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21.12.07

J'ai beau hurler son prénom

Ça n'a pas plus d'impact

Qu'une trace laissée

Par une patte de rouge-gorge

Dans la neige.

 

22.12.07 Le cavalier et l’icône.

 

Passé la sensation du souffle et des jambes coupés, du vide intersidéral en dedans, l'anecdote trop grande pour un cœur trop pur de tomber sur une fille (dont on a été délibérément dingue par le passé) au bras ou en compagnie d'un autre type dresse, pour peu qu'on ait le courage de s'y attarder, à les regarder parler et se comporter l'un avec l'autre, un fin sourire qui agit aussi promptement qu'une rature sur tous les espoirs et sacrifices passés, toutes les nuits perdues, et apprend, sinon la vanité de l'instant, la futilité de l'existence faite de rapprochements et de choix. (Genre de considérations à développer dans un roman, c'est préférable).

 

Reçu une très belle lettre de H. que j'ai connue quand j'avais 19 ans, lors de ma première année de Fac, passée dans le quartier Monge-Mouffetard.

Je prends la liberté d'en retranscrire un passage pour le conserver et retrouver

celui que j'étais, assez sensiblement, à 19 ans :  

A l'époque tu portais une redingote noire et un pantalon bordeaux et moi je te portais une admiration sans limite. J'étais d'une timidité enfantine et manquais beaucoup d'assurance. Je n'aime pas la personne que j'étais un peu comme quand on se regarde dans un film de famille. Mais bon c'est comme ça. (...) J'ai le souvenir de quelqu'un de doux, angélique, mystérieux, touchant et aussi prétentieux et froid parfois. Mais je me souviens surtout de cette intelligence, de ce talent à jouer avec le verbe, jongler avec les mots, comme le faisait si bien Serge (Gainsbourg) que j'adore. Fascinée par ta personnalité complexe et le personnage que tu jouais parfois, j'avançais vers l'inconnu, les yeux bandés mais j'aimais ça. Tu me disais souvent que tu étais dans les choux, dans les nuages. Une fois, tu m'as joué au piano "l'homme à la tête de choux". Je t'écoutais avec délectation comme un enfant devant un diabolo fraise (oui je ne distinguais plus mes sens). J'étais très sensible à la beauté de tes paroles à la façon dont tu t'exprimais, à ta référence incessante à tel ou tel poète ou bien tel ou tel auteur ou encore à tel ou tel film. Nous passions des heures au téléphone puis le lendemain à la fac, plus rien, nous nous retrouvions comme deux inconnus parmi tant d'autres. Je souffrais énormément de l'indifférence que tu portais à mon égard. Tu feignais de ne pas comprendre par peur de me blesser sans doute. Alors je souffrais en silence par pudeur, timidité, fierté aussi. Puis un jour je t'ai laissé filer, je ne sais plus comment d'ailleurs. Et oui, la vie donne et reprend, c'est comme ça, on y peut rien. Chacun son chemin chacun son destin.

Je ne porte plus depuis longtemps le costume du jeune homme torturé : pantalon bordeaux redingote noire, mais je ne crois pas avoir beaucoup changé dans ce que je suis et ce que je pense, et même dans la façon dont je suis perçu, depuis mes 19 ans. J'ai toujours eu la conscience de cette absolue dureté ou de cette immense tendresse que je peux avoir pour telle personne ou tel moment, et cette dureté et cette tendresse ne s'affrontent pas, je crois que c'est la même chose. Si j'essaye toujours de masquer aux autres la dureté de ce que je pense, si j'essaye de travailler sur cette dureté, et si depuis mes 19 ans j'ai fait quelques progrès en ce sens, jamais je n'ai bridé ma tendresse.

 

Vendredi soir à Bercy, invité par Calo à son concert. Dans le métro, dans les couloirs de La Motte Piquet Grenouille, femme superbe, mince et brune, emmitoufflée dans une doudoune fushia. Au téléphone un jeune type dit : Si c'est pour faire une énième soirée parisienne dans le Morvan, ça ne m'intéresse pas trop."

C'est quand même quelque chose Bercy, je crois que je ne ferais jamais de ma vie un truc comme ça, ou alors il faudrait changer radicalement les choses ou reprendre depuis le début dans la façon dont le milieu de la musique me perçoit et m'aide, mais quand même, je ferais bien sonner une chanson comme La prémonition dans un Bercy blindé. En première partie de Calo, Philippe était tout fou, torse nu, sautant partout, il a bien assuré. J'étais content de voir Calo dans des conditions de scène, nous nous sommes vus plusieurs fois cet été et je le perçois assez anxieux et réservé dans l'intimité, alors c'est toujours intéressant de voir comment un artiste gère la frontière et l'attitude qui existent entre la vie et la scène. La vie et le travail, pour les peintres. En ce qui me concerne je crois que je réduis de plus en plus la frontière, avec l'écriture elle n'a jamais existé cette frontière. Mais il n'y a que le Christ qui a su l'abolir, c'est le même quand il multiplie les pains devant une foule que dans l'intimité d'une maison. Sur scène c'est autre chose, il est malvenu pour un musicien de multiplier les pains.

J'étais heureux pour Calo, il a tenu à prendre le pari des grandes salles et il était dans une forme olympienne (oui, oui, à Bercy). Pour ses chansons emblématiques comme cette belle chanson écrite avec Guirao, il recevait des sortes de standing ovation et d'applaudissements à tout rompre pendant cinq à dix minutes au milieu du spectacle, à n'importe quel moment, quasiment dès le départ, et ça, je n'ai vu ça que chez Barbara, l'attitude absolue.

Après, dans les loges, Emmanuelle me dit que comme cadeau de noël elle a offert à une des ses amies qui est terriblement jolie (mais jeune actrice du genre à avoir plus de lèvres que de rôles) un : Bon pour recevoir un coup de fil de Jérôme Attal.

- Hey, mais ça va pas la tête ?!" dis-je à Emmanuelle. En plus je suis bien incapable de téléphoner à une fille que je ne connais pas et de toute façon je n'appelle jamais personne, ce sont le gens qui m'appellent, c'est comme ça.

- Ah oui mais c'est le cadeau original que je lui ai trouvé pour noël ! S'obstine Emmanuelle avec un grand sourire.

Je réfléchis à cette histoire et prenant à témoin les filles qui sont autour de nous, je demande à Emmanuelle et ses amies :

- Parce que vous, si un type vous téléphone et que vous ne l'avez jamais vu, vous lui parlez, et s'il vous propose un rendez-vous, vous allez direct au rendez-vous ?!"

Les trois filles se regardent et approuvent, disent que oui, C. va même jusqu'à raconter qu'elle est restée un an avec un type qui l'a branchée en lui passant un coup de fil alors qu'elle ne le connaissait pas du tout, un ami d'une amie.

- Mais, ce n'est pas un peu cavalier comme attitude ? Reviens-je à la charge.

Les filles ont l'air de trouver ça cool, voir même sexy ce genre de manières. Je suis effondré. C'est la défaite du style. La victoire des connards. J'aurais eu un revolver à la maison, en rentrant, j'y serais passé.

 

Dans l'après-midi, cours de chant dans le quartier de l'école militaire. Bon ils sont vraiment très sympas et ça a l'avantage d'être sur ma route, école militaire. Mais aujourd'hui on m'a demandé s'il y avait des textes d'autres chanteurs que j'aurais envie de chanter, et j'ai répondu non, que j'aimais pas trop les autres. Bon, comme il faut bien faire des efforts, et qu'on ne peut pas s'ennuyer ouvertement face à un professeur très patient qui s'emploie à ce que vous vous amélioriez, j'ai cité sans y croire : Charles Trenet. Du coup je me suis retrouvé à chanter pendant cinq minutes des trucs comme Y a d'la joieet des conneries du genre. Je raconte ça parce que là aussi, si j'avais eu un flingue à la maison, en rentrant, j'y serais passé.

 

Rue de Grenelle. Il y a des filles qui marchent de telle façon qu'on croirait que le trottoir leur fait de la peine.

 

Celles et ceux qui n'auront jamais été soigneux avec leur solitude finiront par s'aimer n'importe comment.

 

Tania me dit que pour certaines personnes, quand elle leur parle de moi, j'ai toujours un statut à part, un statut d'icône. Je hausse les épaules - non pas contre Tania mais sur ce mot icône. Qu'est-ce que j'en ai à foutre d'être une icône ? Pour cinquante, cinq cent, ou cinq mille personnes ? Je connais la voracité et la faiblesse des engoûments, et la façon dont un système, par ce qu'il est, tient le travail des types dans mon genre loin des chatoyantes paraboles de la surface. Je ne jubile pas, ni ne m'attriste, d'être une sorte d'icône en retour. Je ne travaille pas pour ça. Ce qui m'aura travaillé au final, et tourmenté sans relâche, c'est que l'amour qui nous vient, qui nous inspire, soit rarement retrouvé à sa pleine mesure ou, du moins, au même moment - le flagrant désir (durassien) d'être et de tenir ensemble, l'amour fou, l'éternité qui reste sans réponse ; que ce qui se produit dans la vie soit toujours moins fiable et malin que ce que je peux trouver ou rétablir par le travail ; et, dans une moindre douleur, la molle envergure du comportement de la plupart des amis qu'on se sera faits, et des gens qu'on aura fréquentés.

 

23.12.07 La gamine aux allumettes

 

Je rentre d'une de ces promenades où dans un crépuscule presque limpide les immeubles du quai Louis Blériot détachent leurs délicates masses sombres comme des forteresses crénelées en bord de Seine, vers l'Ouest, et je prends le pont de Bir Hakeim en direction de Passy, quand j'entends courir derrière moi une gamine à l'esprit chaussé dans des bottes de sept lieues. 

Des mèches de cheveux blonds en pagaille tombent sur ses épaules, des yeux gris cendre lancent des étincelles qui réchauffent, et, d'un bras, je la place sous mon aile tremblante dans la trajectoire du métro aérien, à l'abri des courants d'air rugissants qui rendent l'air encore plus vif et le froid plus perçant.

- On est toujours bien à l'abri près de vous, me dit-elle essoufflée. Vous vous souvenez de moi ?

- Oui, lui dis-je poursuivant mon chemin, tu faisais ta maline du côté de l'East River.

- Je peux faire la traversée avec vous ?

- La traversée de quoi ? Fais-je, lui jettant un regard triste. C'est bien ma veine. La plupart des types rencontrent des petites allumeuses et moi il faut que je tombe sur la petite aux allumettes.

- Je me suis perdue, m'apprend-t-elle. Pour ne pas m'endormir et me réveiller comme un cube de glace j'ai répété plusieurs fois de suite : Le pont de Brooklyn, le pont de Brooklyn, le pont de Brooklyn, et je me suis retrouvée ici sur le Pont de Bir Hakeim. C'est peut-être à cause de la méthode bouddhiste de l'incantation et de la proximité des sonorités.

- Peut-être, dis-je haussant les épaules.

Elle me regarde avidement, puis balaie mes objections d'un mouvement de tête. Quelque chose semble la contrarier :

- Vous êtes toujours à faire de grandes promenades pour semer vos souvenirs ! Ce n'est pas malin, parce qu'il y a des beaux souvenirs, alors ça intéressera toujours des gens de les ramasser. C'est très difficile de semer ses souvenirs...Qu'ils soient beaux ou violents, c'est très difficile... Dit la petite après réflexion.

- Oui. Les souvenirs violents sont violents pour toujours. Et les beaux souvenirs finissent pas devenir violents, de toute façon.

- Ce n'est pas vraiment des trucs à me raconter pour Noël, dit-elle en fronçant ses sourcils et activant ses gambettes sur le pavé pour suivre mon rythme.

- Pardon, dis-je en m'arrêtant à hauteur de l'escalier qui descend vers le passage des Cygnes. Parce que l'histoire de la petite fille aux allumettes c'est un truc à raconter à Noël peut-être ?!

- Hé ho, je vous raconte pas mon histoire, je fais juste un bout de chemin avec vous.

- Je connais ton histoire. Et aucun de mes beaux souvenirs ne pourra effacer un peu de ton histoire. Je trouve ça moche. Comment peuvent-ils faire la fête ? Me prends-je à penser tout haut en regardant les lumières qui scintillent aux fenêtres des buildings.

- Ils y croient un peu, dit la petite fille. Et vous vous y croyez trop, c'est ça le problème. Moi je trouve ça moins dangereux de me laisser jouer avec des allumettes que de laisser une seule boîte entre vos mains. Parce que pour moi au moins chaque allumette est importante, chaque allumette me tient chaud très longtemps. Vous, il suffit qu'un visage qui vous plaise passe à l'horizon, et ça y est vous craquez toute la boîte pour suivre ce visage, pour suivre sa lueur. C'est pas du tout un bon emploi du feu ! Le feu, c'est fait pour se réchauffer. Pas pour avoir encore plus froid, ni pour éclairer les visages qui vous bouleversent.

- Craquante pour une gamine aux allumettes, fais-je.

Elle accueille mon attention par un grand sourire qui illumine son visage. Un sourire plus grand qu'elle, c'est la pensée qui me vient.

- Merci pour le sourire, dit-elle, j'ai gagné quelques heures sur le froid. Vous êtes mieux qu'une boîte entière. Tiens l'autre jour j'ai pensé à vous, et de penser à vous ça m'a fait gagner quelques heures sur la nuit.

- Gamineries !

- Dont vous êtes l'auteur !

- C'est quoi le livre que tu tiens dans la main ? Tu ne croies pas que ce serait plus intelligent d'avoir des gants, avec ce froid, ou un sac comme toutes les filles de ton âge.

- J'aime pas les sacs, répond-t-elle avec une moue effrontée. Toutes ces filles-là qui tiennent leur sac dans le creux de leur bras, leur poignet en l'air, on dirait des poules d'eau ! Pouah ! Pouah ! Beurk !

- Pouah Pouah Beurk ?

- Oui, exactement : Pouah ! Pouah ! Beurk !

- Hum ! Tu es une gamine peu ordinaire. Et c'est quoi le livre ?

Elle tourne vers moi la couverture, un livre de poche avec une reproduction d'une toile de Balthus : La toilette de Cathy.

- C'est Wuthering Heights ! me dit-elle triomphante.

- Ah mais ça ne va pas du tout, réponds-je terrifié. Ce n'est pas bien du tout ! La petite fille aux allumettes ne peut pas lire Wuthering Heights ! C'est comme si Superman passait son temps à lire des Marvel Comics, mais, comment dire dans l'autre direction...Ce n'est pas du tout ce que tu devrais lire, tu devrais lire des trucs plus joyeux comme...

- Comme L'amoureux en lambeaux peut-être, ou vos prochains qui vont sortir, là...

- Très drôle.

- Hey j'ai une idée. Oh là là j'ai une trop bonne idée. Un idée trop super ! Vous ne voulez pas qu'on craque une allumette ?

- Non, petite. Il faut les garder en cas de pépin pour toi. Quand nous serons séparés.

- Allez, une allumette ! Rien qu'une allumette !

- Rien ne vaut le coup.

- Mais peut-être qu'on pourrait demander des choses toutes petites, des choses réalistes...

- Je suis d'accord avec cette pensée, dis-je en levant la tête, les choses réalistes sont des choses toutes petites.

- Allez, faites pas votre triste, peut-être qu'on aurait une bonne surprise ! Une seule, une seule allumette ! Dit-elle en sautillant autour de moi comme une dingue.

- On a l'air malin tous les deux, le type sombre et la petite clarté, en plein Paris avec nos histoires de feu.

- Allez ! Allez, quoi ! C'est trop mignon !

- Pardon ? Dis-je, l'âme ravagée.

- Une allumette ! Une seule ! S'il vous plait.

- Ok.

J'approche mes mains, je les place en coquillage pour qu'elle puisse craquer à l'abri du vent l'allumette contre la partie conductrice de la boîte. La flamme jaillit. Une flamme immense et chaude. Elle regarde ce qu'il y a à l'intérieur, avec avidité. Et moi je regarde son visage. Voilà l'histoire.

 

 

24.12.07 Avancer contre le vent.

 

Enregistré une voix chez Frédéric, à Meudon, pour une nouvelle chanson. Il faudrait maintenir toujours une cadence de créativité pour ne pas s'affaiblir et connaître le bonheur de pouvoir envisager encore de nouvelles chansons, de nouveaux terrains à conquérir. C'est difficile parce que les circonstances ne favorisent pas mon avancée, je veux dire si un label ou un succès nous tenaient sous leur coupe nous serions davantage éperonnés par le travail que nous faisons ensemble, mon groupe et moi. En ce moment, sous la faible lumière de décembre, chacun file vers d'autres prérogatives et j'ai la sensation d'avancer non pas porté par les circonstances mais plutôt contre le vent ; ce qui permet toutefois de faire des choses plus résistantes et moins anecdotiques.

Mathieu a cependant trouvé du temps pour enregistrer les guitares cette semaine sur un nouveau morceau, et Frédéric, dès qu'il le peut, travaille follement sur l'assemblage si bien que j'ai pu poser une première voix sur la musique prémixée.

Mais tout me parait très lent, et en regard des horizons créatifs qui m'animent, j'ai l'amère sensation d'avancer contre le vent.

 

Stéphane m'a suggéré un titre pour le roman qui prend pour héros mon personnage de Basile Green, d'après une phrase d'un des premiers chapitres. Du coup je réecris ces premiers chapitres dans l'excitation du titre (qui doit transpirer dans tout le livre) et aussi dans l'excitation que me procure l'écriture de mon roman suivant. Réecrire le début de Basile porté par la fièvre que me donne l'écriture de l'autre me permet de trouver un équilibre entre les deux, et même si celui de Basile Green est plus sombre je tente de lui communiquer - au moins à sa lecture - la joie que me procure l'écriture du suivant.

Agnès (W), une jeune femme qui est venue faire dédicacer son Amoureux en lambeaux à Sciences-Po, et à qui, puisqu'elle me parlait de l'aspect psychanalytique des personnages, j'avais conseillé de lire Tendre est la nuit, m'écrit aujourd'hui un beau mail qui me fait bien rire quand elle note, au passage :

La troisième partie pour finir est surprenante...Parce que cet amour est né d'un transfert entre une patiente et son psychiatre qui ne s'est jamais achevé (conclusion: le dr diver est vraiment nul comme psy) et donc parce qu'il est le véritable obstacle à la guérison de Nicole alors qu'il apparaissait comme nécessaire (c'est-à-dire qui ne peut pas ne pas être) à la stabilité mentale de celle-ci, l'amour entre Dick et Nicole est d'une effroyable cruauté qui les détruit progressivement. Et pourtant, partant de là, si l'on pouvait présager une fin terrible, au contraire, elle est d'une douceur absolue...Oui c'est bien le mot: c'est surprenant.
En fait, si je ne devais retenir qu'un défaut de ce livre, il serait purement stylistique...les phrases très longues de l'auteur, cette idée de vouloir exprimer un maximum de choses d'un trait, dans une totale urgence, me donnait pas mal le tournis. Étrangement, c'est la première chose que j'ai remarquée...Et c'est la première chose que j'ai oubliée en rentrant dans l'histoire. C'est donc que le livre était très bon.

Ce qui me fait bien rire - d'un rire tendre porté vers Fitzgerald - dans son analyse (si je puis dire) c'est : Conclusion : Le dr Diver est vraiment nul comme psy !!

Et quand Agnès parle des phrases très longues de l'auteur et de "cette idée de vouloir exprimer un maximum de choses d'un trait, dans une totale urgence"...Je suis comme un gamin parce que de mon côté ça ne m'a pas du tout gêné à la lecture de Tendre est la nuit, et en même temps, j'ai l'impression de lire une critique de L'amoureux en lambeaux. Pour L'amoureux en lambeaux, beaucoup de commentateurs ont relevé ça, des phrases longues et l'idée de vouloir exprimer le maximum de choses d'un trait. C'est toujours quelque chose qui m'anime, l'urgence et le définitif, ou, s'il faut parler moins religieusement : l'urgence et la plénitude. Dans les histoires d'amour comme dans l'écriture. Sauf que l'écriture l'emporte. Puisque sur le terrain de l'écriture : le champ de bataille est aussi le champ des rêves, le champ des fantasmes comme celui de l'accomplissement.

J'aime les phrases longues quand elles prennent de la vitesse, jusqu'à leur chute, et quand, dans la malice ou la beauté de la chute, on sent de manière immédiate encore la trajectoire qui l'a portée. Cela me plait, comme cette lubie de mettre quelque chose d'important, de crucial, quasiment dans chaque phrase. Que chaque phrase puisse s'écrire sur un miroir de salle de bains, puisse se noter dans les pages volantes d'un agenda, ou sur les marches des escaliers de Sciences-Po, comme ils l'ont fait dernièrement, lors de la 60ème journée Dédicaces, et j'avais dit à Marie (Petit) :  - Ah, c'est chouette mon texte écrit sur les marches, s'il y a une fille qui trébuche elle tombe sur moi !"

 

Le mail d'Agnès se termine par : Je vous souhaite de très joyeuses fêtes de fin d'année...Non parce que c'est poli de dire çà en fin de mail (enfin si, quand même un peu)...Parce que je vous ai aperçu l'autre jour à Sèvres-Bab, et que j'ai eu peur car vous aviez une tête comme si vous alliez vous jeter sous la prochaine rame (d'ailleurs, plus çà va, plus vous me faites penser à un autoportrait de Cocteau que j'ai découvert il n'y a pas longtemps...si j'ai le temps, je vous l'enverrai par mail)

J'espère avoir le temps de vous écouter dans la nuit du 25 au 26.

C'est drôle, cela me fait penser à la lettre d'un autre lecteur, David (B) reçue en août dernier après qu'il m'ait aperçu lui aussi dans le même coin exactement, à croire que j'ai toujours une tête pas possible quand je me promène dans mes pensées. Bon, en août j'étais vraiment abattu, je n'en menais pas large, j'étais bon pour la casse sentimentale, totalement brisé, et l'autre jour à Sèvres-Bab de quoi s'agissait-il ? Je devais être dans mes pensées, ou bouleversé encore, bouleversé par un visage, ou bien quelque chose était en train de naître au milieu des quotidiens fuyants et des tourments persistants, et la vie ne m'offrait pas assez de soutien, pas de solutions pratiques, j'étais juste dans l'état pas possible de tous les jours. 

 

26.12.07 La ballade du docteur Germain Sée

 

Le quartier de France Inter, la nuit. Les escaliers de la rue du docteur Germain Sée. Je me souviens les avoir pris avec L. une nuit où je rentrais d'une émission radio, une interview chez Serge (Levaillant) sur France Inter. L. m'avait accompagné, dans cette atmosphère particulière des bâtiments d'Inter en pleine nuit, les couloirs déserts, comme quand enfant on reste après les cours dans le collège immense et vide parce qu'il y a eu un problème, parce que personne n'est venu nous chercher.

Remontant vers deux heures et demi du matin la rue du docteur Germain Sée avec L. dans le froid mordant, je me souviens que les escaliers offraient une excuse technique à mon coeur qui avait, à côté d'elle, les jambes coupées. Je voulais juste enfouir mon visage dans ses cheveux, son cou, que nos mains s'entortillent, qu'on se capture pour la nuit, qu'elle fasse de mon désir une cabane, qu'elle me prenne dans ses serres pour toujours, ce genre de trucs vous voyez qui me reviennent en mémoire quand je remonte les escaliers de la rue du docteur Germain Sée.

 

Hier soir je racontais à Serge que les concerts sont comme des checkpoints, par rapport à ce Journal et à ma vie, j'espère toujours que quelque chose de neuf va se produire après un concert, une période et un terrain meilleurs pour mes idées et mes amours.

C'est une telle attente pour un moment si court. Tout cela ne sert quand même pas à rien, dites.

 

Finalement, les entretiens avec Serge, en direct la nuit sur France Inter, pourraient aussi fonctionner comme des moments relais, puisque depuis que je travaille à mes livres et à mes disques, ces moments accompagnent chaque issue, la fidélité de Serge à mon travail permet de fixer une étape, une progression, de dresser un bilan. Je pense beaucoup à ce qu'il m'avait dit au sujet de L'amoureux en lambeaux, qu'avec le temps on ne peut plus se permettre d'être le personnage de Thomas. J'y pense beaucoup parce que L'amoureux en lambeaux est avant tout un roman sur le temps. Et Thomas, dès le départ, fige son sentiment, fige un visage, et fait le pari inouï du temps.

Alors son point de vue durant l'interview qu'il avait menée sur France Inter en février dernier n'a cessé de m'accompagner chaque fois que je pense ou parle du livre.

J'évoque Serge à propos de L'amoureux en lambeaux, mais je pourrais parler biensûr de Stéphane, de Renaud, de David, Damien, et de discussions avec d'autres sur ce qui me travaille sans cesse.

Ce que je veux dire c'est que je suis bien trop secret et solitaire pour user de fréquence dans mes amitiés - de toute façon seule l'intimité amoureuse me concerne et me va,

comme mode de vie, tel celui que François (Truffaut) l'exprime dans : L'homme qui aimait les femmes ; Concernant l'amitié je ne suis pas pour les rapports hystériques où les gens ont besoin de se voir et se faire de grandes déclarations toutes les trois minutes, je trouvais ça déjà piteux quand j'étais adolescent, et j'ai un tempérament trop misanthrope pour ça, mais les amitiés que j'aurais eues et que je tisse (oui, oui, comme Spiderman) sont celles de personnes qui me font réfléchir, dont j'emporte les paroles ou les actes avec moi, dans ma solitude ; des gens par la bonté, la clairvoyance, ou l'esprit et l'intelligence de ce qu'ils m'ont dit, n'arrêtent pas d'apparaître dans les moments où je voyage, seul et avec eux, en pensées, même pour rejeter leurs points de vue, le long des boulevards.

 

Hier nuit j'étais heureux de présenter à Serge le travail que j'ai fait avec William. Quatorze chansons en moins de quatre mois. C'est allé rapidement parce que William n'a jamais discuté une seule ligne de ce que je lui envoyais. Du coup je n'ai rien revu à la baisse, essayant pendant dix ans d'ajuster telle phrase ou tel mot jusqu'à ce que ça m'épuise. Il n'y a aucun creux ou partie que j'aime moins, voilà, William m'a fait une entière confiance, n'a pas contesté un seul mot, et j'ai travaillé comme si je travaillais pour moi, c'est-à-dire sans rien me laisser passer, dans une totale et froide exigence. 

Je crois d'ailleurs que je suis prêt maintenant à refuser tous les plans un peu bâtards où des artistes font des pieds et des mains pour que je travaille avec eux, et ensuite me fatiguent en discutant telle de mes lignes pendant des semaines. Si avec William j'ai envie de lui faire chanter un truc du genre : "Je voudrais m'enfuir tous les deux" à aucun moment il va m'interroger sur la fiabilité de la phrase, il sait que je suis déjà passé par tous les degrés de vérification avec moi-même, et que si je lui présente c'est que je trouve ça aussi important, valable, et accompli qu'un texte dans mon Journal ou une phrase d'un de mes romans. Puisque, de toute façon - et je me moque si cela peut paraître orgueilleux, mais ce qui me chagrine le plus aujourd'hui est d'être associé à quelque chose que je ne valide pas entièrement d'après mon goût et d'après ce dont je me sente capable. Comme cela s'est produit cinq ou dix fois - mais cinq ou dix fois de trop, par le passé. Cette année d'ailleurs, j'ai encore perdu beaucoup de temps et un peu de souffle par gentillesse.

 

Les émissions de radio ou de télé, j'essaye toujours d'en faire un terrain d'où pourra naître quelques diamants de mots ou quelques thèmes. Dans l'émission d'hier nuit, il y a un truc dont je suis assez content, un motif que j'ai développé pour le terminer quelques minutes plus loin en aphorisme relevant la totalité du thème.

Serge fera le même genre de trucs malins avec son histoire de célébrités d'Alençon.

A un moment il m'interviewe sur la création, ce qui m'inspire, et je réponds que je travaille pour rétablir un décalage trop lourd, pour affronter la blessure entre la réalité comme elle se donne et la façon dont je souhaiterais les choses ; que je travaille aussi pour réduire les distances avec un visage qui me bouleverse, une fille insaisissable que je voudrais poursuivre et captiver, ce que Bataille énonce magnifiquement quand il écrit qu'il faut demander à l'être aimé d'être la proie de l'impossible.

Ensuite on passe à William qui chante sa chanson : Je voudrais te voir nue, et au moment de commencer l'interview Serge lui demande :

- C'est un texte de Jérôme, j'imagine. Et ça parle toujours de filles ?

- Oui, c'est Jérôme !" Répond William définitif.

Et j'ajoute, d'un trait, mêlant l'anecdote d'une fille qui s'en va au motif que j'ai développé précédemment :

- Oui. Je parle de ce qui m'échappe."

Voilà. J'ai bien aimé faire ça.

 

Les escaliers de la rue du docteur Germain Sée sont à jamais chargés je crois de mon envie de m'engloutir dans les bras, le cou, les cheveux et l'odeur de L.

Quelques rues plus loin seulement, place du docteur Hayem c'est l'arrêt du bus que je prenais avec Z, au printemps dernier, quand elle dévalait la rue de son lycée pour finir dans mes bras et que nous allions peupler de notre grand, immense, irréductible amour, les terrasses des cafés de Paris.

Deux êtres que je n'étais pas fait pour aimer, ni d'aucunes je fusse sans doute fait pour être aimé, et pourtant que j'ai aimées à m'en déchirer le cœur, à renvoyer le reste du monde au rang de l'anecdote.

De la rue du docteur Germain Sée que j'emprunte cette nuit seul, à l'arrêt du bus de la place du docteur Hayem devant lequel je passe, ni les courtes distances d'une rue ou d'une année sur l'autre, ni le temps malfaisant et perdu n'y peuvent grand chose, pas plus que désespérément l'espérance que demain je rencontre un amour absolu qui me convienne pour vivre, non, rien n'y fait, cette nuit je suis cerné par les rues de docteurs, et ma maladie ne passe pas.

 

27.12.07 La fille qui jouait dans la publicité

 

Des corps blancs comme à la piscine

Elle rêvait d'être touchée

Comme elle le faisait

Seule, sur le carrelage,

En se recroquevillant -

Sensation de froid et de douceur,

Elle avait joué dans une publicité

Qui était passée trente fois en un seul jour,

Si on zappait au bon moment,

Presque un petit métrage.

Nue sous son top, pas de soutien-gorges -

Elle imaginait peut-être comment chacun de nous l'aurait prise

Elle voulait qu'ils sortent leur désir comme une carte à jouer

La télé n'était jamais allumée sur la bonne chaîne,

Elle parlait à tout le monde de sa publicité

Puis venait s'asseoir sur mes genoux pour me dire :

- Tu dois me trouver ridicule ?"

J'avais le ventre noué.

Comment ne pouvaient-ils ni voir ni comprendre ?

Fuyaient-ils la possibilité de ses yeux ?

Je l'ai revue, croisée rue d'Auteuil, tourmentée.

Et une demi-heure après, alerte, descendant l'avenue Théophile Gaultier

Vers la Seine.

J'aurais voulu faire demi-tour,

Courir derrière elle

L'attraper par le bras

Et lui dire :

-       Emmène moi. Ce soir je voudrais rentrer quelque part où tu seras."

 

28.12.07 D’intenables serments.

 

Tombé sur du courrier, des échanges qui datent de juillet dernier.

Je tombe toujours amoureux des filles pour ce qu'elles sont. Rarement pour ce qu'elles ont été, et jamais encore pour ce qu'elles finissent par devenir.

Après, leur infinie tendresse et leurs intenables serments, à m'en souvenir ou à retomber sur des mots écrits, comme ce soir, n'en finissent jamais de me briser le coeur. Qui peut comprendre ça ?

Et me reviennent aussi des moments où je butais contre une extrème froideur.

 

30.12.07

 

Week-end studieux. Je voulais terminer mon deuxième roman, Basile, le relire une dernière fois en me disant qu'il n'y a plus rien de crucial à ajouter, que je puisse passer pour de bon au suivant - sans avoir en tête l'idée d'une énième retouche ou gêné par un passage que je trouve inférieur. Dans mes diverses corrections ces dernières semaines j'ai essayé de respecter la noirceur initiale - que le roman suivant édulcore pour explorer le champ légèrement plus sucré de la mélancolie - et je me suis laissé cueillir par la tendresse en passant qui déborde de certains des personnages dans leurs échanges, si bien que sur ce terrain, le terrain de l'écriture, j'avançais les larmes aux yeux, relisant des propos tenus par Basile, Odilon et Simon, parce que je sais encore aujourd'hui d'où ils viennent, les raisons qui ont déclenché leur écriture. Il fallait aussi qu'il y ait autant voire davantage de phrases que je trouve importantes à mes yeux, à mon goût, que dans L'amoureux en lambeaux. J'ai écrit une première version de Basile de janvier à mai. En août, je l'ai entièrement réécrit dans un état de grande fièvre, en quelques nuits, avant d'essayer de m'attaquer plus sereinement à Le rouge et le bleu. Et j'y ai mis l'anecdote de la rue Saint-Placide, avec Z, comme un trésor, comme si je refaisais le livre à partir de cette anecdote. Je suis content de ce travail, de trouver toujours la façon la plus juste de fixer pour toujours un détail de la vie qui m'a entièrement retourné. Comme dans Chanson pour Zo, quand je mets le truc des chaussures : Dis tu te souviens quand on rentrait de leurs fêtes ton corps collé au mien, dans les rues pieds nus et moi tenant tes chaussures d'une main ?

Il y a des trucs d'une même histoire que j'aurais mis dans les romans, dans mes chansons, dans le Journal, et planqué en douce aussi dans des chansons pour d'autres. Un vrai jeu de pistes, un labyrinthe, un crève-coeur pour biographes.

Ces dernières semaines j'ai réécrit les trois premiers chapitres sur les conseils avisés de Stéphane, je viens de passer le week-end entier à relire le tout, et voilà je crois que le roman est prêt. Je ne sais pas du tout quand il va sortir et chez qui ? (Chez Stéphane si tout va bien) mais je peux me consacrer dorénavant à la poursuite du roman 3.

 

A la grande épicerie du Bon Marché, deux caissières black dont une très jolie profitent que je pose mon panier auprès de l'une d'elle, pour parler encore plus fort d'histoires de dragues. La fille jolie se fait draguer par un type - vendeur ou client régulier - et l'autre fille l'assure qu'il est très bien mais un peu timide.

- Il m'a avoué qu'il voulait sortir avec toi, mais il est très timide. Je lui ai dit que peut-être tu changerais d'avis en 2008 !"

Ce à quoi la fille draguée répond :

- Je voulais bien au départ, mais il est trop timide, alors je ne veux plus !"

Elles me regardent toutes les deux.

- Si je puis me permettre, dis-je, il ne faut pas du tout réagir comme ça ! Faut vraiment que ce soient les timides qui triomphent dans ce monde clinquant, mesdemoiselles ! En 2008 il faut que ce soit le triomphe des timides."

Les filles me sourient, mais c'est pas gagné.

 

L'autre jour je suis tombé sur une bande annonce avant le Journal parlé sur France 2, d'un hommage à Jacques Martin. Dans la bande annonce il y avait cet extrait très humiliant d'un môme mal élevé qui hurle au visage d'un Jacques Martin bonhomme et postillonnant :

- T'arrêtes un peu de me cracher dessus !"

C'est-à-dire que France 2, dont Martin a fait les belles heures durant tant d'années, a crû bon de montrer dans sa bande annonce cet extrait humiliant comme le summum de l'hommage. Que Martin ait permis à ce génie de Pierre Desproges de faire ensuite ce qu'il a voulu faire, que Martin ait pris les premiers risques en terme d'humour à la télé et ait réveillé la France giscardienne par des audaces toujours plus malines, France 2 s'en contrefout dans sa bande-annonce. Ce qu'il faut retenir c'est juste qu'un chiard lui balance une réplique plutôt humiliante, qu'il faille rire de situations d'humiliation, et que ce rire devienne l'une des seules images à conserver, l'épitaphe télévisuelle, involontaire et cruelle, de plus de quarante ans consacrés à un travail de création.

Bon, ça n'a l'air de rien, mais j'y vois le traitement symptomatique de cette époque stupide qui est la nôtre.

 

J'ai profité du week-end aussi pour boucler mes deux courts textes pour le prochain numéro de la revue Bordel consacré à la jeune fille. C'était très difficile pour le premier texte parce que je voulais faire quelque chose de léger, sans débordement de tristesse, sur mon histoire avec Z.

Alors, évidemment, c'est un texte court.

 

En me promenant sur le site internet de l'INA, je suis tombé sur des vieux trucs de Bécaud, ce qui fait que les larmes que j'ai eus à travailler une dernière fois mon roman, je les ai gardées avec ces images tant elles me rappellent mon père. J'ai emporté ces larmes aux yeux  - le souvenir de mon père qui physiquement ressemblait à Bécaud et Brialy, certaines lignes de dialogue de mon roman, la correspondance par mail qui date de juillet dernier, que j'aie conservé à tort et sur laquelle je suis retombé il y a deux nuits - le long des boulevards cette après-midi, perdu et solide à la fois, dans l'hiver léger, protégé sommairement par l'armure indifférente d'un quartier livré aux touristes.

Demain, traversant une partie de la ville, une bouteille de champagne à la main pour me rendre chez C. j'emporterai encore ces larmes du terrain de l'écriture, puisque plus le temps passe et plus le terrain se déplace avec moi.

 

S'il faut dresser le bilan de cette année, je dirais : L'écriture de + d'une cinquantaine de textes de chansons répartis en divers interprètes, une poignée de chansons nouvelles avec mon groupe, l'écriture de deux livres : (Basile, Le rouge et le bleu), trois nouvelles (dont Le sombre amour de Jacques Mesrine), deux textes pour des revues, et puis, évidemment, ce Journal 2007 à l'oeuvre, le plus souvent possible, en tentant à chaque fois de maintenir l'urgence et de garder le niveau, avec des choses qui me plaisent bien comme par exemple : ceci, ou ici, et là, ici encore, là, et là, et ceci, ici, là encore, et là, ici, l'accélération (elliptique et donc, mystérieuse) de mes relations avec A. : ici puis là, et biensûr : ceci, mais il y a des choses dispensables sur la fréquence certainement, et des passages que de toute façon je n'ai pas le courage de relire.

Et puis il faudrait parler des concerts, des rencontres, des entretiens, des choses que j'oublie, d'un tas de trucs que je considère aussi de l'ordre de la création. Donc, pour le bilan, une bonne année de travail, et, par ailleurs, j'allais dire en retour  : Seulement quelques courtes semaines d'immense et de flagrant bonheur.

Il faudra faire mieux, l'année prochaine.

 

15h30. Fille très belle, très fine, qui descend le boulevard Saint-Michel. Entièrement vêtue de violet et de noir. Des cheveux d'or qui tombent de part et d'autre d'une casquette. Le visage mutin, fragile et apaisé à la fois, dans le savoir que mes yeux verts ne retiennent personne d'autre qu'elle,

dans la foule abominable du boulevard.

 

 31.12.07

 

Malade toute la nuit. En fait j'ai goûté l'autre jour à la bûche façon cheesecake de chez Picard, j'ai trouvé ça bon, et depuis une semaine je ne mange plus que ça. Ce qui m'apprendra à être obsessionnel avec la nourriture comme avec les gens, il y a un moment où ça prend l'eau, ça rend malade.

 

J'ai promis des textes de chansons à différents artistes, et je traîne parce que je ne sais pas livrer des choses qui ne me plaisent pas entièrement, j'aimerais qu'à chaque fois cela ait une signification pour l'artiste mais aussi pour moi, confronté à l'ensemble de ce que je fais. Il faut donc que je réduise absolument pour l'année prochaine le nombre de personnes avec lesquelles je travaille, ne choisir que celles qui me laissent une totale liberté et qui m'inspirent. Maintenant que le travail difficile sur Basile est achevé, il faut que je retrouve un état de grâce pour les chansons : Tenter de faire des choses superbes en toute simplicité (ce qui est une bonne définition de l'élégance).

 

L'autre jour dans un café, Isadora me disait que ce qui manque dans mon Journal c'est que je ne parle jamais des filles qui se meurent d'amour pour moi. Je m'étonnais de cette drôle de chose (Que mon Journal ait à en parler, et non qu'on puisse mourir d'amour pour moi, mais je parenthèse par coquetterie et humour le lecteur avisé aura capté).

- Oui, insistait-elle, je suis certaine qu'il y a des tas de filles qui se meurent d'amour pour toi."

Comment-ça, des tas ? Des très belles, oui ! D'innombrables et de très belles. En fait il y a une petite nuance d'appréciation, il me semble parler dans mon Journal principalement des filles avec lesquelles il s'est passé quelque chose de fort, une histoire d'amour ou tout autre lien de cet ordre, et je n'ai rien d'un séducteur, je veux dire : je méprise les séducteurs, aussi je ne laisse jamais d'ambiguïté avec une fille pour laquelle je n'ai pas le désir de me brûler entièrement, voilà je ne donne pas d'accroche ou d'espérance amoureuse avec une fille avec laquelle je n'ai pas envie de vivre une véritable histoire, et si tout le monde faisait comme moi les samedis soirs seraient plus supportables. 

Je meurs pour quelqu'un qui m'en donne la possibilité. Je meurs rarement pour des passantes. Ou alors je meurs, mais pas deux fois de suite.

 

J'aimerais bien que ce soit le triomphe des timides en 2008. L'autre jour on marche rue du Vieux Colombier Stéphane et moi, et on tombe sur un ami de Stéphane.

Stéphane papote, lui raconte un peu où il en est de ses histoires sentimentales. Et cet ami commente par cette phrase :

- N'oublie pas d'être salaud. Les femmes adorent les salauds, et je sais de quoi je parle !"

Je sais que c'est un avis partagé par beaucoup de garçons dont Stéphane, et moi ce genre de réflexions, j'allais dire ce genre de vérités, c'est toute mon œuvre qu'on assassine.

Il y a des types qui ne font même pas exprès d'être salauds au départ, c'est ça qui est difficile. Ils gravitent dans des sphères où ils ont un petit pouvoir (souvent professionnel, médiatique), remarquent que ça leur permet d'avoir une certaine influence sur les filles - surtout s'ils ont eu une adolescence ingrate - et au final ils finissent par tellement adorer le pouvoir, les honneurs, les trucs VIP, ce genre de merde, qu'ils en viennent vraiment par se conduire comme des salauds et mépriser les pauvres et pathétiques lucioles qu'ils trimballent. Alors qu'au départ c'était dans une stratégie inspirée par la vie, ils n'étaient pas forcément des salauds au départ. Enfin quand je dis qu'au départ ils n'étaient pas forcément des salauds, ça ne les empêche pas d'avoir été des connards tout du long.

 

La plupart des gens que je fréquente commencent à avoir des amours fiables, des familles à partir d'eux, ou alors s'ils sont plus jeunes ils ont des bandes d'amis, ils ont toujours été dans des bandes, et moi je vais souvent d'un individu à l'autre, je traverse les bandes, et personne au fond ne sait la solitude qui est la mienne. Seules les filles avec qui j'ai eu des histoires d'amour peuvent soupçonner ma solitude. Parce qu'elles ont bien vu, au moment de le vivre cet amour, qu'elles seules m'importaient.

Et moi-même je n'ai pas une idée exacte de ma solitude tant que je suis absorbé dans le travail, tant que j'écris.

 

C'est en écrivant mon texte d'hier dans ce Journal que j'ai compris pourquoi j'avais passé une partie de l'après-midi à regarder sur le site de l'INA des images d'archives de Jean-Claude Brialy, et de Gilbert Bécaud. C'est ensuite, en écrivant mon texte, que j'ai vraiment compris

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