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03.11.05

 

Chahuté entre la confiance la plus vaillante et un profond abattement.

On me donne rendez-vous au drugstore des Champs-Elysées et j'ai l'impression d'avoir dix-sept ans. Sauf que tout a bien changé, et les garçons du restaurant c'est tragique prennent les commandes sur des Palm-pilot - ce qui semble très compliqué et leur donne une raison valable d'être stressés et peu prévenants.

Dans les jours de grande sensibilité c'est comme si pour quelques secondes j'attrapais la vie des personnes que je frôle - la liste des choses qui leur passent par la tête, qui leur traversent le coeur ; je fais des croix rouges à côté du mot amour.

Je n'ai jamais l'impression que les choses me traversent le coeur, mais qu'elles y restent coincées comme un caillou dans une chaussure. Si parfois je suis dur avec certaines personnes j'aurais tendance à dire que c'est parce qu'elles ont compris trop tard ce que la vie attendait de nos rencontres.

Les crépuscules d'automne à Paris, je ne peux rien faire d'autre que sortir, attendre comme un loup-garou le moment d'écrire. Parfois je rencontre une connaissance, une ou un ami, et nous allons prendre un café ; alors l'écriture patiente, mais il suffit du gouffre d'une absence, d'une blessure entre ce que l'on désire et ce qui n'est pas donné, pour qu'elle revienne, rapide, moqueuse, incessante et écarlate. On écrit à l'horizontal parce qu'on ne sait faire que des passerelles au-dessus de nos gouffres.

Et souvent les gens n'ont aucune espèce de précaution, ils vous balancent leur vie comme un pourboire sans se douter des terrains glissants que cela ouvre en vous, des failles, des pentes et des pensées insupportables.

Le mot "connaissance" me plait assez pour parler de ses amis qui ne sont pas considérés tels. Parce que c'est vraiment tout sauf de la connaissance. Et même je dirais que la plupart de nos amis font preuve à notre égard d'une stricte connaissance, ils nous enferment dans un schéma confortable. Et être ému par quelqu'un, souvent, c'est deviner à ses dépends que le schéma ne tient pas.

La première fois que j'ai vu X, voilà, j'étais bouleversé - malgré la cannibalisation altière de l'instant que lui conférait sa beauté - par cette absence flagrante de digues, de remparts. C'est pour cela qu'Antigone suit Oedipe je pense, parce qu'elle ne supporte pas de le savoir hors les remparts. Elle veut faire rempart de ce qu'elle est, et de ce qu'elle deviendra. à deux si le chemin se trouve.

Quand on aime quelqu'un peut-être une vie ne suffit pas à construire des remparts. On échoue lorsqu'on devient plus fragile que sa construction. Alors on verse dans la folie ou l'on sombre dans l'interruption.

Le soir je croise des silhouettes de femmes qui me plaisent, des visages à la dérobée, et je m'imagine dormir dans les bras de celle-ci, préparer un repas tout simple mais merveilleux pour celle-là au terme de sa journée. J'ai les bras ballants du possible. Et le coeur en charpie.

Avec la sortie du disque maintenant nous entrons dans l'ère du "j'aime" ou "j'aime pas". C'est-à dire que le premier type venu va avoir en quelques secondes un verdict sur mon travail. Et ensuite il y a une dictature du "un tel a aimé ou pas". La plupart du temps - c'est normal - ce sont souvent les personnes avec lesquelles je travaille qui sont sensibles à cette dictature, et du coup ça rejaillit sur moi car je suis gêné pour elles en cas de commentaire négatif. Personnellement qu'un tel déclare qu'il ait aimé ou pas, ça n'a aucune importance. Bien entendu c'est préférable qu'il ait aimé, surtout s'il est du métier, cela nous ouvre des portes - qu'on nous referme à la gueule en cas d'avis contraire. Mais bon, vraiment qu'on ait aimé ou pas, c'est de l'ordre du rejet ou de la politesse (oui de la politesse quand on a reçu le disque gratuitement ou qu'on a été invité au concert). En revanche ce qui m'importe c'est de quelle manière on a aimé, pourquoi, les images, les idées, les désirs que cela a provoqué en soi. La façon dont on en parle, ce qu'on en dit. Et jusqu'où sur la durée va-t-on être capable d'aimer.

Je ne voudrais absolument pas faire quelque chose qui soit de l'ordre de la séduction, mais pour les gens qui s'attachent à mon travail, je souhaiterais qu'il y ait une reconnaissance, un attachement profond, (les autres passeront leur chemin), et quelque chose qui se poursuive en terme d'engagement. Je reconnais que j'en demande peut-être un peu beaucoup.

 

06.11.05 

 

L'obsession et l'oubli du corps de l'autre.

 

Il y avait ces nuits grisantes dans la simplicité des corps, les mots chuchotés, les précipitations et les pentes naturelles, l'un répondant immédiatement au désir de l'autre et le trajet jusqu'au parquet où se détruire le dos et les genoux, aux canapés toujours trop peu adéquats et jamais suffisants, et le lit enfin où se parfaire dans un espace propice comme une toile tendue avant que les figures n'y soient esquissées, définies, projetées.

Après il fallait se tenir dans la rue, quand les autres revenaient creuser l'écart, la souveraineté du monde dont le vice sera toujours moins chaleureux, et la sonnerie du téléphone, et l'incursion du quotidien. Oui il fallait bien se tenir et oublier sa faim du corps de l'autre pour sombrer dans la tendresse - délicieuse - dans les marées profondes de se prendre par la taille ou de s'écarter pour laisser passer une femme sur un vélo, un réverbère jamais.

L'obsession du corps de l'autre revenait nous travailler à la nuit tombée, la nuit de se retrouver dans les lacs de lumière des éclairages en villes, dans les phares des automobiles, sous les auvents improvisés battus d'une pluie froide et diagonale : l'enveloppe des manteaux sombres, la peau tiède des imperméables, les bouches fissurées d'une courte haleine impatiente.

Durcir à tout moment contre son corps agité par le fracas d'une insomnie, et la pénétrer d'un trait avant qu'elle ne se cambre, se chahute, s'éprenne et réapprenne qu'elle détient un corps autour de mon désir ; la dévaster aux larmes et lui tenir les chevilles, mettre ma langue en tout ce qui est mettable en elle, et lui effacer les seins par la pression de mes mains longues et fines, pâles mais fermes, mes doigts exacerbant la dureté des tétons, et la fouillant, la dégrafant, lui demandant de garder quelques vêtements parfois pour contraster la peau, les sensations, le toucher, qu'elle garde ses bottes ou ses chaussures, et qu'elle me dise à l'oreille ses fantasmes les plus crûs et les plus récurrents, les espaces blancs de ses pensées, sa sauvagerie répercutée du dehors, et que le corps se déchire de l'emmener loin et de la protéger dans le même mouvement, et voir son visage s'affirmer dans les oscillations du désir, et voir revenir à la charge son agressivité d'être douce et efficace ; vouloir s'occuper de moi, me terrasser, puis renoncer et s'abandonner entièrement soumise à l'idée que lui donner du plaisir me transperce et me crève au bonheur.

Se laisser mettre, soumettre, que ma voix la brûle, qu'il y ait à la fois cette attaque et cette protection, cette violence et cette douceur à ne pas choisir, à vouloir la saturation tout le temps, l'instant du rempart et du débordement. Faire l'amour désoriente et répare. Isole et ouvre, poursuit et protège. Il crée un champ de bataille où la neutralité n'est plus possible. Il crée son espace, et sa fonction qui est d'aller toujours plus loin connaître la sensation qui se cache derrière la limite.

Faire l'amour à quelqu'un, c'est aussi trouver que sa propre violence est toujours préférable à la violence des autres.

L'obsession d'un corps. En état d'alerte rouge. Un jour pourtant va traverser la frontière du souci et de l'intimité. De nos obsessions - et c'est le risque - ne restera que du vent. Oui, voilà le risque de se plaire confusément.  

Des petits oublis de tous les jours qui furent nécessaires à ce que revienne l'obsession d'un corps, il n'y a désormais plus que le grand oubli commun qui renvoie le visage de l'autre à la foule indifférente d'où on l'avait soustrait.  

 

10.11.05

 

Le demi-tour.

 

Emmanuel Levinas dans Totalité et infini écrit que "La fonction originelle de la maison ne consiste pas à orienter l'être par l'architecture du bâtiment et à découvrir un lieu - mais à rompre le plein de l'élément, à y ouvrir l'utopie où le "je" se recueille en demeurant chez soi."

Pour rapprocher Levinas du texte de Michel Foucault que j'ai lu sur scène l'autre jour, avant la chanson Comme elle se donne, on pourrait dire que l'amour est l'utopie où le "je" se recueille (mais avant cela se réveille, et se révèle) en demeurant chez l'autre.

Dans la juxtaposition du miroir et du cadavre chez Foucault, s'inscrit aussi pour moi une lecture du conte de Blanche Neige. La méchante reine voit dans le miroir le recours à la mort, la prédominance de l'autre, la lutte pour exister au monde et à soi, et par-delà tout ça, le cadavre en suspens. Blanche Neige est naïve, ignorante dans le sens où elle ne se regarde pas, son image glisse sans cesse sur elle quand elle la croise dans les flaques d'eau (qui moussent pleines de savon et la brouillent immédiatement), ou dans le reflet de l'eau du puits où elle préfère voir l'image lisse, sans aspérités, du prince charmant. C'est pour cela aussi qu'elle aime tant la compagnie des nains, du fait qu'elle ne peut pas voir son image se refléter dans les yeux de Simplet ou de Dormeur. Et encore, ils se mettraient les uns sur les autres en une pile acrobatique pour parvenir à la hauteur de Blanche Neige, sept nains ne suffiraient pas puisqu'à coup sûr elle choisirait de porter des talons, ou de détourner son regard.

Blanche Neige est innocente, voire plus laide en définitive que la méchante reine, dans le sens où elle n'est pas secondée par la nécessité de se trouver un miroir. Ce qui est toujours le cas de la beauté. La beauté a besoin d'un regard, d'un miroir, d'une onde, ou d'un complexe d'ondes, c'est-à-dire d'un amoureux. La beauté est toujours dans l'intranquilité de son devenir, dans les pas de la mort. Le vrai trajet du mannequin sur le podium est d'aller vers la mort. Et le vrai discours du vêtement est d'envelopper ce trajet avec le plus d'élégance possible. Les crépitements des photographes et les figures de paon du public cristallisent et retardent ce moment d'un trajet dont le final flirte avec le passage, le promontoire et la mort.

Oui, le vrai trajet du mannequin sur le podium est d'aller vers la mort, voilà pourquoi les couturiers, dans leur grand besoin de cérémonie, ont inventé le demi-tour.

 

12.11.05

 

Profusion du manque.

 

Fluviale est la journée, sombre aussi, je me laisse guider et travaille un peu, le corps d'Agony se déploie comme un barrage dans le couloir. Elles se faisaient appeler Agony et Avalanche et se frottaient, se roulaient des pelles uniquement pour exciter des garçons triés sur le volet. Maud avait un visage attirant, et dur comme un model d'une photo de Peter Lindbergh. Sa tunique de cordes et de coton que je pourrais agripper et ôter d'un trait, pour la presser contre moi, si j'avais les mains d'un désir libre. Les mains sont les instruments de l'esprit et du coeur, elles ont été faites en deux exemplaires pour ça : Qui passe entre nos mains répond à une odyssée - chez les êtres comme moi c'est pathétique, aimer semble décider de tout. 

Florence se sert un Martini blanc, mange des tortilla chips dont le sel couleur paprika lui reste sur les doigts. Aurélien me dit :

- Pourquoi les filles ne disent jamais ce qu'elles ressentent ?

- Peut-être parce qu'elles ne ressentent rien." réponds-je.

Agony s'approche et me lance : il y a des gens qu'on garde pour plus tard. Tu me crois Jérôme n'est-ce pas ? C'est toi qui disais ça pour les cinéastes, pour Cassavetes par exemple. Hé bien c'est pareil avec les gens, il y a des gens qu'on garde pour plus tard. Je hoche la tête par la négative. On ne peut jamais miser sur une conception aussi égoïste du temps, du moins sur le délai quand on se réclame à ce point c'est obscène, et c'est l'erreur de ceux qui faibliront. Avec Bruno nous parlons d'Alejandra Pizarnik, de sa manière de sculpter l'écriture, et de la fulgurance retenue : Elle se dévêt au paradis / de sa mémoire / elle méconnaît le destin féroce / de ses visions / elle a peur à l'idée de ne savoir nommer / l'inexistant.

Qui a mis dans le coeur de Marie un soleil infructueux ? Je passe un peu de temps avec elle ; les mots gentils que j'ai en moi aujourd'hui j'ai envie de te les donner, me dit-t-elle. Ce soir tu as l'âme et le corps taillés pour la tristesse, mais sache que ceux qui accueillent ton travail avec jalousie ou indifférence n'ont pas fini leur dévorant chemin ; celles que tu désires et qui ne dorment pas une fois dans leur vie avec toi se persuaderont d'être heureuses mais seront à jamais travaillées par l'éclat puis le délié de ton désir. Je souris à cet oracle gentil. Je l'ai aperçue toute à l'heure un peu perdue alors c'est plus fort que moi je reste dans les parages, je fais de la protection rapprochée. Pleurer (pour) quelqu'un brouille son propre visage de trop voir et de ne pourtant jamais saisir le visage de l'autre. Profusion palpable du manque.

- Toi qui connais pas mal de filles qui couchent, me dit Sébastien, il faut absolument que tu me pistonnes. Faudrait que je fasse un plan à 3, oui faudrait absolument que je me trouve un plan à 3.

- Commence par un plan à 2, dis-je.

Il fait si froid dehors, soudain. La nuit de novembre tombe très vite, j'ai toujours peur qu'elle avale les gens que j'aime. Au matin on compte les voitures par carcasses. Je comprends le mal être et la colère brouillonne contre un monde déficient qui offre si peu de chances et de points de vue, mais je n'ai jamais compris la violence. Mon voisin du dessous par exemple croit qu'il suffit de hurler pour être du côté des forts. J'ai toujours voulu changer ma propre violence en quelque chose qui aide peut-être, qui répare, contient, protège. L'écriture et le corps sont les dernières digues à céder dans l'intimité. Et c'est ce que j'ai écrit il y a quelques jours quand j'ai parlé de faire l'amour : voilà, faire l'amour à quelqu'un c'est trouver que sa propre violence est toujours préférable à la violence des autres.

Je ne l'avais pas revue depuis plusieurs mois. N'ai pas couché avec elle depuis plus de deux ans maintenant. Parfois nous les garçons le désir nous tape dans le ventre c'est insupportable. Mémoires de tremblements. Nous avons traversé les jardins du Luxembourg, fait une courte promenade dans l'après-midi glaciale, et en me quittant au métro elle m'a dit que mon nouveau parfum m'allait bien. Au fait, ton nouveau parfum te va bien, et elle s'est enfuie. Le claquement de ses bottes dans les escaliers du métro Saint-Germain.

A chaque fin de grand amour, on devrait changer de parfum, si l'on veut continuer à vivre avec soi-même.

Laquelle est Avalanche ? Laquelle est Agony ? me demande Bruno. Cela dépend des nuits.

Mercredi dans une tour à Montreuil en compagnie de Claire Marquet et Philippe Di Folco nous avons parlé de Gilles Deleuze et des trampolines en bord de mer, d'amour et d'altérité. Fabien m'a dit au sujet de V. : les filles soit elles sont relou, soit elles ont le diable en elles." La vie est sévère, comment réagir juste, face à soi et aux autres, tout le temps ?  

X est en week-end, elle devient celle qui me manque. Elle prend le chemin de la valeur absolue de mes manques. Si elle pense à moi plus de x fois pendant ces trois jours (j'agite les doigts comme un fou dans la glace), ce sera bien, ma vie sera sauve.

 

15.11.05

 

La nuance.

 

- Tu penses quoi de C. ? me demande David. Je l'ai appelée et l'ai rencardée pour vendredi. Elle a dit oui tout de suite.

- Oui, le temps est aux précipitations.

- Elle a des gros seins, ça me plait. J'espère juste qu'elle n'a pas la remorque qui va avec ! 

- La distinction à la française ! Superbe !

- Tu sais Jérôme, j'ai bien réfléchi à la question et je suis arrivé au constat amer que les filles sont profondément égoïstes ! C'est pour ça qu'elles sont malheureuses. Et leur punition suprême, c'est de finir par tomber sur un type encore plus égoïste qu'elles.

- Dans une certaine mesure alors le monde est bien fait, dis-je.

- C'est ça qui me fait doucement rire. C'est pour ça que maintenant il nous faut de vraies femmes ! On est des mecs qui avons suffisamment d'ampleur pour exiger d'avoir de vraies femmes. C'est comme un poste à responsabilité, il y a un moment de ta vie, où tu as la carrure de l'emploi.

- Oui mais l'emploi du temps manque toujours de carrure face au sortilège de l'amour. Tu sais mon petit, en ce moment je lis beaucoup Alejandra Pizarnik c'est très beau vraiment, il y a un poème qui dit : Quelqu'un rentre dans le silence et m'abandonne / Maintenant la solitude n'est pas seule / Tu parles comme la nuit / T'annonces comme la soif.  

- C'est qui celle-là ?

- Alejandra Pizarnik, une poétesse.

- Tu crois que je fréquente les poétesses peut-être ?

- Tais-toi ! Elle est morte ! Elle t'entend !

- Oui enfin bon, tu sais, c'est vrai ce que je te dis des filles, toi tu es toujours à les défendre, mais elles sont profondément égoïstes ! 

- Je ne suis pas toujours à les défendre. Je suis toujours à les préférer. Nuance !

- Regarde X, elle a finit avec ce type odieux qui lui fait subir les pires sévices beauf chaque week-end. Ce qu'elle me raconte de lui, comment il la traite, c'est odieux. En définitive elle est tombée sur un type encore plus égoïste qu'elle. Je ne vais pas me priver pour le lui dire, tiens.

- Ne sois pas dur quand même...

- Toi tu serais impitoyable !

- Non ce n'est pas vrai. Mais c'est peut-être en ne me montrant pas sévère tu as raison, que je le serais."

 

La lettre.

 

Reçu une très belle lettre de Robert : Cher Jérôme, Souvent j'imprime au bureau quelques pages récentes de ton Journal que je n'ai pas encore lues, et je les apporte chez moi. Il arrive qu'elles traînent, oubliées ici et là. Souvent je tombe dessus, je les lis et ce que tu racontes correspond tout à fait à mon humeur. Ainsi, l'autre jour, alors que je traversais trois pénibles journées de violentes colère, amertume, humiliation, je tombe sur :..."Ma grande sensibilité se dirige toujours vers la colère plutôt que la fragilité"...(par contre moi je me sentais très fragile, épuisé) ; "...Et ce sont soit l'amour de quelqu'un soit mes colères de la vie qui se trame ou que je trouve décevante, médiocre ou inappropriée, qui me font réagir ou travailler". Et bien c'était peut-être involontaire mais merci pour cette connivence émotive qui m'a réconforté un peu."

Oui, pour reprendre le mot de Marguerite (Duras) que je commentais dans ma dernière entrée, je dirais que je souhaiterais que ce Journal, la plupart du temps, soit aussi un acte privé porté vers l'autre.

 

La plus belle phrase de la chanson française.

 

Interview amicale avec Denis (Zorgniotti) pour son émission de radio, dans le neuvième arrondissement. Passé par le Café Zéphyr et le passage Jouffroy déclencheur de souvenirs, et le temps était tellement gris aujourd'hui, l'avenir d'un amour praticable me paraissait si lointain derrière.

Durant l'interview je dis à Denis que ma phrase préférée dans le disque est la dernière gimmick de la chanson Laisse-moi devenir ton homme : c'est-à-dire : C'est pas possible d'être aussi conne ! Oui, surenchéris-je auprès de Denis et pour ses auditeurs, c'est la plus belle phrase de mon disque, C'est pas possible d'être aussi conne ! et je pense même, dans un sursaut où l'orgueil se dispute à la lucidité, que c'est la plus belle phrase de la chanson française !"

 

16.11.05

 

L'invention de noël. (poème écrit dans la nuit)

 

Ils sont venus à ma fenêtre installer les décorations de noël

Le jour où l'amour est parti.

Je n'avais pas mis le chauffage, j'ai laissé venir la pluie.

La photo sur le mur a souri, j'étais toute seule.  

Ils sont venus installer à ma fenêtre les décorations de noël, le jour où l'amour est parti.

Il n'y a que l'extérieur pour s'en réjouir.

Le coeur des autres quoi qu'on en dise est un fleuve endormi,

Irrégulier, indifférent.

On ne peut pas mettre le feu au fleuve, on n'atteint que les berges,

Et ce n'est pas suffisant.

à partir de quel moment les hommes se laissent aller ?

à partir de quelle nuit ne sont-ils plus que débris

De ce qu'ils ont été ? 

Ils sont venus à ma fenêtre installer les décorations de noël

Le jour où l'amour est parti.

Deux hommes ont voulu me prendre, à deux, mais aucun n'avait l'intention vraiment de me garder pour lui.

Garçon à aimer, rictus à aimer, le dance floor c'est le manège où la queue de Mickey pend bien droite dans les pantalons.

C'est reparti pour un tour supplémentaire.

Qui mérite qu'on prenne soin de lui ? Qui mérite qu'on prenne soin de lui ?

L'adolescence je l'ai passée à me faire baiser dans des chambres muettes,

Dans les ténèbres des préfabriqués, par de jeunes types vifs et nerveux.

J'en aimais un sur trois. Je ne portais jamais de jupes ; la frénésie avec laquelle ils me tordaient les pantalons sur les genoux,

Je n'arrivais jamais à atteindre l'intensité de leur excitation, je m'y efforçais, mais je voyais bien que je courrais derrière,

Parfois ça me désespérait, ça me rendait dingue, d'autres fois ça me révulsait.

Je rentrais à la maison, passais directement devant les parents, et allait m'enfermer dans les toilettes pour gerber.

Les garçons de la résidence me harcelaient de leurs cris, cris jamais exprimés, cris d'une détresse jamais souple, pourriture d'être désinvoltes et qui ne transige pas, pauvre trésor cale ta tête et ton souffle contre moi ; ils n'avaient pas de pensées secrètes, tout pendait à la surface.

Et le destin s'est occupé d'eux mieux que mon amertume n'aurait su le faire.

Je les ai confiés au monde comme leur mère, ah ah ah.

Le christ il n'a fait qu'un petit tour, on ne lui a pas laissé le temps que se gangrène en lui la déception.

Bottes en caoutchouc bleues, te souviens-tu comme on partait toutes les deux cueillir des mûres sauvages ?

Quand ton mec pose les yeux sur moi j'ai envie de lui faire cracher son désir. Qu'on en finisse.

Je voudrais que tu ailles bien tout le temps.

Il y a eu des moments heureux quand même ? On s'en est bien sorties ?

Je ne sais pas si l'amour existe, si cela est important qu'il existe.

J'ai appris que parfois il nous faut vivre détachées.

Qui mérite qu'on prenne soin de lui ? Qui mérite qu'on prenne soin de lui ?

Les hommes ils se croient le pouvoir de nous faire tenir en place, à disposition,

J'ai voulu loger mon coeur dans leur respiration, leur gêne et leur violence,

Leur dégoût et leurs feintes.

Faire de ma peau le tambour battant de leur désir.

La petite pute aux allumettes.

La barrière de corail.

Et les filles finalement font semblant dêtre dociles autant que les garçons font semblant d'être forts.

Un arrangement, une blessure.

Il n'y a que la violence qui ne triche pas

Et c'est parce que cette connaissance est insupportable

Qu'ils ont dû inventer,

Pour moi comme pour les suivantes,

Noël.  

 

17.11.05

 

Seul mais fort de quelques uns.

 

Il est toujours très agréable d'être interviewvé par des journalistes étrangers (québécois, belges, suisses..), sensibles à une écriture rock en langue française, mais je ne peux m'empêcher de ressentir une petite amertume lorsqu'à un moment de l'entretien ils me disent au sujet du disque : tel Journal français, le Journal X par exemple, ou telle radio de grande ampleur, doit adorer ce que vous faites, doit vous soutenir vraiment !" alors que dans les faits pour le moment ces radios ou journaux français souvent cités en exemple passent le disque sous silence, font comme s'il n'existait pas, me privant ainsi d'une audience plus large et de cet emballement partial qui aujourd'hui peut faire un succès ou non.

Chaque jour pourtant je le vois bien mon travail gagne du terrain. Et cela est dû au dévouement, à la rage et l'action de quelques uns. Comme à des initiatives personnelles, privées, passionnelles ou passionnées. Pour la vie je ne peux pas dire, mais en ce qui concerne le travail il suffit que quelqu'un fasse un geste chaque jour en faveur de ce disque, et le disque existera. Oui, pour la vie je ne peux pas vraiment dire, mais pour le travail je sais que je ne suis pas seul. Ou bien dans les journées vraiment décourageantes comme il en survient, où l'on se sent pour un rien submergé d'incompréhensions, si je suis seul, c'est seul mais fort de quelques uns.

 

20.11.05 

 

L'autre jour avec Lysa au téléphone nous nous sommes dits que nous devrions nous apprendre une chose nouvelle par jour. Et ce soir elle m'a appris : un peu de tristesse en plus.

Sur le plateau de France 5, le charme de Christine Orban. Je lui offre mon disque pendant qu'elle se fait maquiller, (et que j'attends patiemment mon tour) ; l'élégance avec laquelle elle le regarde attentivement avant de le ranger dans son sac à main.

Il faudrait aussi parler de l'élégance de dire ; l'élégance de dire les choses ou de faire apparaître derrière les choses dites, un coeur brûlant. L'élégance consiste toujours à réduire pour son interlocuteur le rideau de gaze qui se dresse entre le propos et la pensée profonde, et cela sans l'effaroucher ou le gêner. Une parole élégante nous rend bien heureusement dérisoire le flot des paroles houleuses et inutiles que la plupart des gens que nous croisons font précéder de leurs visages car, la plupart du temps, ils ne savent pas s'y prendre autrement. Pour survivre à une journée il suffirait pourtant d'une parole élégante perçue ; trouvons-là !

 

21.11.05

 

L'échafaud.

 

Je réclame de la vie un baiser, ou bien j'irais à ma vitesse vers l'échafaud des jours qui passent.

 

22.11.05

 

La guirlande d'automne de l'arbre chavire sous le vent. Ai-je croisé Anne sur la petite place de l'église d'Auteuil ? J'avais le visage blanc, défait, les yeux très verts. Acheté deux cent grammes de thé Pu-erh, je le laisse infuser bien sombre. Je m'habille pour écrire, une veste, une chemise, et sortirais n'importe comment, pull, manteau noir. Je prie pour des choses qui n'arrivent pas, prie jusqu'à épuisement de la volonté de Dieu. Chez Martin j'ai trouvé le truc, je trifouille dans mon portable, efface les sms dispensables, ça peut me donner une contenance jusqu'au mois d'août 2009 en soirées si je dois effacer de mon portable les messages sans intérêt. J'aime la rapidité avec laquelle le soir tombe en novembre, c'est comme le désespoir. Soit les gens sont hyper susceptibles (pas grand chose à voir avec la sensibilité en fin de compte) soit ils sont tout à fait indifférents, et au final ça se rejoint bien, alors ils prennent une existence qui s'éloigne complètement de la vôtre, il n'y a même plus à se déranger pour les pousser vers la sortie. La dernière fois que je suis venu chez Martin c'est il y a plusieurs années de cela, une des rares soirées où j'étais venu accompagné de X. Je n'aimais pas vraiment que nous sortions ensemble, ça m'agaçait pour diverses raisons, et je préférais que nous gardions chacun notre liberté de déplacement. Pourquoi les couples vont ensemble à des soirées ? Pour divertir leur excitation et parce qu'il n'y a pas suffisamment de nocturnes chez Ikéa.

La dernière fois chez Martin, Y indécente de beauté, préparée à fondre sur moi était venue me dire quelque chose à l'oreille, longuement, et X en avait profité pour me faire une scène, se mettre dans une colère noire. Tu es dégueulasse, m'avait-t-elle balancé, tu fais ton supérieur mais en définitive tu as des liens avec tout le monde, et pire que des liens, des secrets. J'avais trouvé ça profondément injuste. Et je n'avais pas la sensation non plus de faire mon supérieur, c'est que rarement je laissais les circonstances colorer mon coeur ou mes pensées. Et aussi, la plupart du temps, les autres types se grillaient avant que j'aie pu en placer une, alors forcément...

- Tu me dégoûtes, je te hais, me disait-elle, je hais ta façon de faire le ménage dans la vie des autres, de faire de celles que tu touches des fantômes après ; je hais le plaisir aux larmes de t'avoir en moi car je sais que j'aurais une carrière de fantôme après, et que ça te fera bien marrer dans ton malheur. Je hais que tu sois devenu essentiel à ce point, la respiration de mes jours, je hais ma beauté et je hais ton silence après que tu aies dit que les garçons s'en sortent toujours mieux, comme si tu t'en excluais à jamais.

- Suis-moi, lui disais-je, partons, allons faire l'amour. Tu es folle et tu as raison. Tu rends le monde à l'état de préliminaires."

 

23.11.05

 

Novembre.

 

Est-ce qu'on peut se passer du souci d'aimer ?

De ce désordre ?

Des avenues de chair claire, des taches de couleurs retrouvées ?

De ce coeur controversé ?

Des regrets haut perchés comme des oiseaux sur un fil télégraphique

Qu'un coup de téléphone inespéré fait s'envoler.

 

24.11.05

 

La pluie glaciale descend jusqu'à moi. Il y a toujours beaucoup de batailles à livrer, d'affrontements, de solitude ; et toujours des tas de portés volontaires pour n'y comprendre rien.

Quatre vers très durs mais très beaux dans le Eugène Onéguine de Pouchkine, traduit par André Marcowicz. Je les lis à Flavio, puis à Sandrine :

"Qui vit et pense est incapable

De voir les gens sans mépriser.

Qui sent se sent toujours coupable

Devant le spectre du passé."

Ainsi les sages, les méditants, penseraient sans vivre ; et les héros, les méritants, (dont l'imprudence est la raison) vivraient sans penser ; mais pour ceux qui vivent et pensent en même temps voici la balafre au coeur dont nous décore Pouchkine.

 

C'est très con que la cigarette tue, parfois elle accompagne les gestes des femmes, porte leur élégance. La fumée fait écran à leurs pensées qui elles-mêmes font écran à leur coeur. Au Café assis en retrait je la regardais - ses longs cheveux noirs, ses membres fins serrés dans un petit haut de couleur rose, les avant-bras nus comme des couteaux d'ivoire - et percevant mon intérêt, je veux dire mon émotion mais chez moi ces deux notions se confondent rapidement, elle a fini par se tourner un peu, par s'orienter davantage vers le campement de mes regards, que je sache qu'elle était belle sous tous les angles. Elle n'a pas voulu faire illusion avec moi. Face aux grandes baies vitrées qui donnent sur le boulevard j'aimais comment elle prenait appui de ses coudes sur la table, puis se laissait complètement retomber sur sa chaise. Les arcs, les figures, qu'elle décrivait avec son dos, sa nuque, ses bras ; le bruit des piécettes pour payer son café : prix de ma journée emportée.

 

Dans l'écriture, le travail, je voudrais envoyer loin de moi tout ce qui ne me semble pas nécessaire, primordial, absolu. Les gens se contentent la plupart du temps de profusion creuse, d'événements.

Et le coeur n'est souvent que brindilles ; brindilles qu'un visage rassemble et que la vie finit par démanteler.

Rodolphe me parle d'une fille (très belle) dont le petit ami vient de nous être présenté.

- Tu l'emballes quand tu veux, me dit-il, elle quittera son mec dans la minute. Qui veut d'un enfant pour amoureux ? ça va cinq minutes ! Il est déjà mort et toi tu vis maintenant en elle."

J'ai du mal à travailler, chaque pas me semble voué à l'effondrement de ce qui l'a motivé. Je piétine dans les salles et les couloirs immenses de l'hôpital de Saint-Germain-en-Laye où je cherchais de l'aide pour mon papa - qui me suivait péniblement, qui expliquait aux infirmières de garde ce qu'il venait faire là, sans trop entrer dans les détails (devant moi).

 

26.11.05

 

Nuit difficile à porter secours.Je voulais lui demander de me préserver de certaines paroles, sachant qu'elles me resteraient, et que je serais confronté à leur insupportable impact une fois rentré seul à la maison, mais en même temps je comprenais qu'elle avait besoin de les dire, de les hurler, de les sortir d'elle, et aussi de savoir que je pouvais encore en pleine nuit faire des kilomètres hors de Paris juste pour aller la border, la réconcilier avec le peu d'heures qui restent avant qu'une nouvelle journée n'arrive - avec son lot d'imprévus, de quitte ou double, de caresses d'occasions ou de dégueulasseries flambant neuves. 

Il m'a semblé ne pas pouvoir trouver les mots justes, mais peut-être que parfois notre présence remplace la direction et la force implacable de ce qu'on pourrait dire. La farce implacable. Et que dire d'ailleurs de juste devant la violence de la vie quand elle touche celles et ceux qui nous touchent ? Devant l'intranquillité qui les ronge, l'errance de leur devenir, et le dénuement qui met en marge crûment et des autres et de soi ? Je suis rentré complètement abattu, fatigué. Et la neige qui tombait, la neige qui s'est figée dans les branches des arbres des forêts d'Ile-de-France, et qui a recouvert d'une étendue froide et blanche mon passé. On ne repasse jamais par son passé, ou alors en visiteur fantôme, les pas que l'on retrouve n'ont plus l'empreinte de la grâce et de la légèreté, ils sont lourds non plus de conséquences mais de chagrin ; alors il faut aller de l'avant ; aller de l'avant mais savoir quand même qu'on peut réparer les failles de celles et de ceux dont on a tenu la main, qu'importe la hauteur infranchissable du mur qui se dresse désormais entre nous.

 

J'accumule du matériel pour de nouvelles chansons ; j'essaie de ne pas être dupe de l'urgence, de l'éphémère, de l'anecdote ; et de trouver ce qui durera toujours dans ce qui me vient. Et ça commence à (re)venir.

 

28.11.05

 

J'ai acheté des clémentines rue de Seine, comme toujours. Je tremblais comme une feuille en remontant vers le Trocadéro. Un peu perdu. Détaché de ce qui me semblait mon passé par grands morceaux de toile. Les passants ressemblent à des spectres tant qu'ils ne sont pas touchés par la grâce d'être aimés en retour autant qu'il leur est capable d'aimer. On peut aller dans des Cafés brûlants l'hiver, le long des avenues, rencontrer revoir répondre à des personnes qui nous ont fait souffrir autrefois, on mesure l'écart, l'oubli chacun pour soi comme le souvenir, puis l'égoïsme qui ne les a pas quittées et qui revient nous hérisser au hasard d'une réflexion. Et nous écarte d'elles plus sûrement encore.

Et puis il y a malgré tout cette douceur d'apporter de la douceur, cette neige de dire que rien de ce qui est triste pour soi n'a vraiment d'importance, si toi tu vas bien ; j'avais essayé ça comme piste avec la chanson Demain sans importance dans mon disque, une chanson optimiste, je veux dire chargée d'optimisme (si instable pourtant qu'il verse dans la mélancolie) et en fin de compte je ne crois pas que ça se fasse sans amère pensée, une fois qu'on se retrouve seul c'est difficile, comment exprimer cela, si on en vient à absoudre l'autre de la peine mortelle qu'il nous a faite, à atténuer, à effacer la blessure avec laquelle nous vivions en bandoulière, et si on admet que ses trahisons n'étaient que perdues d'avance, capricieuses, insensées, ou venaient de plus loin, que rien n'était dirigé contre nous mais contre elle ou lui en définitive, de trahisons en affranchissements nécessaires, alors après la Tour Eiffel a beau pailleter derrière l'esplanade du Trocadéro on se sent comme isolé, détaché ; incohérentes ou illégitimes nous reviennent nos blessures. Si nos blessures ne sont que passantes à quoi bon se rattacher ?

Aurélia, la journaliste de Transfac, me disait l'autre jour au cours de l'interview : Jérôme, quand vous rencontrerez une fille simple de qui vous tomberez amoureux ,alors vous n'aurez plus d'inspiration, il n'y aura plus de chagrin...

J'ai trouvé très jolie l'expression : Une fille simple ;  Mais est-ce que les filles sont simples ? Est-ce que c'est simple d'être une fille ? On peut se demander aussi ce qu'est de tomber amoureux d'une fille simple ? Une fille qui n'aura peut-être jamais, ni pour elle ni pour moi, la trahison nécessaire.

J'ai répondu à Aurélia qu'il y aurait au contraire d'autres motifs plus âpres encore de souffrance, et de noircir le tableau (des chansons) : le temps qui passe, la peur d'abdiquer ou de se perdre, la vie limitée, ne pas pouvoir faire ou dire ou retenir tout ce qui nous passe par le coeur, manquer de volonté et d'intelligence, d'incandescence surtout, ne pas savoir protéger l'autre : d'elle, de soi, et du monde ; oublier dans le bonheur jusqu'à son existence.

Et puis l'inspiration ne part pas, on peut toujours compter sur les autres pour nous donner du chagrin.

L'autre nuit j'étais dans ma voiture et quand je suis passé à hauteur de là où X habite j'ai hurlé son prénom si fort que toute la neige qui persistait dans les branches des arbres de la forêt de Marly est tombée d'un trait, l'un de mes essuies-glaces a été arraché sur le coup. J'avais bien la classe. Plutôt invincible. Et puis un rien dépèce à nouveau, il suffit d'une brusque pensée, d'un délai, d'une absence, pour que le coeur se brise comme l'étoile au-dessus du sapin, incident malheureux, bousculade, chamaillerie du jour et de la nuit, rien ne sera plus comme avant, seul traversant les rives au pont de l'Alma je croise le regard d'une fille dont l'écharpe et le bonnet sont assortis, et le temps de se croiser, le temps de rien se dire, je sens bien que ses yeux marquent de leur éclat mon coeur dégoupillé.

 

29.11.05

 

Ma maman a eu un infarctus tôt ce matin. Journée qui a tendu une bâche d'angoisse sur tout ce que je m'étais fixé de faire. Peur panique dès que le téléphone sonne. Le numéro du centre cardiologique, quant à lui, me devient familier.

Pas trop le courage de travailler ou de sortir, pourtant au lieu de faire les cent pas (dans l'angoisse) je me laisse conduire au Paris-Paris à la soirée de Thomas (Bouvatier) pour la sortie du livre chez Ramsay sur la lingerie. Stéphane explique à son ami Sébastien ce qu'est un beau livre. "Oui, tu vois moi j'ai un beau livre sur les christ en croix bretons, il y a un type qui a passé une partie de sa vie a photographier les christ en croix dans toute la Bretagne, et le livre a atterri chez moi. Bon, là, ce soir c'est différent, c'est aussi un beau livre mais c'est sur la lingerie !". Stéphane raconte que plus tôt dans l'après-midi je l'ai entraîné dans les rayons du Champion rue de Buci à la poursuite d'une fille jolie. Bon, en cours de route on s'est aperçus qu'elle avait à peine dix-huit ans, ce qui fait dire à Stéphane : "Jérôme les filles c'est comme le whisky, il trouve ça meilleur quand elles ont quinze ans d'âge". Ce qui est très faux quand même. Pas Truffaut, très faux.

Au Paris-Paris, on braque une caméra sur moi et on me demande si j'ai déjà eu envie d'écrire sur la lingerie. Oui, réponds-je, sur les bretelles, c'est la partie la plus longue et la plus fine pour écrire une phrase définitive. Bon je ne sais pas si c'est très spirituel ou non, et puis je n'ai pas trop le temps de me poser la question d'ailleurs, ça passera quelques heures à peine plus tard dans l'émission La matinale sur Canal +. Fast TV, quick sex. Je demande à Rodolphe si c'était bien et d'un air détaché, un peu blasé, il me répond : ça faisait très captation de soirée, on voyait que tu n'avais pas de maquillage !"

Beaucoup de courrier en retard. Je sais ce que font les filles le lundi soir : elles lisent le magazine Elle. J'ai reçu une avalanche de textos et de mails lundi soir entre dix-huit heures et minuit. J'imaginais les filles rentrer d'une dure journée de travail, et lire leur Elle dans leur bain, au chaud, avec un vague type qui s'impatiente, fulmine, ou pense à ses trucs, dans la pièce à côté.

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