top of page

samedi 7 janvier 2012. Le but de chaque journée

 

Le but de chaque journée est une sentence : parvenir à quelque chose d'exquis.

 

La crise de foie internationale, et la dernière phrase de la journée contaminée par le fantôme de Marguerite Duras.

 

Je déguste les chocolats de Pascal Le gac que m'a offert ma maman, termine les chocolats que Sanae m'a envoyé du Japon, et commence la boîte en provenance d'Helsinki, cadeau de Roman. Si bien que j'ai, je crois, une crise de foie internationale.

 

Dans un café du boulevard Saint-Germain, O. me dit :

- A Paris, tu rencontres tellement de gens, vite, tout le temps, que tu finis par avoir l'impression que toutes les relations sont en quatrième vitesse. Et tout le monde se satisfait très bien de ça.

- Tu veux dire que l'on pense qu'il y a toujours quelqu'un d'aussi superficiel qui arrive après, alors n'importe qui est interchangeable...

Elle marque un temps d'arrêt, et s'exclame :

- Bhein ouais !"

 

Le cinéma est un recours puissant pour laisser des sentiments incarnés. Des espaces solides de sentiments incarnés. Même si cela est faux pour le reste du temps. Peut-être qu'il y a très peu de temps que l'on puisse incarner ou qui vaille la peine d'être incarné, et c'est en cela que le cinéma peut être puissant. C'est pour ça aussi que, dans l'idéal, il faudrait chérir chaque scène de cinéma.

 

Pourquoi penser à elle ? Parce que quand je pense à elle, les stations de métro passent plus vite. Il n'y a pas d'intervalle entre les stations de métro. Il n'y a pas d'intervalle à l'amour.

 

mercredi 11 janvier 2012. Bidon.

 

Trop de temps perdu à des textes de chansons qui, pour des raisons x ou y (et qui ne dépendent pas de mon travail, du moins quand j'écoute les chansons, plus tard, à la radio, c'est ce que je me dis) n'ont pas été pris. Comme à chaque fois, c'est du travail dans le vide. Pour peanuts.

J'ai voulu me faire une petite commande de livres sur Amazon mais mon règlement par carte bleue n'a pas été accepté. C'est comme un peu avant noël, musardant au Virgin megastore sur les Champs-Elysées, je commence à prendre deux trois trucs qui me faisaient bien envie comme le vinyle du dernier album de Metronomy, ou l'édition spéciale de la bd mythique "Superman vs Muhammad Ali" (que A. finira par m'offrir, génialement, pour noël) et arrivé à la caisse ma carte bleue ne passe pas. L'employé du Virgin, vaguement méprisant, me propose d'appeler ma banque pour qu'ils lèvent la restriction de paiement jusqu'à un certain plafond. Justement je le regarde, le plafond, et balbutie quelques excuses polies avant de m'éclipser. Ça m'apprendra à traîner sur les Champs-Elysées.

Appeler la banque, et puis quoi encore ? Déjà que je n'appelle pas mes amis quand je pense à eux ou qu'il faudrait qu'on se voit pour entretenir cette chose bien vulnérable qu'est l'amitié. En même temps, il y a des gens hystériques qui voudraient qu'on les fréquente tout le temps, à tout bout de champ. "Comment, s'indignent-ils, tu étais seul ce soir-là ? Mais, pourquoi ne m'as tu pas appelé ?"

Hé bien parce que je ne suis jamais seul dans la solitude, c'est dans la solitude que les visages de ce que je pense apparaissent.

Je voudrais bien leur répondre ça, mais pour la plupart d'entre eux, ça sonne bidon.

Quand même je les comprends parce qu'il y a des fois où c'est difficile de remplacer ce qui aurait pu se passer par ce qui s'est passé.

 

samedi 14 janvier 2012. La notoriété qui passe par le chiffre, et deux histoires de poulet.

 

Travail avec Franck sur le projet d'un nouveau court-métrage pour ARTE dont le tournage est prévu avant l'été, si tout va bien. Comme il s'agit ensuite de trouver les bons interlocuteurs pour le long, Franck me dit : "Avec ce court, il faut qu'on soit impitoyable !"

"Ah mais...lui réponds-je en souriant, je n'avais pas l'intention d'être pitoyable !"

Pour ce projet de court, après que Yan qui produit la série m'ait appelé, j'avais écrit une première histoire, un premier scénario, peut-être un peu littéraire, et ensuite, voilà comment on travaille, Franck me fait part de ses idées et objections, pour qu'il ait la place d'y investir sa créativité, ses envies de réalisation, qu'il y trouve sa motivation artistique, et donc je réécris l'ensemble depuis le début en tenant compte du point de vue de Franck, pour un résultat qui, grâce à lui, en terme de cinéma, est bien meilleur au final.

 

Il faut que je retrouve une cadence de travail soutenue. C'était difficile depuis un mois en raison de mon déménagement (j'ai quand même écrit deux trois chansons et corrigé les épreuves de mon roman qui sort en mars). A l'exception des meubles volumineux pour lesquels j'ai fait appel à un professionnel, j'ai décidé de tout déménager seul (parce que je n'aime ni demander, ni emmerder les gens) et j'ai perdu des journées entières en allées et venues à trimballer tout un tas de livres, de films en dvd, de choses accumulées pendant plus de quinze ans, d'un appartement à l'autre.

On peut quand même faire des rencontres dans ce genre de situations, dans mon roman "Pagaille monstre" j'ai situé lors d'un déménagement une scène qui me plait bien où le héros rencontre une fille. (Et en même temps avec tous ces cartons qu'on vous met dans les mains peut-être qu'on peut participer à un déménagement sans jamais voir le visage d'une personne).

 

Tombé lors d'une émission télé sur ce succès de Françoise Hardy dont Gainsbourg a écrit les paroles : "Comment te dire adieu ?". C'est vraiment une super chanson. Je crois malheureusement qu'en terme d'écriture on ne peut plus proposer ce genre de chansons aujourd'hui, pas grand monde ne validerait un tel texte en maisons de disques ou en radios, à moins d'avoir pour soi une notoriété qui passe par le chiffre.

 

Déjeuner avec Edi dans l'un de ses repaires du boulevard de Sébastopol, où l'on mange une assiette de riz et un plat de poulet croustillant pour 3 euros 20. Et ils offrent le café.

En quittant Edi, j'ai descendu le boulevard et suis tombé sur un petit attroupement causé par l'empoignade de deux filles roms. Elle se battaient pour un bout du Kentucky. Du Kentucky fried chicken. Les gens étaient au spectacle et personne n'avait eu l'idée d'entrer dans l'établissement et de commander deux portions pour leur en donner une à chacune. En même temps, les badauds avaient peut-être peur de se prendre une rouste tant les filles avaient l'air d'avoir envie d'en découdre.

C'était plus calme rive gauche. Cette douce rive gauche où c'est le café qui est à 3 euros 20 (au minimum) et où on ne t'offre pas une assiette de riz et un plat de poulet croustillant pour la peine.

 

Dimanche 15 janvier 2012. Bernard Rapp, mon père, et la rue Mouffetard.

 

Je crois qu'on ne peut aimer très fort pas davantage qu'une petite quinzaine de livres. Parce que les livres doivent être aussi des sortes de talismans, qu'on emmène avec nous, dans les trajets du jour et de la nuit, sans forcément d'ailleurs les lire en continu, tout de suite, d'un coup. Ce devrait être une source qui apaise, rafraîchit et consolide, au regard comme à y porter ses yeux par petites gorgées. Aussi, quand on y pense. L'idée d'un livre, avec et pour soi, fait également le livre.

Rien à foutre de ces livres à suspens sans phrase qui tranche, qui fasse sourire, élève ou embellit, en dedans. 

J'aimerais bien essayer d'écrire des livres qui soient des talismans. C'est ce que j'ai essayé pour le prochain il me semble. Des petites histoires qui fassent totem dans leur totalité.

Il y a une année de ma vie que j'ai bien aimé même si j'y étais très seul, j'étais revenu de toutes les promesses amicales de la fac, ni amitié ni amour n'avaient survécu à ce cycle de vie, cela devait être en 1993 ou 1994, j'habitais dans le cinquième arrondissement de Paris, du côté de la rue Mouffetard, et tous les dimanches mes parents venaient me voir et nous déjeunions dans le café à l'angle des rues Mouffetard et de l'Arbalète. Mon père aimait beaucoup ce déjeuner du dimanche et le café qui était un établissement populaire, un café de quartier qui lui rappelait l'ambiance des cafés de la Garenne-Colombes où il avait passé sa jeunesse et vécu plusieurs périodes de sa vie d'homme (entre ses séjours plus ou moins longs à Tahiti, au Cameroun ou aux États-Unis). Après le déjeuner, mes parents retournaient dans les Yvelines et je les accompagnais jusqu'au quai des Grands Augustins où ma maman m'achetait ma ration de thé (Pu-erh) pour la semaine, et je remontais les rues jusqu'à la place de la Contrescarpe dans cette atmosphère particulière en proie à l'ataraxie grise des dimanches dans leurs débuts d'après-midi.

Vers 17 heures, je regardais l'émission littéraire du regretté Bernard Rapp (c'est dans cette émission que j'ai découvert André Marcowicz et son travail génial de retraduction de Dostoïevski pour lequel il aura passé dix ans de sa vie avec un souci fiévreux) et ensuite je me rendais dans l'une des deux librairies du quartier ouvertes un dimanche (quel bonheur !) pour musarder parmi les livres ou y acheter celui dont la présentation m'avait captivé dans l'émission de Bernard Rapp. Parfois, je me laissais séduire par la beauté d'une couverture, ou par un titre, une phrase qui résonnait en moi comme une flèche touchant le cœur, et c'est quelque chose auquel je pense maintenant que j'écris des livres et que j'ai la chance et le bonheur de travailler avec Erwan Denis pour les couvertures, qu'il y a peut-être des jeunes gens comme je l'étais à l'époque qui se laissent séduire par un de mes livres en espérant qu'il devienne un livre talisman, à trimballer dans le foutoir des journées, et qu'effectivement, à l'ouvrir et le lire, au gré de soi il le soit.

 

Lundi 16 janvier 2012. L'alcool qui épaissit les corps plus que le mystère.

 

A un moment j'ai été très attiré par les filles qui écrivent (Pas vraiment vrai, mais vraiment bien pour mon histoire). Pour moi, c'est comme si par l'écriture elles s'inventaient un deuxième corps. Et c'est une expérience toujours très excitante de faire l'amour à trois, surtout si on est deux. Il y avait cette fille qui écrivait des choses troublantes (dans le sens où on avait envie de la protéger toujours avant la fin d'une de ses phrases) et avec qui je m'étais retrouvé coincé toute une nuit en marge d'un événement qui nous avait fait bâiller tous les deux bien que ce fut les autres qui se fussent endormis. J'avais lu quelques textes d'elle par le passé, des textes courts qui m'avaient procuré cette sensation de désir et de protection mêlés. Et j'attendais beaucoup de cette nuit. Son corps à elle, son corps fantasmé dans l'écriture, et moi.

Mais alors que l'alcool fait voir double (à ce que j'en ai appris dans les bandes dessinées que je lisais enfant), le fait qu'elle ait bu sans aucune modération ce soir-là produisit l'effet inverse : ses deux corps qui me plaisaient de manière distincte, différente, complémentaires dans la promesse de l'amour, se rapprochaient sans génie l'un de l'autre pour donner un compromis qui me soulevait le cœur, et me laissait sur la touche. Ce qu'elle me racontait, sa parole en quelque sorte formait un nouveau corps, l'instant d'un corps qui ne m'intéressait pas. Ce nouveau corps remplissait la nuit. Ne laissait aucune aise au silence qui borde les étoiles. Elle déballait tout. L'alcool épaissit les corps plus que le mystère qui entoure.

 

Mercredi 18 janvier 2012. L'église Saint-Augustin et la Métro Goldwyn Meyer.

 

J'ai toujours trouvé l'église Saint-Augustin déprimante, sinistre depuis ma première impression, à 18 ans, où je me retrouvais dans ses parages à la suite d'une amoureuse qui ne m'aimait pas : oh le temps pieux des mensonges à emporter sur place, la bénédiction du froid pour mettre les mains sous les pulls et avoir les lèvres trop gercées pour dire les conneries d'usage qui ne rapportent rien en terme d'éternité.

L'église Saint-Augustin est flanquée comme une espèce de navire inquiétant, de vaisseau fantôme titubant prêt à vous fondre sur la gueule. C'est l'effet qu'elle doit faire, du moins, à la statue de Jeanne d'Arc aussi mince que vaillante tournée vers la partie du boulevard Malesherbes qui descend vers La Madeleine. Cette statue de Jeanne d'Arc, personne ne vient la voir, y déposer ne serait-ce qu'un brin de muguet quand il s'agit de rendre hommage à la sainte guerrière, tous lui préfèrent la statue clinquante du côté des Tuileries, l'attrait du doré, à moins qu'ils aient les pétoches que la sinistre église Saint-Augustin ne leur tombe sur la gueule. A 18 ans donc, mon amoureuse du moment ne m'aimait pas. Qu'est-ce que j'y pouvais moi ? Bien peine m'aurait pris de chercher à l'en convaincre. A 18 ans, on ne peut convaincre personne, pas même soi. Je me sentais donc bête comme chou dans ce quartier sinistre après fermeture des bureaux, me prenant une pluie glacée sur la tronche, attendant d'être évacué du tumulte sourd de Saint-Lazare par un énième train de banlieue. Le pâle jeunot romantique installé dans un wagon bondé en grande majorité par les ouvriers de l'usine Talbot-Renault de Poissy qui finissaient leur journée accablante, c'était moi.

La pluie, quand vous êtes heureux, c'est la meilleure des orangeades. Elle a un effet régénérateur. Le cœur se sent propulsé. C'est la sublime scène créée par Gene Kelly et Stanley Donen pour la Métro Goldwin Meyer. Mais quand vous avez l'âme plus bas que terre, chaque goutte vous tombe dessus comme si vous vous preniez l'église Saint-Augustin sur la gueule.

 

Samedi 21 janvier 2012. Comme un cachet d'aspirine qui n'aurait pas été briefé sur le principe de l'effervescence..

 

Je passe dans les soirées comme un cachet d'aspirine qui n'aurait pas été briefé sur le principe de l'effervescence. Il y a un moment où je mets les voiles car je ne sais pas danser (comme dans la chanson de Mike Ibrahim). Ludivine s'indigne : Au moins tu sais danser le slow ?

Pas vraiment. J'ai toujours trouvé ça compliqué. Où mettre les mains, où poser sa tête, dans quelle direction la tourner. C'est vraiment très embarrassant. Je ne me suis jamais autant cogné de toute mon existence que pendant l'exécution d'un slow, qui, pour moi, à l'adolescence, ressemblait bien à une exécution.

Ludivine m'apprend qu'il existe aujourd'hui une musique encore meilleure que le slow : c'est le Zouk love. Parce qu'on danse encore plus près l'un de l'autre que dans un slow.

Danser encore plus près, c'est quoi ? Traverser l'autre.

Vu le film "La vie au ranch" de Sophie Letourneur. Pas vraiment accroché sauf quand l'une des filles dit : "J'en peux plus de la violence, j'aimerais habiter avec toi tu comprends."

La deuxième partie du film est nettement plus intéressante, et il y a la scène de la voiture qui est vraiment bien. Jade joue dans ce film. Très jolie. Mais il manque à ce film si ce n'est un souffle épique, du moins poétique. Peut-être aurait-il fallu inclure une scène de Zook Love. Même si c'est pour se retrouver tout de suite seul au travers de son partenaire, comme Alice de l'autre côté du miroir.

Je sors toujours un peu hagard des soirées où l'on apprend rien de précis sur l'état du monde ou sur soi. Fatras de solitudes qui se cherchent un ticket d'entrée pour des paradis provisoires. A un moment j'ai crû que cette longue fille n'avait pas de bouche. Comme si elle avait fait le geste de la glisser dans sa poche. Étrange. Comme les rêves que je fais ces temps-ci. J'ai rêvé que X se jetait dans mes bras, elle portait une grande robe bleue et blanche. C'étaient des retrouvailles en rêve alors que dans la vraie vie nous ne nous sommes jamais vraiment trouvés.

Le nouveau roman de Françoise Simpère a un bien joli titre : "Jouer au monde". Un jeune type m'a demandé ce qu'était pour moi la culture et j'ai répondu: Un être cultivé est une personne qui ne s'arrête pas à ses choix.

 

Dimanche 29 janvier 2012. Les balivernes du jour.

 

Même si ce n'est jamais le but visé, l'écriture est aussi un bon moyen de ne pas se laisser atteindre, découragé. Il faut que je tienne un Journal (pour le moment secret) de toutes les conneries que j'entends, ou subis au jour le jour, dans cette profession qui devient de plus en plus imprévisible et qui consiste à écrire des chansons et leur trouver si possible une place sur des disques (si le concept peut durer encore un peu) ou en radio.

Parfois, je suis le témoin (ou la victime) de décisions tellement aberrantes que je me dis que cela ferait quand même un bon livre, un de ces quatre.

Suis allé hier soir, samedi, à la dédicace de Marc (Molk) à la librairie Artcurial. La librairie est superbe et je suis sorti avec un tas de livres sous les bras, ayant éclaté en une heure tout mon budget de février (voire mars, avril, mai, juin). Je pense à me faire interdire de librairie comme d'autres de casino, sauf que ce ne sera pas très pratique pour les dédicaces prévues cette année avec la sortie imminente de mon prochain roman. Avec Stéphane, nous travaillons bien à cette sortie, déjà une quinzaine de rendez-vous programmés (ou plutôt : bookés, pour rester dans le livre) en salons du livre à travers la France et en librairies.

J'ai écrit un texte pour le catalogue d’œuvres peintes de Marc : c'est l'histoire d'un cow-boy qui depuis la fin du western cherche à se planquer (ou exister) dans des tableaux. Il est dégoûté que personne ne fasse attention à lui d'autant que dans le tableau de Marc à partir duquel j'ai écrit il y a la silhouette d'une jolie fille qui occupe les deux tiers de la toile, et évidemment tout le monde regarde la fille et se fout du cow-boy. En fait, c'est moi qui ai vu un cow-boy dans la matière, un peu comme on devine des formes dans les nuages, je crois que pour Marc il n'y a jamais eu de cow-boy dans cette toile, mais du coup ça donne un texte intéressant. Une histoire envisageable.

Dans la prestigieuse librairie Artcurial, l'idée de Marc était que tous les auteurs présents et qui ont contribué au livre se mettent à lire leur texte tous en même temps, pour faire une sorte de happening tonitruant. On a commencé à suivre ce plan, Martin Page et moi, et puis il y a une fille qui a hurlé : "Arrêtez-ça tout de suite, on ne comprend rien à votre délire !". Vu que c'était un délire, c'était normal que certaines personnes ne puissent rien y comprendre, mais je ne me suis pas aventuré à expliquer ça à la fille parce qu'elle était très autoritaire et faisait vraiment peur.

J'ai remonté les Champs-Elysées dans l'ambiance spéciale, à la fois tapageuse et mélancolique, dangereuse et chaleureuse, des samedis soirs. Faune ahurie de diverses origines et de mille directions. Dans les rues adjacentes aux Champs-Elysées, un défilé de personnes solitaires et paumées qui m'arrêtaient pour me demander où se trouvaient les Champs-Elysées. J'ai pensé mettre ça dans un roman, comme une sorte de pensée de sagesse chinoise : "Dans les rues autour des Champs-Elysées, les gens cherchent les Champs-Elysées." Enfin, sur le moment, j'en avais fait une vraie pensée, qui aurait eu sa place dans le Tao Tö King je vous le promets. Maintenant, écrit, je me rends bien compte que ça perd un peu de sa substance.

 

Mardi 31 janvier 2012. Comédie française.

 

On tombe amoureux d'un visage, et après : qui est vraiment l'autre est toujours une pochette surprise.

 

Dans le métro, une fille étonnante : longues jambes dans un jean vert, un épais blouson de ski rouge, et une natte de cheveux interminable. Le croisement mouvementé d'un Gauguin et d'un Matisse qui n'avait qu'une idée en tête : que tombe, avant que n'arrive la rame, la barre de chocolat qu'elle venait de sélectionner dans le distributeur.

 

Il y a encore quelque temps j'allais beaucoup aux concerts, et maintenant je vais davantage aux lectures. C'est à peu près le même topo, sauf qu'avec les lectures, on rentre plus tôt à la maison.

Hier, je suis passé à Bastille pour enregistrer une chanson avec Edi (Casabella) et puis j'ai traversé la ville, tout droit quasiment : rue Traversière, rue Poliveau, pour me rendre à la librairie L'arbre à lettres où le comédien Michel Vuillermoz, de la Comédie française, donnait une lecture du roman de Philippe (Di Folco) : My love supreme. C'était vraiment une belle lecture, vivante et très naturelle, qui donnait une puissance toute proche au texte. D’ordinaire je trouve la plupart des lectures assommantes au possible, j'y vais toujours par amitié ou pour la lumière d'un ou deux visages (à revoir ou à rencontrer), mais cette fois c'était un moment magnifique en terme de lecture. On aurait bien imaginé Michel Vuillermoz dire le texte dans un théâtre, faire un spectacle tout entier du beau livre de Philippe.

Plus tard dans la soirée, Eva m'a présenté à Michel et je lui ai raconté (en forme de compliment) que ce serait génial de l'avoir à disposition, quand on est écrivain, pour savoir si un texte vaut ou non le coup, on appellerait une sorte de hot-line au bout de laquelle un comédien dirait ce que vous avez écrit. C'était vraiment une bonne idée, en terme de comédie, cette hot-line pour écrivain avec ce type qui passe sa journée à répondre au téléphone et à dire les textes d’auteurs qui appellent de toute la France et retournent ensuite à leurs brouillons, leurs projets, leurs chefs-d’œuvre... Une idée bien marrante mais je crois que sur le moment Michel Vuillermoz en a eu un peu rien à foutre de cette idée, qu'il n'en a pas saisi la blague parce qu'il m'a expédié en répondant : "Ah non non, je n'ai pas que ça à faire !".

 

Dimanche 5 février 2012. La présomption de la neige et le langage des Viscères.

 

Il y a ce truc avec l'hiver, la présomption de la neige, que j'avais une envie irrésistible de tarte aux myrtilles, et plus particulièrement la tarte aux myrtilles de chez Picard Surgelés.

Le magasin Picard n'est qu'à quelques encablures du nouvel appartement que je loue, pourtant tout un tas de coups de fils et de choses me sont tombées dessus - moins doucement que la neige - dans la journée, et à peine si j'ai eu le temps de courir me chercher des tartres à la myrtilles (pour le peu de sous que j'avais en poche) avant de filer vers Montmartre et ses boulevards tapageurs où avait lieu la 18ème soirée du Langage des Viscères.

J'ai quand même trouvé le moyen d'être en avance (comme souvent) et me suis laissé tenté par l'atmosphère particulière et envoûtante de la rue Lepic, ses cafés et ses commerces ; envoûtante pour peu qu'on n'y réside pas 24h sur 24. Je me souviens d'une après-midi avec Pierre (Guimard) où cheminant de la rue Constance à la rue des Martyrs nous avons mis trois quart d'heures à boucler un trajet d'une poignée de minutes tant nous rencontrions sur notre route telle chanteuse, tel musicien, telle actrice, telle connaissance de lui ou de moi, j'en passe et des inénarrables en devenir.

 

Le langage des Viscères toujours organisé avec maestria par l'adorable et ténébreux Amine Boucekkine. Cela a commencé par une performance de jeunes femmes et hommes nommés : La meute, qui, entièrement nus et peinturlurés de rouge, se pavanaient à même le sol comme des êtres préhistoriques ou des loups. Nietzsche a dit que l'homme est un loup pour l'homme, alors que quiconque a un peu d'expérience en la matière sait que l'homme est avant tout relou pour l'homme !

 

Lectures dans la salle de concert devant une audience toujours aussi nombreuse qui sait répondre présent aux sollicitations étranges et enthousiastes d'Amine. Renaud (Santa Maria), svelte et très élégant, a lu un texte qui se terminait sur ces mots : "Toi, mon étoile vaporeuse" ; Alexandra (Geyser) a lu un très beau texte qu'elle avait écrit la veille et qui s'intitulait : Les mains blanches et qui a commencé par un délicieux et envoûtant : "Dans tes rêves, j'ai la bouche ébahie pour toujours". Pour ma part, j'ai lu Le lyrisme de vivre que j'avais écrit pour la vidéo des Hobo and Mojo, et puis un poème de Charles Bukowski qui s'appelle : Un poème est une ville. A un moment, dans ce poème, Bukowski évoque Lady Godiva (qui vers l'an mille a traversé nue à dos de cheval les rues de Coventry en Angleterre pour des raisons politiques ; il y a une peinture magnifique de John Collier la représentant et sur laquelle Lady Godiva ne peut figurer autrement qu'en une superbe et flamboyante rousse, pré-raphaëlitisme oblige.) J'ai interrompu ma lecture pour dire au public que pour moi, Lady Godiva c'était avant tout une chocolatière quelque chose comme ça, bref j'ai essayé de faire du commentaire poétique d'un poème déjà bien poétique en lui-même, et sans sucre ajouté, je veux dire, en espérant que le tout passe comme une délicieuse bouchée au chocolat (voilà ce que devraient être les lectures, et courtes de préférence).

J'ajouterai que le poème lu par Amine était un beau reflet en sombre du Lyrisme de vivre, puissant et en regard duquel le travail de Charles Baudelaire pourrait passer pour "Patrick Sébastien de son époque".

Après, avec Alexandra, Renaud et Pascal (Oiffer), nous avons dîné à l'étage des 3 Baudets nous partageant des assiettes de charcuterie et fromage. C'était vraiment une chouette soirée (d'autant qu'elle ne se terminait pas trop tard et qu'une tarte aux myrtilles m'attendait à la maison). Pendant que nous dînions, il y a une jolie blonde qui est venue faire une déclaration d'amour à Alexandra, elle lui a dit combien son livre l'avait émue et a ajouté que pour vivre avec Alexandra elle serait prête à quitter son copain. Elle a dit ça de manière totalement crue, devant tout le monde, avec un peu de feu aux joues. C'était une déclaration d'amour plutôt charmante mais je ne crois pas que l'affaire a été conclue parce qu'évidemment, après, dans ce genre de situations, il y a toujours un tas de détails pratiques qui rendent la suite embarrassante et l'existence souvent périlleuse, parfois sinistre, et parfois belle aussi. Bref, peu d'histoires survivent à leur déclaration.

Pascal était très affecté par la nouvelle de la mort de Ben Gazzara. Étant complétement néophyte en cinéma de Cassavetes (j'ai l'idée que les rencontres avec les films se font souvent au bon moment, et que le moment de m'attacher à ce cinéaste n'est pas encore venu, viendra peut-être, soit jamais, soit plus tard), Pascal m'a conseillé de commencer, quand j'estimerai le moment propice, par un film qui s'appelle : Minnie & Moskowitz.

Lundi soir dernier, avant la dédicace de Philippe (Di Folco) dans une librairie du quartier Mouffetard, Pascal me parlait de mon prochain roman en ces mots : "Je suis certain que c'est le roman qui te ressemble le plus". C'est toujours ce qu'on dit (ou devrait dire) aux écrivains quand ils sortent un nouveau livre, mais je sentais comme à chaque fois chez Pascal une sincérité et une pertinence qui dépassent le simple fait de s'informer avec amitié ou prendre des nouvelles. Et effectivement, L'histoire de France racontée aux extra-terrestres est peut-être le roman qui me ressemble le plus. L'amoureux en lambeaux et Le garçon qui dessinait des soleils noirs me ressemblaient totalement au moment où je les ai écrits, c'était moi empêtré jusqu'au cou dans un moment de vie, mais ce nouveau roman est je crois ce que je suis toutes périodes confondues, il aborde toutes les directions que je peux être, j'ai donc pris la prophétie de Pascal comme une profonde vérité. La neige n'avait plus qu'à tomber. Sagement, sur Paris.

 

Vendredi 24 février 2012. Les trois dernières filles sur terre et le carnaval de Facebook.

 

J'ai toujours eu de la tendresse pour les très grandes filles. Elles ont la tête dans les étoiles avant qu'on leur ai dit "je t'aime".

 

Quartier Mouffetard. Le pavé luisant, la bruine désagréable du redoux dans laquelle les lumières tournoient, une jolie fille un carton à pizza entre les mains remonte à contre sens le courant tapageur du soir.

J'aime revenir de temps en temps dans ce quartier qui est celui de mes vingt ans. J'y ai situé une partie de l'intrigue de "Pagaille monstre", j'ai fait de l'hôtel Concordia, cette imposante résidence pour étudiantes à l'orée de la rue Tournefort, un repère de jeune vampires.  Je me souviens qu'à vingt-trois ans, passées les illusions de la Fac et avec elles les illusions de la tribu, je fréquentais le bar "Le bateau ivre", j'y croisai toujours trois filles, les mêmes, qui erraient ensemble comme moi je tournoyais dans la solitude à cette époque, et j'avais une forte sensation d'étouffement, tout le quartier me prenait à la gorge, et ces trois filles c'était comme si elles étaient les trois dernières filles sur terre.

 

Pascal harangue une connaissance et lui dit :

- Je vais bien mieux depuis que je t'ai masqué sur Facebook.

La fille l'a vraiment mauvaise, elle se rebelle :

- C'est parce que tu es amoureux de moi et que ça t'es insupportable de me voir parler avec d'autres types.

- C'est ton humour qui est insupportable, et que toute la lie de la terre l'approuve me faisait mal aux yeux et au cœur.

 

J'étais vraiment en train d'assister à une sacrée conversation. Tout d'un coup la fille demande une précision qui semble à ses yeux d'une importance cruciale :

 

- Attends un peu, tu m'as masqué ou bloqué ?

- Masqué ! répond Pascal.

- Oui hé bien c'est faible parce que tu peux revenir vers moi quand tu veux.

- Que veux-tu, je suis un homme de sexe faible, conclut Pascal.

Puis, une fois que la fille a dégagé, Pascal me dit :

- J'en avais juste marre de son humour qui tourne en boucle. Avec Facebook tu t'aperçois bien de l'humour et du narcissisme des gens. Tu t'aperçois aussi qu'ils sont en boucle.

 

Hier soir, j'ai discuté avec Matthias, un blogueur très pertinent, au ton très enlevé, et littéraire comme j'aime : sans rien de fastidieux ou pour l'épate. Il me raconte comment certaines marques draguent les blogueurs, par exemple Orangina qui remplit de bouteilles le frigo d'un blogeur, jusqu'à ce que le frigo ne puisse plus rien avaler, et la marque espère un petit billet d'humeur en retour.

Zut alors, les marques n'ont pas l'air au courant que je suis l'ancêtre des blogs. Et qu'à ce titre j'aimerais bien que Cire Trudon remplisse mes armoires de bougies, que Marks and Spencer gave mon réfrigérateur de leurs irrésistibles sandwichs. Mais, après tout, un Journal intime doit savoir rester à l'écart du tintamarre des blogs. Je veux dire, on imagine mal Jean-René Huguenin sponsorisé par Yop.

 

Mardi 6 mars 2012. Des batailles pour un moment.

 

Mon nouveau roman est sorti jeudi. Présence variable en librairies. Plus étendue que jamais cependant, grâce au nouveau distributeur : Interforum. Stéphane peste contre un libraire auprès duquel nous avons bataillé pour un peu de visibilité, de reconnaissance, et qui au final en a commandé uniquement trois exemplaires pour mettre en rayons. Petit joueur de libraire. De l'autre côté, la librairie l'Amandier (à Puteaux) a déjà fait une belle vitrine remplie de mes livres en préparation de ma dédicace prévue le samedi 24 mars chez eux. Grand et fort soutien. Sortir un livre est toujours une expérience humaine, parce que c'est quelque chose qui compte absolument pour soi, et l'on voit, l'on comprend, qui est là, et qui n'est pas là. Tout simplement.

Parmi les amis je peux toujours compter sur une garde rapprochée (Sissi, Patricia, Pascal...) pour se démener pour mon travail, le faire connaître, le promouvoir, le faire rayonner autour d'eux et le plus loin possible. J'entre pour ma part dans une période où les journées sont toujours en montagnes russes, batailles pour des bonnes nouvelles, batailles pour toujours plus d'exposition ou pour un peu de reconnaissance. C'est aussi dans cet aspect, la bataille, que cette histoire de France pour extra-terrestres est peut-être le livre le plus près de ce que je suis, encore et toujours, aujourd'hui.

 

Jeudi 15 mars 2012. Mina Tindle.

 

Les choses arrivent au compte-gouttes. J'ai le moral en ascenseur fou, d'un extrême à un autre, et même si, de nature, j'ai toujours tendance à penser qu'un événement, une aide, une rencontre, un visage, peuvent inverser à tout moment la sensation de dégringolade.

Lundi soir, Sandrine m'a invité au concert de Mina Tindle, à La maroquinerie. Les chansons up-tempo sont vraiment réussies et le single frais, solide et ravissant, comme le sont les meilleurs singles anglo-saxons. Pendant le concert, je me demandais si cela ne me manquait pas d'être sur scène, de tenir sous sa coupe le moment d'un public, d'envoyer la foudre ou le climat de ses chansons. Je reste partagé. Est-ce que ces rares moments de bonheur valent la succession de conflits, d'atermoiements, d'incompréhensions, de préparatifs anxieux, de déceptions minimes mais cuisantes ? Je crois que pour y prendre un réel plaisir il faut avoir un moral d'acier, ou se foutre de tout ce qui n'est pas son projet, ou simplement se foutre de tout. Le vrai problème, c'est qu'on passe beaucoup plus de temps à préparer le cadre, l'espace du concert, plutôt qu'à l'habiter. Je me souviens quand même avec plaisir de certains de mes concerts : les deux derniers du Bus Palladium, celui de Rochefort au Théâtre de La coupe d'Or, en Suisse au Fri'son ou au Réservoir à Paris. Il me reste le goût de faire des chansons. Quant à celui de les incarner, il reviendra peut-être. Comme cette histoire de l'ascenseur fou, avec un événement, un visage, une aide, une décision qui vous emporte.

Mina Tindle, entourée de ses deux musiciens, réussit à créer un espace admirable, comme une cabane haut perchée dessus les inquiétudes de la journée. Et puis j'aime bien son nom de jeune héroïne ou de vieille granny anglaise.

En rentrant, sur le quai du métro, il y avait quatre jeunes types émêchés qui se gargarisaient de leur nombre et agressaient verbalement les personnes qui se trouvaient autour d'eux. Verbalement seulement. Tout de même, si j'avais eu davantage confiance en ma force physique, je me serai rué sur eux et leur aurais cassé les dents (pour leur apprendre la discrétion).

 

Vendredi 16 mars 2012. Book Palladium.

 

Inauguration du salon du livre de Paris, toujours l'occasion de retrouvailles avec des visages plaisants. Et comme il y a du monde, on laisse les êtres qui nous déplaisent à la tyrannie légère de la circulation.

Quand on sort un livre et que ça se sait un peu, on croise deux sortes de personnes : celles qui disent : je vais aller l'acheter ! et celles qui disent : oh il faut que tu me l'envoies !

A. et moi quittons la porte de Versailles pour nous rendre dans le deuxième arrondissement où je dois dire un texte à la lecture organisée pour la sortie du recueil de poèmes de Matthias Vincenot. Matthias se démène comme un beau diable depuis plusieurs années pour essayer de faire vivre la poésie lue et écrite, ce qui n'est pas une mince affaire. Le métro de la ligne 4 met un temps monstre à arriver. Enfin, dans le quartier Montorgueil, un complexe de salles étranges, puisqu'à la fois salles de gym et salles de conférences. Je grimpe sur scène et fais le show. Ensuite, nous remontons la rue Montmartre et la rue Fontaine pour rejoindre la fête d'anniversaire du Bus Palladium. Faune lookée et branchée. A. me demande si je connais du monde, je réponds : en fait si tu en connais un, tu connais tout le monde, si t'en connais aucun, tu ne connais personne.

Je salue Cyril Bodin, maître des lieux et de leurs cérémonies, qui a réussi en deux ans à donner un nouveau souffle au Bus Palladium, et à en faire mon concert-club préféré dans cette ville immense et toute petite, ennivrante ou sèche, contradictoire.

Les deux concerts que j'ai donné au Bus depuis que Cyril est aux commandes ont sans doute été mes préférés depuis des lustres, et j'adore comment vers minuit et des poussières l'ambiance des concerts balance doucement dans une ambiance club, une transition douce, comme avancer chevilles nues dans la mer et s'apercevoir à mi course que c'est la nuit.

Il y avait un groupe vraiment étrange, les 3 some Sisters qui reprennent des tubes des années 80 et 90 dans un style vocal-destroy-travesti-burlesque. Leur manageuse, une jolie fille vêtue d'une tunique taillée dans le drapeau américain, distribuait des tracts pendant tout le show, et, à un moment, elle est venue au micro pour lire une déclaration. C'était vraiment étrange.

Dans le métro qui me ramène vers Auteuil, j'assiste à une scène plutôt bouleversante. Une scène bouleversante entre deux jeunes gens, et qui tient sur un ticket de métro. Le garçon tient la porte battante à la fille, entre le couloir et la sortie, et lui dit :

- Viens, c'est par ici.

La fille répond :

- Bhein non, la 9 c'est par là !

- Pourquoi tu veux prendre la 9 ?

- Bhein, pour rentrer chez moi.

 

C'est tout ce qui se joue derrière la simplicité des mots et de ce qu'ils projettent en intention, qui tue.

 

Samedi 7 avril 2012. Vous écrivez, j'imagine ?

 

J'essaie de profiter des jolies choses qui se passent autour de mon nouveau roman (et même s'il n'y a rien de décisif encore pour voir la situation autrement).

Je tourne aussi dans l'écriture. Peut-être n'ai je pas encore apprivoisé, dompté l'espace de mon nouvel appartement pour entrer dans une cadence d'écriture satisfaisante à mes yeux, avec des résultats puissants et intuitifs qui éviteraient de me rendre triste ou fatigué d'un jour sur l'autre.

Les excursions en salons du livre le week-end sont épuisantes même si les échanges avec les lectrices et les lecteurs sont toujours vivifiants, et si parmi les auteurs présents j'y fais souvent de belles rencontres. J'aime les accointances qui se forment sur quelques jours, cette chevalerie intense qui se dissout sur le quai des gares.

Seul bémol le week-end dernier, un débat assommant et interminable de deux heures animé par le type des livres de France Info qui m'a consacré en tout et pour tout deux minutes cinquante en temps de parole. J'étais furax.  Déjà, la veille, au dîner de gala, il m'avait serré la main tout en continuant à reluquer ma voisine (la classe !), pour finir par se tourner vers moi et me dire : "Vous écrivez j'imagine ? Et bien cherchez-vous un avenir ailleurs, il y a déjà suffisamment d'écrivains comme ça !"

Ayant éprouvé sa goujaterie à ce moment-là, je n'aurais pas dû me rendre au débat. Quand je pense que j'ai passé du temps à dédicacer mon roman à ce type, dans les envois à la Presse, tout ça me donne superbement la nausée. Sur 200 envois à la presse, il y a quoi, peut-être une vingtaine de personnes qui vont faire attention au livre, le lire réellement, et se battre pour sa promotion, son retentissement.

Je ne voulais pas être désagréable avec ce journaliste parce qu'évidemment son émission sur France Info est vraiment quelque chose d'important, il y a une forte audience, des rediffusions dans la journée, mais maintenant je sais que je n'y serai jamais invité de toute façon et je m'en fous complètement, alors je suis content d'être resté courtois et de m'en foutre, plutôt que d'avoir répondu un truc cinglant sur le moment.

Quand on rencontre les gens et qu'on peut juger de ce qu'ils valent réellement, on prend une distance définitive et rassurante avec ce qu'ils représentent.

En ce moment, j'ai des envies d'écrire des scripts pour le cinéma ou des séries, il y aurait tant de choses à faire en la matière, et je devrais déjà reprendre patiemment les projets en cours qui sont esquissés, comme les adaptations de Pagaille Monstre, ou Folie furieuse. Il y a aussi sur le feu les scénarii de films quasiment bouclés comme celui avec Claude (Berne) et celui avec Franck (Guérin).

J'écris à Franck : "Aujourd'hui, pour le film que nous souhaitons faire, c'est juste une question d'argent. C'est toujours déprimant quand c'est juste une question d'argent. Et en même temps, c'est assez réjouissant d'être arrivé à un stade où ce n'est plus qu'une question d'argent."

 

Vu un film avec Hedi Lamarr et Spencer Tracy : I take this woman.  Très belle scène de demande en mariage dans le métro.

 

Jeudi 17 mai 2012. La tentation de l'écriture.

 

Il faudrait que je sois davantage méticuleux avec les notes que je prends, parce que je finis par entasser tout un tas de papiers, de carnets, ou pire de notes vocales qu'il me semble toujours fastidieux de relire, réécouter, récupérer. Avant d'écrire, il y a toujours cette lutte épuisante entre le désir et les choses qui arrivent, et l'acte en somme : l'urgence à fixer quelque part pour ne pas oublier, ou plutôt fixer pour pouvoir oublier afin de se rendre disponible à ce que de nouvelles émotions et idées surviennent.

 

Message de Stéphane qui a reçu un appel enthousiaste et élogieux de Jean Tulard à propos de L'histoire de France racontée aux extra-terrestres. 

 

L'écriture.  C'est souvent comme ça, j'attends dans un café quelqu'un qui est toujours en retard. N'importe qui. Je supporte les voix stridentes et désagréables des commérages à proximité. Leurs inepties sont comme des lames. J'attends comme une délivrance à ce vacarme imposé la personne avec laquelle j'ai rendez-vous. Et puis il me vient une idée, une amorce, un début, des phrases qui s'agitent autour, ou à partir, de cette amorce, de cette idée, et qui rapidement la débordent, jusqu'à la création de quelque chose de plus vaste (un territoire ?), et voilà que maintenant j'espère que la personne que j'attends va arriver le plus tard possible, jusqu'à ce que je puisse fixer c'est-à-dire en finir jusqu'au répit provisoire avec cette ébauche de texte qui me tourmente et qui m'anime.

 

Renouer avec l'écriture alerte.

 

Quand les événements autour de L'histoire de France racontée aux extra-terrestres et le travail sur les chansons (au résultat aléatoire et quand je parle de résultat je veux dire la chance qu'elles aient, l'une ou une autre, d'exister aujourd'hui sur un disque, à la radio) me le permettent, je traîne dans les premières pages et les notes pour l'écriture de mon prochain roman. Pour une fois, ce n'est pas une idée originale dans laquelle injecter ce que je suis, mais une commande de Stéphane, il m'a dit : "Tiens, tu n'écrirais pas sur cette anecdote ?" et j'ai dit ok, j'ai vu dans sa façon de réagir à ce que je lui avais raconté, la possibilité de faire un bon livre.

Je préfère dire un bon livre qu'un livre intéressant. Je prends des précautions maintenant avec le terme intéressant parce qu'avant-hier Stéphane m'a rapporté que les journalistes de Télé 7 jours qui devaient faire un article d'une poignée de lignes sur L'histoire de France ne le feront pas, objectant à mon éditeur que : "On comprend que l'auteur a dû s'amuser à écrire un tel roman, mais on n'en voit pas l'intérêt."

Même si cela fait bien sûr un peu de peine (sur le moment), il est toujours drôle d'envisager un roman sous l'angle de l'intérêt. Je ne comprends pas bien cette façon de percevoir la littérature. Pour en revenir à L'histoire, je crois qu'il y a pas mal de personnes qui sont passées à côté, délibérément (j'allais dire : connement, mais délibérément est plus joli), comme cette journaliste influente croisée sur le tard d'un salon du livre qui est venue vers moi très chaleureusement pour finir par me dire qu'elle n'a pas lu L'histoire de France racontée aux extra-terrestres parce que le titre n'est pas suffisamment sérieux pour elle. De la littérature quoi, pas des titres de fantaisiste !

Après, depuis les bientôt trois mois de sa sortie, il y a eu quand même des personnes pour avoir un avis tout autre sur ce travail, pour en déceler la poésie et les finesses. Récemment, à Arcachon, Irène Ajer, présidente entre autres de l'association des Molières, en a parlé en des mots qui font bien chauds au cœur dans le sens où j'ai senti qu'elle l'avait lu dans l'esprit avec lequel j'avais souhaité l'écrire. Et qu'elle accordait à ce travail des vertus que j'accorde aux livres que j'adore.

Je ne le redirai jamais assez mais sortir un livre est comme un bon vieux tour en scenic-railway avec les ralentissements et les accélérations dans la journée, les dégringolades et les ascensions, les nouvelles qui vous donnent de l'élan et celles qui vous font descendre en marche.

Le prochain roman que j'écris étant un travail assez proche de mon Journal, il y avait un peu conflit d'écriture, voilà pourquoi ce dernier mois j'ai délaissé cet exercice qui tient mon écriture en alerte (une écriture alerte, quoi) depuis la fin des années 90, sur le net. J'y reviens dans les prochains jours à un rythme assez soutenu pour soutenir, justement, que ce travail et cet espace font partie intégrante de ce que je suis.

 

Mardi 29 mai 2012. L'attaque des hommes en bermudas.

 

SAS de décompression ou bien Paris me fait payer de manière toujours aussi cash les journées d'éloignement. Une bonne semaine hors des murs pour des rencontres d'écriture de chansons avec des artistes de chez Warner Chappell, du côté de Arles, et j'ai enquillé directement avec l'exquis salon du livre de Villeneuve-sur-Lot. Je me sens toujours malhabile en voyage, je ne sais jamais quoi emporter en livres et en fringues, du coup je prends toujours dix fois trop de choses, et je mets un temps monstre dans les chambres d'hôtel à comprendre comment marchent les robinets, où sont les prises de courant, ce genre de trucs. Quand je commence à m'habituer, il est l'heure de partir.

Il y a aussi la solitude, à partir d'un moment, ce n'est pas tant qu'elle crie famine qu'elle cherche quelque chose de consistant à se mettre sous la dent.

J'ai pris pas mal de notes pendant cette semaine de vie en communauté, essayant de transformer les choses qui ont pu me choquer en cartouches pour des travaux à venir.

Belles rencontres avec les Skydancers, et Mohand et Jérémie, avec lesquels s'est entamé un bon processus de création de chansons. J'étais aussi très heureux du titre écrit avec Manu Larouy.

L'impression de bien utiliser mon temps ces dernières semaines, même s'il y a toujours des projets rangés sur la piste, en attente de volonté ou d'impulsion, et même, si souvent, on perd beaucoup d'énergie à se battre contre les idées reçues des personnes qui sont censées nous défendre.

J'ai raté le premier jour de chaleur estivale à Paris, le jour où dans un même élan tout le monde se dessape en croyant avoir découvert l'été.

Hier et aujourd'hui, cette chaleur m'a semblé particulièrement accablante et je n'ai pas bien travaillé, jusqu'à me démotiver à répondre à mon courrier (nombreux). Et hier donc, Paris qui se venge de mon infidélité d'une semaine. Rien n'allait. La connexion internet qui déconnait sévère, la clé qui reste bloquée dans la serrure de ma porte d'entrée une bonne demi-heure, et le lapin que m'a posé un jeune créateur de t-shirts et son photographe qui m'avaient donné rendez-vous pour un shooting, souhaitant que je participe à leur prochaine campagne. J'avais bloqué mon aprème pour eux, et bien mal m'en a pris. Enfin, le pire de tout de cette bouderie de Paris à mon égard, bouderie que je paye encore en fatigue et qui s'atténuera je l'espère dans les prochains jours, c'est de voir partout autour de moi dans les rames de métros et au gré des avenues, ce spectacle atroce, systématique, et primitif, de l'invasion des hommes en bermudas.

 

Mardi 5 juin 2012. L'âge de cristal et le trône de fer.

 

Pendant une semaine, à table, il y avait tellement de verrines (entrée et dessert), qu'on se serait cru dans L'age de cristal.

 

Je voudrais bien écrire un roman d'amour ultime. Mais au final, je pense en écrire plusieurs. Parce que chaque amour a le goût de l'ultime chevillé au cœur. Ou alors, y a vraiment pas de quoi se ruer l'un sur l'autre.

 

Les jambes magnifiques d'une fille à un ou deux mètres de vous sur un escalator. Quelque chose à voir avec le cinéma. Le genre d'émotions que procure Paris (et son métro dégueulasse et poisseux).

 

La saison 2 de Game of thrones est un modèle de maestria dans l'écriture. Multiplicité de personnages et des situations sans que le spectateur se perde et perde en intérêt pour l'intrigue. Ce n'est d'ailleurs pas tant l'intrigue globale que le destin des personnages qui forge l'intérêt (et le divertissement). Il y a aussi ce charme et cette perfection de la valse quand deux personnages qui ne sont pas à priori associés, dans le même camp, partagent en un instant privilégié leur trajectoire et se retrouvent ensemble. Réjouissant pour le spectateur qui a davantage de données sur leur rencontre que les protagonistes eux-mêmes. Un peu comme dans cette scène des Demoiselles de Rochefort que j'aime tant et qui s'intitule : Les rencontres.

 

Je commence à travailler à un nouveau roman. J'ai l'intrigue, ce que je veux y mettre, l'idée à quoi je voudrais qu'il ressemble (c'est partir au combat chaque jour pour rapporter avec soi l'idée intacte, la flamme enthousiaste de l'idée intacte), et maintenant, cette formule n'a jamais aussi bien porté son sens : Tout le reste est littérature.

 

Vendredi 22 juin 2012. Pony tale.

 

Je peux rester longtemps sans écrire. Je veux dire : au moment de l'envie d'écrire, je me laisse envahir et déborder par la sensation ou la pensée qui produit cette envie. Le plus longtemps possible. Et cet engourdissement aérien se fait au lieu d'écrire. Au lieu d'écrire.

Quand je parle de pensée, la pensée de quelqu’un (d'un visage, d'une silhouette, d'un événement aussi court que deux glaçons qui s'entrechoquent) est toujours le genre de pensées que je préfère.

 

Le personnel de la maison de l'Amérique Latine, boulevard Saint-Germain : de jolis brunes qui fument des clopes accroupies sur les marches en plein cœur de l'après-midi.

 

Soirée. Passage éclair chez Lisa (W) où Alexandra a mis dans les enceintes du Roxy Music, puis Disorder de Joy Division. Ensuite, direction rue Étienne Marcel, au Club du Cercle où se tenait la première grande fête du site : Les demoiselles de Paris. J'étais heureux d'y revoir Aurélie. Plus exactement j'ai été heureux d'y revoir toutes les filles qui s'appellent Aurélie (vu qu'il y en avait plusieurs de ma connaissance, frisant presque le concept). C'était une fête très réussie. Du genre goûter d'enfants sans enfants. Dehors, là où les demoiselles de Paris fumaient leurs clopes, une fille effroyablement jolie, silhouette élancée, jambes nues sous une robe de saison, et coiffée d'une queue de cheval. Quand je dis effroyablement jolie, ce n'est pas jolie à faire fuir, mais dans le même état d'esprit, trait pour trait, que Francis Scott Fitzgerald dépeint dans Les heureux et les damnés la rencontre d'Anthony avec Gloria : "Saisir sa beauté d'un seul regard vous suppliciait". Voilà, il s'agit de cela.

Depuis toujours il s'agit de cela, n'est-ce pas ?

A un moment, rue Étienne Marcel, j'ai vu passer le fantôme de Gilles Deleuze. Un fantôme à casquette. Ce genre de couvre chef des années 70 que mon oncle Marceau portait quand il descendait au marché rue de la Convention. Nous sommes rentrés Stéphane et moi par la rue du Louvre, puis le pont des Arts. Des tas de jeunes gens avec des bouteilles de rosé ou de bière traînaient près des quais de Seine, aux abords des cafés, sur les ponts. Nous avons parlé de cette jeune femme qui nous a fait tant impression il y a de cela plusieurs jours. Avec Renaud, nous sommes restés estomaqués par sa beauté, sa présence. Cela m'a fait penser aux gamines de mon quartier qui, quand je les dépasse ou les croise, ne parlent que de garçons. En même temps ce genre de conversations réchauffe, réduit les distances, soude dans l'idéal, éloigne la corruption de tout et la bêtise du monde alentours, alors pourquoi chercher d'autres sujets. En rentrant, comme j'ai du mal à trouver le sommeil, je lis cette nouvelle de Tchekhov qui est vraiment admirable : Chez des amis. Une nouvelle sur le temps qui fuit, le caractère qui demeure, la beauté de la jeunesse et les pensées qu'on lui prête, et qui ne sont qu'instant fugitif.

bottom of page