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03.09.08 J'ai commencé à travailler sur un nouveau texte (roman). Comme Mathilde (Seguis) m'avait invité à la remise d'un prix Fnac dans les salons de l'hôtel Meurice, j'ai continué à écrire sur ma lancée, dans le métro, en me dirigeant vers Concorde. Parmi la faune littéraire qui assistait à la remise du prix, une fille au charmant visage, cheveux attachés par une pince, jeans, t-shirt blanc et fin blouson en cuir. Elle portait un sac en bandoulière sur l'épaule droite (Sur l'épaule gauche eut peut-être déséquilibré l'ensemble, allez savoir à quoi tient l'émotion ?)

 

04.09.08 Passé voir Mareva sur le tournage de son clip. Rencontre avec Samuel Benchetrit, attentif et charmant. Répondu à un questionnaire sur ma définition de l'élégance chez les femmes pour le site : Carnet de mode 1-2-3 (mis en ligne en octobre). Écrit la partie en français d'un texte destiné à une petite chanson pour Werther et Stavroguine : Patriotic Idiot.

J'ai admiré la vitesse avec laquelle de nouveau le soir tombe, en septembre. Pas d'étirements inutiles, juste la nuit qui arrive, intégrale.

 

05.09.08 Le roman est arrivé aujourd'hui. Il sera en librairie la semaine prochaine. Le garçon qui dessinait des soleils noirs. J'en ai un exemplaire entre les mains. A la fois ravi et effrayé. Effrayé parce qu'à le relire il y aura certainement des choses que je trouverai insupportables, bancales, mal tournées. C'est facile d'écrire, c'est déjà plus compliqué de faire des phrases d'une insolente pureté. Et d'être heureux de son travail sur tant de pages. Comme je peux l'être d'une chanson, immédiatement. Mais un roman est peut-être davantage de l'ordre de la sensation que de la précision. Il faut aussi trébucher de plaisir hors du livre, que certaines phrases évoquent un hors champ sensible et libèrent du temps personnel, pour le lecteur. J'ai l'impression qu'il y a tant de choses dans Le garçon qui dessinait des soleils noirs, que je voudrais bien être étranger à ces choses et à ce roman pour le lire en toute quiétude et me pardonner ce que je trouve et pardonne chez les autres, si je prends, comme ça, une ou deux phrases de leurs livres au hasard en faisant voleter les pages entre mes mains.

 

07.09.08 Le garçon qui dessinait des soleils noirs. C'est un livre important parce qu'il traverse deux amours et qu'il est parcouru de choses, d'aphorismes, qui me plaisent dans la conception de la vie qu'ils révèlent. Je m'explique mal mais c'est cette idée, un mode de vie que je ne trouve pas ailleurs, et parfois une tendresse dans la façon de penser, presque inatteignable dans la vie comme elle se déroule, pleine de façons de voir qui s'entrechoquent (et de gens qui ne comprennent rien à rien). Alors, pour les maladresses qui me sautent aux yeux quand je le feuillette en me disant que j'aurais pu mieux faire ici ou là, je n'ai aucune indulgence. Dans la nuit de vendredi à samedi, je n'ai pas fermé l'oeil pour trois mots que j'aurais dû ôter à une phrase, une malheureuse répétition qui alourdit la phrase à mon goût, gêne ma lecture. Et puis, des pages plus loin, je tombe sur quelques mots qui me ravissent, sauvent ma nuit suivante, dans l'histoire de la jeune monitrice de colonie de vacances qui organise un concours de déguisements. Tous les enfants trouvent plus ou moins un déguisement, et le jeune Basile se contente d'un post-it collé sur lui sur lequel il a écrit : Faites marcher votre imagination, je suis déguisé en qui vous voulez, quelque chose comme ça. Bon, il ne gagne pas le prix du meilleur déguisement. Aucun des moniteurs qui composent le jury n'a voté pour lui, à l'exception de la jeune femme parce que cela l'a touchée, parce qu'il y a une sorte de rapprochement entre eux dans l'intelligence qu'ils ont de la vie, et donc, j'ai écrit : "Bien sûr, il n'eut pas la récompense du plus beau costume, même si Emilie fut particulièrement intriguée par sa démarche et vota pour lui, à bulletin secret, de tout son être." C'est peu de choses mais j'ai bien aimé faire ça : à bulletin secret, de tout son être. Cette chute de phrase sur laquelle je suis tombé a sauvé ma nuit de samedi à dimanche.

 

14.09.08  Samedi soir. Dans le métro, des adolescents en transit, armés de packs de bières. Je n'ai pas le souvenir que les adolescents achetaient, comme ça, des bières par pack pour leurs soirées, du temps que je l'étais, à la fin des années 80. Ils se réunissaient juste ici, ou là, tout aussi bien, pour les mêmes propos, la même vacuité. Mais peut-être qu'ils buvaient dans mon dos. C'est tout à fait possible.

 

Anniversaire de Céline (G) dans un café des Jardins des Tuileries, 

privatisés pour l'occasion. Belle soirée, amicale et chic. Céline avait demandé à ses invités de venir habillés en blanc, et elle s'était vêtue d'une robe noire.

David me dit (après trois coupes de champagne, et quatre verres de vin) :

- Là où tu es fort c'est qu'avec toi les filles elles sentent que c'est pour du long terme, que t'es pas là juste pour les baiser et puis au-revoir, mais que ça va engager quelque chose de plus fondamental. C'est ça qui est fort avec toi. Même si ça dure deux mois, c'est pour toujours."

Et puis, face à toutes ces filles habillées en blanc qui tourbillonnaient, il me dit, pensif :

- C'est quand même extra d'être là, et de voir ces filles qui dansent.

- Ce qui est intéressant, dis-je, c'est de voir des filles que tu as vu en situation de conversation, statiques, droites comme des i, pendant une heure ou deux, et ne sachant que faire de leur corps suspendu à leur verre ou leurs paroles, tout d'un coup se mettre à danser."

 

17.09.08 Déjeuner avec Emma, Claire et Caroline, dans un restaurant japonais de la rue de l'Arc de Triomphe. Je passe à la Fnac des Ternes, pour voir si mon roman s'y trouve. Toujours rien. Je rentre à pieds à Auteuil dans le vent frais, saisissant et l'automne qui reprend ses droits. Ce temps me plonge à la fois dans une grande mélancolie et une sourde impatience. Septembre, c'est le corps qui cherche une place et l'âme qui lève le doigt.

Tourmenté par le retard de mon roman en librairies. Stéphane, agacé comme moi, multiplie les messages au distributeur. Tout devrait s'éclaircir dans les prochains jours. Le livre a plus d'une semaine de retard et sera livré et mis en rayons dans un délai qui va d'aujourd'hui à vendredi.

Pour un garçon qui dessine des soleils noirs, il devient urgent d'être mis en rayons.

Humeur (o)rageuse, alors espérons.

 

19.09.08 Atermoiements quant à l'arrivée du roman en librairies. Encore bredouille en Fnac où il devrait être mis en rayons soit demain, soit en début de semaine prochaine. Appel libérateur de Stéphane en fin d'après-midi. Le roman est à sa place parmi les nouveautés dans les librairies du quartier latin, notamment à La Hune et L'écume des pages depuis aujourd'hui. Ce matin, première répétition avec le groupe, depuis plus de six mois. En me rendant aux studios à Malakoff, coincé entre les stations, "Suite à un incident technique, le service est perturbé sur la ligne 10", et à l'écoute de cette sentence, j'avais l'impression que c'était l'épitaphe à ma carrière de chanteur ses quinze derniers mois ou une parabole de mes séances avec le groupe. La rame a bien mis dix minutes pour aller de Javel-André Citroën à Charles-Michel, et bien dix autres minutes jusqu'à la station suivante, Avenue Emile Zola. Dans mon compartiment, à quelques mètres de moi, il y avait une petite vieille habillée comme une poupée, et encombrée d'une valise à roulettes, qui se rendait au terminus, gare d'Austerlitz, et elle paniquait à l'idée de rater son train, elle téléphonait aux personnes qu'elle devait rejoindre à la gare, les priait de ne pas l'attendre, et on voyait vraiment qu'elle souffrait dans la certitude de manquer son train. Au téléphone, un de ses interlocuteurs lui suggéra de descendre à la prochaine station (dix minutes plus tard) et d'attraper un taxi, mais la petite vieille répliqua qu'il n'y avait pas de borne de taxi à Charles-Michel, que ça ne faisait rien, qu'il ne fallait pas l'attendre. Je la voyais déjà, imaginant un voyage lointain planifié de longue date, se résigner à rebrousser chemin, retourner dans je ne sais quelle solitude. En désespoir de cause, elle descendit à la Motte-Piquet Grenelle, et c'est une fois que les portes se fussent refermées sur son désarroi que je compris que la rame allait maintenant reprendre son allure normale. Avant que le métro n'arrive à la station Ségur, fiévreux, j'étais tout prêt à tirer la sonnette d'alarme.

Pour en revenir à la répétition avec le groupe, je ne sais pas où cela va mener, à quel terminus. Si nous allons réussir à maintenir un projet, une volonté, dans cette formation. Je sais juste que s'il y a une part d'inexplicable dans le moment de la création artistique, son émergence et sa pérénité demandent une attention soutenue, une discipline, un travail et de l'opiniâtreté. Tout ce qui vaut qu'on s'y attache nécessite de l'opiniâtreté, tout sauf l'amour peut-être, où, par expérience, je ne crois pas aux vertus de l'acharnement, cela ne mène à rien, dans la plupart des cas, rien de mieux qu'à traverser l'autre et aller au bout de ses forces. Ou bien à emporter la manche sur des êtres qui un beau jour se résignent, mais qui aime éperdument pour chaque instant n'a que faire du coeur d'un être résigné.

Par ailleurs, je dirais que mon problème fut souvent, dans le travail comme en amour, de combiner une volonté trop dure et un coeur trop tendre.

 

"Elle ne lui allait pas bien. Sa fraîcheur, l'éclat de son visage, ses manières réservées, son esprit, l'avaient trompé. En réalité, elle était faite pour être la femme d'un bourgeois, d'un industriel par exemple, mais non pas la maîtresse d'un homme tel que Lucas Letheil, qui était...Quoi donc ? Oh, bien des choses ; mais avant tout et surtout, quelque chose de plus rare, de plus haut dans l'échelle sociale qu'un grand seigneur ou qu'un milliardaire : un poète." (Valery Larbaud, Mon plus secret conseil...) Hum. Hier, j'ai lu une magnifique nouvelle de Francis Scott Fitzgerald, The lees of happiness / La lie du bonheur. Aujourd'hui, dans les rayons fromages frais de la grande épicerie de Paris, une japonaise sublime, longs cheveux noirs, gros sac rouge, petite jupe bleu marine. J'étais prêt à instiller un courant irrésistible de mélancolie dans tout ce fatras de marchandise et puis l'appel de Stéphane m'a diverti d'une grande joie : ça y est, le livre arrive progressivement en librairies...Pour qui veut lire Le garçon qui dessinait des soleils noirs, s'y plonger et s'y attacher, c'est pour de bon.

22.09.08Journée maussade. Cinq ans jour pour jour que mon père est mort. Quand on est fils unique on a l'impression d'être le seul témoin d'un temps qui n'est plus ; le seul témoin de son âge si je puis dire. Le présent est inquiet, isolant, en regard de ces grandes parties de passé flottantes qui ne reviendront pas. Dans chaque souvenir, un goût d'inachevé. Sur les films en Super 8, la silhouette de mon père dans des activités heureuses, en vacances à Cran Montana, ou à Chicago, Los Angeles et Tahiti, où le menait son métier d'aviateur. L'avantage du Super 8 c'est qu'on ne sort sa caméra que dans des moments de bonheur, la vie parait si facile, pour les choses plus tristes il y a le stylo, l'écriture ; la caméra ne conjugue qu'au présent, la réalité de ce qu'on voit et l'illusion du bonheur sont ici, éclatantes. Aller-retour en Belgique ce week-end. J'aime passionnément la route qui va de Jurbise, Lens, à Ath, toute cette verdure, ces maisons en briques, les coins ombragés et les prairies lointaines, parfois cela me fait penser au New Jersey. Au retour, j'ai eu l'idée d'un début d'histoire, pour un roman. Il me semble que ce sont toujours dans les fins, les retours, les écarts, les failles que viennent les choses, le désir d'écrire. Pour cette fin d'année, je souhaiterais que Le garçon qui dessinait des soleils noirs remporte suffisamment de succès pour que puisse paraître rapidement un autre texte, un roman encore plus maîtrisé, toujours tenter l'impossible, approcher le texte parfait, mais ce sont les imperfections qui donnent envie de recommencer, c'est comme ce fil du saut en hauteur qu'au collège le prof de gym attachait toujours plus haut, un passage, deux passages, à chaque fois être en course, désirer aller plus haut, peu importe la réception. Mais quand même, j'aimerais que les réceptions soient douces, car cela donne plus rapidement de l'élan.

Première lettre de lectrice (B) trouvée à mon retour de Belgique, elle retient du livre de ces grandes petites choses que je souhaiterais qu'on retienne, y a trouvé des correspondances, a été émue par plusieurs passages, ce qui se raconte derrière ce qui est raconté.

Même quand ce qui est raconté est juste esquissé, je voudrais qu'on comprenne que ce qui se raconte derrière est solide et toujours sincère. Que l'écriture vient d'une nécessité qui nait de la faille ou du retour. Du temps en friche, égaré, et des amours laissées en plan dans lesquelles bruissent sous l'écriture et la pensée récurrente d'autres trajectoires de vie, presque aussi compatibles, tout autant parallèles.

23.09.08 Même commandé en petites quantités, heureux de voir Le garçon qui dessinait des soleils noirs en rupture de stock dans certaines librairies, quelques jours seulement après sa mise en place. Bien sûr, cela concerne encore un tout petit nombre de librairies, et d'ailleurs beaucoup ne se sont même pas données la peine de le commander, si bien qu'il est aussi, si j'ose dire, dans nombre d'entre elles en rupture de stock par omission.

Concert de The divine comedy à la cité de la musique. Neil Hannon épatant comme toujours. J'explique à A. l'histoire et le concept de The divine comedy : c'est comme si un chanteur français, Stanislas par exemple, avait décidé de s'appeler : A la recherche du temps perdu. Neil Hannon donne une version exquise et très convaincante du standard de Dutronc : Les plays-boys. Et puis c'était très malin, d'une fine ironie, d'enchaîner le sublime Mutual friend avec la reprise bon enfant des Copains d'abord. Je rentre du concert ravi et tourmenté, l'idée de la scène qui me revient, tout ce que je pourrais y faire d'intéressant, en terme de chanson rock, si j'en avais les moyens. J'ai vraiment l'impression d'un cuisant gâchis chaque jour de ce côté-là, et la surdité comme l'inertie environnantes m'exaspèrent (sans m'abattre). A. s'inquiète de mon air sombre et mes pensées qui ruminent en chemin :

- C'est chiant la musique, lui confie-je soudain, tu es toujours tributaire d'un tas de monde !

- C'est mieux l'écriture ? me demande-t-elle.

-  Oui. Tu es seul. Mais au moins, tu le sais."

 

28.09.08 Les filles qui sauvent mes journées ; par exemple Marie-Amélie qui passe Comme elle se donne, toutes les fois où elle mixe, le soir, dans les hôtels et les clubs ; Floriane qui m'écrit que m'écrire c'est comme parler à Jean-René Huguenin ; Julie qui me raconte qu'adolescente pour quitter le seizième et aller au théâtre, elle prenait la ligne bleue...

Le garçon qui dessinait des soleils noirs ; message de Stéphane qui me dit que le roman est arrivé numéro 1 des ventes du distributeur. Les premiers retours de lecture commencent à arriver. Des mots très touchants, des façons personnelles de voir les choses. Je voudrais porter ce livre plus loin encore, qu'il fasse des émules, qu'on le découvre, qu'on s'y attache, et que ça me donne de l'ardeur et de la liberté pour le suivant. Encore.

30.09.08

Je tente de prendre dans les premiers commentaires de lectures du livre, les lettres que je reçois, des forces et de l'ardeur pour me lancer, hors mes différents travaux, dans un troisième roman. Pour Le garçon qui dessinait des soleils noirs, les semaines sont en montagnes russes, il y a des journées euphorisantes ponctuées par de beaux aveux d'engouement ainsi que des initiatives pour le faire connaître davantage, et d'autres jours où il suffit que j'aille dans une librairie qui croule sous des milliers de livres et que mon roman ne s'y trouve pas pour que l'amertume revienne et domine. Il me faut pourtant construire un abri pour écrire, loin de la houle et de l'usure de ces journées en dents de scie, inévitables quand on sort une oeuvre pour laquelle on voudrait une sorte d'amour indiscutable. Je veux dire : indiscutable mais dont on parle.

Promenade à St-Germain-des-prés. Je ne sais pas expliquer comment ce triangle de bermudes de trois boulevards (Raspail, St-Germain, St-Michel) est devenu mon territoire. A dix-neuf ans peut-être, une histoire d'amour trop décousue pour la rive droite m'avait jeté là. Et puis ces nombreux épisodes de vie, ces strates qui se superposent et dans lesquelles scintille encore le minerai - inépuisable grâce au vent - de l'inspiration. Les filles des magasins qui sortent faire une pause et qui ne sont qu'un corps derrière un gobelet brûlant, les rencontres auxquelles on pourrait donner des couleurs de pistes de ski, et ces hommes fatigués, et ces femmes avec lecteur de musique incorporé, qui cherchent des solutions dans les publicités du métro. Rue Saint-Sulpice, à la chambre claire, je tombe sur un livre merveilleux, exemplaire unique qui date de 1983, un recueil d'Antony Penrose sur la vie et le travail de sa mère : The lives of Lee Miller. Elle reste encore très intime, Lee Miller, l'affaire de quelques jours, pour quelques amoureux transis, avant que l'exposition qui lui est consacrée au musée du Jeu de Paume ne débute, et que les magazines ne livrent sa beauté en pâture à la connaissance du grand public. J'étais très heureux d'avoir trouvé ce livre, seul exemplaire en vitrine comme s'il m'attendait, ce genre de rapport magique qu'on a de temps en temps avec les livres, et à de rares et d'inoubliables fois dans une vie, avec les êtres.  

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