10.01.2016
Commémoration des attentats de janvier ce matin, place de la République. Les journalistes commencent à sous-entendre l'idée que la commémoration est un "bide" et que Johnny Hallyday a chanté sur une place quasiment vide. Oui, enfin, n'eut-il pas été plus judicieux de faire venir chanter Johnny cette aprème à 17h plutôt qu'à 10h un dimanche matin ?? Beaucoup de choses exaspérantes ce week-end, comme cette manie de glorifier par l'image les terroristes, de sans cesse relayer leurs photos, faire des mini-biopics tels des stars de The Voice, sans soupçonner l'attraction que peut exercer sur les faibles une starification même en négatif, et toujours ce recours stupide au micro-trottoir pour interviewer les voisins et les copains d'enfance qui disent : "Ah mais non, je ne l'aurais pas du tout soupçonné de préparer un crime terroriste, il était toujours courtois quand on se croisait dans la cage d'escaliers, et, enfant, il a partagé un twix avec mon petit frère". Vraiment, la décence n'est plus de ce monde.
11.01.2016
Pourquoi la disparition de Bowie me touche tant et que je n'arrive pas à passer à autre chose aujourd'hui ? C'est comme si l'insouciance et la connaissance à la fois, réunies dans la personnalité de David Bowie, l'insouciance et la connaissance réunies, la liberté en somme, disparaissaient au moment précis où les ténèbres, l'inconséquence crasse, l'ignorance et la violence impunie, semblent chaque jour recouvrir davantage notre monde.
1.02.2016
Douleurs violentes dans le bas du ventre, côté droit. Nouvelle crise de colique néphrétique ? Mercredi dernier, dans le laboratoire d'imagerie médicale de la rue de Rennes, le docteur qui me fait passer une radio des reins et de l'appareil digestif pousse une vive exclamation ! Sur le moment, je panique, et scrute aussitôt l'écran qui affiche l'état de mes organes.
Pas de panique, il venait simplement de recevoir une alerte sur son téléphone mobile annonçant que Christiane Taubira venait de démissionner du gouvernement. Qu'elle soit partie de son ministère le coeur lourd ou léger, je pars du centre d'imagerie médicale avec la confirmation de méchants calculs et 160 euros - en moins - sur mon compte bancaire.
Quand je vois passer une bande-annonce à la télévision de la sélection des meilleures chansons de l'année pour les Victoires de la musique je me demande : 1/ N'y-a-t-il vraiment personne pour élever le niveau ? 2/ Ou plutôt n'y-a-t-il vraiment personne pour aider, soutenir et faire émerger des artistes capables d'élever le niveau ?
Lu une nouvelle d'Oscar Wilde au titre admirable : The sphinx without a secret.
Je tanne Stéphane pour qu'il aille frapper à la porte de chez Seghers et propose une nouvelle collection destinée à rendre un peu + pop la poésie française. Plusieurs des auteurs de Stéphane écrivent de la poésie. Les poèmes de Denis (Parent) sont excellents et j'ai lu une poésie de Claire (Barré) vraiment très belle. Bénédicte (Martin) écrit aussi des poèmes en prose que Stéphane avait publié quand il tenait sa maison d'éditions. Je prépare de mon côté un recueil de poèmes inédits, en prose, dans l'esprit de ceux de Carver, Bukowski, ou Brautigan, en ce qui concerne la forme. Nous n'avons pas cette culture en France de la poésie puissante et décomplexée, et des tournées de lectures, il y a peut-être quelque chose à proposer, à inventer, redonner aux jeunes gens le goût de lire et d'écouter de la poésie contemporaine - en dehors des trucs un peu étouffe-chrétiens ou trop scolaires ou compassés publiés chez Gallimard et les autres, voilà pourquoi je tanne Stéphane pour qu'il aille frapper à la porte de chez Seghers et leur propose du neuf.
Plusieurs idées de roman dont un autre Caglia. Il faudrait pour cela que Pocket se décide à sortir Aide-moi si tu peux et qu'il y ait une véritable synergie avec un nouvel épisode des aventures du capitaine Caglia. Si cela traîne trop, je suis en train de tourner autour d'autres idées de romans. La bonne s'imposera certainement dans les semaines qui suivront la sortie et l'accueil des Jonquilles de Green Park.
Je lis en bilingue un Raymond Chandler, Trouble is my business, traduit en français par : "Les ennuis c'est mon problème". Plutôt criminel, c'est le cas de le dire, comme traduction. N'eût-il pas été préférable de traduire Trouble is my business par : "Les emmerdes c'est mon métier" ?
05.02.2016
Carrefour de l'Odéon, une fille qui dit à un type vaguement concerné :
- J'essaye de sauver un truc à tout prix parce que je t'adore."
07.02.2016
Pourquoi Mark Rothko est le peintre préféré des cabinets d'imagerie médicale ? Suffisamment abscond pour rassurer ?
19.02.2016
Mort d'Umberto Eco. Dans les diverses interview et saillies de l'écrivain qu'on peut lire dans les journaux et sur les sites, les propos admirables, aussi justes que désespérés, de l'écrivain italien à propos des réseaux sociaux : «Ils ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel.»
23.02.2016
Les jours où toute proposition est un souci.
25.02.2016
Nouveaux projets d'écriture de longs métrages avec Claude. L'idée est d'élaborer un synopsis qui tient la route, et de postuler ensuite auprès de différents organismes pour une aide à l'écriture de scénario.
Écriture avec Yan d'un court-métrage poétique et réjouissant.
Je continue à envoyer mes trois premiers épisodes scriptés à des boîtes de prod de mon projet de série sur des vampires que j'ai écrit, seul, à Deauville, l'automne dernier, juste après ma dernière version des jonquilles.
Toujours beaucoup d'idées, de volonté de séries et de cinéma, mais aucun projet encore - ni coup de pouce ou de projecteur décisif - qui ne me mette le pied à l'étrier.
Jamais rien de décisif, c'est usant.
L'année dernière j'étais persuadé que Caglia donnerait vraiment envie aux boîtes de prod de se lancer dans l'aventure d'une série dans l'ambiance et avec les personnages du roman, mais comme me l'a confirmé cette semaine Delphine chez Robert Laffont, aucun producteur n'a eu, ni la curioisté ni l'envie, de se plonger dans Aide-moi si tu peux.
02.03.2016
Hier soir vu Birdman à la télé. Une très bonne réplique : "La célébrité ce n'est que la petite cousine partouzeuse du prestige".
Premières giboulées de mars sur Paris. Averse, puis gros copeaux de neige, et soudain : grand soleil.
Au gré des circonstances j’habite à nouveau le quartier où je logeais il y a 25 ans. Le 2 mars donc, il y a 25 ans, c’était un dimanche je m’en souviens parce que je venais de passer une nuit blanche dans une fête du côté du boulevard Magenta, et j’étais rentré à pied dans un Paris désert, tôt dans la matinée et boulevard Saint-Germain je croise un ami qui me dit : « Tu as entendu la nouvelle ? Gainsbourg est mort ». Abasourdi, je me précipite rue de Verneuil, il y avait là une petite vingtaine de personnes, jeunes filles et jeunes gens, plus anxieux que tristes, occupés à faire les cent pas dans leur rage de ne pas y croire, c’était assez étonnant, il n’y avait pas encore les chaines d’infos en continu et toutes ces filles qui font des exposés à la télé comme elles faisaient des exposés dans ma classe de Première ou de Terminale, ou à la fac, la stupeur n’était pas hypnotisée, colonisée par l’image comme aujourd’hui. J’étais assez reconnaissant à Gainsbourg pour ce qu’il était, son attitude et son travail qui me permettaient de distancer mes chagrins de jeune homme. De donner du panache aussi à la solitude qu’on éprouve toujours, à n’importe quel âge de son existence, cuisante. Il y a un truc avec ce quartier, c’est que pendant ces années 89, 90, 91, chaque soir je sortais de chez moi et je faisais une promenade magique censée me donner beaucoup d’énergie en passant dans les rues et devant les domiciles des gens dont le travail comptait terriblement pour moi et ils habitaient tous dans le coin : Cioran du côté des jardins du Luxembourg, Marguerite Duras rue Saint-Benoît, Gainsbourg rue de Verneuil. Une poignée d’années plus tard tous ces gens-là n’existaient plus. Alors qui aujourd’hui pour donner du courage à mes déceptions et mes errances ? Et que devient ce quartier, avec ses loyers exorbitants, ses fantômes chassés des cafés où le moindre espresso coûte plus de trois euros cinquante, cafés où les étudiants ne trainent guère plus leur joie de vivre, où la morosité se sent partout, et, où qu’on se promène, les rues de Paris abandonnées à la mendicité organisée.
03.03.2016
Sortie en librairie de mon nouveau roman : Les Jonquilles de Green Park.
Le succès, s'il arrive un jour, me permettra au mieux de travailler davantage, en plus grande confiance, au moins enlèvera à certaines personnes cet air de condescendance qu'elles affichent à mon égard.
Depuis que j'ai perdu mes parents, je me suis fait à l'idée que tout arrivera trop tard.
10.03.2016.
Quand on sort un livre, un roman, ne pas être tenté dans les premières semaines de divisier l'entourage (et, par extension, l'humanité) en deux catégories : ceux qui font l'effort de se procurer votre ouvrage, et les autres.
12.03.2016
La quête du confort de l'écrivain contemporain : un peu de reconnaissance ? Un peu de visibilité ? Peut-être mais surtout : une chambre d'hôtel avec une baignoire le samedi soir (en déplacement dédicaces).
13.03.2016
De retour de l'agréable salon du livre de Rennes, dans le train un couple de jeunes trentenaires s'installe à leurs places quand peu de temps après le départ la fille éructe à l'encontre de son compagnon :
- Ce que t'as dit devant tes copains, tu crois que ça m'a fait plaisir ? Passer pour la chieuse qui vient te chercher !"
Assise côté couloir elle tourne la tête, et, à un siège en retrait sur la rangée opposée, j'aperçois son profil irrité qui appelle les larmes. Son type, côté fenêtre, s'emmure dans un silence mou. Il semble impuissant à tenter de récupérer les choses, pour lui comme pour elle.
Enfin, après plusieurs minutes crispantes, il bredouille deux trois mots (inaudibles), ce qui achève de mettre la fille hors d'elle :
- Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ? C'est après toi que j'en ai !"
Aussitôt dit elle se lève, prend le couloir et se dirige vers un autre wagon. Elle ne reviendra qu'à la toute fin du trajet, dans les dernières secondes de l'arrivée en gare Montparnasse, pour attraper ses affaires. Durant tout le voyage le type est resté la tête collée contre la vitre, dans ses pensées. À un moment, il a extirpé de sa poche son téléphone portable, peut-être dans l'idée de pianoter un texto, d'envoyer quelque chose : "Ne sois pas ridicule, reviens t'asseoir...", qu'il aurait pu dans une ultime inspiration changer par : "Je suis ridicule, reviens t'asseoir...", mais il s'est ravisé et a rangé son téléphone. Après Angoulème, il s'est endormi.
La honte que j'ai éprouvé pour ce type quelconque incapable d'apaiser la honte éprouvée par sa compagne, m'a tenu compagnie de Rennes jusqu'à Paris.
14.03.2016
En musique / chansons, si l'on envoyait aux travaux forcés toutes les personnes qui m'ont fait travailler pour rien, pour peanuts et sans résultat au final, qui m'ont fait perdre impunément mon temps, Cayenne retrouverait son activité d'antan.
16.03.2016
Soirée d'inauguration du salon du livre de Paris. Il faudrait créer un prix "Fitzgerald" du stand le mieux pourvu en champagne, ou du stand qui arrive à sauver au final la dernière bouteille de champagne.
À Paris, il y a deux sortes d'écrivains : ceux qui boivent, et ceux qui ne boivent pas - au risque d'être conduits directement à l'hosto.
Je croise pas mal de connaissances, d'amis, de journalistes, évite aussi nombre de personnes que j'ai croisées par ailleurs et dont l'attitude m'exaspère. J'essaye de faire un trait d'humour avec une fille qui ne comprend rien du tout à mon attention, elle monte sur ses grands chevaux, croit que je l'ai un peu mésestimé - alors que je n'ai jamais cette intention là - et part dans une grande démonstration de vanité qui n'a au final pour but que de me réduire à l'état de fantôme. Parfois, dans certaines situations, comme je ne fais pas mon connard, les gens croient que je suis faible.
Tant aujourd'hui c'est faire son connard qui est la norme.
Tout le monde me demande poliment comment ça se passe avec mon roman, mais en règle générale il est sorti il y a une semaine et personne ne l'a (encore) lu.
X me dit : "Il faut que je te présente Y, elle veut absolument te rencontrer", et une fois que Y et moi avons l'occasion de nous parler, elle me raconte un truc dans lequel je me demande bien où est sa nécessité absolue de me rencontrer.
Je m'éclipse à la fermeture avec Lassaad et nous allons manger une omelette au Sauvignon, rue de Sèvres. Lassaad demande poliment de la moutarde, et le serveur lui répond que dans un établissement réputé pour la qualité de sa carte des vins, on ne propose pas de moutarde, celle-ci ayant tendance à masquer et ôter complètement l'arôme du vin. Il aura fallu attendre la fin de soirée pour que j'apprenne quelque chose d'inédit.
17.03.2016
Chez WH Smith, sous les arcades de la rue de Rivoli, j'achète quelques numéros de la nouvelle collection Penguin little black classics à 80 pences l'exemplaire (soit 1 euro 50) parmi lesquels un recueil de trois nouvelles de Katherine Mansfield. Dans Mariage à la mode, ce passage dont j'adore la puissance d'évocation :
"The exquisite freshness of Isabel ! When he had been a little boy, it was his delight to run into the garden after a shower of rain and shake the rose-bush over him. Isabel was that rose-bush, petal-soft, sparkling and cool. And he was still that little boy. But there was no running into the garden now, no laughing ans shaking. The dull, persistent gnawing in his breast started again. He drew up his legs, tossed the papers aside, and shut his eyes."
Point sur les séries que je regarde en ce moment. Pour la nouvelle saison de The Walking Dead, ça commence à être un peu tiré par les cheveux, mais chaque épisode reste captivant car hyper stressant. Tout tourne autour maintenant de ce bras de fer mental entre les scénaristes et les spectateurs : Ne nous tuez pas Maggie, ne nous tuez pas Glen, ne nous tuez pas Carol, ne nous tuez pas Daryl. Pour l'amour du ciel, ne faites pas vos Game of Thrones !
Nouvelle saison de Girls, l'intérêt est relancé avec la relation Jessa/Adam. J'ai toujours pensé que le personnage de Jessa n'avait jamais été exploité à sa juste valeur. Quant à Marnie, elle doit finir avec Ray. Ce sont les Rachel/Ross d'aujourd'hui.
Vinyle, la nouvelle série de Scorcese, Terence Winter que j'ai tant aimé sur Boardwalk Empire, et Mick Jagger. Hors le pilote qui est une véritable démonstration-manifeste de la grandiloquence jouissive de Scorcese, et malgré le talent de Bobby Canavale, les épisodes suivants peinent vraiment à me captiver.
Daredevil netflix, jamais je n'ai été autant conquis par un personnage de méchant aussi bien incarné que leur Wilson Fisk. Un côté fascinant à la Christopher Walken dans The King of New York.
Toujours grand fan de Judd Appatow, sa série Love sur Netflix est vraiment épatante. Si l'anglais était ma langue d'écriture, mon terrain de jeu, nul doute que j'essaierai d'être showrunner quelque part, même sur une toute petite série bien marrante d'une obscure chaîne de câble.
Jeté un oeil à un talk-show hier soir. C'est dingue comme le succès, sa fraîcheur ou sa triste habitude, autorise toutes les vanités sans que personne ne soit là pour y mettre un frein.
18.03.2016
L'arrestation du fuyard des assassinats du 13 novembre qui se la coulait douce dans son quartier d'origine à Bruxelles.
Et toute cette procédure maintenant, des années sans doute avant un procès, à revoir son visage érotisé comme un poster en permanence à la une des journaux télévisés. La façon dont nous traîtons les assassins, incomparablement plus douce que la manière dont les assassins traitent les innocents.
20.03.2016
Jeté dans l'incertitude de l'avenir, je passe mes journées à fuir les images et les sensations d'un passé proche et qui ne reviendront jamais, tous ces moments passés en compagnie de ma mère dont je m'occupais beaucoup ces dernières années, les promenades ensemble dans les parcs d'Île-de-france, où je l'encourageais à prendre l'air malgré sa santé et ses capacités à se mouvoir déclinantes, les courses et les petits plaisirs que l'on s'offrait, le marché du dimanche, les repas les desserts (que nous adorions tous deux), la protection et la précaution infinies, le sentiment de se sentir en sécurité et la peur qui en découle quand je la laissais seule dans ce monde piteux, et tous les endroits encore que nous traversions ensemble, tous ces paysages me reviennent mentalement au cours de la journée, tous ces moments d'infinie tendresse qu'aussitôt je cherche à chasser pour ne pas me laisser submerger par les larmes, comme cela m'arrivait encore l'année dernière, pour un rien, un infime souvenir, se sentir orphelin de l'essentiel et résister en me lançant dans des projets qui ne m'apporteront sans doute jamais la protection et l'infini souci d'un autrefois encore présent mais désormais inatteignable.
21.03.2016
Conversation très intéressante avec une parisienne à vélo.
Tandis que je m'apprête à traverser au passage piéton, elle grille le feu rouge et manque avec nonchalance de me foncer dessus.
- Madame, le feu est rouge pour vous !
- J'm'en branle, me répond-t-elle au nom de ce chic parisien qu'on nous envie à travers le monde.
- Et la politesse, connasse, ça te dit quelque chose ?
Au moment où elle se trémousse sur son vélo et tente de se retourner pour me faire un doigt d'honneur, elle manque de se faire emboutir par une voiture qui bifurque à l'intersection.
Si j'étais maire de Paris, il y aurait des snipers sur les toits qui seraient chargés d'abattre à vue tous ces connards qui ne respectent pas les règles élémentaires, les mafieux dégueulasses qui, sur le pont des Arts, passent leur temps à arnaquer les touristes avec leur jeu du bonneteau dans l'impunité générale seraient conduits immédiatement dans la machine à baffes des Sous doués passent le bac (après qu'on y eût délogé les écrivains qui se la pètent mis en résidence), mais, entre autres mesures de cet acabit, il y aurait à Paris un grand salon du livre gratuit pour le public.
27.03.2016 Les deux anniversaires de sa disparition.
Ma mère est morte il y a deux ans, un week-end de Pâques, ce qui correspondait en 2014 - sur le mode de calcul en vigueur - à la date du 19 avril. Il y a eu pas mal de complications et d'atermoiements concrets en raison du long week-end de Pâques pour toutes les démarches administratives d'usage, aussi je me souviens de ces premiers jours atroces et hébétés de la mort de ma mère - où le chagrin est bloqué dans l'étau des choses à faire, à résoudre, une bulle de chagrin comme un ballon en plastique rempli d'eau entre les deux bras d'un étau et qui désire éclater mais se maintient dans une tension douloureuse - je me souviens de ces jours difficiles comme liés au week-end de Pâques, même si c'était un 19 avril, et si demain le lundi de Pâques tombe un 28 mars. Il y aura donc, cette année, deux anniversaires à sa disparition. Et si je ne désire me fixer que sur une seule date, il y aura toujours des personnes pour me rappeler à ce souvenir, soit le week-end de Pâques, soit le 19 avril. La prochaine fois où il n'y aura qu'un anniversaire par an à sa disparition, où Pâques tombera un 19 avril, ce sera en 2025.
Je parle des choses concrètes qu'il y avait à affronter. Et qui ont bien duré des semaines et des mois, après l'hôpital, la morgue, le funérarium. Vider par exemple le petit appartement qu'elle louait dans les Yvelines, et son propriétaire qui me pourrissait la vie parce qu'il y avait des traces de talons sur le parquet (je me souviens que j'essayais de lui faire comprendre qu'à 85 ans je voyais mal comment ma mère ait pu encore porter des talons), ou qui d'une manière très étrange s'indignait que le four qu'il avait fait changer (ma mère occupait le logement depuis à peine huit mois et le four était tombé en panne au bout du premier mois) ait été mal installé par l'employé de chez Darty. "C'est dommage, m'écrivait-il, que votre mère n'ait pas fait revenir Darty et n'ai pas pu mieux profiter de l'installation", comme si ça le contrariait de faire revenir Darty à sa charge une nouvelle fois. Il m'écrivait tout ça, et, débordé de chagrin, et abasourdi par la mesquinerie des gens quand il s'agit d'une peine qui ne les concerne pas, je m'étais fait la réflexion que l'on peut deviner aussi bien les intentions réelles d'une personne dans son écriture, dans cette voix écrite, que si on la tient en face de nous. Encore : ll voulait que je règle la note d'un volet défectueux dans la chambre d'ami que ma maman n'avait même pas eu le temps d'aménager.
Je parle de cet exemple comme faisant partie de l'infinité de petites choses que j'ai eues à régler, et il y en a encore qui ne sont pas réglées. Par exemple, quand je fais des courses au Monoprix, je donne toujours la carte qui est au nom de maman. Je suis allé une fois sur le site pour essayer de changer ça, mais je crois que rien n'était prévu pour cette situation ou alors cela m'a paru compliqué et m'a tout bonnement découragé. Je crois qu'aujourd'hui je suis plus facilement découragé que durant les dernières années où je m'occupais de ma mère. La mentalité des gens pouvait m'attérer ou m'abattre (surtout dans le travail, c'est le travail des chansons auquel je pense), je ne me laissais pas vraiment atteindre parce que je me sentais protégé, à l'abri du besoin, tellement protégé par ma mère, et le temps passé à m'occuper d'elle me rendait dérisoire les choses qui ne fonctionnaient ou n'avançaient pas et dont de toute façon je n'étais pas responsable.
Une autre petite chose me vient à l'esprit en parlant de l'anecdote dérisoire de la carte Monoprix. Dans l'appartement qu'elle avait loué en septembre 2013, pour qu'elle ait la télé, je l'avais abonnée à Numéricable. Au moment de sa mort, je les ai appelé, leur ai expliqué la situation, le décès, leur ai donné mon adresse à Paris, et ai suivi la manoeuvre (toujours laborieuse) pour leur retourner la box. Plusieurs semaine après, j'ai reçu un chèque (la caution du décodeur sans doute + des déductions de l'abonnement) d'un montant de 75 euros...à l'ordre de ma maman. J'ai voulu les appeler pour leur demander comment ils pensaient que j'allais pouvoir encaisser un chèque à l'ordre de ma mère, décédée il y a un mois, ses comptes banquaires bloqués etc., leur demander s'ils se rendaient un peu compte de leur cynisme, et puis je suis tombé sur leur centre d'appel avec une fille qui savait à peine aligner un mot de français en dehors des sollicitations et des réponses mécaniques qu'elle alignait en suivant le protocole, alors j'ai laissé tomber. J'ai pensé à aller voir ma banque pour leur demander si on pouvait quand même leur faire cracher les 75 euros, ou en parler à mon notaire pour qu'on leur fasse un méga procès rien que pour leur apprendre un peu la décence, mais ça m'a découragé. N'ayant plus le château fort de ma maman, ce genre de trucs me décourage par avance.
30.03.2016
Aujourd'hui, sur les réseaux sociaux, beaucoup de personnes vont écrire un mot sur leur petit souvenir personnel de Jean-Pierre Coffe. Nous autres les gens qui écrivent, et qui, par nos errances ou nos voyages, incarnons cette écriture, nous avons tous un petit souvenir personnel de quelqu'un qui écrit (ou qui passe à la télé). C'est normal, on se rencontre, on se côtoie, dans les dédicaces, les librairies, les salons du livre, on prend de plein fouet la vanité ou la tendresse de l'autre, la morgue infecte ou la main tendue, on éprouve aussi sa propre tendresse et sa propre vanité au contact de l'autre. Jean-Pierre Coffe restera pour moi indissociablement lié aux années consécutives à dédicacer au salon du livre du Mans, au stand de la super Librairie Doucet et de la joyeuse ambiance apéros à toute heure sur ce stand. L'année dernière, Zoé qui travaillait sur le stand m'avait offert une boîte gigantesque de bonbons bien gélatineux, un choix pléthorique de schtroumpfs, de crocodiles, de Tagada, et comme pendant tout le week-end j'étais assis non loin de Jean-Pierre mon running gag était de lui en proposer un le plus de fois possible pour le voir partir dans ses colères pleines d'indignation vraie et de sourires malicieux. - Allez Jean-Pierre, faites un effort, pour l'amour de la littérature, vous prendrez bien un petit bonbec ? Non, sûrement pas, bougonnait-il avant de galoper dans un exposé rageur sur la graisse de porc gélatinée et de prendre les visiteurs à témoin. Il faut dire, qu'au pays de la rillette, c'était vraiment un attentat à la pudeur ! Mais d'année en année on était une vraie bande de copains d'un week-end, sur le stand de la librairie Doucet, et en octobre prochain c'est certain qu'il manquera au paysage tendre et improbable des écrivains en goguette.
04.04.2016
Les premiers jours / premières semaines de sortie d’un roman sont toujours des périodes creuses et stressantes, anxieuses et atterrantes. On attend des choses qui n’arrivent pas vraiment, ou mettent un temps monstre à arriver, on voit tout un tas de personnes mieux chéries par la vitesse qui semblent filer héroïquement sur la route avec, à chacune de leurs étapes, des podiums et des couronnes de fleurs jetées par avance. Ils donnent l’impression de piloter des voitures de courses et de passer en trombes sous les vivas, et, pour vous, la route est toujours périlleuse, un peu laborieuse malgré la quantité de jolies choses en chemin, jamais encore déterminante, jamais tout à fait satisfaisante, mais vous avez le temps de vous arrêter pour apprécier chaque petite surprise et chaque attention.
Vous n’empruntez pas le circuit rêvé des choses douces et faciles, vous ne concourrez pas dans le peloton de tête, et par rapport aux bolides à succès élancés et parfois pleins de morgue qui manquent de vous renverser au passage, vous avez l’impression de conduire une sorte de bus (à impériale) assez sympathique et qui fait quand même monter, les jours avec, plein de monde en son for intérieur.
06.04.2016
Tenté d'aller hier soir à la signature de Patti Smith à la librairie Gallimard, boulevard Raspail, mais il y avait trop de monde alors je suis allé m'acheter des tartelettes aux pommes chez Poilâne (il y avait moins de monde).
En amont de l'après-midi, j'ai pris un café avec Zoé, non loin de sa boutique à Odéon. Installés en terrasse nous avons été aux premières loges d'une charge soudaine de CRS. De près, ils font l'effet de gros coléoptères sur-armés ou de types sortis d'un film futuriste de Paul Verhoeven. Dardant leurs boucliers à visières, ils tentaient de juguler une bande d'étudiants aussi surexcités que fébriles qui hurlaient : "Libérez nos camarades ! Libérez nos camarades !".
Avec Zoé, nous parlons du fait que les choses avancent lentement dans nos domaines respectifs car nous ne sommes pas des assoiffés de réussite à tout prix, des carriéristes sans foi ni loi ou des rouleaux compresseurs de leur petite affaire personnelle. "Que veux-tu, dis-je à Zoé, nous somme des purs." "Oui, me répond-t-elle, mais moi je me fous de la pureté. Je veux m'adapter à mon siècle !"
Entre autres sujets nous parlons d'un type de notre connaissance qui est un vértitable courreur. Un cavaleur qui enchaîne les conquètes féminines. "C'est simple, dis-je. Sa philosophie est la suivante : "Dès que c'est libre, je me libère."
Puis Zoé m'évoque combien parfois elle est peinée de voir deux amis à elle, qu'elle a rencontré en des circonstances distinctes, qu'elle a présentés l'un à l'autre, nouer par la suite entre eux une relation qui exclue un peu Zoé, comme si elle n'avait servi que d'intermédiaire à leur rencontre.
"Mais c'est formidable, dis-je joyeusement, au contraire tu devrais voir ça comme une bénédiction. Moi j'adore faire ça. Présenter un ami à un autre et que la mayonnaise prenne. Ainsi ils se fréquentent l'un l'autre et toi tu as la paix. Tu peux te conscrer à des choses intéressantes : lire un bon roman, te promener seul dans la rue avec tes pensées. Non, vraiment, tu devrais voir ça comme un bienfait ! Un don de la nature !"
12.04.2016
Rentré de Saumur. Douceur angevine, gentillesse des lecteurs. Dans le train du retour, à côté d'Emma (D), bandelettes de ciel orangé et rose qui se reflètent dans les étangs bordés d'arbres. Un dimanche auparavant, à Limoges, remontant les rues calmes et désertes en direction de l'excellent restaurant : Le Versailles, nous entonnons, Sigolène (V) et moi, la chanson Le petit âne gris. C'était vraiment très beau, nos deux voix dans les rues sous annesthésie dominicale, j'aurais aimé faire une vidéo de ça. L'idée m'a effleuré sur le moment, mais je n'ai pas osé.
Traversé les Jardins du Luxembourg en compagnie de Jules pour nous rendre au prix de la Closerie des Lilas. Nous y retrouvons Marie-Hélène encore toute étourdie du tournage du court-métrage que nous avons écrit ensemble. Je suis passé sur le plateau de tournage dans la semaine et ai trouvé Marie-Hélène vraiment très bien, à sa place, performante au milieu de son équipe. Je crois que l'intention d'être soi-même est souvent une question de place à trouver. Il y a une place qui est la nôtre et nous avons rarement la persévérance du soleil pour d'un rayon franchir et dissiper ce qui encombre ou barre la route, et s'y placer. Je suis allé embrasser Julia qui a gagné le prix de la Closerie. Je ne la connais pas bien mais il y a en elle une grâce qui se compose d'une part de dureté, de mélancolie, et à part égale d'un émerveillement enfantin et solaire, sans filtre, qui me touche. Hâte de lire ce qu'elle a mis son dernier livre. Car c'est cette question toute simple que la littérature dervait poser : Qu'est-ce qu'on a mis d'irréductiblement soi dans un livre ? Tout le reste, même le style, c'est de la communication.
Je suis dans la sale période des attentes de retombées médiatiques de la sortie d'un roman. N'ai pas encore la notoriété, l'attraction ou l'influence nécessaires (peut-être ne les aurais-je jamais ?) pour que les portes s'ouvrent rapidement, que les gens s'intéressent à vous sans délai, je veux dire dans le délai où votre roman reste sur les tables des librairies.
Dans les Pile à Lire des personnes qui peuvent changer la donne, je passe toujours après.
Après.
Après.
J'ai commencé l'écriture d'un prochain roman. J'aimerais beaucoup dans l'idéal qu'il sorte en janvier 2017 mais Stéphane a eu l'air de me dire l'autre jour qu'il estimait que c'était trop tôt, et il doit avoir raison. Même si le public fidèle que mon travail a su gagner ces dernières années s'est habitué avec joie à une sortie par an, ce public (Dieu que je déteste ce mot vague et informe) n'est pas suffisamment nombreux pour être déterminant et le rayonnement de mon travail a encore besoin de coups de pouce médiatiques tandis que les journalistes, eux, peuvent se lasser d'une telle récurrence qui ne produit en somme jamais le raz de marée attendu. Cela étant, l'attraction ou l'indifférence, le succès ou la confidentialité, ne m'ont jamais empêché de travailler, et c'est avec enthousiasme et confiance que je me lance dans l'aventure de ce prochain roman dont les contours et le contenu s'esquissent de jour en jour.
L'horizon d'un nouveau travail est aussi la seule perspective qui permette d'échapper à la perplexité ordinaire de l'attente. Attendre les soutiens attendus, si je puis dire, à mes Jonquilles de Green park, qui mettent un temps monstre à arriver et qui n'arriveront probablement pas cette fois encore. Ou encore cette fois trop tard.
Quand un journaliste s'étonne (avec bienveillance) que j'en suis déjà à un compte de dix romans (onze livres pour être exact), j'ai toujours envie de me confondre en excuses. Demander pardon de n'être pas plus connu plus rapidement.
15.04.2016
J'aime beaucoup l'entretien donné par James Lee Burke à Pauline Guéna et Guillaume Binet, que j'avais rencontrés l'année dernière au salon du livre de Montaigu, dans leur livre : L'Amérique des écrivains (road trip).
À la question posée par Pauline : Un écrivain a-t-il une mission ? James Lee Burke répond : "Faire du monde un endroit meilleur".
Beaucoup de stress, d'incompatibilité avec ce que j'aimerais et ce qui se produit réellement, dans cette période. Assez crevé physiquement. Je change mon bureau de place, d'orientation, et ça va déjà (un peu) mieux.
On voudrait que les autres vous émeuvent et la plupart du temps ils ne font que gesticuler.
17.04.2016
Au téléphone, TC me rappelle que cela va faire deux ans que ma mère est morte. Enfin, me le rappelle, je le sais bien, même si pour moi en raison du long week-end férié dans lequel j'ai dû me débattre, cela est davantage inscrit dans ma mémoire comme étant survenu le week-end de Pâques. Je suis encore envahi et secoué, de temps en temps, par de chaudes crises de larmes. Tout me rappelle à elle comme ce matin où j'ai cassé - en mille morceaux sur le parquet - par accident une lampe que j'avais acheté avec elle (traduisez : que ma maman m'avait acheté). Ce qui me brise - comme la lampe - c'est l'impossibilité de poursuivre les moments passés avec elle. La joie et le refuge immédiat que c'était, dans une infinité de petites choses. Quand j'allais en déplacement pour une dédicace par exemple, la première chose que je faisais était de la contacter par Facetime et de lui montrer la chambre d'hôtel, la vue de la chambre d'hôtel, ce genre de trucs. Je lui rapportais toujours les cadeaux qu'on m'offrait, ou lui rapportait des souvenirs de telle ou telle ville poursuivant cette histoire des souvenirs à rapporter lorsqu'enfant je partais en colonie de vacances ou en classe verte. Mon truc préféré en colonies, c'était le jour où l'on avait quartier libre pour acheter les souvenirs qu'on rapporterait à nos parents. Tout le reste me pesait tellement. Me paraissait tellement vain. Les boums, le ski, les excursions. Tellement rien à foutre.
C'est un cruel manque aujourd'hui de ne plus pouvoir poursuivre la vie que je menais avec ma mère, pouvoir m'occuper d'elle, la visiter deux trois fois par semaine, l'appeler tous les soirs par Facetime et la rappeler parfois une deuxième ou une troisième fois (elle adorait ça) pour commenter un programme télé, pour feindre d'avoir oublié de lui dire quelque chose que je prévoyais en deux temps, pour lui faire plaisir (j'écris ça dans les larmes ce soir). C'est ce désespoir de l'interruption qui me pèse aujourd'hui, et aussi : toutes les petites vexations quotidiennes endurées par mon travail, tous les encombrements de la journée, les choses qui n'avancent pas, les gens qui ne se comportent jamais avec la délicatesse souhaitée, tous les gens imbus d'eux-mêmes qui vous forcent à les regarder gesticuler, tout ça n'avait aucune importance du moment que je m'occupais de ma maman. M'occuper d'elle empêchait le désespoir de fondre sur moi quand un événement ou une personne, ou l'absence d'un événement, ou l'absence d'une personne, me blessait. Aujourd'hui je me sens plus fragile. Plus facilement la proie du désespoir.