13.05.03 Rupture avec X. Je n'ai pas parlé des moments de bonheur - par pudeur, tempérament - ou je les ai évoqués, disséminés ça et là dans l'écriture comme des cailloux blancs ; des inouïs moments de bonheur, de passion inaltérable, de vie avec elle, je n'en ai pas parlé ici ; alors je ne parlerai pas non plus de l'infinie tristesse qui aujourd'hui me submerge, me démolit. Il y a juste cette particularité physique : je n'arrive plus à dormir, je ne mange plus rien depuis trois jours. Il n'y a que le thé qui passe. Alors je suis sorti tout à l'heure pour aller acheter du thé, beaucoup de thé, j'ai remonté l'avenue Mozart et à peine mis le nez dehors que mes jambes ne me portaient plus, je tremblais de tous mes membres et mes yeux ont pleuré de tout le chemin. A peine si j'ai pu articuler deux mots dans la boutique de thés. Le plus difficile va être de la désapprendre. Désapprendre l'idée d'elle, la nécessité d'elle, l'envie d'elle. Désapprendre l'amour absolu qui ne connait pas sa chance.
La désapprendre au jour le jour. Alors qu'on passe toute sa vie à apprendre, que c'est justement ce qui fait le sel de la vie, apprendre, c'est comme contre nature de désapprendre, intolérable de peine. J'ai effacé de tous mes répertoires ses numéros de téléphone - une chance que je ne les connaisse pas par coeur - pour ne pas être tenté de la rappeler, parce que vous savez bien, dans ces cas-là, tout ce qui est dit vous paraît toujours de trop ou pas assez, enfin on est toujours insatisfait - jusqu'au dégoût très vite. Je me jette dans le travail, dans l'écriture, mais ça ne m'aide pas du tout parce que comme je dis souvent : je n'ai pas des occupations - ou un métier que sais-je - qui me permette beaucoup de recul sur les rapports amoureux. Le seul avantage est au niveau de la diététique : on perd naturellement du poids, avec beaucoup de facilité, dans les moments de tension inverse quand on tombe amoureux et quand on subit de plein fouet l'insurmontable raz de marée d'une rupture. J'ai du chagrin comme jamais. Les nuits s'annoncent impossibles.
14.05.03 Le sommeil ne prend pas. Etendu dans la nuit noire, il faut trouver une pensée, même une notion - apaisante et vers laquelle s'engouffrer tout entier dans le sommeil, mais ça ne marche pas, au bout d'un instant on sait que ça ne marche pas, c'est donc auprès des femmes que j'ai appris à dormir. La pendulette à cristaux liquides marque le cap des trois heures, là où la nuit verse ; vers cinq heures ce sont les pépiements agaçants des moineaux, rouge-gorges, mésanges et toute cette oisellerie nerveuse dont je me passerai bien - et qu'on n'entend pas d'habitude. L'écriture fait gagner quelques secondes sur le vide. Il y a bien la lecture mais elle semble inefficace, et la lecture de quoi d'abord ? La fréquentation des grands insomniaques : Cioran, Dostoïevski ? En profiter pour terminer Proust ? En même temps c'est un peu con de lire La recherche quand on a tout perdu.
15.05.03 Ce qui me manquera d'elle aujourd'hui : Les inflexions de sa voix qui n'existent que pour moi. Penser que c'est elle qui arrive - à l'improviste et à une heure pas possible, quand la minuterie de la cour de l'immeuble se déclenche, et que oui, c'est bien elle qui arrive. Le jour où je me suis aperçu que je dormais mieux dans son grand lit que chez moi, mais où je n'ai - évidemment - rien dit. . Quand elle m'engueule parce que je ne lui ai rien offert pour son anniversaire - mais qu'elle était ce jour-là à Perpète les oies - alors que je n'arrête pas de lui faire des cadeaux, tout le temps. . L'entendre parler à des tas de gens au téléphone, puis revenir lentement vers moi, comme l'océan. La pointe dure de ses seins qui, au-dessus de moi, balance doucement dans la nuit.
16.05.03 Elle me téléphone dans la nuit, exténuée, au bord du chagrin. Je lui dis qu'elle est ma barque. - Une barque bien pourrie." me répond-t-elle dans un sanglot. Je ne la contredis pas.
18.05.03 Christian me téléphone très gentiment depuis la Suède, et m'explique (tout en finesse) : - Dans Friends quand Chandler il se fait larguer, ses amis, ses friends quoi, ils font passer son rétablissement par plusieurs étapes : la première c'est la crème glacée sans sucre ; après c'est la crème glacée avec sucre ; ensuite ils l'emmènent dans une boîte de strip-tease et là il se rend compte qu'il peut bander pour d'autres filles alors il est guéri !" Puis Christian ajoute après une courte réflexion :
- Hum, toi je crois que tu n'as pas encore dépassé le stade de la crème glacée sans sucre. "
23.05.03 Période bleue :
A-t-on trouvé l'amour dans cette vie si courte ?
Pas d'amour ou tout juste un peu de sensation
Pareille à cette jupe je veux dire aussi courte
Et qui fait à elle seule sa petite sensation.
25.05.03 Les pensées sombres mais les yeux clairs. Fatigue. A côté de moi, Antonin Artaud (dernière période) passerait pour Justin Timberlake. Je suis rentré à Auteuil et ai eu une surprise désagréable en voulant faire couler un bain chaud. Un problème avec l'installation électrique. J'ai appelé EDF mais ils sont encore plus nuls que moi, ils me disent que ce n'est pas de leur ressort et qu'il faut appeler un électricien privé ; je me demande à quoi sert qu'ils mettent sur leur facture un numéro de dépannage. Il faut que je retrouve une fertilité d'esprit pour l'écriture, les textes de chansons, les nombreux projets que j'ai sur le feu. Je m'emmerdai tellement samedi soir à la soirée de X - et j'avais tellement mal à l'estomac - que la seule phrase que j'ai dite est : "Quand je pense que Robespierre n'aura jamais connu le Coca-Cola." Töve - dont j'admire le travail et dont les autoportraits mis en scène ornent la pochette de mon dernier disque - voulait me prendre en photo et elle disposait d'un studio entre Sully et Bastille, donc nous avons fait cette séance qui a duré près de cinq heures, tous les appareils y sont passés, des plus préhistoriques et sublimes au détachement du numérique, et au départ j'avais l'idée de mettre une légende sur la photo, en fait je voulais mettre : "Le héros de l'histoire a toujours les yeux bandés", et donc je voulais me masquer les yeux avec une espèce de foulard blanc, de ceux qui pendent dans les films de corsaires aux yeux des condamnés quand ils s'avancent menacés par l'épée d'un Jean Bart d'Hollywood sur la planche qui les conduira immanquablement dans les eaux sombres, vertes et pleines de poissecaille si possible sanguinaire, et puis en exposant mon idée à Töve je me suis rendu compte que ce serait mieux finalement qu'on laisse tomber le foulard, que ce serait trop démonstratif, qu'il suffirait de faire un portrait normal et d'inscrire en dessous : "Le héros de l'histoire a toujours les yeux bandés".
Ce soir, j'ai aperçu sa longue natte de cheveux noirs. Anne est revenue.
30.05.03 Avant-hier au matin je me suis rendu avec beaucoup d'application dans cette boutique de la rue Gay-Lussac, spécialisée dans les reproductions de toiles de maîtres au format carte-postale. En fait je viens de truquer ma phrase ; au départ j'avais écrit : Avant-hier au matin je me suis rendu avec beaucoup d'appréhension dans cette boutique de la rue Gay-Lussac, spécialisée dans les reproductions de toiles de maîtres au format carte-postale.Après lecture j'ai changé le appréhension, par application, parce que cela convenait mieux à ce que j'avais envie de lire et aussi parce que ce n'est pas faux, je veux dire que je m'y suis rendu avec beaucoup d'application, j'ai pris un café (noisette) en terrasse du Petit-Suisse vers 10h30 et j'ai remonté avec une application - dieu que j'aime ce quartier - la rue de Médicis, ai contourné la Place Edmond Rostand et ai pris pour quelques mètres à peine la sinistre et venteuse rue Gay-Lussac, sur le trottoir de droite. Si j'ai pourtant au départ écrit : avec beaucoup d'appréhension, c'est que je n'étais pas retourné dans cette boutique depuis peut-être deux ans, et je me demandais si elle existait toujours - vous savez, tout fout le camp - si le vieil homme enfoncé derrière son bureau d'écolier trop bas, les doigts et la voix ravagés par l'abus de Gitanes Maïs, et les oreilles défoncées par l'écoute intempestive d'RTL à fond les ballons sur un transistor grésillant qui dût être acheté d'occase au début des années 70, je me demandais si ce type emblématique du quartier, dans sa fabuleuse et incomparable boutique où l'on trouve jusqu'aux oeuvres les plus rares de toute l'histoire de l'art photographiées et reproduites en cartes-postales, était toujours fidèle au poste (grésillant), s'il n'avait pas fermé pour un motif quelconque, parti soigner une maladie incurable ou vérifier si les chérubins de Raphaël existent en vrai, je veux dire : dans le vrai d'après. Hé bien oui, il était là, de manière toute méthodique en lui-même, et j'ai pu donc me procurer pour la somme modique de 11 euros plusieurs Gauguin période bretonne et Maori (kif-kif bourricot), des Nicolas de Staël, des Egon Schiele et des Edvard Munch, quelques icônes russes et ce que je cherchais en fait, une vierge à l'enfant de Cranach, Marie avec enfant et raisins, dont la finesse toute flamande du visage se trouve mêlée à la douceur florentine et romaine, la mélancolie aussi, allemande peut-être, une sorte de "Nice People" de vierge pour ceux qui croient que le mélange européen a été inventé par TF1, et Cranach qui avait un canon particulier de jeunes femmes, un idéal comme le peintre joué par Jacques Perrin dans les Demoiselles de Rochefort, Cranach qui peint les vierges comme il peint Eve ou Judith, lui donne un corps oblong drapé dans une tunique verte olive, de tout petits seins qu'on devine parce qu'on en a vu d'autres (je parle de ce genre de modèles, nues, chez Cranach) le vert olive de la tunique qui fait teinter ses yeux (verts à vérifier), et de longues mains douces et fines à périr, dont l'une cache le sexe de l'enfant et l'autre le soutient tandis qu'il mange un grain de raisin d'une grappe qui symbolise le sang, annonce l'eucharistie et le sacrifice à venir.
31.05.03 Je l'ai regardée dans les yeux sans qu'elle le voie. C'est un exercice très dur. Dur comme tirer de quelqu'un la moustache Sans qu'il le sache. Mais la regarder dans les yeux sans qu'elle le voie C'est encore bien plus dur. Comme un oeuf, sept à dix minutes, Selon : "Je sais cuisiner, le livre sans rival" Dont l'avant-propos est écrit par Mlles H.Delage et G.Mathiot, Qui ne doivent plus être tout à fait demoiselles aujourd'hui, Le temps passe et c'est dur, Comme de la regarder dans les yeux sans qu'elle le voie. Je l'ai regardée dans les yeux sans qu'elle me voie Ou bien je suis très fort ou bien je suis très transparent. Les deux m'arrangent en fait, cela dépend des circonstances.
05.06.03 Lancement de la revue "Bordel" au Hustler Club. Grande réussite pour la soirée de Stéphane - qui est quelqu'un que j'aime beaucoup, d'une grande douceur, et très sensible et généreux, comme ça, instinctivement. Les deux étages de la boîte de Larry Flint étaient bondés, un vrai safari pour les yeux de se frayer un chemin jusqu'au bar, je n'ai jamais autant bu de ma vie d'ailleurs, je veux dire autre chose que du thé, j'ai chargé David de passer les commandes et au total : un grand gin tonic et trois coupes de champagne, après j'ai redescendu les Champs-Élysées dans un état de tension floue, dédoublée, comme un personnage de Francis Bacon. Des filles qui au milieu de la salle se déshabillaient lascivement, virevoltant d'un étage à l'autre par une rampe d'incendie, dans la suite ininterrompue des strip-tease qui me laissaient plutôt de marbre (rose) - mais je sors d'un âpre chagrin - l'une d'entre elles pourtant époustouflante, grande plante longiligne aux tout petits seins dans un fin déshabillé pâle, magnifique et qui termine ses numéros en passant ses doigts fins entre ses cuisses, sur toute la surface du string, dans la pliure de fesses terribles et qui échappe, par on ne sait quel angélisme, au vulgaire ; elle se prénomme peut-être Jesse, François pense qu'elle s'appelle Tatiana. Les filles de Larry Flint ont des prénoms semblables aux pseudos que prennent les filles qui effeuillent leur vie intime dans leurs Journaux sur le net ; pour le strip, on a la piste qu'on peut. François nous prend en photo, Stéphane et moi, pour le magazine Penthouse. Je ne sais pas si au final la photo paraîtra dans Penthouse, mais ce serait rigolo, ça donnera en plus à certaines personnes qui m'aiment bien un prétexte pour l'acheter. Vraiment un côté This is hardcore, pour l'ouverture de "Bordel", d'autant que la silhouette de Frédéric Beigbeder n'est pas sans rappeler Jarvis Cocker ; il se montre spirituel au micro du DJ, déconneur flamboyant pendant que les filles se déshabillent il hurle que "le sexe c'est nul, la preuve c'est que tout le monde peut le faire" et des trucs décalés de la sorte, pas forcément vrai d'ailleurs, j'aime beaucoup par exemple cette histoire du Lord anglais qui dit à sa femme : Chérie, j'espère que vous êtes enceinte parce que je ne répéterai pas deux fois ces mouvements ridicules , et puis moi en ce moment le sexe c'est le cadet de mes soucis, parce que même si en temps normal ça reste l'acte le plus délicieux que je connaisse (juste au dessus de : boire un thé brûlant quand on a très soif, découvrir pour la première fois en vrai une peinture qu'on a adoré en reproduction, lire tout un livre de Marguerite Duras ou une seule phrase de Vladimir Nabokov...) là il faut que je dépeuple toute ma libido de X, de la peau de X, de l'amour de X, alors ça prend du temps, c'est insupportable mais on s'y fait, on espère que l'amour suivant, à venir, sera encore plus troublant, délicieux jusqu'au troublant, c'est la seule condition acceptable pour s'en sortir, peut-être. Frédéric Beigbeder, Nicolas Rey et Stéphane sont tous trois habillés en costume blanc - veste et pantalons - et dans cette faune crépusculaire et feutrée, aux tenues pourpres, sombres et les joues en feu, les lèvres pâles escamotées par les volutes de fumée de cigarette, ils sont comme trois balises autour desquelles se repérer pour naviguer à vue jusqu'au bar. David tombe sous le charme d'une fille - qui, non loin de nous, regarde avec attention le numéro de deux strip-teaseuses ; elle est accompagnée par un type qui, d'après David, ne ressemble à rien. Comme il m'interroge un peu sur cet amour qui s'éloigne, je dis comme ça, tristement : - C'est le coeur qu'on m'arrache. David répond, très fin : - Ca va, c'est pas la bite au moins." Plus tard, dans le métro, la rampe à laquelle se cramponne une jeune femme d'une manière fort statique - débardeur vert, temps chaud, orageux - donne une réminiscence des plus déplacée aux rampes à strip-tease du Hustler club, et cette fille dont le corps fantastique reste dessiné dans ma tête jusqu'à ce que je m'endorme.
11.06.03 Au courrier : du thé vert, précieux, que m'envoie Sanae, du Japon. Elle a joliment enveloppé les deux petits sachets dans une reproduction papier de photos de Françoise Dorléac - plus exactement les clichés que prend Pierre Lachenay de sa jeune maîtresse dans le film de François Truffaut, La peau douce. Je reçois également un exemplaire de la revue Bordel : c'est comme une boîte de chocolat - il y a plein de bonnes choses, de spécialités - et comme dans les boîtes de chocolat il y a les bouchées sur lesquelles je me jette, et celles que je laisse pour après, ou que je garde pour la fin. Je relis mon texte et pense que si je devais le ré-écrire aujourd'hui hé bien je n'écrirai pas : "un embarras un peu honteux". Il y a aussi l'histoire de la table basse, je changerais bien le plateau de verre, pour un plateau en verre. Mais trop tard, c'est en librairie. Pour le prochain numéro papier, si Stéphane est o.k. je proposerai bien des poèmes, parce qu'avec les poèmes ou les chansons je suis toujours sûr de m'être arrêté au bon moment, tandis qu'avec les textes plus longs, quand je les relis, je ne suis jamais satisfait, je vois toujours d'autres angles à approcher, je suis toujours tenté de prendre les poussières sur telle ou telle phrase, je me demande toujours si j'ai bien rendu le mystère sans l'épuiser ou le rendre trop indigeste, enfin dans le cas de Triptyque d'un soir de juin, je crois que ça fonctionne quand même, malgré ou avec les imperfections.
En ce moment je lis le récit autobiographique du grand historien d'art Fédérico Zéri, qui s'intitule joyeusement J'avoue m'être trompé, et le Journal intime de Mireille Havet, oeuvre brûlante d'une jeune poétesse des années 20, amie de Cocteau et d'Apollinaire, parisienne de moeurs libres et de bon goût puisque, pour l'amour, elle préférait les femmes aux hommes ; écriture magnifique, bien au-dessus des tartignolades d'une Sylvia Plath. Dans les trois premières minutes de la Bande du drugstore, le film de François Armanet, le deuxième plan qui montre le visage de Cécile Cassel, quasiment de profil au bord des falaises, et dont on devine la naissance du cou, est d'une beauté à couper le souffle, et tout de suite m'a évoqué Anne, pas Anne dont j'ai parlé plus haut et dont la beauté me transperce chaque fois que je la croise ou l'épie, mais Anne personnage du roman de Jean-René Huguenin : La côte sauvage. Et c'est ainsi qu'il en est de la beauté : qu'elle jaillit toujours par évocations, réminiscences, même la plus spontanée, la plus inattendue, et c'est pour cette raison que la peinture est des formes d'art celle qui me touche le plus car de Bacon à Balthus, de Staël à Piero della Francesca, il n'y a pas d'acte de peindre qui ne se fasse pas dans l'histoire de la peinture, et c'est pour ça qu'on éprouve plus de mélancolie que de désir (sexuel, au début) devant une fille dont la présence nous bouleverse, parce que c'est une brèche ouverte dans notre histoire, notre façon d'appréhender la beauté depuis toujours, c'est de l'ordre du discours - et du discours de l'invisible avec nous-mêmes qu'on trouve tout à coup matérialisé dans l'embrasure d'une fenêtre lors d'une fête épuisante une personne qui nous parle vraiment.
11.06.03 bis. Mea Culpa. Une lectrice ou un lecteur - je ne saurai dire, le mot n'étant pas signé et l'adresse non nominative - m'envoie cette réaction pour le peu autoritaire : "Sylvia Plath n'écrit pas des tartignolades, petit con.
Et ensuite Mireille Havet et Sylvia Plath n'ont pas eu le même destin et n'ont pas de points communs." Exact. Sylvia Plath n'écrit pas des tartignolades - je me suis un peu emporté - mais, comme chacun sait, des Plathitudes.
13.06.03 Ce matin pour la première fois depuis bien longtemps, j'ai pris un petit-déjeuner. Si je devais écrire ma journée pour la rubrique que j'adore dans le magazine Elle, à savoir la page où les filles racontent leur journée et en profitent pour donner deux trois adresses où elles traînent, ainsi Winona Ryder aime aller au marché bio de Santa Monica le mercredi ou le samedi, Maïwenn Le Besco à l'époque où elle écrivait son spectacle prenait ses petits déjeuners au Café Beaubourg parce que le chocolat chaud y est divin, pas trop épais, comme j'aime, et surtout, il y a des prises électriques tout près des fenêtres, c'est vraiment très pratique pour brancher son ordinateur, Laeticia Hallyday rend hommage à son boucher, Mr Tranchand, qui vend une viande magnifique ; hé bien en ce qui me concerne j'écrirai que je ne prends jamais de petit déjeuner à l'exception bien entendu de plusieurs tasses de thé Pu-erh. Ce matin donc j'ai avalé quelque chose de solide - comme la réalité - probablement parce que j'avais du cramique ou du craquelin - je ne sais jamais laquelle de ces brioches est truffée de sucre ou de raisins, et cela me rappelle les beaux jours de vacances - Pâques et la Toussaint - que je passais, durant mon enfance, en Belgique. Tonton Bison m'impressionnait. Dès huit heures du matin, il était attablé dans la salle à manger tout en longueur de la grande maison de Gibecq (près d'Ath) autour d'un véritable festin - pour un petit déjeuner - qui se composait d'oeufs à la coque, de grandes tranches de pain blanc, de cramique (ou de craquelin), de copieuses rondelles de saucisson (des Ardennes), et de barres de chocolat qui m'écoeuraient plutôt car toutes fourrées de liqueurs ou de crèmes pâteuses, blanches, bleutées, verdâtres, plus parfumées les unes que les autres, et qu'il avait par tablettes rangé dans le tiroir inférieur d'un buffet. Tonton Bison et mon grand-père (que j'appelais Papoum) étaient tous deux chauves comme un oeuf. M'en intriguant à voix haute un matin, Tonton Bison me répondit le plus sérieusement du monde, qu'à l'âge de trente ans, mon grand-père et lui s'étaient penchés à la fenêtre pour admirer le paysage (Mon grand-père était peintre et amateur de jeunes femmes, c'est donc plausible) quand soudain, hop, un coup de vent, et plus de cheveux ! 13.06.03 bis. Je n'ai pas pour habitude de reproduire dans ce journal le courrier privé que je reçois à son propos, aussi je prie la lectrice ou le lecteur dont je copie-colle la prose éruptive de bien vouloir ne pas m'en tenir rigueur ; en même temps il s'agit là d'un courrier anonyme. Donc après cette fameuse réaction sur ce que j'ai dit de malheureux, je l'avoue, sur Sylvia Plath, je réponds à mon accusatrice (ou accusateur) par un mot aussi lapidaire que le sien : "Merci pour cette intervention. C'est charmant." Et, à l'instant, je reçois en retour ce mot qui clôt, je pense, notre correspondance car quoi répondre après... "De rien. Ta prétention est sans limites. Quand on écrit pour florent pagny comment peut-on malmener Sylvia Plath ? C'est ahurissant."
14.06.03 Le temps était déplorable et je préférais ça. Il y avait ce jeune garçon, Mick, que Géraldine avait ramené des environs, et qui courrait sur la plage, soulevé, comme si son corps était un cerf-volant. J'avais dormi au premier étage de la grande maison normande, Géraldine m'avait laissé sa chambre, et elle était monté au deuxième, et pour moi le monde s'arrêtait au premier, au deuxième comme si elle avait dormi sur un nuage ou quelque chose comme ça, et je n'avais pas l'ombre d'une minute espéré que nous eussions fait l'amour, même l'amour en nous promettant des choses, parce que j'avais vingt ans et je crois que j'attendais d'elle quelque chose de plus essentiel, c'est-à-dire, à vingt ans, de moins précis. J'avais vu Virginie dans son appartement de Caen, elle m'avait paru triste, déjà à Paris. Le matin j'avais quitté la maison et traversé la digue jusqu'à une cabine téléphonique, mais je ne me souviens plus à qui j'avais bien pu téléphoner, je veux dire : mes mythologies étaient avec moi. En même temps j'étais si triste que dormir dans son lit c'était bien mieux que lui faire l'amour, ou mieux c'était déjà lui faire l'amour, enfin je ne sais pas comment elle eût songé à ça, elle, de son côté, de toute façon. Nous avions fêté l'anniversaire de Virginie, simplement, dans la tourmente. Le vent soufflait par rafales assourdissantes. Mick dansait sur la digue avec une fille du coin. Je ne sais pas si j'avais parlé de ce qui me tuait, je n'aime pas l'indécence, je la trouve toujours fabriquée, chez moi du moins. Déjà à vingt ans je comprenais que je pourrais créer des moments, qu'il suffisait de me mettre quelque part pour que je crée un moment, je dis ça sans vanité, c'est comme ça, et aussi je comprenais qu'à mon contact les gens pensaient que je les jugeais, d'où la haine manifeste, l'embarras dans de moindres mesures, de certains à mon égard, j'étais une sorte de révélateur ou de photographie de leur âme enfin là j'exagère certainement, mais c'est encore le cas aujourd'hui, c'est un truc que j'ai retrouvé en lisant Les Frères Karamazov, chez Aliocha précisément (même si au final je suis plus proche des personnages d'Ivan ou de Kolia...En même temps je suis fils unique, alors vous savez, moi, les frères, Karamazov ou pas ....). Jeudi soir j'ai pris un café rue d'Auteuil avec Jean-Vic, l'ai raccompagné rue de Rémusat, et en rentrant j'ai croisé un jeune couple devant le porche de leur immeuble : ils disaient au-revoir aux parents de l'un des deux qui repartaient en voiture, et avant de s'engouffrer dans l'automobile la mère a dit à l'attention du jeune couple : - Et je vous préparerais un bon petit rosbeef pour dimanche." J'ai pensé que c'était un idéal de bonheur terrestre, mais à vrai dire je n'en suis toujours pas convaincu, et puis ça exclurait du droit au bonheur, toute la ligue des végétariens, par exemple. Où en étais-je : ah oui, la maison de Ouistreham, déserte, et je dors au premier étage, le deuxième et la suite me resteront inconnus, le matin je traverse la digue pour aller jusqu'à la cabine téléphonique, le vent souffle par rafales assourdissantes, la mer est agitée, verte comme l'enfance. Géraldine avait quitté son dernier copain en date avec une cruauté débonnaire et dans la soirée avait pleuré comme une madeleine en regardant pour la première fois Le cercle des poètes disparus ; c'est ainsi que nous allons dans le monde, que voulez-vous.
19.06.03 Elle descend métro Grands boulevards, cheveux d'un noir de geai, visage d'une beauté inquiète. Paupières croquées, rougeurs de fraise. Elle porte des chaussures à scratch particulièrement étranges si elles n'étaient japonaises.
Je m'en veux parce que j'ai dit à X des choses que je n'aurais pas dû dire et, qu'en règle générale, je ne dis jamais de choses que je ne devrais pas dire. Souvent, je n'ai pas besoin de les dire. Tout simplement.
20.06.03 Des Urgences de l'hôpital de Saint-Germain-en-Laye où j'ai conduit mon père dans la soirée, j'aperçois le bâtiment du collège où j'ai passé une partie de ma prime adolescence, et les fenêtres du couloir qui mène à la classe des Troisième orange.
25.06.03 Saisissant aux Urgences l'autre soir de voir l'infirmière à l'accueil porter une minerve - comme de voir un boucher avec un bec de lièvre. J'ai attendu un temps indéterminé, rythmé par l'arrivée d'une mère de famille qui amenait son enfant - suite à un mauvais coup reçu dans la cour de récréation, et les pompiers qui apportaient - en grandes pompes - sur leur brancard comme sur un plateau une femme complètement ivre - elle est passée par une porte à battants pour en ressortir cinq minutes après - pour aller fumer une cigarette, comme l'indique aux infirmières de garde le jeune interne lancé à sa poursuite. L'une des deux infirmières me demande si je veux regarder la télé, et l'autre la prend de haut - c'est ce qu'il me semble - en lui disant que je n'ai pas la touche à regarder la télé ou quelque chose du genre. Je feuillette le Elle avec Sandrine Kiberlain en couverture ; nous sommes pratiquement voisins de chansons sur Ailleurs land : elle a écrit le texte de la 11, et moi celui de la 9 ; pour nos deux cas Daran a crée la musique adéquate. De l'hôpital, le deuxième jour, ils ont fini par transférer mon père à la clinique Marie-Thérèse - où officie son cancérologue, le personnel est antipathique voire infecte comparé à l'Hôpital, il fait atrocement chaud dans les chambres ; ce matin mon papa s'est étouffé et ils sont venus à la rescousse - j'imagine que c'est la moindre des choses, dans une clinique - lui faire un aérosol qui l'a provisoirement apaisé. Lundi soir nous avons joué - très court étant donné les conditions du tremplin, et nous rejouons vendredi pour la finale. Après le concert, nous avions rendez-vous sur France Inter pour faire la promotion de l'événement, Mathieu et Jean-Vic m'y ont accompagné, et je leur ai demandé si ça ne les ennuyait pas d'y aller à pied - promenade dans Paris à une heure du matin, en choisissant scrupuleusement l'itinéraire, l'ordonnance des rues, comme à mon habitude ; je leur ai montré le Passage des Eaux qui est un endroit presque secret et particulièrement expressionniste, et que peu de gens connaissent - à ma connaissance. Dans le studio 135 de la Maison de la radio, Jean-Vic est tombé sous le charme de la jeune journaliste qui est venu à 2h, puis à 3h pour le flash de cinq minutes : Hélène Roussel ; un nom très cinématographique entre Hélène Fillières (que j'adore) et Myriem Roussel. Mathieu me demande mon top 5 des femmes célèbres ; je lui dis : 1/ Charlotte Gainsbourg 2/ Uma Thurman 3/ Nastassja Kinski 4/ ex-aequo Hélène Fillières, Jane Birkin 5 / ex-aequo Lee Miller, Ann Catherine Lacroix. Et maintenant voici le top 5 de Mathieu : 1/ Audrey Hepburn 2/ Christy Turlington 3/ Anna Mouglalis 4/ Anna Karina, et il ajoute "dans Alphaville" 5/ Géraldine Pailhas, et là encore Mathieu ajoute - à mon intention : "ah... tu l'avais oubliée, avoue!" J'ai parlé un peu avec Céline qui m'a cueilli dans une rue adjacente au lieu du concert où, en pleine nuit, fort de mon triomphe au tremplin du House of live je laissais quelques mots d'amour, désemparés et superbes, sur la messagerie vocale de X. Céline m'a réconforté en me disant qu'il faut toujours être confiant en son destin, que si la rupture est consommée avec X, si l'amour ne prend plus, c'est peut-être parce que quelqu'un d'autre m'attend, que le hasard va m'envoyer quelqu'un qui me convient mieux, enfin elle m'a dit ça en y mettant une réserve polie, que c'est toujours en même temps très facile à dire, comme ça. Et je ne me suis pas trop étendu sur ma douleur - la douleur n'étant pas un canapé - pas à cause de Céline mais parce que j'avais en tête l'épisode d'il y a quelques jours où je parlais un peu à Y (qui ne m'a pas du tout facilité la vie) de la maladie de mon père, parce que je devais rejoindre en vitesse l'hôpital, et j'ai vu très vite dans ses yeux comme dans le balbutiement de sa conversation que ma douleur restait très abstraite pour elle - et je n'avais nul besoin à ce moment là qu'on me renvoie cette abstraction - présente mais comment dire aussi anecdotique qu'un objet dans le décor fluide d'une conversation, difficilement partageable ça je l'ai toujours su, mais j'ai compris à ce moment que si pour la joie finalement peu importe les protagonistes, il faut à l'inverse choisir scrupuleusement les personnes avec qui on partage une douleur. Comme j'étais à la fois choqué et intéressé par cette idée, j'en parlais à Christophe qui me téléphonait plus tard, et Christophe traita sans ambages Y de tous les noms d'oiseaux en me disant qu'en plus c'était selon lui ce qu'il y avait de plus facile au monde à feindre, la compassion. Je ne sais pas. J'ai rejoint Stéphane (M) au Petit-Suisse. En ce moment il est dans la grâce de l'écriture et des révélations par l'écriture. Je crois aussi en ce pouvoir. Dernièrement encore, quand j'ai appelé la page de ce chapitre : adele.html, c'était pour faire suite à Ada, mais bien sûr j'avais également en tête le film de François Truffaut, et quand j'ai nommé ce chapitre adele.html, je ne savais pas que j'y souffrirai à l'égale d'Adèle H. les affres comme jamais - mais le coeur est vivant qu'il a la mémoire fraîche - oui les affres comme jamais de la passion amoureuse. Je ne le savais pas mais j'aurais pu m'en défier - peut-être.Après une visite à la clinique cette après-midi, je suis rentré à Auteuil dans la soirée. La fenêtre ouverte sur la cour et le petit jardin. Des oiseaux volaient bas - annonciateurs d'orage ? - tourbillonnaient jusqu'à l'hystérie. Anne avait calmement posé une petite plante sur le rebord de sa fenêtre éclairée.
28.06.03 Finale des Tremplins du House of live. Nous sommes arrivés deuxième. En tout premier, par ordre de passage sur scène, il y avait Constance (à la guitare) : d'une grande beauté insatiable et fragile, douce à inonder le coeur.L'élégance de ses gestes, de son visage quand elle sourit. J'ai dit une bêtise à Mathieu pendant les balances, parce que Constance se tenait de façon à ce que ses bras d'une finesse à périr - mais on voudrait quand même être encerclé par de tels bras, avant de périr - s'arc-boutaient jusqu'aux poches arrières de ses pantalons jeans, et j'ai dit à Mathieu que cette courbure était d'une finesse sans rivale qu'on retrouvait peut-être dans l'architecture de certaines églises romanes ou cathédrales gothiques, et après je voulais répéter sur scène cette phrase mais c'était un peu trop pour être dit sur scène, certainement. Avant le concert, comme nous étions à des tables mitoyennes, j'ai échangé quelques regards avec Constance ; elle a mangé un brownie au chocolat avec une boule de glace à la vanille, et elle m'a dit : - Oui, oui, ils sont délicieux. " J'étais bouleversé par sa présence, empli de souffrance et en même temps dans une sorte d'état de lévitation, enfin vous savez bien, et je ne tarissais pas de chercher son regard, pour le fuir aussitôt car : la regarder était un délice pour les yeux, mais un supplice pour l'imagination. Après j'aurais voulu lui donner ma place sur le podium, mais j'ai un groupe à nourrir - d'émotions - et j'aurais quand même voulu lui dire un mot, ou deux, et puis elle parlait avec un grand type qui profitait du brouhaha ambiant pour se pencher à son oreille tel un saule dans la fraîche immensité d'un lac et elle lui écrivait son numéro de téléphone sur un bout de papier, et après elle parlait encore avec d'autres personnes, et je n'ai pas osé. En rentrant à pieds vers Auteuil une pluie fine précédait chacun de mes pas.
02.07.03. Le flirt c'est la petite délinquance du hasard.