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02.03.00 Tous les jours, moi aussi, j'abandonne. Face à la mauvaise foi des uns, l'indifférence, le propos facile du directeur de boîte qui met de la soupe en conserve (ou des trucs immangeables pour flatter sa fourchette), le manque de pif et l'absence de penser plus loin que le gras du bide du voisin, face à la démission des autres, leur lâcheté, leur impotence qui la mériterait (la potence), leur immobilisme ou leur bêtise. Mais tous les jours je me relève, ne serait ce que par réaction. (Sans pouvoir démêler, l'avenir le dira bien, si cette opiniatreté est de l'intelligence ou de la vanité).  

 

À l'écouter parler j'avais de la peine pour lui. Sa conversation cariée, on a jamais autant ouvert sa bouche pour ne rien dire, excepté chez le dentiste. 

 

Au café Le Fumoir, rue de l'Amiral-Coligny. 16 heures. La présence spectrale et attentive de la serveuse qui a des faux airs de Virginie Ledoyen. Et la même voix dure, rocailleuse et envoûtante. (Mais, et nullement ici l'idée de convaincre le lecteur récent et méticuleux de fouiller les précédents chapitres de ce Journal, j'ai déjà écrit sur l'incapacité ou le ridicule de faire du gringue a une serveuse, et c'était au 29.11.98) 

 

Il y a neuf ans disparaissait Serge Gainsbourg. Ce fut un choc pour moi parce que j'habitais le quartier et j'aimais bien faire une promenade du soir (vers 21 heures) un peu rituelle, en passant devant ses murs avec l'idée qu'il était peut-être chez lui, et j'ai été très romantique vis-à-vis de cette mort, la rue de Verneuil, le funérarium près de Nanterre, le cimetière Montparnasse. Deux années auparavant une fille m'avait quittée (c'était le bon vieux temps) et du coup j'avais gardé pour moi les neuf cd de l'intégrale que j'avais acheté en prévision pour son anniversaire, avec trois mois d'avance à un moment où je devais avoir un peu plus d'argent reçu probablement moi-même à mon anniversaire. (C'est très touchant quand j'y pense, et mieux écrit on pourrait croire à du Dostoïevski, tout lecteur constitué de matière sensible serait transporté par la pitié et la compassion à mon égard). Il y avait sur le cd numéro 9 les chansons du téléfilm musical Anna, ce qui était très rare à l'époque (aujourd'hui notamment sous l'impulsion de la demande japonaise il y a eu des rééditions.) Enfin j'ai été très romantique vis à vis de cette mort. Aujourd'hui, dans la jeune chanson française, le premier mec qui émerge et qui écrit comme un veau (à la sauce à la menthe) il s'auto-proclame, ou on le fait pour lui, nouveau Gainsbourg. Aujourd'hui tout le monde il est le nouveau Gainsbourg. Aujourd'hui donc, tout le monde il est mort. 

 

10.03.00 Les journées d'avant concert sont toujours longues, ennuyeuses et gênées, des journées de visite à la pharmacie au premier petit piquement dans la gorge, des journées où l'on fuit les courants d'air et les sorties imprévues, où l'on passe en un temps record de l'excitation la plus joyeuse à l'abattement le plus profond, où l'on se torture à se dire qu'il n'y aura personne, pas un chat dans la salle, qu'on aurait dû davantage tracter, jouer les hommes sandwichs pour la cause, des journées entières où l'on rêve de faire l'unanimité et de remplir les salles alors qu'adolescent on s'en foutait de faire l'unanimité, on trouvait ça vulgaire, on se disait je me fous de tout le monde, de toute la terre entière, du moment que cette fille là pose ses yeux sur moi, m'ouvre ses bras et me chuchote au creux de l'oreille : " rien n'existe hors de toi", et puis le solipcisme ça ne mène pas à grand chose, la fille en question, la plus belle fille de la classe, elle disparaît après le bac, on apprend un jour qu'elle s'est mise en ménage avec un dentiste ou un co-fondateur de start-up et qu'elle est enceinte jusqu'aux dents, et nous on est devenu ce qu'on était et ce qu'on a toujours été, avec la poésie comme maigre consolation, et on rêve comme un âne de faire l'unanimité les jours où se presse davantage de monde dans la salle d'attente du dentiste que dans la salle de concert où vous jouez.  

 

12.03.00 Après-midi d'un printemps timide, mais perceptible, seul marchant dans Auteuil. Je croise un jeune couple qui se crie dessus, elle debout prête à s'enfuir, lui à califourchon sur sa mobylette, tous les deux coiffés d'un casque réglementaire qui leur mange le visage tels des gladiateurs de la vie conjugale, 2001 l'odyssée du désamour, je croise une petite fille sur des patins à roulettes les yeux tétanisés par la cadence que lui inflige son père lui-même perché sur des rollers et l'entraînant par la main à toute berzingue vers un angle droit, et je tombe sur la toujours jeune X qui vient visiter une tante à l'hôpital Chardon-Lagache et que j'accompagnai autrefois au cinéma, à deux reprises rue Monsieur le Prince, aux 3 Luxembourg, lorsque nous habitions tous deux le même immeuble, au 10 rue du Regard (en face de chez Jospin). Alors que nous nous tenons immobiles dans la rue, les jambes coupées par la surprise et tendues par le civisme, X me dit, au risque de me faire prendre froid parce que 1° j'ai un concert demain 2° le printemps n'est pas si installé que ça et 3° de toute façon je ne suis pas un grand fana des retrouvailles improvisées : - A l'époque tu ne jurais que par le tarama Marks and Spencer, les raiders dans le café, l'enseigne La Petite Charlotte en lettres blanches sur vert anglais rue Dupin, l'hebdomadaire 7 à Paris où écrivait Christophe Bourseiller et la scène de la pâtisserie dans l'escalier, dans le film de Sergio Leone : "Il était une fois en Amérique"; de plus tu étais tellement mystérieux que je pensais que tu étais soit homosexuel soit un grand solitaire." 

 

14.03.00 Toute cette énergie, cette souffrance, cet acharnement à devenir un bien de consommation.

 

18.03.00 Soirée du label Evénement à La Clef, l'éclipse. Dans l'attente des concerts, j'ai passé l'après-midi à me promener à St-Germain-en-laye, ville que je connais bien notamment parce que j'y ai été au collège dans les early eighties, à St-Augustin, chez les Très Chers Frères des Ecoles Chrétiennes, ce qui de mon attachement à la ville est de loin la raison la moins sensuelle mais la plus biographiquement établie que je puisse décemment donner. J'essaye de m'accorder une ou deux journées par mois de promenade à St-Germain-en-laye, le contraste entre la solitude venteuse du parc et l'effervescence vantarde de la ville, goûter le chaud et le froid, y trouver l'humeur propice à la flânerie et à ce que les culturistes abonnés appellent quand ils parlent de la salle de sport qu'ils fréquentent "se nettoyer les idées". Sur ce point je mens. Je ne suis pas le genre de type qui se "nettoie les idées". J'aime les romans de Dostoïevski parce qu'il y a toujours pour moi le personnage délicat qui réfléchit trop et tout le temps, le réflexif sensible. Le type qui dit : "Je vais à la salle de sport ou je pars en vacances pour me changer les idées" ça ne me concerne pas. C'est pour cette raison que j'ai si peu de goût pour les voyages, et ce, au désespoir des femmes qui aiment qu'on les trimballe partout. Pour ma part, non seulement je suis très précautionneux et je n'aime pas délocaliser les problèmes.   Dans la forêt de St-Germain, impressionné et affligé par les dommages que la tempête de décembre a causée au parc, aux arbres. Eventrés les raccourcis que nous prenions lors des interminables séances de footing scolaire, selon un parcours sinueux pré-établi à travers la jungle domaniale par un ancien Para à la cervelle démobilisée depuis les derniers couvre-feux, et reconverti en prof de gym mercenaire pour les Très Chers Frères des Ecoles Chrétiennes, dont nous redoutions l'esprit grégaire et répressif, attendant qu'il nous lâche littéralement les baskets, soutenu par son sifflet militaire et ses mollets de Bob Denard qui se rachète une conscience en courant pour l'Eglise, pour décamper tels des lapins au travers des taillis, puis selon un itinéraire anarchique protégés par la végétation luxuriante et les arbres centenaires, rejoindre au plus court, avant tous les bons élèves de l'effort en plein air, la ligne d'arrivée.   Les concerts électro du label Evénement, comme une boîte de mécanos musicaux. Soirée charmante, très bon esprit. David qui a la langue bien pendue a commenté la musique qui se jouait en disant que ça lui rappelait la bande originale des Contes de la crypte, et que ça le terrorisait étant plus jeune, qu'après diffusion il lui fallait impérativement dormir la lumière allumée; en ce qui me concerne j'ai beaucoup apprécié le set de King Q 4, un peu moins l'installation vidéo qui l'agrémentait, les playmobils, les légos, plutôt convenue mais...convenable. David de bonne humeur et toujours un ton plus haut que les autres, en rajoutait un couplet sur la crypte : "Si ça continue, la famille électro, elle va finir par jouer pour le pape!" Enfin c'était une très charmante soirée, j'ai discuté avec Vincent Rulot (le pape de la crypte La Clef L'éclipse) qui a toujours la gentillesse de garder un oeil sur notre évolution, et puis j'ai tenu quelque temps le stand du fanzine Planet of sound, histoire d'être face à la porte d'entrée et de voir arriver les jolies filles, et il y en eût quelques unes. Du moins, sans vouloir jouer ni les spécialistes ni les arrogants, des filles qui avaient quelque chose de joli. Christophe (le pape de la crypte of sound) m'a confié, excessif (mais c'est le printemps, même dans l'underground) : "L'un des avantages de cette salle, c'est qu'il y a toujours des BOMBES qui viennent aux concerts". Sinon j'ai discuté (un peu court) avec Pierre Blanquet (du groupe Sans oublier le chien), et Sébastien (.Nolderise) m'a serré la main, quel exploit, à moi un pauvre artiste de variétés! Et puis la soirée s'est pour ainsi dire terminée miraculeusement, puisque Jean-Vic s'est réconcilié avec son ex-meilleur ami et l'une des plus jolies filles de la soirée, pendant que je lui donnais une cigarette dans la salle consacrée à l'exposition des 15 ans de la Clef l'Eclipse, s'est approchée plus près de moi encore et m'a murmurée quelque chose dans l'oreille. Du moins, sans vouloir jouer ni les spécialistes ni les arrogants, quelque chose de joli dans l'oreille. 

 

19.03.00 Quand tu commences à couler à pic, le souvenir du marchand de bouées te gâche ton plaisir. 

 

20.03.00 Pour prendre dimension humaine et rentrer dans la boîte aux lettres, les bonnes nouvelles arrivent souvent escamotées.   

 

25.03.00 Magnifique temps variable de samedi après-midi éventré, oisif, qui court à la soirée. Averses bénignes qui n'empêchent pas la promenade, suivies d'éclaircies qui rendent l'oeil vert, le teint frais et le pavé luisant. D'Auteuil je pars à pied vers le Virgin des Champs Élysées pour acheter des vidéos en import des épisodes originaux de The Twilight Zone, the fifth dimension qui a été traduite je ne sais pourquoi en France par : La quatrième dimension. Dans ma jeune adolescence, cela passait sur la 5 (la chaîne des amis de Jean-Claude Bourret, même que mes parents avaient envoyé un chèque de cent francs à l'association de Jean-Claude pour qu'un jour revienne à l'antenne, et la 5, et The Twilight zone et Twin Peaks et Jean-Claude Bourret) et les lendemains des diffusions, je me souviens que dans la cour de récréation, ou en prenant un plat peu ragoûtant au self-service de la cantine, ou encore lorsqu'on restait interdit à l'arrêt des bus scolaires sur le passage de Vanessa P. , l'inaccessible jeune madone de nos élans pubères, une publicité vivante pour, qu'on la côtoie de loin, le printemps des poètes, et si on l'avait dans sa classe, le salon de la Hot Vidéo, la sublime et inabordable Vanessa P. qui faisait toujours dire à l'un de mes camarades face à l'extase qu'elle provoquait chez un autre ou chez moi : "Attention, tu vas entrer dans la quatrième dimension."   Rue Raynouard, une jolie fille qui charge un attirail de golf dans le coffre arrière d'une voiture de luxe. Rue de l'annonciation j'achète du thé en vrac et une tarte aux pommes. 

 

01.04.00   Ses joues dans l'après-midi maussade, comme deux betteraves tombées d'un camion sur une route accidentée de campagne belge.  

 

Ma mère me dit que je dois faire attention quand je sors le soir, attention à ce qu'on ne verse pas une drogue suspecte dans mon verre pendant que j'ai le dos tourné. Elle a vu cela à Envoyé Spécial. Ca me fait penser à Will Bill Hickock, le cow-boy. C'est un type qui n'avait jamais le dos tourné; quand il s'installait à une table de poker, il choisissait toujours et de manière obsessionnelle la chaise dos au mur (si la place était occupée il attendait qu'elle se libère) sauf une fois, la dernière, qui lui fut cruciale, quand vieilli, désabusé et rangé des caravanes, il s'installa à une place quelconque et se fit descendre de plusieurs balles dans le dos par un bandit pas manchot mais au bras armé par le destin pour servir la légende. 

 

Chaque fois que je distinguais le moindre signe de sa présence, une lumière trop haute dans l'immeuble voisin, une silhouette similaire dans la rue, mon coeur se soulevait, légèrement détruit, client spontané des amours irrésolus, et un mal de vivre fondamental remontait à la surface de manière si imperceptible pour l'entourage que c'est le genre de signal qui ne peut être perçu que par des entités extra-terrestres dans la mesure où elles profiteraient d'un point sensible pour entrer en contact avec nous. Un long moment après, m'apparaissait la vanité de mon amour pour cette fille dont la résolution avait autant de chances de voir le jour qu'un émissaire des petits hommes verts de débarquer avec sa petite amie à trois doigts et son petit drapeau ridicule par l'embrasure de ma mélancolie, où si j'étais moins con, pour les jours de spleen, je construirais un péage. 

 

06.04.00 La vulgarité partout : un imbécile qui prenait des photos arty d'une pauvre fille pâle et vaguement souriante, vaguement consentante, vaguement agacée, qu'il mettait en scène sodomisée par un pâté sous cellophane dans les rayons d'une épicerie de quartier sous les regards torves des gérants comme de la caméra de Paris Dernière. Pour une nouvelle série de photos, l'artiste inspiré demande à l'épicier de marquer un prix sur les fesses et le téton de la jeune femme à l'aide de sa machine à étiqueter. Puis de sortir sa bite, et c'est au tour de la fille de se saisir de la machine à étiqueter. Alors l'épicier, vaguement gêné, dit - plus à l'attention de la fille que du photographe : - T'en fais pas, j'vais pas bander!" La vulgarité partout. Et la misère aussi. Je suis toujours triste pour ces filles. Je veux toujours les sauver . Mais je n'ai pas forcément raison. Peut-être que si la télé renvoyait instantanément aux acteurs de tel ou tel programme, les pensées de chaque spectateur (et ça viendra peut-être un jour), la jeune fille, vaguement souriante, vaguement consentante, vaguement agacée, s'approcherait de la caméra et dirait à mon attention en mâchouillant un chewing-gum pris à l'étalage : "De quoi il se mêle celui-là?" 

 

En studio pour la chanson "Eastwood chagrin disco". Pendant l'enregistrement : étude comparée des beignets framboise et nutella des deux faméliques boulangeries qui se disputent le rare client dans la rue principale du petit village d'Ablis.

 

Paris. Café Les Petits Carreaux. Une jeune fille qui y travaille, soit derrière le bar soit s'affairant dans le restaurant; très belle, grande et fine, le visage doux, légèrement chevalin; elle porte une jupe noire, un gilet rouge sur une fine chemise blanche qui dépasse; j'ai l'impression que quelqu'un l'interpelle en la nommant Nadia. Presque Nadja , et nous ne sommes qu'à quelques encablures du quartier cher à André Breton. Passant près de moi elle laisse tomber sur le plancher une bouteille de tomato ketchup Heinz qui se brise en gros morceaux, et tout d'un coup ça fait beaucoup trop de rouge autour de moi - ai-je parlé de son gilet? Quand Rodolphe me rejoint je lui dis: - J'adore cette fille! Et Rodolphe, qui vit dans un monde simple, me dit texto : - Fais toi la!

 

11.04.00 Vu une reproduction de la toile de Courbet conservée au musée d'Orsay, peinture subversive et manifeste en quelque sorte du réalisme trash du XIXème dans le sens où elle parodie sarcastiquement La Sourced'Ingres, en proposant une vue de derrière et en affaissant les courbes classiques et parfaites de l'odalisque ingresque, cette toile de Courbet, donc, utilisée dans une pub télé ventant les mérites d'un produit conte la cellulite!!! La pauvre toile de Courbet en son temps présage d'une modernité à venir, traitée aujourd'hui comme une représentation du gras, de ce qu'il faut gommer, effacer, soigner, voire laisser derrière soi... Bientôt des oeuvres de Miro ou de Pollock seront utilisées au bénéfice de produits pharmaceutiques contre les points noirs! Je vantais les mérites d'un jeune homme (ça m'arrive) à X en lui soutenant que c'était exactement le genre d'homme qui lui fallait, attentionné, solide, intelligent, et surtout The right man at the right place. En cas d'incendie, dis je pour illustrer mon propos, lui déjà il a le casque de pompier sur la tête, et je ne parle pas de sa coiffure, prêt à braver les flammes au péril de sa vie pour te sauver, tandis que moi, y a l'feu, qu'est-ce que je fais?...J'allume ma cigarette...   Canal Saint-Martin, samedi après-midi, belle journée, beaucoup de promeneurs, une halte au café Chez Prune, une promenade dans le bas Belleville. Aux alentours de 22 heures 30, Christian, David et moi allons dîner au Man Ray, sous-titré le samedi soir : l'usine à bimbos. Hôtesses d'accueil et serveuses sexy à la sophistication naturelle dont on tomberait aisemment amoureux (un penchant, peut-être?), casting de boy's band friqués reconvertis en patrons de start-up, trous du cul réglementaires dont le pneu avant de la Porshe fraîchement toilettée baigne dans une merde de chien de race rue de Berry, jeunes bimbos de vingt ans et parfois beaucoup moins qui se font tripoter par des quinquagénaires sous le regard vide de leurs bodyguards qui avalent crûment une salade de poulet à une table voisine, serveurs gays qui ont des yeux partout et des conseils avisés sur la carte, vieilles pouffiasses siliconnées jusqu'à la couenne sorties par leurs maris qui baillent avec satisfaction, filles de magnats du pétrole qui font de la brioche sur les sofas du coin bar, jeunes femmes qui au retour des toilettes me font des sourires aussi affriolants et tirés vers le bas que leurs décolletés, bien qu'une rangée de dents soit moins excitante qu'une paire de seins, bref de l'étage attribué au bar jusqu'à la salle de restaurant en sous-sol, on se croirait de la tête aux pieds dans du Bret Easton Ellis. J'ai pris des Piccata de veau au parmesan et un dessert au chocolat assez prétentieux mais plutôt mangeable. David et Christian ont passé la soirée à zyeuter la table située dans mon dos, à savoir celle où trois jeunes mannequins devaient supporter la conversation sexuée de deux vieux types avachis, et David semblait sincèrement choqué de la différence d'âge et tout et tout, ce qui n'est pas mon cas, car mes vieux jours ce n'est pas dans si vieux que ça! Pour la vue autrement, la salle de restaurant étant au sous-sol, patientant dans les hauteurs du bar qui en fait le tour et la domine, on peut en attendant sa table se pencher à loisir tels des visiteurs de zoo, sur la calvitie prononcée des ours et le décolleté plongeant des gazelles qui dînent avec appétit d'une cuisine minimaliste et vaguement exotique, ou fument le cigare en songeant avec mélancolie que l'adage : "J'aime mieux être seul(e) que mal accompagné(e)" n'a dans ce genre d'endroit aucun sens. 

 

12.04.00 Musique. Nous discutons beaucoup avec Cyrille de l'engagement, la décision de tout mettre en oeuvre pour que le groupe réussisse et que chacun ait à l'esprit de ne pas se contenter de la situation, considérer cela comme une routine, un travail comme un autre, vu que ce n'est même pas encore un travail, qu'actuellement on est même pas payés pour ça. L'éceuil est qu'il est facile de retrouver son confort partout, même dans l'indigence, la stagnation ou l'à peu près; facile de se laisser traîner d'un concert à l'autre, d'une répétition à l'autre, en vivotant avec un travail à mi-temps (pour Frédéric et Jean-Pierre) dans l'attente d'un coup de pouce du destin ou que quelqu'un du groupe bouge son cul à votre place. Parfois je me laisse aller au découragement; je trouve qu'il y a beaucoup trop d'auto-satisfaction, d'égoïsme, de contentement de soi et en fin de compte peu d'esprit, peu de conscience politique dans ce groupe. Et puis il suffit que le travail musical se fasse, s'accomplisse, qu'il y ait de la volonté, une lueur d'esprit d'équipe, une initiative heureuse et une loyauté pugnace pour me remettre dans les startings blocs. Mais quelles montagnes russes tout de même que de placer sa volonté et son destin au sein d'une aventure en commun! Pour paraphraser l'écrivain anglo-saxon Sylvia Plath, il y a des jours où on se dit : "Ne vaut-il pas mieux s'abandonner à la douceur des cycles de reproduction, avec la présence facile et réconfortante d'une femme dans la maison?" Tiens, j'aurais dû lire ça à mon ancien bassiste, ça lui aurait plu. 

 

21.04.00 Mention bon esprit de la semaine : Rodolphe a reçu les contrats d'engagement du Sentier des Halles qui stipulent qu'à moins de trente entrées par soirée, le ou les concerts sont tout bonnement annulés. 

 

Une fille très nature et franchement surexcitée m'arrête dans le métro à la station Convention : "Je sais qui vous êtes, vous savez? Je ne pensais pas vous rencontrer dans le métro... Moi j'adore observer les gens dans le métro, il y a tellement de gens bizarres dans le métro que quand j'en sors je me dis que je ne suis pas si mal que ça! Au fait, c'est quoi votre nom à vous déjà? Et moi d'un ton très détaché, mais en même temps très cordial, je dis :- Georges Descrières.  

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