03.01.06
La fenêtre fine de lumière, rien ne dépasse qu'un trait et je sais qu'elle est habitée par une personne qui me plait ; pas celle non qui m'a croisé à la tombée de la nuit et à lèvres basses a murmuré : I dreamed of you ; non pas celle qui m'a demandé si j'étais seul ce soir, et ce soir oui j'ai congédié mes fantômes ; mais la fille qui vit derrière la fenêtre éclairée dans la noirceur radicale de la cour d'immeubles - le puits sans fond de la cour d'immeubles - fait déborder un sentiment plus grand qu'une ombre au soleil.
Est-ce que cette fenêtre m'apparaîtrait aussi proche si elle était éclairée en permanence ? Sept jours sur sept ? Et si je ne pouvais dessiner en moi les contours et définir le coeur de la jeune femme qui vit en son écorce, et que j'ai détachée de la foule en quelques regards.
Nous voulons des visions qui donnent au délit d'être soi une douceur, qui donnent à notre solitude une espérance.
Il y a tant de vacarme, de conversations creuses et sans tendresse, tant de problèmes idiots à résoudre, d'attentes envers l'absente et peu de protection finalement, mais derrière cette fenêtre il y a une occupation du temps qui m'échappe. Et je n'en demande pas trop, alors je ne souffre pas. Et je n'aimerais pas que mes chansons soient comme des écorces vides, il faudrait qu'il existe des personnes même alternativement pour en prendre soin, pour s'en émerveiller, en révéler la lumière toujours. La poussière tombe sur nos histoires, le brouillard s'étend comme chez Homère sauf qu'aucune déesse ne m'emmène à l'abri ou alors je ne m'en souviens jamais - voilà pourquoi je sais que ce sont des déesses - la pluie ne survient que pour se demander qui peut nous recueillir durablement dans ce monde (c'est pour moi l'expérience de ce Journal), et le soleil qui croyait faire sécher nos plaies finit par les étaler, les faire reluire ; griffures sans nombres, porte-flingues, passage à tabac du temps vécu pour un amour qui n'arrivait jamais ; un baiser n'est pas une porte qui grince ; la fenêtre baignée de lumière s'éteint.
05.01.06
Le suppléant.
Les ténèbres semblent décider de la journée, les flocons d'une neige froide n'ont pas plus de consistance que temps qui passe, que bras qui s'enroulent dans des histoires de courte haleine ; je rentre et surprends le voisin d'en bas en train d'agresser la terre entière - concentré d'injustice, de méchanceté et de racisme jamais rassasié ; dans ma boîte aux lettres m'est revenue une enveloppe que j'avais envoyé à X qui a subi une petite intervention chirurgicale cette semaine, un envoi qui devait tomber au bon moment, coïncider avec des tas d'autres signes pour faire de la journée une poésie vivante, et puis l'enveloppe me revient avec la mention : n'habite pas à l'adresse envoyée, et de l'envoi qui contenait un livre précieux et tout un tas de friandises douces et délicieuses, tout un lot de surprises trop bien, il ne reste plus que le livre (intact) et la lettre qui l'accompagnait, ouverte. Comme si c'était l'enveloppe qui avait subi l'intervention chirurgicale en quelque sorte.
C'est ma journée de lundi que j'avais passée à m'enquérir aux quatre coins de la ville de ces petites surprises délicates à glisser dans une enveloppe - on aime toujours avoir des surprises quand on sort de l'hôpital - ma journée de lundi qui vient d'être mise à sac par le larcin d'un postier.
Il m'a retourné le livre et s'est rué sur le périssable, pauvre truand prévisible. Cela me fout un bon coup au moral, tout ce que j'avais imaginé du moment où X trouverait mon envoi, le sourire protecteur de cette expectative, tout cela vient d'être ruiné par la découverte du paquet détroussé. Et je n'ai plus de refuge direct pour contrebalancer et supporter la haine du voisin d'en bas entraperçue et qui agit comme une déchirure, une ouverture directe sur ce qui me semble intolérable et difficilement atténuable dans la nature humaine.
Il n'y a que Nina Simone qui a cette force de conviction et cette grâce pour transformer toujours un air banal, un cliché cent fois rabattu, en une mélodie extraordinaire ; Nina Simone et quelques autres.
Au Grand Palais, à l'expo Vienne 1900, je montre à David les dessins qui me plaisent le plus. Il s'approche, regarde et me dit :
- Toi du moment qu'il y a de la caille, t'es client !"
Comme David essaye de me questionner, voyant bien qu'en ce moment j'ai un moral des plus sombres, il s'exclame :
- Pas de bêtises Jérôme. Tu ne peux pas tout laisser tomber maintenant. Tu es l'un des 36 justes !
- C'est quoi cette histoire ? m'enquiers-je alors que nous arrivons à l'autoportrait aux alkékenges.
- C'est un passage du Talmud. Il suffit de l'existence sur terre de 36 justes pour que le monde puisse durer. Par leur seule qualité les 36 justes assurent le maintien, la permanence de ce monde. Ce sont des gens comme toi et moi, enfin surtout comme toi en l'occurrence, ils se glissent dans l'anonymat et assurent secrètement la survie, la continuité du monde. Par leurs pensées, leur caractère, et le simple fait qu'ils existent, ils font que ce monde ne sombre jamais irréversiblement dans le délire.
- Mais je suis dans VSD avec Astrid, je peux pas être un des 36 justes !!! dis-je pour ma défense.
- Ce n'est qu'une couverture...
- Non ce n'est pas encore la couverture...
- Une couverture à ce que tu es ; il y a plusieurs accès à ce que tu es...Sauf que pour celles et ceux qui s'y aventurent on arrive tout de suite au chemin principal, et alors ça saute aux yeux que tu es l'un des 36 justes ! D'ailleurs les 36 Justes ils peuvent avoir des occupations un peu exposées parfois, mais ce que je veux dire c'est que ce ne sont jamais des leaders, ils ne font pas de politique par exemple...
- Donc, imaginons que parmi les 36 justes il y ait effectivement un chanteur... Est-ce qu'il faut chanter juste pour être un des 36 Justes ?
- Pas de systématisme.
- Oui, c'est bien. Pas de systématisme autre que celui du coeur. Et les autres Justes dis, je les connais ou pas ?
- Non tu ne les connais pas. Vous êtes disséminés aux quatre coins de la planète. C'est une question d'équilibre.
- Mais si j'en rencontre un par hasard ? S'il y en a un qui vient en vacances à Paris et que je le rencontre à l'angle de la rue de Buci et de la rue de Seine au moment où j'achète des clémentines, est-ce qu'on se reconnaît, est-ce que tous les deux on comprend que l'on fait partie des 36 justes qui assurent la pérennité de ce monde ? Je veux dire, existe-t-il des signes tangibles et concrets qui font qu'on se reconnaisse ? Que l'on puisse échanger quelques impressions, trouver du soutien en se disant par exemple : C'est pas tous les jours facile d'¨être un des 36 Justes."
- Je ne sais pas. Mais Dieu lui vous reconnaît !
- Alors dans ce cas Dieu sait très bien que je ne suis pas un des 36...
- Qu'est-ce que t'en sais bordel ?! Mais qu'est-ce que t'en sais ?! T'en sais rien du tout ! Je vais te dire : les Justes ils ont pas conscience d'être Justes ! Ou alors c'est assez naturel comme processus. En tout cas, ils ne sont pas dans la revendication.
- Je ne crois pas être l'un des 36 Justes...Ou alors si ça te fait plaisir je veux bien être le 37ème. Le suppléant.
- Regarde ta vie, tu verras. Tu peux pas dire comme ça. T'es pas ordonné Juste parce que soudain t'as mal au ventre...
- Est-ce qu'on est Juste quand on est amoureux ? Est-ce qu'être amoureux c'est être Juste ? Je veux dire pas forcément avec soi-même, mais avec l'univers... ?
- Non, c'est pas d'être amoureux qui fait qu'on est Juste, c'est la façon dont tu es amoureux. T'as plein de mecs qui peuvent être amoureux. Mais c'est la manière de l'être qui distingue le Juste.
- Il faut être un amoureux absolu alors.
- Pas forcément. Moi je ne crois pas aux vertus de l'absolutisme, dit David. A mon sens l'absolutisme c'est de l'égocentrisme exacerbé, c'est pas forcément une qualité.
- Mais c'est vouloir surtout vivre l'instant totalement, et quelque part, le transcender. L'égocentrisme c'est du spectacle. En dehors de ça, l'absolu peut s'exprimer sans la nécessité de faire du spectacle. Parce qu'on est comme ça, depuis toujours, dans l'absolu. C'est-à-dire qu'on ne peut pas faire autrement que de vouloir vivre le présent sur un mode exacerbé, et c'est ça qui est beau dans la valeur absolue d'être amoureux. Que le futur se confonde avec la manière dont tu tolères le présent. En fait, être un amoureux absolu c'est quand l'avenir est confondu avec l'instant que tu voudrais vivre. Qu'il n'y a pas d'autre issue, d'autre avenir possible, que la réponse affirmative de l'autre. Son affirmation.
- Je ne sais pas, c'est trop dangereux...
- C'est ce qu'il y a de plus fort à vivre, même si on en revient jamais indemne... Bon, tu vois bien, je te déçois, je ne suis pas un des 36 Justes.
- Mais si voyons ! Ce n'est pas dans ce registre qu'on peut savoir. Ce n'est pas important.
- Mais il y a plein de choses qui m'ont échappé dans ma vie, plein de moments sur lesquels j'ai ripé...Et où je n'ai pas été présent comme il l'eût fallu certainement.
- Etre Juste ce n'est pas être parfait. Tu es un homme. Ce qui est important, ce qui fait de toi un Juste, c'est la trace que tu laisses, le sillon que tu creuses !
- Le microsillon ! Hum. Oui mais alors est-ce que la trace que tu laisses c'est la même chose que le sillon que tu creuses ?
- Bhein ouais ! T'as tout compris !
- Mais moi je ne creuse pas de sillon...
- Qu'est-ce que t'en sais ? Attends y a plein de gens qui te lisent, qui t'écoutent ; qui font de ton travail quelque chose d'intime et de précieux ; les gens autour de toi, regarde comme ils voient la vie différemment à ton contact...C'est simplement que tu n'es pas quelqu'un de revendicatif, tu ne dis pas : Moi je creuse mon sillon"...Et c'est justement ça qui fait de toi un Juste. Tu vois, le Juste il a pas besoin d'être dans la revendication ou dans la justification pour créer. C'est pas Fidel Castro le Juste !!
- Fidel Castro n'est donc pas un des 36 justes ?
- Non, non, t'inquiètes pas...Toi tu revendiques rien pour les autres, tu fais ton truc sans rien prétendre pour les autres...
- Oui. Mais souvent je suis en colère de la manière dont les autres se comportent ou réagissent.
- Souvent ? Tu charries : Tout le temps oui !
- Oui, tout le temps, dis-je.
- C'est parce que quelque part ton humanité est mise à l'épreuve, alors tu creuses encore plus profondément ton sillon. Tu ne réagis jamais dans le vide. Il en sort toujours quelque chose qui va inspirer d'autres choses, d'autres personnes. Et quand tu réagis durement, tu as toujours du recul sur ta dureté même si tu la trouves fondée et que tu la suives la plupart du temps ; quand tu y renonces, c'est parce que tu ne peux pas faire autrement que d'y renoncer, parce que c'est ce qu'il y avait de plus juste à faire ; voilà pourquoi encore tu es un des 36...
- Est -ce qu'il y a des filles parmi les Justes ?
- Ah non ! ça m'étonnerait franchement !" dit David avec autorité.
- Alors les 36 Justes sont condamnés à la solitude...
- Je crois que c'est très dur...
- A moins que la vie soit si injuste avec les filles qu'elles recherchent à tout prix à tomber amoureuse d'un des 36 Justes...
- Oui et non, au contraire, c'est parce que les filles sont parfois très injustes dans la vie qu'elles adorent sortir avec l'un des 36 ! ça leur donne un équilibre mon vieux. C'est comme une conscience.
- Oui, dis-je, mais une conscience qui les baiserait souvent."
08.01.06
Les deux branches armées de mon existence.
Il y a des moments où j'ai beaucoup travaillé, écrit, puis d'autres où j'ai beaucoup fait l'amour, et où je me suis occupé de cette activité et cette passion dévorantes : aimer quelqu'un. Et peut-être que ces moments n'ont pas coïncidés, se sont succédés, les uns appelant les autres dans un ordre magique ou pas ; et peut-être qu'arriver à une forme de plénitude serait justement que ces moments coïncident, que ces deux branches armées de mon existence se rejoignent : Tomber très amoureux et que ça fonctionne, et qu'en même temps cela me fasse travailler et que cela fonctionne - c'est-à dire que je sois satisfait de mon travail en terme de désir et de résultat, et qu'il y ait des retombées qui me permettent de poursuivre.
J'avance dans les journées avec beaucoup de choses à faire, à produire, d'idées à mettre en mouvement, et j'en arrive à un point où il me faut éviter la dispersion, bien que sollicité en permanence par diverses personnes (qui veulent que je leur écrive des textes de chansons par exemple), mais maintenant il y a des choses que je ne sais plus faire, je n'ai plus envie de faire des choses qui ne servent à rien, qui ne me correspondent pas, où je sais d'instinct que je ne me sentirai pas plus impliqué que ça dans le résultat final, où les contraintes qu'on m'imposera ne donneront qu'une version frileuse de ce que j'aurais pu faire, et aussi où je n'ai pas la place de glisser des idées ou des choses qui m'aideront à tenir. A tenir de tout ce qui m'écoeure ou me fout par terre dans ce monde. Comme à tenir du manque de X dans mes nuits, par exemple. Je crois encore qu'adolescent on se définit par ses espoirs, on se construit sur sa capacité à espérer, ou à changer très rapidement l'orientation de ses espoirs, et c'est comme ça qu'on s'en sort, et il y a un moment dans l'âge adulte où on comprend aussi que l'on se définit par ses manques. Qu'ils nous composent, et nous chavirent de ce qu'ils sont plus solides, coupants et moins submersibles que nos états de grâce ; et que le manque de quelqu'un qu'on adore nous donne à tout moment de la journée la stature, l'emploi du temps et le territoire, d'un prince en exil.
09.01.06
Des amoureuses c'est tout.
J'aimais la fragilité de ses seins et la pointe qui pouvait se durcir, devenir tétine souple ou mèche de bougie, sous le traitement de mes doigts. J'aimais sa façon de revenir vers les choses accidentelles ou les choses domestiques de la vie une fois que nous avions fait l'amour, comme si elle venait de descendre d'une échelle, pieds nus. Comme si son intention était de dire que ce n'est jamais domestique de faire l'amour, jamais accidentel non plus.
Pour son appartement, je m'étais demandé si je lui faisais mieux l'amour chez elle ou chez moi, s'il y avait une donnée psychologique à cela ; et puis il n'y avait plus eu de frontière, qu'une chambre en ce monde celle de l'impossibilité de se passer l'un de l'autre trop longtemps, jusqu'à nouvel ordre.
Elle avait voulu se faire baiser par une autre fille devant moi pour - m'avait elle dit, me donner un réservoir de souvenirs érotiques pour dix ans, quand la vie serait trop dégueulasse avec nous, dans les périodes où je serais seul et qu'il faudrait bien que je fasse cela tout seul, comme un grand ; hé bien grâce à elle j'aurais un réservoir de souvenirs érotiques pour dix ans - et en échange je te donnerais quoi ? Ce que tu me donnes et me reprends sans cesse : du bonheur et du chagrin comme personne jusqu'au restant de mes jours - oui, un réservoir de souvenirs érotiques consultable à demande et je pourrais lui dire merci, merci, et encore merci. Le problème c'est que l'autre fille s'était révélée plutôt nulle, impatiente et brouillonne, et elle avait dû faire tout le travail. En société elle ne s'encombrait pas deux fois de quelqu'un qui l'avait ennuyé un quart de fois et, en plus, elle avait le culot de me mettre ça sur le dos, déclarant que c'est moi qui déteignait sur elle. Elle étouffait les choses dures de l'existence dans un rire, et tout finissait par un geste de la main qui voulait dire : par dessus l'épaule. Très belle, et quand elle l'était un peu moins elle tranchait : Je me sens moche aujourd'hui si ça se trouve tu ne m'aimeras plus avant la tombée de la nuit. Et puis elle se ravisait, ça la faisait rire d'être injuste avec les autres, mais terriblement souffrir d'être injuste avec elle-même (contrairement à ce que la plupart des gens admettent ou déclarent), elle revenait vers moi en disant : de toute façon je sais très bien qu'il n'y a pas que la beauté qui compte pour toi. Pour toi la beauté ça ne suffit pas. Rien ne te suffit jamais de toute façon, tu en demandes toujours davantage des gens que tu brûles, c'est épuisant. Pour la beauté il te faut autre chose, c'est ton histoire avec la peinture, quand tu me racontes ce qu'est la peinture ça parle de ça.
Elle disait qu'elle ne voudrait jamais habiter une rue où il n'y avait pas un magasin de chaussures à son goût. Elle interdisait à sa petite soeur de me parler car elle entretenait une théorie comme quoi que les petites soeurs tombent toujours amoureuses des copains de leurs grandes soeurs, et puis elle convenait qu'en lui interdisant de me parler elle était sûre que sa petite soeur tomberait encore plus amoureuse de moi, alors que c'était terrible car il n'y a pas de plus ou moins amoureuses chez les filles, il y a des amoureuses c'est tout, et que c'est un cercle vicieux, et que dans le cercle vicieux le cercle c'était le monde et le vicieux c'était moi !
Comme il y a un "i" dans Marina, elle voulait toujours en mettre un quelque part dans Tsvetaeva.
10.01.06
Antigone de mes nuits.
Je suis rentré à pieds - du Paris-Paris avenue de l'Opéra jusqu'à Auteuil - en pleine nuit, passant par la rive gauche ; tout le temps du trajet porté par sa voix et notre conversation au téléphone. J'aurais pu avancer les yeux fermés. Je lui ai dit : C'est ça qui est beau dans la vie : être porté.
11.01.06
A l'arrivée de chaque instant.
Rentrant d'un tournage pour la télé qui avait lieu dans le quartier du Palais Royal, j'ai fait exactement le même chemin à pieds que la nuit dernière, mais cette fois ci sans que je sois porté par elle, et le trajet m'a paru interminable.
C'est un trajet que je connais bien et qui, s'il a déjà pu me paraître relativement long, m'a toujours semblé plaisant ; il devient dorénavant inséparable du souvenir de l'avoir fait au moins une fois porté par elle.
Il aurait pu durer dix ans qu'il m'eût semblé à ses côtés un trop court moment. Ainsi tiennent nos perceptions et s'évaluent nos existences.
Je voudrais dire encore que si parce que l'autre nuit le chemin m'a paru dérisoire, avalé en un temps infime, c'est parce qu'elle était peut-être là, à l'arrivée de chaque instant.
13.01.06
La maladie des Taxis.
La répétition avec l'humeur massacrante des uns mais les nouvelles chansons avancent quand même, trouvent leur lumière ; les gens, les ami(e)s à voir qui sont à différer parce que je ne sais pas faire autrement en ce moment ; l'horoscope d'un programme télé outrageusement optimiste pour 2006, penser à l'accrocher sur le dos de la porte pour le prendre de plein fouet au moment de sortir ; le thé Pu-Erh acheté en quantité astronomique rue du Cherche Midi ; tout le travail qui me semble superflu ou dénué de sens que j'envoie maintenant sans regret valser, aux oubliettes ; les pantalons rouges et le pull noir ouvert sur l'abîme magnifique du corps de cette jeune femme qui révisait son droit constitutionnel hier soir dans un Café d'Alma Marceau ; la maladie des taxis ; vouloir la joindre comme si la vie en dépendait, et puis y renoncer comme si la vie en dépendait tout aussi sérieusement ; le réconfort des femmes qui reste bloqué quelque part mais je n'aime pas trop y réfléchir car j'ai des conclusions cinglantes sur le sujet qui reculent à plus loin encore ce quelque part dans le temps ; des conclusions qui ne sont pas des pronostics heureusement ; penser à placarder ce foutu horoscope, si nécessaire l'apprendre par coeur ; Philippe (Besson) connait des passages de livres par coeur, c'est très impressionnant, L'amant de Marguerite (Duras) par exemple ; la soirée en compagnie de Philippe, charmant et incisif, sur la chaîne télé Direct 8 ; Mes yeux verts que tout le monde croit bleus ; Demain sans importance que je chante comme si elle me regardait mais j'ai trop tendance à jouer à ce jeu comme à la roulette russe ; les seins légers comme une devinette d'une des deux maquilleuses ; Emma que je retrouve, sublime, à la cafétéria où il y a toujours le même assortiment de tartes industrielles (je parle des gâteaux, et pas des filles qui sortent d 'on ne sait où, qui vont on ne sait vers qui, mais qui circulent inlassablement) ; penser à demander l'asile poétique à Direct 8, car il y a des filles et des pâtisseries - que demander de plus dans une vie ? Un peu d'eau pour faire passer ? ; Rachel qui me raconte l'histoire atroce de la petite fille triste, triste d'apprendre malgré elle, et un sentiment de colère et de révolte monte en moi comme si j'étais ce Big Jim dont il suffit de tourner le bras pour voir apparaître le visage fier et frondeur d'Antigone ; Philippe qui me dit qu'il a dîné hier soir avec Anna Mouglalis et qu'ils ont parlé de moi ; Je dis à Philippe : Tu parles, j'ai rencontré Anna dans les coulisses de l'Elysée Montmartre elle m'a serré la main de sa voix terrible et après tellement sous le coup de l'émotion j'ai fait un concert pourri ; il faut que je garde l'expression : Elle m'a serré la main de sa voix terrible, pour parler d'Anna ; la maladie des taxis ; Audrey Marnay au Flore ; Lysa qui n'est jamais là quand j'ai besoin d'elle à en crever.
4.01.06
Poursuivre.
Dernier métro du samedi soir : assise en tailleur sur le quai, une fille en pleurs épaulée par deux copines qui font ce qu'elles peuvent pour la consoler, dans l'attente d'une rame. Elle nomme celui qui vient de rompre avec elle : le mec. Voix entrecoupée de sanglots :
- J'ai l'impression d'être rien..Je ne comprends pas...Le mec il a rien à me reprocher..."
Je suis comme happé par son chagrin absolu - que je reconnais tout de suite, je comprends tout de suite de quoi il s'agit, avant même que je n'ai pu entendre les premiers mots, rien qu'aux inflexions de la voix - chagrin intolérable et expansif qui semble tout remettre en cause, nier sur l'instant ce qui pourra suivre. Je m'approche, je suis irrésistiblement attiré par cette voix dans les larmes, larmes qui secouent, chavirent, emportent tout le corps, je reconnais la voix de X autrefois, bouleversante quand elle craquait entre mes bras, m'appelait à n'importe quelle heure et même après, au bout de huit mois sans me voir, m'appelait la voix déchirée de larmes comme si j'étais le dernier rempart ; cette voix dans les sanglots qui me semble être la même chez toutes les filles et qui me transperce tellement, me met hors d'état du monde, toujours. Elle se déchire :
- Je n'y arrive pas...Je ne comprends pas. Le mec il a rien à me reprocher...Tu restes avec quelqu'un, tu fais tout pour que ça marche, et ça marche pas..."
- Mais il ne te respecte pas ce mec ! " tente l'une des deux copines, désemparée.
- Mais je sais qu'il ne me respecte pas, il me l'a dit ! Ce qu'il dit aussi c'est qu'il me jette parce qu'il va pas bien dans sa tête. Il me jette parce que lui il ne va pas bien...
- C'est une excuse ! tranche l'autre copine, tout aussi muette en définitive.
- Je ne comprends pas. On a beau tout avoir, des études à 5000 euros par an, une vie, et avec les mecs ça marche jamais...ça prouve que ça sert à rien de s'investir dans quelque chose...Je vais pas y arriver...je ne comprends pas... je suis toujours au bout du rouleau..."
Outre cette envie de me tenir droit, ardent non loin du lieu où elle pleure, comme si mes yeux verts et ma tenue pouvaient absorber son chagrin telle une éponge, il me passe par la tête l'envie de lui offrir mon disque. Comme une consolation. Je suis sur ce quai de métro et ce qui me traverse l'esprit c'est lui offrir mon disque ! Je me surprends même à chercher dans la poche de mon manteau pour me convaincre du fait que je n'en ai jamais sur moi. Lui offrir mon disque comme une protection. Quelle idée ? Comme si je pensais que mon disque puisse servir à ça, à soigner à tenir, dans l'idée de cette forteresse...qui n'est cependant jamais la forteresse espérée. J'en parlais dans la soirée avec Stéphane, je lui disais que souvent c'était terrible j'avais l'impression que mon travail ne me tenait pas, n'était pas suffisant pour me tenir de tout ce qui m'atteint, et Stéphane me répondait que c'était normal dans un sens puisque je travaille avant tout sur mes failles.
Il y a cette voix dans les larmes qui me blesse et me désarme tant. Et ces paroles : Je n'y arrive pas, je suis au bout du rouleau, j'ai l'impression de n'être rien, que je voudrais pouvoir effacer d'un regard ou d'un geste, effacer par ce que je suis - j'ai toujours eu cet orgueil face à la vie, (ou plus que de l'orgueil, cette position) d'aussi loin qu'il m'en souvienne - et c'est une drôle d'idée finalement de vouloir offrir mon disque comme forteresse à cela, un chagrin si puissant qu'il nous exclue du monde et de nous-mêmes, parce que dans mon disque je ne dis rien d'autre que ça : que ça ne marche pas ; oui, que ça ne marche pas, et que lorsqu'on déplie le chapiteau les clowns n'ont rien à craindre, ce sont toujours les trapèzes qu'on décroche en premier.
Je suis passé en fin de soirée rue Guisarde embrasser Peggy (Olmi), Olivier (Chini), et Julien (Roche) qui dînaient avec des amis et Peggy tirait à boulets rouges contre une grande radio parisienne qui ne diffuse pas mon disque parce que selon le programmateur tout puissant il n'y a pas assez de second degré (comprendre : pas assez de trucs marrants dans le sens des textes certainement). Et finalement je disais à Peggy que je comprenais la position de ce type, que même si c'était dommageable pour moi, si la position de ce type aux commandes de sa radio est de passer des trucs où il y a du "second degré", alors c'est normal qu'il passe à côté de mon travail, parce que ce n'est pas le propos de ce disque de faire du second degré de boulevard, je veux dire La prémonition par exemple ça dit ce que ça a à dire, sans vouloir amuser la galerie, même chose pour La théorie des nuages, ou Au plaisir. Après ça n'empêche pas qu'il y ait des astuces, de la subtilité ou différentes pistes dans les chansons, mais du second degré comme ce type l'entend ce n'est pas mon propos.
Je crois qu'il y a des choses très dures dans ce disque - et depuis l'état des lieux ne s'est guère amélioré - pourtant j'espère toujours être contredit par la vie, par le travail, les rencontres, par un appel inespéré de celle dont je rêve en pleine nuit, une décision un coup de maître, toujours être surpris par l'existence de Dieu, par une réponse affirmative, comme par tout ce qui est à portée de hurlement. Et si le travail n'est jamais une forteresse suffisamment valable pour moi - tout se délite sans gravité, tout le monde laisse faire et en premier celles et ceux auxquels on tenait le plus c'est à vomir - ou bien si les chansons et l'écriture ne sont qu'une catapulte à ajuster sans cesse qui me permet de hurler plus fort, plus haut, j'aimerais qu'elles consolident un peu des moments dans la vie de ceux qui s'y attardent ou s'y réfugient. J'aime d'ailleurs l'idée de celles et ceux qui ferment la porte d'une chambre ou de quelque part pour écouter mon disque, lire mon Journal, à l'abri, au secret. Et même si je ne cesse de dire que ça ne marche pas, je voudrais le dire avec suffisamment de vigueur, pour que ça déchaîne la vie, que ça renverse les obstacles ou les réticences, une fois que le disque est passé, oui avec assez de vigueur pour que ça marche.
15.01.06
Histoire de la peinture.
Nous sommes au bar - ice cold Martini pour moi - un coude légèrement appuyé sur le comptoir, surplombant les canapés rouges de hall d'aéroport qui encerclent cérémonieusement le dance floor. J'ai une sorte de coupure dans la bouche, une blessure et j'ai dû chanter Comme elle se donne pour la télévision, j'aurais préféré interpréter un titre plus triste ; l'état de mon palais aurait donné une résurgence, une fraîcheur, à la douleur gravée pour toujours dans la chanson.
- C'est parce qu'on ne t'embrasse pas assez, dit Sébastien. Tu devrais te laisser embrasser par plus de filles au lieu de faire ton type inaccessible toujours enfermé dans ses tourments. Tiens regarde cette fille, là, sur la piste...
Une blonde magnifique, dont les cheveux semblable à des cordes (appât grossier pour marins) se dandine dans un rythme qui n'appartient qu'à elle, s'oublie dans les mouvements effrénés de la musique qui nous arrive comme désactivée et par éclaboussures, vagues sculpturales amoindries qui s'échouent, avec une récurrence hystérique, sur la jetée des regards.
- Cette fille, poursuit Sébastien, j'aimerais bien la suivre jusque dans les toilettes. Qu'elle s'installe, qu'elle baisse son collant, délie sa culotte, qu'elle me demande de la regarder en train de pisser, et qu'ensuite je lui mette ma queue dans la bouche pendant qu'elle pisse.
- Il y a un truc qui ne va pas avec ton histoire, dis-je, ce qui est excitant quand une fille pisse pour nous c'est d'avoir l'entière perspective, la façon dont elle se tient, l'écartement des jambes, l'expression du visage, il faut être suffisamment éloigné pour la voir entièrement assise dans l'acte, il faut que tu prennes ça en compte, si tu lui mets ton truc en bouche, qu'est-ce que tu vas voir ? Une vue plongeante qui sera moins appropriée pour l'excitation. A moins que tu aies l'oeil du peintre...
- L'oeil du peintre ?
- Oui, que ton oeil assimile la distance, l'écart nécessaire à la vue d'ensemble de la toile, et s'en souvienne quand il s'approche pour poser le pinceau.
- Ah !
- Si tu n'as pas l'oeil du peintre mon vieux, ça ne marchera pas. Quand tu t'approcheras pour lui mettre ton truc dans la bouche, tu ne seras plus du tout excité, ce sera la catastrophe.
- Jérôme, dit Julie (B) qui nous a rejoint, je n'ai pas encore eu l'occasion de te féliciter mais j'aime beaucoup la chanson de noël sur ton disque, je trouve que tu arrives à saisir parfaitement toute la mélancolie qu'il y a à cette période.
- Oui, la mélancolie.., dis-je dans un sourire, c'est terrible.
- De toute façon cette histoire de chiottes ça ne marche pas, soutient Fabrice. Avec la porte du chiotte qui se rabat, on n'a pas la place que tu dis nécessaire à l'excitation.
- Tu en connais beaucoup des filles qui te laissent la place nécessaire à l'excitation ?
- Non mais sans rigoler, les filles elles pissent pas toutes en cercle en se regardant dans le blanc des yeux ; y a pas encore de toilettes en open space, alors c'est ça qui fonctionne pas, t'es engoncé à deux dans une cabine pourrie et t'auras jamais la distance nécessaire...
- C'est pour ça qu'il faut que les filles nous ramènent chez elles. C'est une des raisons, mon vieux. Une des raisons pour lesquelles il faut se laisser emmener chez les filles. Parce que bon, on y va pas pour les livres quand même...
- Et la brune, sur la droite, à côté du type qui ressemble à rien, vous la trouvez comment ? dit David qui vient d'arriver. C'est tout à fait ta came Jérôme. Grande, fine, grande bouche, longs cheveux, des seins qu'elle a oublié dans son placard, le style mannequin mais trop orgueilleuse pour en faire sa profession. Elle est pour toi ! Tu veux qu'on lui dise qu'elle est pour toi ? Si y a bien un truc qui me révolte c'est que les filles qui sont pour toi, elles devraient le savoir d'elles-mêmes ! T'es un Juste, quoi, bordel !
- Injuste ? Envers qui ? demande Julie.
- Non. Un juste ! Putain, Julie, tu lis pas le journal de Jérôme ou quoi ? T'as autre chose de mieux à foutre le soir, peut-être ? Je comprends pas, dit David en s'adressant à moi, comment tu peux continuer à fréquenter des gens qui ne te lisent pas. Enfin, ça montre bien que t'es un des 36 Justes ! A ce propos dans ton Journal, il faut que tu m'expliques la passage sur le trapèze, le passage d'hier soir qui parle du trapèze, c'est très beau.
- Ô tu sais parfois ce n'est pas la peine d'attendre qu'ils plient le chapiteau. Tu es sur le trapèze et tu t'aperçois que ta partenaire s'est envolée, redescendue par l'échelle, je veux dire qu'il n'y a personne pour te rattraper, pour te recueillir. La haute voltige ça se rétame bien vite la gueule faute d'être deux. Alors après, ils peuvent bien démolir le chapiteau, t'en as plus à rien à foutre.
- Et la partenaire qui s'est envolée...Elle est retournée...Elle est retournée parmi les clowns...???
- Parmi le sourire des clowns.
- Ah !
- Le sourire des clowns qui n'est jamais un sourire à une face.
- Ah !
- Dans le sourire du clown balance le souvenir du trapèze vide.
- Mais Jérôme, c'est terrible !
- Et c'est quoi la particularité d'être un des 36 Justes ? s'enquiert Julie.
- La solitude, réponds-je.
- Bhein oui Julie, s'anime David, réfléchit deux minutes Julie ! C'est la solitude ! Y a pas de machine à café pour les Justes ! Le matin les 36 Justes ils se retrouvent pas à la machine à café pour discuter le coup. D'ailleurs ils se retrouvent pas. Y a que Dieu qui y voit clair dans toute cette zone à laquelle on participe. Hey, matez la fille là-bas elle a de bonnes gougouttes comme j'aime ! Vous avez vu comme ça remue, comme les tétons doivent se sentir à la fois portés et comprimés, c'est la liberté et son contraire !
- Oui, c'est Saint Just, dis-je.
- Mais elle a un trop petit cul ! Remarque David. En même temps l'avantage des filles qui ont un petit cul c'est que t'as l'impression d'avoir un gros sexe ! Quand je baisais X, c'était ma première fille à petit cul, j'avais l'impression d'avoir un sexe énorme !
- Pourquoi la taille est si importante ? demande Julie.
- Parce que ce sont les soldes, réponds-je.
Je quitte un instant la petite troupe, mon verre de Martini blanc à la main, et m'approche de David (P) que j'ai repéré à quelques mètres de là, adossé contre une colonne près de l'escalier qui conduit aux vestiaires. Dans l'intervalle je regarde sur mon téléphone si j'ai reçu un message.
- David, je voulais te demander, tu te souviens de cette fille qui habitait l'immeuble...Une eurasienne très belle, fine comme la pluie, très douce et très altière à la fois, aux longs cheveux noirs...
- Oui je vois de qui tu veux parler...Enfin très belle, ça ne concerne que toi...
- Tu ne la croisais jamais dans le hall ?
- Si, bonjour au-revoir, entre deux portes. Pas plus belle qu'une autre. Normale quoi. Chaque jour je suis certain que tu en refuses des dix fois plus jolies !
- Hum. Mais dans le hall, elle t'a déjà souri, et ça ne t'a rien fait ?
- Rien du tout.
- Alors pourquoi moi ça me fait tant ?
- Je sais pas. T'es peut-être malade."
17.01.06
Est-ce qu'on peut s'arrêter pour pleurer ?
Est-ce que c'est toi - qui passe sous la pluie,
Qui a volé mes mains pour la journée ?
Ou bien n'ai-je pas su les retirer du feu à temps ?
Avant que je ne sois fasciné.
Et ces grandes parties muettes qui émergent dans l'existence
Par la vitre de la voiture
Je sais maintenant les habiter.
Est-ce qu'on peut s'arrêter pour pleurer ?
Ton rire sert de coupe-papier, ton absence de déchirure,
Est-ce qu'on peut aborder comme ça des femmes dans la rue
Pour leur demander de dormir dans leurs bras ?
C'est une façon comme une autre d'aborder l'existence,
Tu me diras.
Le soir est apporté par quatre brancardiers,
Me demanderas-tu encore d'entrer et de sortir par une porte qui n'existe pas ?
J'écris une histoire qui ne pourra être lue que chuchotée
Qui parle de remonter tes jambes et d'atteindre ton sexe,
Et de boire longuement
Sa pénombre brune et rose.
Avant d'atteindre la région de tes lèvres où j'irai porter mes baisers,
Avant d'aller vers la falaise de ne jamais s'aimer autant que maintenant,
Est-ce qu'on peut s'arrêter pour pleurer ?
Le jour est cru pauvre amour,
Ton rire appelle déjà demain,
Tu dis qu'il nous faudrait pouvoir accorder l'immunité à certaines personnes
Qu'il ne leur arrive jamais rien.
La maison où tu es née borde la nationale.
Qui de valable en ce monde,
Pour accepter la sympathie du vent
Sans prendre peur ?
Est-ce qu'on peut s'arrêter pour pleurer ?
Je cherchais dans Paris pourquoi il pleuvait tant
Et j'ai vu cet enfant au sommet d'une grande roue
Verser ses pleurs.
Dans le moment où il s'est retrouvé seul et où il a décidé que ça méritait bien de pleurer
Dans ce court moment de suspens,
Qu'on reconnaît chez les enfants,
Entre l'étonnement de s'être blessé et le dénouement de céder à la douleur,
C'est là que j'ai décidé,
D'habiter.
Passe me voir de temps en temps.
Mes mains, qu'en as-tu fait ?
J'aimerais bien regarder sous ton pull si elles sont aussi incandescentes
Que lorsqu'elles me brûlaient.
Brûlaient de ne pas te tenir.
Je ne tenais plus de ne pas te tenir.
Et je ne pouvais expliquer ça à personne sérieusement.
Tout le monde serait passé d'un sujet à l'autre,
De toi à ce taxi qui mettait un temps fou à venir,
A ce type à convaincre de nous donner son aide,
Au ciel qui chavire et il faut s'abriter
Tout cela ne m'est pas supportable tu sais.
Est-ce qu'un jour je passerais à une autre que toi
Aussi facilement.
Ce ne sera pas de ma faute tu sais,
Ce ne sera pas de ma faute.
Avant que l'on prolonge le moment de se perdre,
Avant qu'à d'autres on parle de l'immortalité,
Est-ce qu'on peut s'arrêter pour pleurer ?
22.01.06
Le monde, le mat, le soleil.
Pour la conception d'une chanson avec les répétitions qui s'espacent à intervalle d'une semaine souvent, la nécessité des mots sur ce qui semble insurmontable, les urgences à dire, varient en cours de route ; les mots qui se hurlent prennent du plomb dans l'aile ; et donc il en faut trouver de suffisamment solides qui tiendront le choc malgré et au-delà la démission de tout ce qui nous entoure. Malgré et au-delà la démission des impressions, des élans et des blessures, qui font émerger ces mots. Malgré la démission d'un sourire qu'on voulait hors de portée de ce qui passe, de ce qui tue ou pour le moins déçoit. Une des grandes leçons de l'existence tiendrait d'ailleurs dans l'idée que ce qui déçoit, passe. Mais aussi pour moi, à un certain niveau d'intimité et d'engagement, ce qui passe : déçoit.
Vendredi après-midi dans la verrière du Café de Flore : jeune femme aux longs cheveux noirs attachés dont quelques mèches tombent (pour le plaisir des doigts), une peau très blanche, des bras longs et fins - à demi-nus sur un pull gris aux manches retroussées ; elle tient dans ses mains - qui ressemblent à des étoiles de mer, une tasse de thé brûlante ; il y a trois oeufs durs posés sur sa table ; elle lit des feuillets, des épreuves ? - celles qu'elle pourrait me faire subir (à en rougir).
Elle me demande mon interprétation d'un tirage que lui a fait Jodorowsky mercredi dans un Café. Le monde, le mat, le soleil. Je lui en donne une différente chaque jour.
Ces dernières nuits furent traversées les yeux fermés de se parler. Oui, c'est cela. Les yeux fermés de se parler. Quatre, cinq nuits d'affilée. Nous ne pouvions plus faire autrement.
Et dans la journée la fatigue passait toute seule, c'était de la bonne fatigue. La vraie fatigue c'est la nuit que nous n'avons pas passés l'un à l'autre pendus, la vraie fatigue c'est soudain et toujours redoutée : l'interruption.
23.01.06
Au Fumoir avec Lysa, tandis que Paris verse dans le sommeil, dimanche nuit. Nous buvons des Martini (ice-cold Martini, en l'honneur d'Uma Thurman dans le film Beautiful girls) puis des chocolats chauds. Comme le coeur passe parfois par-dessus les lèvres, elle inonde d'un fond de chocolat la mousse blanche qui palpite en surface.
Pour les nouvelles chansons. Le désir d'aller encore plus loin dans ma recherche (la recherche d'un refuge ?) mais vu le sort que la plupart des programmateurs radio, du moins ceux qui ont le pouvoir de faire un succès ou non, réservent à Comme elle se donne qui est quand même un méchant bon single, je me dis que ça va être difficile de faire exactement ce que j'ai envie de faire et surtout à la vitesse que je le souhaiterais. Il y a les délais de la confidentialité à subir. Si le titre passe en radio - conditions la plus fulgurante pour que les ventes s'accélèrent - alors je gagnerais en liberté pour poursuivre mon travail, en réduisant ainsi les distances qu'il y a entre les idées que j'ai, les désirs de chansons, et le moment où elles verront le jour ; une distance qui souvent ébranle mon travail, me blesse, m'insécurise.
Avec le groupe nous pourrions tenter le single facile, une superproduction de rien dans l'unique but de séduire le grand nombre (des programmateurs) et ainsi pouvoir dévier sur des choses plus profondes la partie du public qui dépassera l'objet ; mais là encore c'est une stratégie dont je ne suis pas capable, j'ai besoin que tout participe à quelque chose de plausible, c'est dans ce sens d'ailleurs que je dis souvent à propos du disque que je n'y ai fait aucune chanson qui soit de divertissement. Peut-être Le pays des filles qui sentent bon, et encore...
Tous les jours c'est le combat pour faire gagner la cause des chansons. Et toutes celles et ceux qui ont envie de me voir continuer à travailler - les disques, le Journal, les concerts - sont invités à secouer l'arbre aux indifférents, à propager le feu.
24.01.06
Ce soir l'interruption d'une semaine de nuits blanches.
Elle m'a rendu malheureux l'interruption. Je savais qu'elle viendrait d'elle. De moi c'était impossible. L'interruption viendrait d'elle. Les jambes de cette course effrénée l'un vers l'autre seraient coupées. La fatigue m'apparaîtrait nouvelle, me resterait entière.
25.01.06
Je suis pris entre deux feux. Celui qui donne et celui qui enlève. C'est très difficile d'être pris entre deux idées du feu. Celui qui avance et celui qui réduit en cendres. Au milieu de la violence incohérente de journées et de nuits sans refuge je voudrais m'accrocher à mon travail ; qu'il m'emporte loin du feu quand c'est un feu qui enlève, au coeur des flammes quand c'est un brasier qui réchauffe. Je voudrais m'accrocher à mon travail mais je m'aperçois que mon travail, c'est le feu même.
Je foudroie du regard un type qui, Place Jean Lorrain, donne des coups à un arbre pour rengainer une canne amovible. Puis je vais caresser l'arbre du plat de ma main à l'endroit du coup. Oui, comme Nietzsche va pleurer à l'oreille du cheval battu. Sauf que le canasson peut toujours ruer et l'arbre ne peut rien faire - que durer plus longtemps que les hommes pour se défendre. Qui a déjà versé dans la mélancolie sait que c'est la plus boîteuse des défenses. Alors je vais caresser l'arbre. Comme Nietzsche (en plus sexy). Et cette phrase de Nietzsche : Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort, c'est vraiment la phrase d'un puceau ; d'un puceau qui n'a jamais connu l'amour, son absolu et sa démission ; qui ne s'est jamais donné corps et âme dans le vertige de l'autre, qui n' a jamais risqué sa peau pour la passion.
Pour le rock'n roll : Hurler dans le temps d'un concert est plus solide que passer dans le temps de la vie.
26.01.06
Dîner au Fumoir d'un club-sandwich pour deux et d'une multitude, d'une fontaine bien délibérée, d'ice-cold Martini. Je dis à Lysa : Attention, dès la deuxième fois c'est de l'ordre du rite incompressible." Ensuite, sous un Paris désertique en raison des températures glaciales, elle m'entraîne jusque sur les Champs Elysées pour acheter mon disque, reprenant ainsi la portion de la rue de Rivoli à l'endroit exact où nous l'avions laissé en juin dernier.
Stéphane furibard puis, assez rapidement, furidoux. Je lui dis : voilà, pour toi, j'invente l'adjectif : furidoux. Le pont des Arts que j'enjambe en un souffle. Ma Nouvelle qui sortira dans un mois dans la revue Bordel s'appelle : Le poids de l'existence vu d'une chaise d'arbitre de Tennis. Je l'ai écrite en août dernier. Dans le temps mort entre l'enregistrement du disque et la série automnale de concerts. Il y a toujours la grande inconnue des délais quant au travail, la sagesse du temps ou bien sa rigueur, son désarroi ; est-ce que quelque chose écrit en août est toujours aussi brûlant, participe de la même urgence, six mois plus tard ? Dans le cas de ma Nouvelle, oui. Il y a toujours la même urgence à dire l'insupportable beauté de l'amour fou.
Et dire aussi que, tant qu'on a de forces, il faut lutter contre la tentation de la disparition.
Il y a également les délais des émissions de télé, enregistrées souvent plusieurs semaines, des mois à l'avance, et qui rappellent le moment de leur enregistrement, ce qui nous occupait ou nous démontait l'esprit, les sédiments du quotidien, tout cela cristallisé sur mon pauvre visage et que je retrouve en allumant le poste comme si c'était du pur présent.
Ces bonds en arrière parfois me rendent triste. Bonds à rien en arrière.
Je demande à Philippe (Besson) s'il est possible d'écrire Agatha ou La maladie de la mort, sans devoir faire au préalable Le barrage contre le pacifique. Voilà j'aimerais beaucoup écrire La maladie de la mort, immédiatement, sans l'encombrement du barrage. Impossible, me dit Philippe, goguenard et malicieux, il faudra d'abord faire le barrage ! De toute façon lui réponds-je, tous les gens qui écrivent, je veux dire qui écrivent réellement, écrivent Le navire night sans le savoir.
30.01.06
Bosses laissées à la seule connaissance des lèvres.
Il faudrait que la saison des clémentines dure toute l'année ; il faudrait plus d'un orage pour débarbouiller le coeur ; il faudrait que les programmateurs des radios en France se décident à passer Comme elle se donne à fond les ballons (multicolores) ; il faudrait que je puisse renverser les carences en magie de l'existence, par ce que je produis, ce que je touche ou, plus précisément, par la façon dont je touche ; il faudrait que j'arrête d'être blessé par de fausses impressions ; il faudrait que, pour Olivier, Pauline rentre de New York maintenant, cela a assez duré ; il faudrait que j'évite d'être triste de n'avoir aucun signe de mon papa depuis sa disparition terrestre il y a deux ans ; il faudrait que j'arrête d'y penser la nuit, ou alors pas sans consolation ; il faudrait qu'avec le groupe nous écrivions une chanson aussi jolie que Lime tree arbour de Nick Cave ; il faudrait que je trouve quelqu'un en qui croire pour en écrire le texte et elle apparaîtra peut-être plus facilement ; il faudrait que X vacille de ne pas s'endormir dans mes bras ; que son coeur plie bagages, fasse ses valises, se désolidarise de sa tête parfois, que ses bras découragés fanent de ne pas être à moi ; il faudrait que ça la brûle à un degré comparable au feu qui dévore et efface mes mains de ne pas la tenir la nuit, de ne pas s'arrimer à son dos, son front, de ne pas caresser son sexe et englober ses seins ; il faudrait qu'en pleine ville, une après-midi, il y ait des grâces même en trombes comme un jour de pluie soudaine ; il faudrait que Pollie Jean remette The dancer dans la set-list de ses concerts, et c'est promis je ré-envisagerais La pornographie ; il faudrait une joie et une confiance qui me fassent inventer des rites magiques chaque jour comme le voeu exaucé si on ne se retourne pas tout le long de la rue Visconti, ou toucher le pied du Centaure de César qui, comme l'Histoire de France, a pléthore de balais dans le cul ; il faudrait que je puisse pour mon prochain album écrire une chanson magique qui, pour qui l'écoute, obligera instantanément la personne à qui l'on pense à nous téléphoner ou nous rejoindre sans délai, à faire un signe pour notre survie (bancale), pour plier les faiblesses du jour, ce sera la chanson magique, elle sera dans le disque, bien sûr je ne dirais à personne à quel emplacement, ça incitera tout le monde à écouter l'album dans son intégrité, et ça marchera ; il faudra bien que ça marche, un jour ; il faudrait qu'il y ait un peu plus de vie par vie ; il faudrait qu'il y ait des tapis roulants pour le travail, des tapis volants pour les rencontres (mauvaises ou bonnes), et des tapis à se rouler dedans pour les grandes amours ; il faudrait qu'elle me laisse l'embrasser partout, dans tous ses coins, tous ses replis, et sur les bosses invisibles à l'oeil nu, les bosses laissées à la seule connaissance des lèvres ; quitte à laisser ma bouche en elle toute une journée entière ; il faudrait que j'écrive un seul roman comme Charles Laughton a fait un seul film et ce fut : La nuit du chasseur ; il faudrait que je passe une journée entière, oui, avec elle, une journée entière fermée aux autres pour faire l'inventaire de ses grains de beauté ; il faudrait qu'on me parle de mes chansons le coeur tremblant comme le fit la jeune étudiante allemande de Marly Le Roi ; il faudrait que je choisisse un jour entre accorder trop d'importance aux blessures et être blessé de ce que le temps justement leur retranche de l'importance ; il faudrait que je fasse de mon prochain concert quelque chose d'intense.