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02.11.00 Dans l'épisode des Sopranos de cette semaine, deuxième saison sur Canal Jimmy, le personnage (et l'actrice qui le joue) de la D-girl, très belle, très excitante...extraordinaire! En parlant de filles, un internaute, lecteur attentif, tient à apporter quelques précisions à propos de la soirée d'Emmanuel que j'ai décrite peut-être un peu trop lestement à la date du 29.10.00, principalement - je dois le reconnaître - un passage que j'ai vécu lointainement, sans saisir distinctement ce qui se racontait, mais qui m'a été explicité par la suite par Christian.Soucieux de rétablir la vérité (du moins une autre version des faits) je retranscris ici son mail dans son intégralité en y laissant en italiques le passage auquel il fait référence: 

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" A un autre moment, Christian attrape au vol le prénom d'une fille, Ariane, une blonde pas trop mal, et dix minutes plus tard fonce vers elle avec un sourire des plus aguicheurs: - Ariane!!! Comment vas-tu?! Tu te souviens de moi? La fille qui se prenait sans nul doute pour la plus belle fille de la soirée, avantage qui en toute occasion donne le droit aux pimbêches et aux connes d'être encore plus pimbêches et plus connes, le dévisage de bas en haut, et s'exclame: - Non pas du tout, on ne se connait pas, c'est con hein?!" avant de déguerpir dans la foule des convives, fière, ridicule et désolante comme une petite miss St-Germain-des samedis soirs. " Ca c'est ta version, maintenant, voilà ce qui s'est réellement passé puisque j'étais juste devant toi: "Ariane !!! Comment vas-tu ?! Tu te souviens de moi?" Réponse: "Quel est ton prénom ?" Christian: "Christian." Réponse: "Mais on se connait d'où ?!?" Christian: "..." Et Ariane est partie en rigolant car Christian est resté comme un con sans réponse. 1/ La fille que tu décris dans ton journal de merde est ma femme 2/ Si toi et tes potes n'arrivent pas à emballer une nana dans une soirée, ce n'est ni mon problème ni le sien. 3/ Elle n'habite pas à St Germain et c'est encore moins une pimbêche (tellement facile à sortir quand on s'est pris un vent en public). Je vais m'occuper de ton cas, j'ai horreur des abrutis qui se la racontent sur Internet... au prochain concert..." 

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Cet e-mail n'est pas signé, son auteur a estimé sans doute qu'il était plus chevaleresque de proférer menaces et insultes en créant une fausse adresse (joie d'internet) : jerome.attal@caramail.com pour me le faire parvenir. Cela se passe de commentaires, si ce n'est celui mélancolique que je devrais davantage faire attention au caractère inéluctable de ce qu'à mon âge, les filles que je croise en soirée sont de plus en plus des femmes mariées. 

 

05.11.00 Les Feux de l'amour, suite: Christian me confirme sa version de la soirée du 28 octobre. Il ajoute: "En plus si le type t'écrit qu'il était juste devant toi c'est qu'il n'a dû rien capter aux propos échangés, car toi-même tu te tenais à l'écart, à une distance assez importante pour ne pas saisir la conversation." Le pire c'est qu'avec son intervention le type en question met en valeur un petit passage anecdotique qui se serait très bien noyé dans le flot du Journal. D'autant que je n'ai rien personnellement contre sa femme, ne lui ayant même jamais adressé la parole (si ça se trouve elle lit Lucrèce dans le texte, défile pour Jean-Paul Gaultier et tient un discours intellectuel sur le catch américain), c'est simplement qu'à travers cette anecdote j'ai voulu caricaturer ou fantasmer un type de personnage qui peut parler à chacun d'entre nous, une petite miss de banlieue chic. Et je crois que c'est dans cette intention que Christian m'a relaté cette anecdote, lui non plus sans aucune animosité particulière pour cette fille anecdotique (j'en rajoute une couche). Et c'est tellement flagrant que le mari n'a rien compris à ça, à la littérature, à la poésie, qu'il écrit avec importance: "Elle n'habite même pas à St-Germain"... En fait qu'elle y habite ou qu'elle n'y habite pas dans la vraie vie, on s'en fout pas mal. Dans le récit le fait qu'elle habite St-Germain fait partie intégrante du parceque le récit s'intéresse à elle. Mon erreur est d'avoir gardé sans doute son véritable prénom. Mais quand on s'appelle Ariane, avec tout ce backround mythologique, c'est trop tentant. Il y a une fille que j'aime beaucoup sur Internet, qui s'appelle Frannie (mon côté Salingérien maybe) et qui tient un Journal intime dans lequel, moins stupide que moi, elle utilise des pseudonymes à la place des vrais prénoms des gens qu'elle croise ou fréquente. Il y a dans sa vie un garçon qu'elle appelle Ulysse. Alors vous comprendrez que moi quand je tiens une Ariane, je ne vais pas la changer en Brigitte ou en Isabelle, non, quand je tiens une Ariane il est certain que je ne vais pas la lâcher d'un fil.   Week-end studieux, pas sorti en raison d'un rhume accaparant qui me laisse depuis vendredi soir dans un état stérile et comateux. Heureusement j'ai vu Sylvie vendredi matin et nous avons pu avancer dans les chansons, une que nous préparons pour Claire et également sur les textes des prochaines chansons de Vendetta. Travail créatif, très stimulant. Vu trois films: Barry Lyndon de Stanley Kubrick (pour la deuxième fois), Europa de lars Von Trier et Les nuits blanches de Luchino Visconti d'après la nouvelle de Dostoïevski. Dans ces deux derniers films, tours de force stylistiques très habiles et très malins. C'était un bonheur, étant donné ma connaissance de la nouvelle de Dosto, d'évaluer et de comprendre au fur et à mesure du film tout le travail de re-création, d'inventivité fidèle et d'idées cinématographiques pertinentes et élégantes de Visconti. Dimanche après-midi, je suis sorti confronter ma pâleur à celle de l'automne, un temps trop clair et venteux avec des bourrasques qui me fouettaient le visage rue Chardon-lagache, et j'entendais déjà bouillir l'eau pour le thé tandis que, quelques minutes plus tard, j'écouterais un disque de Chet Baker. En ce qui concerne Les Argonautes: le sens de la combine ayant depuis trop longtemps prévalu sur le sens du combat, nous nous retrouvons - sur mon initiative - à effectif réduit. Etant donné que je ne suis pas très disponible pendant deux semaines, c'est Cyrille qui prend les rênes et qui est chargé de relever le niveau. J'espère que nous pourrons repartir d'ici un mois sur des bases saines, roboratives, avec des musiciens volontaires et intelligents, motivés et motivants, préparer une tournée et promouvoir l'album comme il le mérite. 

 

07.11.00 Lundi Christophe R. m'a invité à déjeuner aux Petits carreaux. Nous avons pris place l'un en face de l'autre au milieu d'une rangée de tables mitoyennes, et sur la banquette à côté de Christophe il y avait une fille très jolie au teint de lait, d'aspect nordique, et pas uniquement d'aspect nordique parce qu'elle déjeunait de toasts au saumon fumé. Christophe m'a dit qu'elle avait une petite cicatrice sur la joue droite, détail que je n'ai pas remarqué. Puis, après une promenade dans un Paris déserté pour avis de tempête, nous sommes allés prendre un café au Fumoir. Rencontré o.lamm. Comme nous sommes timides Olivier et moi, et spécialement moi dans les rencontres à l'improviste, je n'ai pas trop su quoi lui dire en le saluant, sauf le féliciter un peu benoîtement pour sa sélection à l'affiche des prochaines Transmusicales de Rennes. Au Fumoir il y avait une fille qui semblait tout droit s'être échappée d'une peinture de Hans Memling, et cette sensation était accentuée par l'ambiance de cloître chaleureux et tamisée du Café, la rigueur des tables éclairées par les seules lumières de petites bougies chauffe plat, et le vent la pluie au dehors, incalculables, fouettant les grandes vitres; un temps de mer du nord qui conférait à l'intérieur toute la religiosité d'un béguinage brugeois. J'ai accompagné Christophe à la Fnac Italiens (regardé à tout hasard si mon disque était en bacs, réponse négative) où il a acheté cet album insensé, kitchissime au possible, dont Pierre m'avait parlé: en pleine vague rock'n roll (Elvis Presley), Robert Mitchum joue les crooners sur de la musique traditionnelle des Caraïbes. Des titres aussi suggestifs et crétins que Coconut water, ou Mama, looka boo boo. J'ai descendu les grands boulevards jusqu'à la sinistre église St-Augustin sous une pluie battante; les illuminations de Noël des grands magasins, sur les starting-blocs. Plus tard, David me téléphone pour me dire sa consternation devant l'imbécile de l'autre jour, et combien Monica Bellucci est belle en couverture du Elle de cette semaine.   J'ai pensé à certaines personnes qui avaient traversé ma vie, en voyant le générique d'un film de cinéma déliberemment accéléré, vitesse x3, x4, par une chaîne de télévision. J'ai pensé qu'en amour ou parfois dans la foule sous la pluie fine, irréelle et consentante, j'étais comme le Condottière atrocement mélancolique du panneau central de la bataille de San-Romano, peinte vers 1440 par Paolo Uccello et conservée aujourd'hui au musée du Louvre. Désarçonné toujours par la bêtise, et toujours transporté par la beauté. Absent car les yeux verts, mais dans les lances hélas. 

 

11.11.00   Mort de Chaban. Armand Biancheri m'a apprit que les cours de Deleuze étaient disponibles sur le web. Je me suis empressé d'aller voir, et ayant imprimé plusieurs cours datant de 1980 sur Spinoza et Leibniz, je passe mon samedi soir plongé dans leur lecture. Mon héroïne du moment: Camilla, la jumelle de The Secret History, le roman de Donna Tartt. 

 

12.11.00 Vu le film de Benoît Jacquot, Pas de scandale que j'ai beaucoup aimé. Outre la poésie et toutes les qualités du film, la grâce de certaines scènes, et hormis le sujet à proprement parler, c'est exactement ce que nous voulons, pour nous mêmes, le luxe d'idylles salvatrices dans la banalité à répétition du quotidien, des liens tissés dans l'extraordinaire d'une conversation, une nuit d'amour après une échappée avec des filles surprenantes, secrètes et passionnées, vêtues de leur mystère, dans des appartements que nous ne connaissons pas, avec un corps et des manières que nous ne maîtrisons pas, nous voulons jouer à l'amour qui naît comme deux enfants sur une île au milieu de l'eau qu'elle fait bouillir pour le thé et de l'eau qui tombe à verse derrière les vitres des immeubles, nous voulons nous engager dans l'impertinence d'une aventure qui n'engage pas, et nous distinguer du vulgaire en faisant de ce moment au mieux un comble d'éternité, au moins un acte esthétique, nous voulons tout dire à la condition que ce soit chuchoté et dilater la nuit dans les dernières caresses de condamnés à un amour qui ne survivra pas au petit matin; oui, nous voulons tout ça, et aussi nous voulons nous faire embrasser à pleine bouche par des actrices qui jouent des coiffeuses dans les rues de Levallois Perret. 

 

13.11.00 Discussion très enrichissante avec Jean-Louis (guitariste du groupe Scapin). D'une pâleur massacrante aujourd'hui j'étais comme un nuage réduit à une voyelle. J'ai failli commettre un acte incroyablement poétique mais tout le monde - bien que médusé - l'aurait trop clairement compris.   14.11.00 18h15. Café (noisette) avec Christophe R. au café Mode - le lieu est très sympa, le nom est très con par contre. Croisé le sourire d'une jeune femme très belle qui remontait la rue François Ier avec un sac (plastique) rempli de courses. J'ai passé la soirée à répondre à mon courrier internet (abondant) et à écrire un texte pour le prochain numéro du webzine Antidata qu'Olivier m'a demandé. 

 

18.11.00 Samedi. Temps hivernal. Je prends le thé chez moi avec Jean-Vic qui me fait écouter le nouveau disque de Hope Sandoval qui sort en bacs dans deux semaines. Puis je descends acheter du chocolat, du thé et des cigarettes. Dehors, les feuilles vertes, jaunes et rousses de l'arbre qui s'éparpille dans la cour. Comme le chante Polly Jean: "We float, take life as it comes".  

 

22.11.00 Après avoir quitté Christophe R. devant le Ballu, le bar tabac à l'angle des rues Ballu et Blanche qui fut notre quartier général durant ces trois dernières semaines, j'ai remonté une dernière fois la rue entouré de Cécile et Patricia, Cécile enveloppée de son grand manteau rose-bonbon caractéristique, et puis voilà, ai replongé instantanément seul dans la nuit de Paris peuplée chaque histoire qui prend fin de nouveaux souvenirs exaltants et d'odeurs de boulangeries factices ou pas.  

 

24.11.00 Après-midi, Jardins du Luxembourg. Un soleil immense et un vent frais, limpide. Promenade parmi les statues blanches et les arbres nus pour la plupart, avec de temps en temps des massifs de feuilles rousses et craquantes accrochées aux branches les plus basses. Je suis passé par la rue Férou et ai constaté que le vieil immeuble pour la survie duquel ses locataires mais aussi les habitants du quartier s'étaient mobilisés au début des années 90 pour en empêcher la démolition, tient toujours debout. J'ai pris le métro à Mabillon et suis rentré chez moi. Avec une tasse de thé brûlant entre les mains je me suis allongé sur mon lit où j'ai réfléchi un bon moment à la vie fraîche et limpide que je prends de plein fouet quand la douceur et la bienveillance de certains visages s'en mêlent, et j'ai songé également à la tristesse, à toutes les raisons impuissantes que les gens ont d'être tristes confrontés à la bêtise et la méchanceté liée à l'inconséquence d'autres personnes, à Jenny Drexler par exemple qui s'est fait voler son gâteau au fromage glacé dans le réfrigérateur d'une salle commune de l'Université d'Hampden - en dépit de ce qu'elle ait scotchée sur la boîte une note écrite de sa main: "S'il vous plaît, ne le volez pas. Je suis boursière." J'ai songé à toutes les Jenny Drexler que j'ai connues. Puis, une pensée en chassant une autre, je me suis progressivement enfoncé dans un demi-sommeil confortable et ténu, jusqu'à ce que le téléphone sonne.  

 

25.11.00 Mardi, en compagnie de Rodolphe et David j'ai soupé dans un admirable restaurant de la rue Biot "La fourchette des anges" d'un mille feuilles de légumes à la mozarella, suivi de filets de rougets à la tapenade. Extrait de la conversation entre Rodolphe et David: - Je ne pourrais pas avoir une aventure d'une nuit. Premièrement ça ne m'intéresse pas. Et de toute façon je culpabiliserais à fond. - Culpabiliser? Pourquoi...? Parce que tu t'es fait plaisir...?!"   Il y a une actrice de porno qui est très belle et formidable, c'est Olivia de Treville. Comme nombre de ses collègues de travail actuellement, elle débarque d'Europe de l'Est, et c'est formidable qu'une telle fille ait pris pour pseudo le nom du très respectable capitaine des Mousquetaires, Monsieur de Treville, auquel Alexandre Dumas faisait dire qu'il était arrivé à Paris avec quatre sous en poche et qu'il se serait battu avec quiconque lui aurait prétendu qu'il n'était pas en état d'acheter le Louvre. 

 

26.11.00 J'observe toujours en moi ces deux inclinations contradictoires: une compassion aussi subite qu'immense, un sens du pardon et une magnanimité déroutantes envers des êtres qui m'ont déçus mais qui font preuve - sans orgueil pour eux-mêmes - d'efforts désarmants en vue d'une réconciliation, et en même temps une extraordinaire dureté assorti à la froideur la plus exemplaire pour les êtres que je considère irrécupérables dans la méchanceté, la fatuité ou la sottise.   L'encre miraculeuse. Il n'y a que les premiers amours, les amours de lycée qui nous écrivent et nous lèguent des lettres immenses avec une encre de couleur: rouge, cobalt, turquoise; une écriture chavirée, houleuse, extraordinaire. Des amours de lycée. Ni avant, ni après. Avant, au collège, on n'écrit pas son amour, il passe encore par la parole et souvent non réalisé alimente les confidences entre tenants du même sexe, passe d'une oreille à l'autre, d'une raillerie à l'autre, jusqu'à l'immense chamboule tout de la cour de récréation. Ensuite, après le lycée on abandonne l'écriture de couleur rouge, cobalt ou turquoise: on trouverait ça d'une gaminerie sans nom à la fac, une fille qui nous écrit une lettre d'amour à l'encre rouge; d'une gaminerie sans nom et d'une nunucherie rebutante. C'est comme ça. Ca appartient au temps du lycée. Une lettre d'amour sur des feuilles volantes qui nous donne la nausée et nous blesse indiciblement chaque fois qu'on y revient, à l'encre rouge, cobalt ou turquoise qui n'en finit pas de sécher.  

 

28.11.00   Il y a des gens à l'esprit si obtus qu'une tête au carré ne ferait qu'empirer les choses. 

 

29.11.00 L'ambiance exquise des émissions de Serge le Vaillant, la nuit, sur France Inter. J'étais invité avec Rémi Bricka, le célèbre homme orchestre qui chantait "la vie en couleurs" dans les années 80, vêtu de blanc de la tête aux pieds, avec son banjo, son kazou, sa grosse caisse et ses cymbales dans le dos, un lapin blanc et des colombes sur les épaules. Mis en confiance par Serge avec lequel je partage le goût des bons mots, j'ai fait un peu mon malin en racontant à Rémi qu'il était selon moi en qualité d'homme orchestre le précurseur de Mirwais et qu'il aurait dû travailler avec Madonna! Ensuite j'ai remercié Serge de m'avoir invité en même temps qu'une idole de ma jeunesse et comme l'essentiel de l'interview de Rémi Bricka a porté sur l'exploit sportif et humain de sa traversée originale de l'océan en solitaire, j'ai dit à Serge et aux auditeurs de France Inter que je ne serais pas étonné si la prochaine fois qu'il m'invitait dans son émission il m'apprenait que Chantal Goya avait gravi l'Everest! Quand même! On a beau être un chanteur autoproduit qui reçoit des lettres de refus en provenance des plus prestigieuses maisons de disques de la place de Paris, en moins de 24 heures on en arrive pas moins à boire un verre dans une soirée télé à côté de Stéphane Eicher et de discuter en toute convivialité sur France Inter avec le poétique Rémi Bricka du bon vieux temps où la télé -comme la vie- était déjà en couleurs. 

 

30.11.00 La version électro d'A côté d'aujourd'hui que nous avons joués avec Cyrille et Frédéric hier sur France Inter nous a tous les trois très excités et convaincus. Plus tôt dans la soirée j'ai tenté un dernier geste envers J-P mais ça n'a pas fonctionné. Il a fait son petit coq, a éructé un discours que d'autres certainement ont aidé à lui mettre en tête, et ça n'a pas du tout fonctionné. Ca a même été plutôt dégueulasse si vous voulez mon avis. Abject et dégueulasse de sa part. Quand Thibault m'a demandé les raisons pour lesquelles nous nous étions séparés, je lui ai répondu qu'il n'avait qu'à demander à l'intéressé, pour ma part si j'en parlais je risquais d'être extrêmement sévère et définitif. J'ai ajouté que malheureusement donc, en le lui demandant, il n'aurait jamais qu'un seul son de cloche. Et, en matière de son, pas forcément le plus brillant. 

 

02.12.00 Pas fermé l'oeil de la nuit assiégé de l'intérieur par une migraine épouvantable. Les tempes et les nerfs en papier mâché. Dans l'accalmie pluvieuse de l'après-midi j'écoute Miss Otis regrets chantée par Bryan Ferry. Pour les fêtes de Noël au Mark and Spencer de Parly 2 ils ont engagés une très belle miss papier cadeaux. Je suis complètement...emballé. Vincent Rulot souhaite organiser une thématique "Musique et littérature" en mars prochain à La Clef St-Germain et m'a demandé de réfléchir sur un projet. J'ai dix jours pour proposer quelque chose qui tienne la route.  

 

04.12.00 Musique. Selon Epictète - qui n'a pas eu le prétexte de vivre au temps de Byron pour avoir un exemple pertinent sur lequel s'appuyer :"Avoir un pied trop court est une gène pour le corps, pas pour la liberté de choisir." (Le Manuel, Ce qui dépend de nous, éd. Arlea)   05.12.00   De même qu'on dit d'un bonheur qu'il n'arrive jamais seul, on pourrait dire que le malheur arrive souvent en couple.   Les printemps délicieux où je peux réduire ma tristesse à son sourire. 

 

06.12.00   A vingt ans on se dit qu'on n'aura pas une vie d'étudiant identifiable comme telle - ce qui est un peu étrange si le sort voulut qu'on étudiât comme moi en plein quartier latin, mais je veux dire que sur le moment on pense que l'on suit son chemin et qu'on ne vit pas une époque distincte du reste de sa vie, de par ses rencontres et son rythme, on pense qu'on échappe vraiment à ça, aux poncifs et aux clichés des amitiés superbes et de la vie étudiante heureuse, insouciante et turbulente. Et puis après on s'aperçoit que ce fut bel et bien une période spéciale et facilement reperable dans le temps, qu'on peut découper même, suivant les pointillés, avec un début et une fin, ce qu'on a auparavant vécu au collège ou au lycée pour peu qu'on ait changé d'établissement dans sa scolarité, on se lie avec des êtres qui prennent tout d'un coup une importance démesurée et puis une fois que les emplois du temps ne concordent plus, on se perd de vue. C'est comme ça, et peut-être est-ce bien ainsi que cela doit se passer, dans un monde civilisé.  

 

07.12.00   Hier soir, dîner composé de petits sandwichs au Comté et de thé brûlant. Puis j'ai écrit mon monologue d'intro pour l'émission de demain (La vie rêvée des ondes). L'idée de faire une compilation de ces monologues et de la mettre en ligne sur le site La vie rêvée des ondes que prépare Christophe.   J'ai souvent l'impression qu'il est de plus en plus difficile de trouver des personnes prévenantes, raffinées, attentionnées et délicates, qui ne s'oublient pas constamment dans l'indécence d'un ego si médiocre que soutenir la conversation n'en reste pas même intéressant d'un point de vue médical, ou qui - d'un autre côté - ne s'abîment pas dans l'exaltation crasse de la horde et du nombre. A défaut, il y a des jours où la simple rencontre d'une personne souriante et discrète suffit à nous transporter d'émotion. Comme l'écrit Cioran dans ses Cahiers : "La vulgarité est contagieuse, toujours; la délicatesse, jamais".   De longues marches vivifiantes - dans les villes, à la tombée de la nuit - reposent des fatigues morales. Quelques soirées encore où jouer les grandes asperges érudites enveloppées d'un long manteau. Ce qui au final tient plutôt de l'endive, convenons en.  

 

14.12.00   Du cubisme analytique dans les relations de travail: c'est malheureux, mais c'est souvent le dos tourné qu'on voit les gens sous leur vrai profil.   Hier soir j'ai regardé la vidéo de Quo vadis. La k7 s'est arrêtée net, et à un moment - un peu dans les vapes - j'ai cru que Néron avait fait brûler Rome pour pouvoir regarder à temps l'émission de Delarue.   

 

19.12.00 Ecrire c'est quelque chose comme se séparer du monde pour mieux y revenir. Par une voie plus souveraine, fulgurante, une Appia via .  

 

22.12.00   Jeudi : déjeuner avec Pierre. Nous retrouvons Christophe au Café Amnesia, à St-Germain-en-laye. Quand nous nous installons, deux jeunes femmes sont assises à la table d'à côté: une salière, un poivrier, et des serviettes en papier froissées sur le plateau supérieur de la table indiquent qu'elles ont déjeuné sur place. Vers 15 heures elles terminent leur café et s'apprêtent à quitter le lieu. La jeune femme qui me fait face est grande, élancée, brune les cheveux mi-longs coiffée à la garçonne comme peut l'être l'actrice Wionna Ryder dans certains de ses films, un peu plus longs peut-être; elle porte une longue jupe en cuir et un gilet à carreaux dans des camaïeux automnaux. Beaucoup de tenue, stricte - de bonne famille - et avec des seins magnifiques. Je me laisse porté par l'émotion de ces seins qui prennent forme et dardent splendidement quand elle se lève de sa chaise pour quitter le café, et tout ce temps ne capte que par lentes remontées à la surface la conversation qu'entretiennent Pierre et Christophe, sur le cinéma à priori, sujet sur lequel Christophe se révèle très en verve: " En sortant de Chicken Run tout ce que tu as gagné c'est que tu as envie de manger du poulet!" ou encore "Figure toi que sur ARTE ils ont passé Manhattan en version française! C'est nul! C'est impossible de doubler Woody Allen...je veux dire...sauf si t'es en voiture bien sûr!" Justement parlons en: en pleine après-midi, balloté dans la voiture de Christophe, l'estomac secoué par sa conduite insupportable je dus également me farcir un crémeux live de Brian Wilson qui reprend les standards des Beach Boys. J'imaginais alors le cauchemar que serait le dernier passage pour les promis à l'Enfer dans le contexte d'une mythologie californienne: Charon pilotant son hors-bord à vive allure, l'engin ridant une mer houleuse aux éclaboussures rosées écoeurantes, et l'impassible Charon poussant le volume de son bateau-radio d'où s'échapperait l'intégrale tarte à la crème des Beach Boys, avec pour supplice envers le pauvre mortel saucissonné à l'arrière de l'embarcation l'interdiction formelle de dégobiller, du moins jusqu'au purgatoire. Pour être tout à fait honnête j'ajouterais que Christophe, s'engageant sur l'autoroute comme si il faisait du hors piste sur le Paris-Dakar et qui en conclut que je suis "plus fragile qu'une jeune fille", a eu rapidement pitié de moi - en ce qui concerne la musique.  

 

 23.12.00   Laisser tomber - temporairement - le livre qui nous occupait, et paresser dans le coma blanc de l'attente du réveillon, prendre une rasade d'air frais sur un trottoir désert après avoir quitté à angle droit une foule effervescente comme un verre d'eau et d'aspirine, écouter des chansons dont on avait oublié l'existence et leur pouvoir - immédiat - de séduction, trouver ça vaguement dégueulasse qu'en cette période de noël à la place de la dinde traditionnelle la maîtresse de maison nous serve du steak de rêne, tellement original n'est-ce pas, acheté congelé à la boutique alimentation d'Ikéa, ne chercher pour rétablir la balance qu'à faire l'amour avec des filles qui ont une voix de crécelle et avec qui la jouissance s'apparente à une pluie de neige sur un cerisier comme dans les films ou les contes japonais; passer l'après-midi à brûler de l'encens avec une dominante de cannelle, et allumer des petites bougies chauffe-plat contre les icônes, reproductions de vierge à l'enfant du XVème siècle russe... Puis, assis dans de grands fauteuils club avec vue sur la Tour Eiffel - qui devient par intermittences une rivière de diamants, pour quelques jours encore, parler à un ami d'une fille qui nous a bouleversé: seules confidences qui ont le goût, la forme et la saveur des mandarines. Je revois comme en rêve, alors qu'elle se destinait à partir en vacances, ses jambes nues dévoilées dans leur longueur, dans l'embrasure d'un grand manteau d'hiver.  

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