Champagne est la couleur des photos d'autrefois.
Bruxelles toujours aussi grise. Le visage de ma tante reprend un peu de couleurs quand je viens la voir. La dernière soeur de ma mère encore en vie. En arrivant, il y a toujours ce petit sas de décompression entre sa solitude et ses tracas de santé, et l'événement joyeux de ma visite.
Je dois entendre tout ce qu'elle me dit de sombre : "C'est la dernière fois que tu me vois vivante" et ce genre de trucs. Je plaisante avec ça. Je chasse loin ces choses-là. Par la plaisanterie, comme je le faisais avec ma mère lorsqu'elle me disait qu'elle pourrait bientôt disparaître. J'essayais de mettre assez d'autorité dans ma voix pour repousser la mort le plus tard possible, pour faire comme si je n'y croyais pas pour elle.
Après ce sas de décompression, ma tante peut rire et boire la demi-bouteille de champagne que j'ai apporté.
C'est une femme qui a aimé éperdument le champagne dans sa jeunesse. Alors je lui en apporte une petite bouteille à chaque fois. Et son monde disparu renaît un peu, dans la joie retrouvée du champagne.
Au Pause-Café, à Bastille, il y a une jolie serveuse qui a des cheveux couleurs paille et des yeux verts qui donnent à la petite cuillère du café des reflets baudelairiens d'absinthe.