de sain et de solide, avec du fer, comme aujourd'hui des lentilles, des petits lardons et des carottes. Et puis, comme dessert, elle me demande si je veux un Petit filou, je dis oui mais comme ce sont les yaourts destinés à sa fille, j'ai vraiment l'impression d'être un petit filou.   

 

07.07.03   J'ai écrit l'adaptation française de la chanson italienne "Tu" que Cerena et Umberto Tozzi ont chanté ce soir dans l'émission de variétés sur France 2, à Rome. Bien entendu c'est un travail tout à fait différent que lorsque j'écris un texte où l'on me donne carte blanche, ou bien sur une musique où je trouve suffisamment de place, d'à-propos, pour y entrer de mes préoccupations, autrement il suffit de trouver une formule ou des idées qui servent la musique et frappent l'esprit. Cependant je ne suis pas partant de saturer les chansons d'idées, de narrations ou de bons mots, enfin ça dépend de l'interprète, de la musique, du contexte, mais pour une chanson de variétés comme celle-là il suffit d'une astuce, pour que la chanson reste claire et en même temps l'élever un petit peu, une seule astuce me suffit, et donc là j'avais trouvé, comme la chanson est rythmée par les "Tu" (qu'on prononce Tou en italien), qu'à la fin de son paragraphe Cerena chante : "Pour toi je me sens prête à...." et à ce moment précis qu'Umberto Tozzi enchaîne avec : "Tu, quanti anni mi dai...". Seulement en direct, ça a marché une fois sur deux, la première. La suivante, Umberto dans le feu de l'action a oublié d'anticiper son passage pour jouer l'astuce de la chanson : Pour toi je suis prète à ...Tu - astuce qui n'existe pas dans la version traditionnelle - et bon, je dois dire que mon impression d'ensemble est un peu tombée à l'eau.   

 

Sèvres-Babylone. D'une main blanche je draine le rideau de voile et colle mon front à la fenêtre - ce quartier que j'aime et où j'ai habité plus de quatre ans, de l'autre côté du square. Elle a demandé à me voir parce qu'elle n'allait pas bien, enfin pire que pas bien, pas bien du tout. Dans le métro sur le trajet il y a eu un moment incroyable, une vieille femme très digne assise dans la rame, et dans le reflet de la vitre du wagon, cette même femme au profil fin, beaucoup plus jeune, sa jeunesse dans le reflet, complètement séparée, comme revenue. La vieille femme restait perdue dans des pensées muettes, voyageuse comme une autre, et au contraire le reflet bien plus jeune, à la vie propre, semblait rire comme si elle discutait avec une bande de camarades, bien qu'il n'y eut de place que pour elle et son rire déployé, communiquant, dans l'espace qui contenait son reflet. Sèvres-Babylone, le front soucieux. Je quitte la fenêtre et retourne m'asseoir quand elle revient avec le thé - qu'elle manque de renverser. Oreilles d'elfe qui dépassent de ses cheveux noirs, raides et longs. Pantalons rouges. Je remets aux Boulevards - Raspail et St-Germain - ma propre tristesse dans le récit de la sienne. Et puis je fais ce que je fais toujours dans ces cas-là, avant de partir, je repère sur l'étagère un livre dont le titre sur la tranche est retourné, comme une tortue sur le dos, et je remets le livre à l'endroit ; et je lui dis que tout ira mieux, maintenant.   Dernier vendredi de juin. Il y avait beaucoup de monde autour d'elle, comme sur les photos où il y a trop de visages pour le cadre et certains mangés, entamés. Je me tenais toujours au bord, pas très loin. Dans son périmètre, son champ de vision. Je voulais qu'elle m'emporte dans son étui. Qu'elle nous range, ma tristesse et moi, entre ses bras. Je l'ai laissée me disperser sans dire un mot.   

 

15.07.03   Piqué par la groseille verte. Je lui parlais des groseilles vertes qui poussent au bord des chemins détournés que j'empruntais pour lui dire que je voulais qu'elle me prenne dans ses bras.   J'entends la pluie, et tend le bras par la fenêtre ouverte (sur la cour), mais de pluie presque pas ; dès que j'ouvre la main, illisible jusqu'au bruit.Robert m'envoie des cartes postales du Québec, j'en mets partout les livres ; ces cartes postales deviennent les signets officiels des livres que je promène dans les rues de Paris - car les grands auteurs ont droit à leur promenade - d'autres ont bien des animaux de compagnie comme on dit, et comme je hais les clebs, et que les chats me jalousent, hé bien je sors Salinger, Nabokov, Virginia Woolf, comme d'autres font faire le tour du pâté de maison à Médor, Grisou ou Pupuce. Vendredi c'est mon anniversaire. De tout temps ce petit événement pour mes proches a été une torture, car il est extrêmement difficile de me faire un cadeau qui me plaît. Je ne suis pas quelqu'un de difficile mais s'il faut une fois dans l'année être de mauvaise grâce, hé bien je choisis ce jour-là. Et je ne sais pas mentir quand j'ouvre un paquet. Ca se voit tout de suite sur mon visage. Et plus j'essaye de sauver l'intention de mon visage par des commentaires enjoués, plus ça tourne au massacre, c'est terrible. Comme Vendredi c'est mon anniversaire donc, et qu'on joue Jeudi soir en concert, j'ai bien envie d'apporter des gâteaux, enfin je veux dire des trucs d'enfant comme des Savane de papy Brossard, et faire un truc un peu décalé comme mettre des bougies sur le gâteau marbré et en offrir au public entre deux chansons ; l'idéal serait qu'on puisse subitement éteindre toutes les lumières de la péniche et qu'il ne reste plus que les éclairages très Kubrickiens des bougies monoprix sur le Papy Brossard, comme dans ces grands moments de solitude dans les pizzerias de quartier, sauf que là c'est sur une péniche alors c'est so paris. Enfin bon, je réfléchis sur mes spectacles. C'est du grand spectacle.   Les héros de roman poursuivront jusqu'à Odéon. Dans l'haletant Journal de Stéphane Million il y a eu récemment cette phrase qui me marque beaucoup : Je ne suis pas de ceux qui nuisent à mes amis. Je trouve ça très valable, me range de ce côté-là aussi, (et plus on a conscience des dégueulasseries dont certains sont capables, plus on se range de ce côté-là) et je crois tout à fait Stéphane quand il écrit cela, parce qu'il est aussi question d'écriture dans cette déclaration, un type lâche ou qui ne pense pas ce qu'il dit, ou encore qui n'est pas en accord avec ce qu'il proclame ne pourrait pas écrire de manière si fulgurante, si verticale : Je ne suis pas de ceux qui nuisent à mes amis. Il n'y a rien à dire après ça. On a juste envie d'être l'ami de Stéphane. Par contre, toujours dans son Journal, quand il écrit : Je suis sur le marché de Coulommiers..., j'ai toujours envie de lui répondre : - Tu es sur le marché de Coulommiers ? Hé bien rapporte m'en un !"   

 

18.07.03   J'étais captivé par sa douceur et il m'aurait bien fallu plusieurs longueurs dans la nuit, oui dans la nuit plus d'une traversée de la ville, pour égarer le sentiment de sa douceur aliénable. Je suis rentré du concert avec Jean-Vic et Mathieu, des traversées encore, toute ma vie comme ça dans le quartier, ça délie le coeur, c'est inépuisable, itinéraire scrupuleusement choisi selon la mythologie sentimentale, Mathieu a tel souvenir ici, rue de l'Echaudé, et moi mes fins d'adolescence à la casse boulevard Saint-Germain. La vie a beau être lâche on ne remet pas en doute la sincérité de ses fantômes. Boulevard Saint-Germain le bruit insupportable des nouveaux cafés tape-à-l'oeil qui enlaidissent le quartier, le nouveau look du Mabillon bête à pleurer et le café le Pré, rue du Four, une horreur exotique avec sa faune peinturlurée, Saint-Germain des prés devient Saint-germain des brèles, dégueulasse dans sa nuit rejouée on silicone les fêtes, mais où aller alors sinon pleurer sur les années perdues, tous ces cycles de vie, ces personnes chères et chéries qui ont disparues de notre vie la même année que telle enseigne, tel café qui fut repère de tant de confidences et d'aventures, tel café balayé par la hype et relooké en pute des samedis soirs clinquants. Ah oui et elle est à pleurer aussi, dans un sens opposé, tout autre, la douceur des amis ; et sa douceur à elle ? Elle partait pour l'Espagne quatre heures après qu'elle m'ait laissé un dernier mot.   

 

22.07.03   Dîner au Cannibale, rue Jean-Pierre Timbaud, sous l'égide de Stéphane, nouveau prince des lettres qui enquille les cocktails chihuahuas avec une joie de vivre qui repousse à plus tard les lampées de désespoir. Je parle un peu avec Régis Clinquart et Philippe Jaenada, en ayant l'impression de profiter bien peu de leur présence, mais le dîner disperse les conversations et c'est la première fois que je les rencontre alors je suis un peu en retrait je suppose au feu des premières fois. Il y a une très jolie fille qui s'appelle Sandrine, vêtue d'une robe rouge pâle, et qui commence, revue Bordel oblige, à parler de la prostitution, des maisons closes, et en vient à dire qu'il serait intéressant pour une fille de pouvoir payer un garçon pour faire l'amour, qu'il y a quelque chose d'intéressant dans ce fait de payer un garçon, et que de toute façon, pour elle, l'affectif, elle a déjà donné. Je suis quand même un peu sonné par cette idée, enfin je veux dire j'ai quand même envie de dire à cette fille qu'il y aurait sans doute des types par centaines qui seraient prêts à payer (de leur vie) pour avoir ne serait-ce qu'un début d'échange affectif, d'aventure amoureuse avec elle, qu'on ne peut pas parler comme ça vraiment, que justement c'est ça qui reste à la fin, l'affectif, c'est le plein soleil du désir, le vrai pays de ce qu'on devient ; oui le vrai pays de ce qu'on devient mon amour, et qu'il est triste de se priver quand on tient noué à soi comme les deux bras d'un pull quelqu'un qu'on croit aimer, se priver de le lui faire entendre et que d'ailleurs des tas de gens seraient prêts à mendier pour ça, ce trésor qu'on leur dise un jour ou je ne sais pas moi qu'on leur envoie par Texto qu'on est amoureux d'eux, irrévocablement, absolument, tragiquement amoureux. Je ne tiens pas ce discours à Sandrine mais l'idée y est sur ma tête décomposée, et Philippe la relève tendrement.     

 

26.07.03   Quand j'arrive dans le bel appartement de Montparnasse et que je vois le buffet dressé je comprends que je n'ai rien avalé de solide depuis trois jours, juste une truffe au chocolat dans la nuit de mercredi à jeudi, à deux heures du matin en terrasse de chez Bertillon, Ile Saint-Louis quelle douceur ; rien avalé que des cafés, un verre de Brouilly, et du thé Pu-Erh qui a une consistance solide et qui allié à la souffrance du coeur finit par remplacer ou dégoûter du reste. On me tombe dans les bras, des filles plutôt jolies, avec les soucis en tête j'en ai presque oublié que j'avais ce succès, facile comme une après-midi de mai. Camille, très fine avec de grandes mèches de cheveux noirs sur des yeux gris, me traîne de phrases en phrases en guettant la moindre étincelle, le moindre aveu de désir, il faudrait peut-être l'embrasser à pleine bouche dans une pièce isolée, les escaliers, sous le porche, ou mieux prétexter de l'accompagner sur le boulevard chercher des cigarettes (c'est ce qu'elle voudrait semble-t-il), mais là pour le coup j'ai vraiment envie de faire ma Sandrine, et de dire que l'affectif, vraiment l'affectif, à part user et faire chiquer du temps, allez reprenons nous, l'embrasser sous le porche, je ne sais plus si je le fais. Un type grand et sec m'a vu dans la péniche l'autre soir avant le concert, discuter avec elle, et deux de ses copines, et me dit qu'on formerait un très beau couple, le couple parfait elle et moi ; j'ai envie de le gifler, je ne sais plus si je le fais. Une fille dont j'ai oublié le prénom me dit que je suis la personne la plus poétique qu'elle ait jamais rencontré ; j'espère qu'elle ne s'attendait pas à ce que je lui parle en vers... Quand on est un peu désemparé et qu'on fuit des rencontres qui pourtant se chargent de vous, on démissionne des conversations, on se réfugie près des bibliothèques Ikéa et on fait l'inventaire de la tranche des livres et de celle des disques, tiens j'écouterais bien une chanson qui s'appelle Standing outside a broken phone booth with money in my pockets, je ne sais plus si je le fais. Il y a une toute jeune fille, dix-sept ans peut-être, qui s'approche de moi tandis que je lis sur la tranche d'un livre : Ada ou l'ardeur (une dédicace de moi à l'intérieur, bon enfin je ne sais pas si on peut parler de dédicace parce que je n'ai pas écrit Ada quand même, donc un mot), elle a dans les mains une assiette de salade de fruits qu'elle dit avoir spécialement préparé à mon intention c'est gentil, et m'exhorte à en goûter, reste plantée devant moi, je ne sais plus si je le fais. Enfant, elle grimpait dans les cerisiers, jouait avec les branches des cerisiers en fleurs. Anaïs me roule une pelle ("cadeau d'anniversaire", charmant !) me donne son numéro de téléphone, elle veut le marquer dans la paume de ma main, à l'encre violette, et je réponds : "ça va pas la tête", elle me dit que je peux l'appeler quand je veux à n'importe quelle heure du jour et de la nuit, je ne sais plus si je le fais. Il me faut rentrer déjà. J'étais sorti sur un coup de tête, vraiment dans un état de colère sourde avec la vie. Dehors, le poids du réel. Je ne sais plus si je le fais.   

 

27.07.03   Ô je voudrais tant que les choses rentrent un peu dans leur ordre (même précaire). Jean est rentré rue de Seine. Portrait en tenue d'académicien, tête nue sans le tricorne. Je pensais que la photo était plus grande, chez Roger Viollet. Là, Jean est de retour, galerie Anne-Julien. C'est bien. La rue de Seine reste valable - et la rue de Buci impossible. Pour lui faire plaisir hier soir, j'ai essayé de manger un peu mais du coup, un poids énorme, atroce sur l'estomac et je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit. Manger ou dormir, depuis quelque temps c'est tout l'un tout l'autre. Je sors de la librairie La Hune des livres pleins les mains, parmi lesquels Les vagues de Virginia Woolf, magnifique, on comprend pourquoi Marguerite (Duras) pourtant si intransigeante avec ses contemporains adorait Virginia, parce que rien que dans les premières pages des Vagues on trouve L'été 80, Le ravissement de Lol V.Stein et La maladie de la mort ; Virginia Woolf donc, essentielle, et les poèmes à la fois très bruts et très fins de Henri J.-M. Levet ; je sors de La Hune donc, et me fait héler par une jeune femme en voiture, boulevard Saint-Germain. Comme je suis de plus en plus myope - par choix esthétique, dans le quartier - j'attends que mon prénom soit lancé plusieurs fois de suite pour m'avancer vers l'auto. A son bord une jeune femme qui ressemble un peu à Liv Tyler et qui étrangement, comme une star de cinéma le ferait certainement, me vouvoie avec fraîcheur : - Jérôme, vous vous souvenez de moi ?" Je réfléchis un peu et réponds : - Oui, un jour je n'ai vu que vous. " Place Saint-Sulpice où je vais lire une heure il y a une chorale américaine qui se fait prendre en photo et entonne quelques couplets et refrains de "Thank U for the music", j'en ai pratiquement les larmes aux yeux, les voix sont si belles à l'unisson, je voudrais qu'elle soit là, la prendre dans mes bras, mes bras qui sans l'espoir de la tenir entière sont comme deux pinces géantes et maladroites tout le temps dont on aurait affublé l'océan, tiens samedi à parcourir avec elle le chemin des albums photos de Jacques-Henri Lartigue, au sixième étage du Centre Pompidou, j'étais si bien à ses côtés, j'aurais voulu que Lartigue eût vécu 800 ans, oui huit cent au moins, et que tout se termine comme sur la dernière page, par le soleil de ces histoires qui finissent bien...Puisqu'elle dit que j'ai ce pouvoir. De faire que les histoires se finissent bien.   28.07.03   Something's not in orbit in the capital of this galaxy.   Café Le Fétiche, rue d'Auteuil. L'autre soir en terrasse devant des verres de Brouilly, on se débrouille, se dégourdit les sentiments ; Mathieu, Jean-Vic, Damien qui passe et David qui sort du travail, élégant dans son costume d'été.Jean-Vic est révolté par le comportement de son américaine : - On va s'immoler par le feu devant un endroit emblématique du terrorisme féminin. Tiens les locaux de Marie-Claire, tout ce qu'il nous reste à faire c'est s'immoler par le feu devant les locaux de Marie-Claire, avec leurs tests à la con..." - On voudrait rester éternellement dans le début de l'histoire, dit Mathieu.- On voudrait rester éternellement éternel", dis-je.   C'est un soir d'été. A Paris. Fin juillet 2003.   Je parle un peu de son visage, dans les grandes lignes. - Je ne me lasse pas de son visage. Je lui découvre toujours de nouvelles expressions. Je l'oublie à chaque fois qu'on se quitte, et je n'ai plus qu'une idée en tête, y retourner, y revenir au plus vite. C'est un pays dont je ne parle pas tous les dialectes. C'est le pays de mes sourires. Enfin, je ne me lasse pas de son visage. - Hé bien, empaille-là !" intervient Jean-Vic, toujours très excité contre son américaine. Mathieu parle d'Agnès vers qui il retourne, peut-être, doucement : - Je me rends compte que c'est la fille que j'ai envie d'appeler quand j'ai des trucs à dire."   Son américaine lui a signifié que tout était allé trop vite, l'attachement, l'amour, l'exigence de se voir, bon alors qu'objectivement c'est elle qui lui a quand même sauté dessus le premier soir, l'a emmené chez elle, allez hop au lit tout nu etc., mais question sentiments c'est allé trop vite comme elle dit, hé bien oui ce sont les spermatozoïdes de l'éternité, les sentiments, et puis de toute façon son américaine elle compte faire passer son activité professionnelle before les sentiments, comme dans le film Un monde sans pitié, et puis elle compte rentrer aux Etats-Unis, enfin bon, c'est dégoûtant mais c'est comme ça, Quelque chose ne tourne pas rond dans la capitale de cette galaxie et ça met Jean-Vic au désespoir : - C'est quoi leur problème ? J'ai l'impression qu'aujourd'hui les sentiments c'est démodé, l'engagement amoureux, la courtoisie, c'est démodé. Au lieu de dire à une fille : Je t'aime, il vaudrait mieux lui dire : hé bien, écoute, je ne sais pas si on aura le temps de se voir cette semaine ! Et moi, si j'ai envie de lui dire je t'aime, qui va m'en empêcher ? ! Et même si j'ai envie de me marier deux jours après que je sois sorti avec elle, hé bien je me marie avec elle, pourquoi pas ? Pareil si j'ai envie de divorcer trois jours après, hé bien je divorce, merde ! C'est vraiment la seule aventure encore valable, l'amour, c'est vraiment le dernier truc sur lequel on a encore un peu de liberté d'action... - Oui, dis-je, c'est ce qui sauve tout le temps. Par les rues, dans nos voyages incessants d'un temps à l'autre de nos souvenirs. C'est ce qui fait l'identité du moment et de nous-mêmes, c'est ce qui fait l'avenir, hors de toute emprise de la société, du temps, de la règle."   Quelques jours après, une fois que la page est tournée avec l'américaine, Jean-Vic me dit : - Ah et puis quand même, comme cadeau d'adieu je lui ai offert ton disque. Qu'elle s'écoute en boucle Le jeune homme changé en arbre, ça peut pas lui faire du mal ; qu'elle les prenne dans la gueule, le jeune homme et l'arbre ! Dans le soir marchant vers le Piano Vache, depuis le Petit-Suisse, nous arrivons Place des grands hommes, et Jean-Vic lit l'inscription sur le fronton du Panthéon : - Aux grands hommes la patrie reconnaissante. Mais c'est nous, ça, les grands hommes ! Ah si seulement il pouvait être marqué : Aux grands hommes la femme reconnaissante.. !"   

 

31.07.03   Je l'ai raccompagnée longeant le grand mur de pierres. Suis rentré à pieds pas la rue de la Convention vers trois heures du matin, traversé le pont Mirabeau.   

J'ai tort. J'agis mal. Je devrais cacher la profonde tristesse que me cause l'interruption de sa présence sous un vernis de désinvolture. Comme font les gens.   

Elle part dimanche.   

Pour un mois et demi.   

Dans le sud de la France, puis Washington.   

Je rentre rue d'Auteuil, impossible de trouver le sommeil ; je re-sors vers cinq heures voir ce que le début du jour donne. Quand plus tard je croise les éboueurs, je crois entendre l'un d'eux dire à son collègue en me désignant : - Un homme à la mer !"   

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