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09.11.99   Christian me demande comment je vais, ce que j'ai fais aujourd'hui, et d'autres choses aimables et je commence à lui parler du livre qui m'occupait quand il m'a téléphoné, puis soudain sans méchanceté (alors que ça pourrait être vraiment stupide, méprisable et pédant comme remarque mais je dois dire que je la formule avec une innocence et une précaution totalement charmantes) je lui dis : pardon de te parler de ça, ça doit être une autre planète pour toi...- Tu te trompes, me répond Christian d'une égale amabilité, pour passer le temps des voyages en avion j'ai acheté deux livres, l'un en poche genre le manuel du parfait séducteur, avec des conseils vraiment débiles comme n'oubliez pas de vous laver avant un premier rendez-vous, et l'autre un livre écrit par le chef des buddhas... - Le Dalaï-Lama. - Oui, c'est ça, le chef des buddhas quoi. D'ailleurs dans mon appart à Londres je l'avais laissé sur la table de nuit, et la suédoise de 19 ans, celle que j'ai dragué dans l'avion justement, elle me l'a emprunté, ça prouve qu'elle veut faire des efforts non?!   

 

10.11.99 La pluie d'automne par moments comme des nuits incomplètes, les ambassades d'amour à leur commencement qui séparent de la masse du jour, éloignent un temps les soupçons d'une barbarie masculine, omniprésente, qui relève de la rancoeur et de la horde, de l'excès de bravade au manque de bravoure, face à quoi elle tentait des efforts d'immatérialité pour se protéger des départs, ceux qui clôturent et ceux qui électrifient, quand ce n'est pas la même chose, des pièges variés que les avenues froides couvertes de feuilles veinées tendaient, dans ce café de 17 heures trente sur la nuit, avenue Molitor, elle me parlait avec sa tasse blanche des thés bon marché devant la bouche, disait qu'elle aimait bien lire et qu'elle n'avait, à part l'école, rien lu d'autre qu'Yves Simon, je gardais mes commentaires pour moi, même pas ce qui ne consistait aucunement en un jugement porté à savoir que je le croisais souvent rue Dauphine, et je restais là à jouer à la marelle avec des morceaux de sucre sur une table froide et grise, avec cette fille de peu de goût, je veux dire en nombre, peu de goûts déclarés si ce n'est la lecture d'Yves Simon et un penchant morbide à requérir ma présence, par accoups absolument, sans rien jamais exiger de moi, ce qui dans l'automne des silhouettes coupantes qui fusaient derrière les vitres du café et cherchaient dans son visage de la vulgarité ou du confort, désarmait mon ironie. En rentrant je m'attardais longuement dans le quartier, le froid dompté, les fenêtres suspendues, aux lampes brûlantes à donner une version précieuse de l'intimité, et la télé d'une loge de concierge ouverte sur une actrice de porno qui déclarait qu'entre deux prises elle jouait à Othello.   

 

17.11.99. Je repousse toujours la lecture d'Hervé Guibert. J'ai ses livres, chez moi, et je me dis toujours que la prochaine fois, la prochaine lecture sera Hervé Guibert. Mais non. Ca remonte à 1989, lorsque j'habitais rue du Regard et lui rue du Bac je crois. Une amie d'origine turc en était folle. Elle avait volé un livre à la bibliothèque d'Ankara, même si vu d'ici ça peut paraître insolite, un livre d'Hervé Guibert, à la bibliothèque d'Ankara (où l'on s'attendrait plutôt à trouver un choix de classiques, de Flaubert à ST-Ex). Pour me moquer gentiment de sa prédilection un peu autoritaire pour l'écrivain- photographe (je suis d'un naturel moqueur - mais à condition que la moquerie soit douce et spirituelle, ce que ne comprend pas mon père et lui donne une de ses répliques fétiches lors des repas d'anniversaires: "Ce n'est pas bien d'être moqueur, ça te jouera des tours dans la vie!") pour me moquer gentiment d'elle j'imitais par la parole le style d'écriture d'Hervé Guibert (plus facile à saisir que Huysmans), et ça la faisait rire de bon coeur. Quand même j'ai lu Des aveugles et j'ai modéremment aimé, comme l'envie de dire à chaque page tournée tel Marina Vlady dans Deux ou trois choses que je sais d'elle : "Et après ?!", ce qui ne m'est jamais arrivé avec Duras bizarrement. Mais j'ai très bien pu me tromper sur Hervé Guibert. Il est très plausible qu'à cette époque je sois passé complètement à côté.   

 

20.11.99  Auteuil. Thé Mariages Frères : Cannelle-orange, Pu-erh. Marine m'a acheté des clémentines au marché de la place Jean Lorrain que je mange en regardant la pluie tomber derrière les fenêtres.   

 

23.11.99 David me conseille chaleureusement le dernier album de The Folk Implosion, estime que la démarche de ce groupe se rapproche de notre esprit. Il propose toujours avec cet engouement caractéristique qu'en ce qui concerne nos prochaines chansons nous nous rapprochions du Bowie de Ashes to Ashes, ajoute qu'il parie sur le retour en force des années 80 et plus particulièrement de la new-wave. Mais de la new-wave intelligente précise-t-il, il faut savoir tirer parti du meilleur des années 80. Christian me dit, sybillin : Jérôme, tu es comme l'orange à côté du pressoir. Sa liaison avec la suédoise de 19 ans se poursuit, sans être le grand amour, appuie-t-il, c'est toujours plus marrant que de rester seul. Je lui demande si elle l'a présenté à son cercle d'amis, et il me dit que oui, qu'il est sorti dîner à Londres avec elle et plusieurs de ses copines et que c'était très sympa. En effet, contrairement à moi, Christian adore se mélanger aux fréquentations de ses fréquentations, sortir à la cool... Il est d'un naturel très liant qui en dépit de sa franchise et sa curiosité culottées - qui peuvent le faire passer de prime abord pour quelqu'un d'étonnament grossier - finit toujours par le rendre sympathique. Pour ma part, au grand désespoir des jeunes filles (celle qui partage comme celles qui ont partagé) mon existence, je rechigne toujours à jouer la tangente dans les cercles d'amis, ou pire les familles, je préfère et privilégie les amours secrètes, les rendez-vous secrets, les liaisons piquantes et les amitiés électives, davantage à mon aise dans ce que Saint- Simon appelle : "les ténèbres des têtes à têtes." A la rigueur quelques soirées - comme celles où nous allions avec David dans notre milieu de petits bourgeois de l'Ouest parisien pleines de types carriéristes, insipides et pédants, et de filles à marier, pour y jouer les faux nihilistes et les vrais ironiques.   "Temps de chien", film à la télé en ce moment : Evelyne Bouix nue, faisant des ronds dans un jacousi ou dégrafant son peignoir dans les sanitaires d'une compagnie d'assurances, suffirait sur le moment à placer ce petit film dans mon Top ten entre Once Upon a time in America et Lost Highway.   Demain matin lever aux aurores car interview + 1 titre live pour une émission qui passera en décembre sur un câble local et également en réseau dans les Fnac d'Île de France. J'ai appelé Michel Mathieu qui tout de suite a accepté de nous prêter la scène du Café de la Plage pour le tournage du titre. J'ai préparé quelques surprises, quelques accessoires surréalistes (dont Le monde comme volonté et représentation , la somme de Schopenhauer) à sortir de mon chapeau pendant l'interview comme conseils d'achats pour Noël. L'interview est un des aspects du "métier" pour lesquels je suis bon client, voire cabotin, un exercice où je peux donner libre cours à mon goût pour l'improvisation, le persiflage spirituel, le décalage et l'aphorisme ou la formule bien sentie. Je me suis d'ailleurs bien amusé le mois dernier sur France Inter chez Serge LeVaillant, et maintenant qu'il me connait davantage, j'espère qu'il nous ré-invitera pour la sortie du prochain quatre titres. David, au téléphone m'avoue qu'il trouve Charlotte Gainsbourg, que l'on voit beaucoup en ce moment à la télé ou en photo dans les magazines pour la promotion de son nouveau film, particulièrement très jolie! Je m'étonne car souvent minoritaire parmi mes camarades - et ce depuis l'adolescence - pour la passion d'une fidélité absolue, intransigeante et douloureuse que je voue à Charlotte Gainsbourg, c'est bien la première fois que j'entends David - qui n'a jamais daigné d'ailleurs s'attarder sur ses talents autrement que pour me taquiner ou me railler en me rappelant qu'elle a finie dans les bras d'un autre Attal - m'en parler en des termes si laudateurs. Comme je lui fais remarquer, donc, son soudain revirement, il a cette phrase formidable d'observation ou de mauvaise foi selon : - C'est parce qu'elle a mis 25 ans pour découvrir le shampoing. Mais depuis qu'elle se lave les cheveux, elle est particulièrement très jolie!"   

 

30.11.99 En studio. J'ai enregistré Je veille sur le corps d'un rêve en une prise car c'est une chanson qui parle d'elle même, sur laquelle je n'ai pas à me forcer pour y exprimer ce que je souhaite, par contre beaucoup plus de mal avec Aucun principe... qui est dirons nous plus neutre, moins personnelle.   

 

08.12.99. Article élogieux dans Standards. Je reçois le premier rapport de Francophonie diffusion l'organisme qui s'est chargé d'envoyer notre cd à 74 radios francophones de par le monde. Nous faisions partie du même envoi que le dernier single de Zebda et c'est plutôt amusant de lire que même si ils font globalement l'unanimité nous leur piquons la vedette si je puis dire en Nouvelle Ecosse et dans l'Ontario. Nous sommes également en faveur en Norvège où Radio Paris Oslo diffuse la ville quelconque cinq fois par semaine. Et puis en vrac une radio du Québec trouve ça "bien", une de la Polynésie française "bof" et pour Fun radio Bucarest c'est "suffisant"!   

 

18.12.99 Plusieurs réunions roboratives avec Rodolphe (nouveau manager). Il est venu nous voir lors d'une séance de mix en studio, et m'a convaincu, arguments à l'appui, de poursuivre de quelques jours l'enregistrement pour parvenir à un album (maquette). Lecture. L'amour dure trois ans de Frédéric Begbeider : très bon, seul type capable à quelques pages d'intervalle de citer Benjamin Constant et le groupe comique les Inconnus. Musique. J'écoute Arab strap, Elephant Shoe . Brassens, une compil' qui vient de sortir avec mes chansons préférées qui sont Saturne et Les passantes. Le single No distance left to run (grande chanson) de Blur avec les remix de Tender et Battle par Cornelius et UNKLE. Christian a définitivement rompu avec sa suédoise de 19 ans. Il vient de jeter son dévolu (il lui faut des intrigues!) sur une londonienne originaire du nord du Royaume Uni qui travaille à quelques bureaux du sien, dans sa boîte de business consulting, et entretient une passion maladive pour la culture française, langue qu'elle parle passablement. Ils sont allés boire un verre au Pub l'autre soir. Elle lui a raconté qu'elle adorait le week-end à Londres se rendre au centre culturel français et il lui a proposé de l'accompagner lors de sa prochaine visite : il va enfin pouvoir placer ses citations vaseuses des Bronzés font du ski et Père Noël est une ordure! La jeune femme est tellement férue de culture française que son chanteur favori n'est ni Liam Gallagher, ni Jarvis Cocker, ou même Robbie Williams mais Francis Cabrel! Christian, qui s'y connait, au fil de la conversation liée dans le Pub l'a habilement complimentée sur "l'encre de ses yeux". Il n'a plus qu'à se faire pousser la moustache. Christian me dit : "Avec la suédoise qu'est ce que je m'emmerdais! Mais avec cette fille c'est génial : anglaise, passionnée par la France. Pour moi qui ait passé toute ma scolarité en France elle me donne vraiment les boutons sur lesquels appuyer.- Et du moment qu'ils ne sont pas sur sa figure, lui dis -je, ne te prive pas pour appuyer." C'est la vie. On tombe amoureux de la plus belle fille de sa classe, au collège, au lycée, puis de la plus belle fille qui se trouve sur son lieu de travail, dans son bureau ou dans un bureau mitoyen. Il faut bien que le coeur vibre tous les jours, un extra délicieux qui justifie, du moins bonifie, les heures de labeur routinières. En fin de compte, les gens qui rencontrent leur promise dans des soirées ou à l'autre bout du monde sont des gens compliqués.  Comme X proposait à David de se rendre à la fête où nous allons ce soir accompagné d'une de ses amies, David eût ce mot charmant : Quand je vais à la plage, je n'apporte pas de sable.   Musique. J'écoute les maquettes de ce que nous avons enregistré il y a quinze jours. Tout m'emballe excepté "Aucun principe..." qui me désole. Au niveau du mix et des arrangements je me demande - et à priori je suis le seul du groupe à m'interroger - comment avons nous pu nous satisfaire d'une telle nullité?! Je prends l'initiative d'une réunion avec le groupe mardi matin chez moi, à Auteuil. Il faut absolument rectifier le tir (au moins remixer) pour quand nous rentrerons une dernière fois en studio, début janvier, afin de terminer l'album. En revanche Elite et le duo sont épatantes, la grande classe pour des maquettes non masterisées. "C'est une tuerie ces chansons" comme dirait notre nouveau manager. X, chez qui j'ai passé la nuit, me dit qu'en ce moment j'ai de la chance, d'avoir plusieurs vies. Je lui réponds que j'ai l'impression de n'en vivre qu'une, la mienne. David me parle des Boîtes mythiques, aujourd'hui disparues, de son adolescence indé : Le Rose Bonbon, La Piscine, Le Fantasia à Neuilly et le Boucanier entre Vavin et Montparnasse. La fête a lieu dans un appartement d'une belle et grande maison près des Buttes-Chaumont. Encore une fois se vérifie le précepte que la maîtresse de maison a pris soin de n'inviter que peu de créatures susceptible de lui piquer la vedette. Coquetterie et manigances de bon aloi : "C'est mon anniversaire, je ne vais quand même pas inviter cette conasse qui va happer, éclaircir ou obscurcir, le regard et l'attention de tous les types fréquentables que j'ai invité pour mon anniversaire!" Dans les fêtes, je suis toujours un peu triste. Ca me raccorde directement à mon adolescence, l'indisposition qui me venait dans la fatuité ambiante, cherchant l'éclat quand d'autres cherchaient à s'éclater. Et puis je veux toujours partir à l'autre bout du monde (ce qui est une bien bête métaphore pour dire sur le pallier, derrière la porte.) avec la plus belle fille de la soirée, donc je fais partie des gens compliqués. Contrairement à la bâtisse, l'appartement était assez petit. Hors quand je vois devant moi certains garçons danser, se déhancher d'une certaine manière sur de la musique disco ou électronique, je ne peux m'empêcher de refréner des petits fous rires plutôt ironiques, et à part des mains de jeunes filles il n'y avait pas de pièce assez vaste, ou suffisamment douce et sombre pour me cacher.X, notre hôtesse, était belle, tactile et charmante. Elle avait fait des artichauts braisés mais je peux me tromper. Elle a en tout cas tapée dans l'oeil de David, qui autrement fut d'une compagnie exemplaire, me faisant bien rire en me détaillant par le menu chaque nouvel arrivant : "Ce mec là je suis sûr qu'il a mis deux plombes pour se geler les cheveux, moi je faisais ça quand j'allais aux concerts de Dépêche Mode!" Plus tôt, tandis que nous écoutions No distance left to run de Blur, David s'est mis dans tous ses états en expliquant que cette chanson était trop bouleversante et qu'elle lui rappelait par son intensité émotionnelle la lecture dans son enfance du roman de jack London : L'appel de la forêt . Puis il s'est mis à deviser sur Damon Albarn : "Il es trop classe! Même quand il vomit c'est en Paul Smith!" J'ai bu un verre de vin rouge et du coca- vodka que David a dosé comme un Moujik. Je n'aime pas l'alcool, mais je sais me tenir en société et d'instinct j'ai compris que demander une tasse de thé aurait été, dans ce genre de teuf, hors de propos. Pour un anachorète je suis plutôt beaucoup sorti cette semaine. Dîné chez X, Y et Z. Dîner chez les gens c'est bien mais c'est à partir du moment où ils vous proposent des yaourts pour dessert que vous pénétrez véritablement dans l'intimité de leur frigidaire. Pierre, mon cousin (dont l'érudition, la discrétion et la spontanéité me font regretter de considérer trop souvent toute idée de famille aussi pénible et fastidieuse qu'une leçon d'arithmétique) m'a raconté que visitant en Suisse une exposition consacrée à Vladimir Nabokov, l'a particulièrement séduit et amusé la présentation sous verre de la page sommaire d'une compilation du New-Yorker énumérant les titres des nouvelles recueillies avec les noms de leurs auteurs, tous illustres, page sommaire sur laquelle Nabokov s'était permis de rajouter de sa main à côté de chaque nom un jugement aussi définitif que cinglant sous forme de note d'après le barème scolaire en vigueur, si bien que tous les auteurs de cet ouvrage avaient écopés d'un C- ou d'un D à l'exception de Salinger : A- et de lui même, Nabokov : A+. Dernière chose, et non des moindres : elle s'appelle Laure. (23.09.99). 

 

26.12.99   Trois heures pour rentrer sur Paris à slalomer entre les arbres renversés au milieu de la route, les voies coupées, les embouteillages. Mon itinéraire stratégique pour regagner Auteuil au travers d'un département apocalyptique m'a conduit à traverser cette ville où je n'avais pas remis les pieds, et encore moins les roues, depuis la fin de mon idylle avec X Soudain j'ai pensé à elle. J'aurais pu aller sonner chez ses parents, l'y trouver peut-être et lui dire : "Ecoute, je suis bloqué, toutes les routes sont coupées par des arbres eux mêmes coupés, alors n'y coupons pas faisons l'amour car de toute façon nous ne pouvons pas espérer d'ici plusieurs heures un retour à la normale."   

 

On a mis un cachet dans mon verre (et je pense plutôt ici à un truc du genre ecsta que suppositoire) ou Boulevard Saint-Germain le café à l'enseigne Le Mandarin est devenu Le Mondrian ? 

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