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28.09.03 suite

J'ai reçu via ce site, ce Journal, beaucoup de mots très doux et je n'ai pas répondu vous comprenez, faute de temps notamment, et parmi ces lettres celle de Christian qui est en Suède en ce moment et qui m'a envoyé un mot bouleversant, qui m'a beaucoup touché parce qu'il était mon voisin quand j'étais petit, nous avons à peine un an d'écart et il a donc très bien connu mon papa ; je sais que de tous mes amis Christian était le préféré de mon papa ; et alors son mot très simple m'a quand même rappelé beaucoup de souvenirs, de ceux qui reviennent, par milliers vous savez, maintenant tous les jours. Les excursions à vélo notamment que mon père organisait les après midi délicieux sous un ciel pommelé, et puis combien Christian était nul en orthographe, et ça vraiment, dans deux directions il est vrai différentes, ce sont deux choses qui sont à pleurer :   "Jerome, I am so sorry about your father's death. I liked him
very much. He was a very kind man. He always made me
feel important and that made him special. I have many
great childhood memories from your father; like when
he took us bicycling, took us to the movies or invited
me for lunch, and without asking for anything in
return, he helped me with my spelling difficulties.
Marsinval will never be the same again. I have unsuccessfully tried to call you a couple of
times on your Paris number. Let me know if I can do
anything for you. Christian"

 

07.10.03   Il est gentil l'ange Heurtebise mais avec la pluie qui tombe à la fenêtre, par les avenues, quitte à voir se pointer un ange, je préfère l'ange Heurtebisou (à mon cou).   Les grands boulevards et le service à café du Café Zéphyr où les tasses ne sont pas de la même couleur que les soucoupes, c'est si bon de s'y réfugier quand il pleut dehors à verse, c'est comme glisser ses mains sous le pull de la fille qu'on aime ; j'ai déjà les mains, c'est un bon début. Au Louvre il y a le Saint-Sébastien de Mantegna avec sa vitre de protection au cas où quelqu'un lui cracherait dessus ; il a déjà bien assez de flèches comme ça mais il y a des acharnés vous savez ; la beauté se décline en visages, la première fois que j'ai vu X au même moment une cigarette incandescente tenue par un ami distrait me perforait la main, exercice de travaux pratiques à la phrase de François Truffaut : "C'est une joie et une souffrance." ; je marche sur les grands boulevards, dépasse le Café Zéphyr, je ne sais plus quelle direction prendre, celle des passages, celle d'un grand amour qui ne s'exauce pas ? Je suis perdu, je ne vais parler de ça la nuit à la tombée de personne ; je laisse faire c'est beaucoup demander.   

 

08.10.03   - Même de durée fragile, ou s'il faut feindre l'insouciance pour que ça dure le plus longtemps possible, bref... je sais c'est compliqué et c'est tragique mais... même de durée fragile rien n'égale le bonheur que l'on a à aimer de manière délibérée quelqu'un qui nous fait la grâce de nous aimer en retour. Rien n'égale ça. - Il faut que tu dormes Jérôme, me dit Céline. On va te trouver une fille, la plus douce et la plus douée du monde pour te faire dormir ; en attendant il faut que tu entres dans une parapharmacie, et tu demandes de la lavande Vera...- Comme Vera Clouzot ? - En huiles essentielles. Un flacon de lavande Vera c'est radical pour dormir. - Hum...et tu en mets où ? - Tu en mets là, et tu fais ça. Je regarde un instant par dessus l'épaule de Céline, la table derrière nous, la nuque incroyable d'une jeune asiatique, cheveux noirs de fusain, poignets d'une finesse éblouissante, gestes etudiés (que j'étudie), et l'instant d'après elle a passé une écharpe, alors je pense que l'écharpe est l'ennemie des cous, des nuques, et le foulard aussi. - Il faut que tu manges Jérôme, me dit Töve. Quand on est malheureux il faut manger ce que nos parents nous faisaient quand on était petits. Des boulettes de viande, de la purée de pommes de terre avec de la confiture d'airelles et de la sauce marron. - Ah, dis-je, tu étais petite au self-service d'Ikéa ? - Non, c'était à Höganäs ! - Je connais, c'est chouette comme enfance, c'est le pays des glaces ! - Non, pas Hägeen-Däas ! Höganäs ! - Ce que je veux dire c'est qu'il fait froid là-bas en Suède, c'est le pays des glaces. - Tu fais la cuisine Jérôme ? Qu'est-ce que tu as à manger chez toi ? Qui s'occupe de toi ? - J'ai deux boîtes de crème d'asperges Campbell's. C'est un peu salé. - Mais c'est très bon la crème d'asperges !! C'est nourrissant ! Nous on avait ça à la crèche, en pique-nique. - Vous partiez déjà en pique-nique à la crèche ? C'est une éducation audacieuse, à la dure ! Pour François Truffaut les enfants ont la peau dure, et les adultes la peau douce. - En tout cas la soupe ça rappelle l'enfance, c'est très bien Jérôme. - Oui, on dit : mange ta soupe ! Pour grandir. Et puis on voit ce que ça donne. (Je repose ma coupe de champagne) - Je suis complètement pompette pardon, je n'ai pas l'habitude de boire. Une coupe et ça me coupe les jambes. - C'est un défaut de ne pas boire, me répond Töve, parce que ça veut dire que tu as peur de perdre le contrôle. - Je trouve que les filles qui ont besoin de boire pour embrasser des types ne devraient même pas se faire embrasser. C'est un acte volontaire le bisou, heurté et volontaire, qui signifie quelque chose ; comme l'ange Heurtebisou. On n'appelle pas l'ange Heurterbisou pour rien. Alors je ne te dis même pas ce que je pense des types qui boivent... - C'est parce que tu as peur de perdre le contrôle... - Mais écoute voyons, si moi je perds le contrôle, où on va aller, où on va atterrir ? Je ne peux pas perdre le contrôle. - Est-ce que tu sais faire la soupe aux potirons ? - Oui oui. Et Oui Oui est le meilleur ami de Potiron. Mais tu sais c'est ça le secret, il faut avancer le coeur au bord des lèvres, et peu importe la durée, même s'il faut se battre c'est difficile, rien n'égale le bonheur d'aimer de manière volontaire quelqu'un qui nous fait la grâce de nous aimer en retour. C'est ça le secret. Et c'est pour ça qu'il faut que je garde le contrôle."   

 

09.10.03   Hier il y avait le Kinopanorama, et le pot de Tarama Marks and Spencer avec ce pain très noir qu'on partageait à plusieurs dans une chambre de bonne du boulevard Raspail aux murs tapissés de photos de cinéma de Nastassja Kinsky dans Tess, La féline, Harem et Maria's lovers ; Hier il y avait les nuits dévorantes au vert des étales des marchés et nous protégés dans les rouges des banquettes et fumées du café Mouffetard à l'angle des rues Mouffetard et de L'arbalète, les brioches faites maison souvenez-vous par la patronne pas facile du tout, cyclothimique comme disent les savants, les brioches j'en avais fait l'hostie de la religion de ces années-là ; Hier il y avait mille attentes folles de quelqu'une, j'arrivais toujours en avance, le vent faisait trembler ce corps réduit au coeur qui bat ; Elle me disait je crois que parce que tu m'aimes je m'aime mieux, et aujourd'hui je pense à ça parce qu'on parlait d'un type avec Jean-Vic, et Jean-Vic me dit que ce type est incapable d'aimer ; mais s'il y a des gens incapables d'aimer, il y en a peut-être, dont nous sommes, coupables d'aimer trop ; Hier il y avait le Kinopanorama bondé à ravir le soir, désert à enfouir ma tête dans vos bras l'après-midi, c'était toujours des séances à l'improviste souvenez-vous qui que vous fûtes et soyez maintenant, au présent ; Hier il y avait nos bouches folles prêtes à s'engloutir plus vite que la nuit qui comme un drap nous couvrait et couvrait notre fuite ; Aujourd'hui tout est à refaire, tout le temps, à construire, toujours, à inventer pour réinventer de nouveaux repères si fragiles, avec ce que la ville nous donne à jouer, et auxquels il faut se tenir autant qu'ils nous vont comme un charme. Parce que le temps passe si vite. Il y avait le Kinopanorama de la Motte-Piquet et le Marks and Spencer du boulevard Haussmann, et les cafés qui ne sont plus ; Et vous que j'aimerais demain où en êtes-vous aujourd'hui ? Vous que j'aimerai plus que tout quand tout passe si vite. Pour l'amour fou qu'en dites-vous ? N'est-ce que châteaux de sable ?   

 

12.10.03   On a traversé une partie de la ville, et on se retrouve vers quatre heures du matin dans un café de nuit, fonctionnel, à Odéon. Samuel me dit avec un sourire tendre que j'ai de plus en plus la tête de Boris Vian. Comme ça a l'air, c'est qu'on a laissé les filles rive-droite, derrière les ponts en accent circonflexe du Canal Saint-Martin, éméchées dans leurs mèches, éteintes peut-être. Ada qui me confiait qu'elle doit son prénom au roman de Nabokov (qui est un de mes grands trucs), sauf qu'elle a lu Ada ou l'ardeur à 14 ans et qu'elle était horrifiée de toutes ces choses auxquelles se livre l'héroïne nabokovienne à cet âge. Dommage. Florence : dont Damien est dingue (pour de bonnes raisons), il aurait fallut la filmer en plan rapproché, le climax avait lieu entre la délicatesse des poignets et la masse savante des cheveux qui tombaient sur sa nuque ; Damien aurait souhaité que quelqu'un fasse les présentations, et moi simplement lui soulever les cheveux comme des rideaux de théâtre ou les pans plus humides d'une cascade ; mais proximité du canal sans doute, c'est tombé à l'eau. Je rencontre Clémentine pour la première fois. Dehors, à un moment, elle a enfourché son vélo, je suis à côté d'elle et il y a un type un peu lourdingue - ça n'échappe pas à Samuel - qui essaye de la draguer et lui parle d'une histoire de casque de vélo, pourquoi pas de la pompe pendant qu'on y est, et Clémentine est d'une force rare, il y a ce moment où elle répond assez durement au type, au commencement, où elle ne se laisse pas faire, génialement, et puis elle comprend que le type est assez décontenancé par cette force inédite, il doit supposer qu'aucune fille n'est en mesure de lui résister avec sa petite gueule de samedi soir, et là donc il s'effraie poliment de la sécheresse de Clémentine, il est blessé, terrorisé par ses propres audaces et elle s'en aperçoit tout de suite, tout de suite elle se réadapte à la faiblesse assumée du type, immédiatement elle varie l'intensité du dialogue, l'entraîne sur des pentes plus douces, désamorce les épis de la langue ; elle comprend ce qui se passe, elle modifie à volonté l'ampleur des choses, elle domine le monde, et elle rentre à vélo par la gare d'Austerlitz.   Chantons sous la pluie, Il était une fois dans l'Ouest, et La sirène du Mississippi étaient les trois films favoris de mon papa. Je n'ai pas eu le temps de gagner de l'argent, je veux dire de gagner assez d'argent pour lui acheter un gigantesque écran plat, plasma, lcd etc. Quand on allait à la FNAC il pouvait rester un long moment fasciné par la technologie nouvelle, toujours en avant, des téléviseurs et des magnétoscopes (il n'aura pas compris les DVD, trop compliqué le système de menus, et trop d'attente). Depuis le mois d'avril je me disais que ça allait être possible, que je pourrais être en mesure financière de le faire pour Noël, rapporter un téléviseur incroyable sous le bras. Ce sont des bêtises mais ça sert bien pour faire plaisir, les trucs matériels quand même, ça véhicule d'autres choses.Moi, vous savez, il y a des gens pour qui je ramènerai le magasin de jouets entier à la maison, si je pouvais.   Je me souviens j'arpentais tremblant le long couloir à l'hôpital service des réanimations et quand j'arrivais ma maman qui dit à l'infirmière, par précaution : vous savez c'est mon fils, il est très sensible ; la mort de mon père reste toujours un peu abstraite, parce que ces derniers mois à l'hôpital je le voyais une fois par semaine - les voisins qui ont toujours une opinion à décocher ont dû penser à voix haute que j'étais un fils bien indigne - donc là je m'attends toujours à le voir au milieu ou en fin de semaine ; je ne réalise pas encore ; il y a cette coïncidence que le petit couple - adorable - du magasin de journaux où je lui achetais chaque semaine des magazines de mots croisés a pris sa retraite et vient de fermer boutique, la boutique est en désaffection, la même semaine que la mort de mon papa - formule qui plus je l'écrit, jamais ne me persuade ; peut-être le mot de Christian, la lettre de Catherine, et Marine longuement au téléphone l'autre soir m'ont plongé dans des larmes que tout mon être réclamait depuis deux semaines, et maintenant ça vient un peu plus normalement, bien qu'un halo d'incrédulité persiste toujours sur la crudité implacable des faits.   Donc, nous sommes vers les quatre heures du matin dans un café ouvert d'Odéon - oui , on est revenu à pieds rive-gauche, il faut bien donner un peu de matière à ses contempteurs et puis surtout c'est là où je me sens le mieux, et en ce moment je ne dis pas non au moindre repère alors voilà - et Florence dites-moi, qui plaisait tant à Damien, hé bien elle est rentrée toute seule quel gâchis, dans un très beau manteau d'hiver, oui c'est rude, et signe avant coureur de la saison peut-être. Et nous d'Odéon avec Jean-Vic, hé bien on repart à pieds vers Auteuil, il est quoi cinq heures du matin, et si on oublie qu'on était samedi soir les accidents de vomi et les bouteilles brisées qui jonchent les rues vous le rappellent, mais on s'en fout on passe entre les graves, on n'en finit pas de refaire le monde, Jean-Vic cite Godard : "Il y a une vingtaine d'années on disait : Plus jamais ça. Et aujourd'hui on dit : C'est déjà ça." c'est-à-dire que tout le monde, toute la société, entame des compromis avec l'inacceptable ; et on n'en finit pas non plus de gagner au nombre de pas sentimentaux sur cette ville en bonne voie de fantômisation complète, avec toutes ces désaffections quotidiennes vous savez, ces violences. Et puis aussi : de l'amour fou ou des cheveux des filles cet automne, on aura fait que souffler sur des mèches.   

 

15.10.03   Je devais aller voir l'exposition Cocteau avec elle, mais ça ne s'est pas fait aujourd'hui ; ça ne s'est pas fait, c'est tout ; parfois, vous savez, on a l'impression d'agir sur la journée, d'avoir un empire sur les choses, on se dit qu'on pourrait dominer le monde et rentrer à vélo par la gare d'Austerlitz ; et parfois non, les choses ne se font pas, ou plus exactement elles dérivent jusqu'à ne pas se faire ; et aujourd'hui j'étais comme un enfant qui a attendu Noël depuis des semaines, et qui s'est fait un nid dans l'histoire de cette impatience, et qu'importe ce qui peut arriver, qu'importe les contrariétés et les fatigues qui peuvent vous accabler et vous tomber dessus, Noël arrive ; et puis dans l'histoire d'aujourd'hui, tout d'un coup, l'enfant s'aperçoit qu'on est le 26 ; qu'on est passé directement du 24 au soir au 26 ; qu'il n'y a pas eu de 25 ; qu'il y a comme une trappe dans le calendrier ; une trappe personnelle parce que tout le monde autour a l'air de trouver ça normal, et tout le monde continue à rentrer chez soi comme si de rien n'était, repu de sa journée. Oh emmène moi ! Je sais que tu seras partie quand l'allumette sera finie ; partie comme le poêle chaud, la délicieuse oie rôtie, et le grand arbre de Noël béni !  

 

17.10.03   Pierre me téléphone dans les embouteillages : - Ma maman m'a dit tout à l'heure une phrase de Baudelaire et j'ai pensé que cette phrase te plairait. Baudelaire répond à un type qui le vilipende, un sale type qui lui cherche des noises, il lui répond ceci : "Apprenez Monsieur, que depuis que j'ai 12 ans, il y a une seule chose que je sache faire, c'est une phrase !"   Pour les trois concerts de suite à Paris, début novembre : répétitions ferventes et enthousiastes à Malakoff. Je n'avais jamais été aussi heureux de travailler cette musique, cette envie de dire en musique, avant que Mathieu ne nous rejoigne. Tout est plus facile depuis que Mathieu est là. Le set raconte des choses plutôt tristes, des morceaux comme Ton visage c'est mon pays, ou La convalescence d'un baiser sont vecteurs de beaucoup d'émotion, alors il va falloir que je fasse le pitre un peu entre les chansons pour dédramatiser certainement, mais tout est plus radieux cependant, tout prend plus de sens, depuis que Mathieu est là.   Set-list des concerts et de l'enregistrement du disque live les 12, 13 et 14 novembre à Paris, au House of live :   J'ai cru bon de tenir à vous. La pornographie. Juillet odéon. Piqué par la groseille verte. L'orgie. Sylvie et son lapin. La chaîne du froid. Genoux, hiboux, cailloux. La convalescence d'un baiser. Ton visage c'est mon pays. Paris m'as-tu-vu. Le jeune homme changé en arbre. A côté d'aujourd'hui.   Station Sèvres-Babylone, toutes les affiches sur le quai du métro sont celles de l'exposition Cocteau. Il y a comme une unanimité dans l'air et dans la ville (pour que ça se fasse).   

 

18.10.03   Vous étiez encore et de loin votre meilleur sujet de conversation.  Vous m'avez trouvé triste, je n'ai pas dit un mot, Un merci quand la serveuse a apporté de l'eau, Vous m'avez dit pensif, amaigri et distant,   C'est le froid qui persiste, attendez un instant Que je ferme la fenêtre.   Vous m'avez trouvé triste, vous parliez sans arrêt De vos amours d'un soir, de vos projets superbes Vous avez dit : vos mains sont des arbres en forêt Elles doivent en contenter des seins, vous avez dit le verbe : Baiser, Pour tirer une rougeur bienvenue sur ma joue, Il fait si froid dehors, qu'il s'en jette entre nous.   On parle de faux-amis dans la langue française Pourquoi n'y aurait-il pas de faux amours non plus Dans ces confrontations subtiles jusqu'au malaise Je laisse en eaux dormantes tous vos sous-entendus.   Je vous reconnais bien, je ne sais plus rien de vous, J'apprends de votre bouche que je ne retiendrai pas Vos histoires de coucheries sont à dormir debout Vos lèvres dans ma vie ont perdu leur éclat.   Vous avez bien fait de ne pas me poser de questions, Si j'aime toujours perdre du temps dans les cafés, lire Lautréamont ? J'aurais répondu oui. Un oui et deux fois non. Oui pour les cafés, non pour perdre son temps, non pour Lautréamont.   Et j'aurais pu vous dire : Je connais bien l'amour Dont vous parlez si fort avec exaltation, Mais ce n'est pas le mien, le mien parle tout bas, Il n'est qu'hésitations, Pas remise de prix mais remise en questions Je cherche encore la fille qui vaille qu'on l'adore Si je me décourage, c'est elle qui me trouvera.   Vous m'avez trouvé triste, et vous brûliez d'envie, De me montrer que vous étiez devenue quelqu'un - Sans moi - Ca je l'ai toujours su, lâchez-moi donc la main, Le temps n'a plus besoin contre lui qu'on s'allie.   Vous m'avez trouvé triste, mais vous aviez à faire : Partie de badminton ? Partie de jambes en l'air ? Un dîner très bientôt vous avez une amie Qui comiquement dites-vous pour moi donnerait sa vie.   En partant j'ai failli vous dire comme autrefois Qu'il faut ne pas s'en faire, et redoubler d'efforts. Après le badminton, couvrez-vous, il fait froid. Vous m'avez trouvé triste, je m'en étonne encore.   

 

23.10.01   Usage courant de la littérature russe : plus les livres dans lesquels on se réfugie sont épais, plus le chagrin qu'on trimballe croit s'y dissimuler.   Cyrille qui a vécu toute sa vie à la campagne, dans une petite bourgade de lointaine banlieue, et qui loge depuis deux ans rue de Ménilmontant à Paris me dit, après que nous nous soyons vus sur les Champs-Élysées : - Je déteste ce quartier, je déteste la ligne 1. Je ne m'y sens pas bien du tout. Tous ces branleurs agglutinés ! J'étais tellement content de reprendre la ligne 11, je scrutais les gens dans ma rame de métro et j'étais content, vraiment je me sentais chez moi, dans mon quartier. - Ca y'est, lui dis-je, tu es un vrai parisien !"   ----------   Cafés, Paris, Alternatives, vous dès demain.  Café du Vieux-Colombier, Café des trois colombes, Columbarium de la Garenne-Colombes. Café de la Mairie, Café de l'arrimée, Petit-Suissidaire. Café noisette, cheveux noirs, seins glin-glin, cul-de sac. - Voulez vous me retrouver ici même dès demain à telle heure ?" - Je n'ai plus de monnaie mais j'aime bien le principe, Rendez-moi donc mes yeux, là, dans votre poche, Laissez-moi y fourrer ma main, là, voilà, comme ça, rendez-moi mes yeux verts, En passant comme une monnaie d'appoint je les jette aux poissons Rouges, flip-flop dans l'aquarium, Comme vous ils n'en ont fait qu'une bouchée.   ------------   On ne peut pas dire à une fille : votre arrivée est toujours un événement, une apparition, une faille ouverte dans le brouillon des journées, une mécanique à édredons, un tableau de Paolo Uccello qu'on emporterait bien sous le bras (malgré ses dimensions), une vague de douceur arraisonnée à un soupir, on ne peut pas dire à une fille votre arrivée est toujours une apparition parce qu'évidemment elle se sauve en courant. Et son fantôme s'appelle : solitude.  25.10.03   Mais si on ne peut pas le dire à une fille, rien n'empêche de le penser. Ou de le dire à d'autres.   26.10.03   Il y a des événements qui créent l'instant Des mouvements qui créent des individualités Des atmosphères qui créent des rapprochements Et des gestes pleins d'éternité.   

 

27.10.03   Café du Vieux Colombier, Paris sixième.   - Ô que je suis malheureux. - Tu es chanteur putain ! Si c'est pas pour avoir dix filles envisageables en même temps, ça sert à quoi d'être chanteur ? - Le problème c'est qu'il y en a beaucoup des filles dans les bras desquelles on pourrait s'endormir...mais souvent, il n'y en a qu'une à côté de laquelle on aimerait se réveiller. - Oui bien si elle te prend pas, elles te trouveront ! De toute façon, avec le temps tu vas te décourager c'est tant mieux, tu vas redevenir comme avant, plus détaché c'est certain : la musique c'est cyclique. Tu dors mieux au moins ?- A peine. - J'ai lu un truc génial l'autre jour, un remède pour dormir, je sais plus où j'ai lu ça, qui s'appelle la lavande Vera. - Comme Vera Nabokov ? - C'est en huiles essentielles, et tu en mets là et là, et tu frottes comme ça c'est essentiel, et tu t'endors tout de suite. - En fait, tu sais, je n'ai jamais été détaché. Même...enfin jamais détaché. Parfois je suis comme un enfant dont les yeux s'effaceraient progressivement, un enfant perdu en forêt et qui cherche son chemin mais ce n'est ni la nuit qui tombe ni la forêt qui s'obscurcit mais les yeux qui s'effacent de la surface du visage. C'est comme avec les émotions. Sauf que là c'est une émotion extrême. A la première émotion l'oeil devient un sable mouvant, le visage se referme sur l'oeil comme des sables. Le problème c'est que j'adore cette fille. Ce serait mieux peut-être de se détacher, mais en même temps quel carnage parce que je suis certain que ça marcherait du tonnerre entre nous, et j'ai toujours envie d'écouter ce qu'elle a à me raconter, comme si elle revenait d'une longue Odyssée, ou même d'un rien, enfin je suis certain qu'on serait tellement bien ensemble, je veux dire ça rétablirait le monde ; je crois qu'il faut qu'elle m'embrasse - souvent - pour rétablir le monde. - C'est un projet ambitieux. - Oh, tu sais, tous les jours le monde a besoin d'être rétabli. - Fixe lui un rendez-vous. Un rendez-vous c'est radical parfois. Moi, tu te souviens de cette fille de l'été... - Oui, l'été 2003. Bien tragique. - Oui cette fille de l'été 2003. Elle m'a fait souffrir la conne, hé bien je l'ai revue figure-toi, et plus rien, on était tous les deux dans un bar de Pigalle, elle mangeait sa salade à la con, elle parlait de son boulot plus important que tout le reste, elles sont désaxées les filles aujourd'hui ou quoi, c'est le boulot qu'y est plus important que le reste, pour une histoire d'amour elles cherchent un créneau dans leur agenda, pour le moindre petit flirt il faut s'y prendre trois mois à l'avance c'est n'importe quoi bref je me suis rendu compte qu'on avait rien à voir ensemble, parfois la réalité te gifle en plein jour et la seconde d'après tu t'aperçois que tu t'étais planté sur toute la ligne. - Oui. On aime éperdument, et pas plus que ça. - C'est dur ce que tu dis, mais c'est juste. Du jour au lendemain plus rien, le néant total - je parle d'elle - crois-moi un rendez-vous c'est parfois un bon électrochoc. Surtout que des filles y en a d'autres, c'est le principe des filles, y en a toujours d'autres. Et celles qui font la fine bouche regretteront par la suite les jours heureux où elles se faisaient draguer par des types smart comme nous. Elles regretteront les types smart et finiront avec des cons qui roulent en Smart. Dis-moi Jérôme, toi qui sais les choses, les filles elles sont mieux en hiver ou en été ? - Quand il fait froid, elles ont toutes un nez rouge dans la rue, ça situe le débat. - Essaye mon truc du rendez-vous. Tu y vas de manière complètement détachée. Tu peux ressortir en te disant que ça mène à rien, et être guéri d'un trait, ou alors tu te perds de plus belle (à toi-même et pour les autres), tu te dis que t'es prêt à attendre encore et que tu feras tout ce qui est en ton possible (c'est-à-dire beaucoup plus que ce qui est possible je sais) pour conquérir cette fille que tu adores. - Oui, tu as parfaitement raison : un rendez-vous c'est comme une forêt.- Ouais. Mais encore ? - Hé bien c'est exactement ce que tu as dit, c'est une forêt des possibles, tu peux être prêt à reculer, à revenir sur tes pas, à te perdre en chemin ou bien à t'enfoncer encore plus dans l'histoire. Un rendez-vous c'est comme une forêt. Et ce qui est bien c'est qu'on peut même donner des rendez-vous en forêt. Je veux dire les gens qui habitent Fontainebleau, Saint-Germain-en-Laye ou Louveciennes connaissent les pièges et les brouillards, les profondeurs comme les clairières de l'amour. Et ça vaut aussi pour les aventures d'une nuit. Il y aura toujours autour du lit des amants, de leurs constructions patientes ou de leurs aventures d'une nuit, des forêts, des possibles."   

 

28.10.03   Expérience de la forêt (1) :   Retrouver les arbres d'une forêt sans visages. Il y a ce moment, où il faudra savoir se replier hors des sombres préoccupations et des blessantes espérances d'un amour qui ne s'exauce pas et nous laisse exsangue, en marge des devoirs, trop fragile pour supporter les chants inexorables des voitures et l'empilement des heures sur l'autoroute de l'ouest, et les jours de vacances massives au sud. Quitter la peau d'une immensité qui mendiait un phare, une attache, un droit d'arraisonner même sans raison je veux dire au delà du raisonnable - un visa un visage - avant de se changer en arbre au bord de la vie de quelqu'un il faut savoir reculer, rebrousser chemin même si le parcours a paru léger, précis souvent, périlleux parfois, malgré l'espérance de son pull sa décision sa clairière, le chemin du retour se charge de piques, d'échardes, de pointes blessantes, et de quel côté l'on cherche à s'enfuir cela blesse, le chasseur d'hier devient le cerf d'aujourd'hui, il devient la proie d'un passé qui s'estompe, dont les traces se réduiront en cendres au feu des joues des prochains amours ; c'est ça la véritable inversion de la forêt mon amour, le chasseur d'hier devient le cerf d'aujourd'hui, il n'y a pas de plus haute inversion, c'est triste mais c'est comme ça de tout temps et de toute solitude je n'ai rien à redire même si jamais cela ne me satisfait ; il faut savoir reculer à temps, les clairières se déplacent toujours dans les forêts de la vie, des forêts (de) possibles se créent à chaque pas que l'on fait, elles sont en perpétuel mouvement, elles comblent les yeux de bonheur avant de s'échapper ; s'il me faut reculer de quelques pas puisque rien ne lie nos bouches, reprendre un chemin sans joie parmi la meute, admettre l'existence des couteaux et des brumes - je voulais rétablir le monde en vous embrassant, je comprends que les informations, le journal parlé, soient si dégueulasses aujourd'hui, le monde sans expérience de nos vies mêlées, sanglées l'une à l'autre, mes mains se déssèchent, des branches mortes, et mes yeux abîmés de ne pas vous voir autant que mon coeur le souhaite s'effacent progressivement de la conscience de mon visage. Où que le désir me porte à présent, si je trouve une Antigone à l'encan je lui parlerai d'une guerre métaphorique qui m'a laissé pour mort du moins pour porté disparu quand vous buvez votre café.   Jusqu'au prochain amour. Jusqu'au prochain amour qui emportera tout et balaiera jusqu'à vos traces qui aujourd'hui encore ont frappé chaque seconde, chaque seconde plus que tout, oui jusqu'au prochain amour mon amour, une clairière de cheveux qui joue en ce moment à cache-cache avec moi, un jeu subtil d'éclaircies et de souffles un peu faibles, il m'en faudra du courage, de la lâcheté envers moi-même aussi, de l'ironie, du désespoir et de l'orgueil, toute une belle boîte de crayons de couleurs Caran d'aches comme autrefois comme toujours, et du désir pour l'ordinaire, et de la passion pour les foules, pour retrouver les arbres d'une forêt sans visages. Sans l'espoir de ton visage pour clairière.   

 

29.10.03   L'écharpe romantique.  

Quittant Mathieu, je remonte le boulevard Saint-Michel, et croise trois gourdes dont l'une dit à l'attention de ses deux amies, me désignant : - Ouah l'écharpe romantique qu'il a ! - Hé bien oui, dis-je les effrayant un peu, cette écharpe romantique c'est la mienne !"   

 

30.10.03   Expérience de la forêt (2) : usage et résurgence.   Marchant dans la forêt j'ai perdu mes gants aux doigts multicolores, j'ai perdu mes idées de l'instant qui sont allés vers l'arrière (de l'instant), j'ai perdu mon écharpe qui donnait cet air romantique à faire pouffer de rire les petites greluches sans gêne du boulevard, j'ai perdu ma fantaisie et mes noirceurs, mes lectures et mes sourires en fin de phrases, mes lettres d'amour ou d'amitiés reçues depuis des années mais pas conservées aussi religieusement que j'eusse pensé le faire au moment où je les aies lues, j'ai perdu mes mains qui sont allées prêter secours à l'inconscient - s'il faut pour survivre que je déblaye ma tête de vos douceurs comme d'une neige assassine - j'ai perdu la protection et le dévouement des filles si fragiles qu'un éternuement les fait disparaître de la surface du globe, j'ai perdu l'orgueil de croire que je gagnerai à la fin malgré les crasses ou la nullité affligeante de ceux qui chaque jour vous déçoivent, trahissent votre attachement par des actes de merde et des positions exécrables, entament votre confiance en la vie qui est déjà si friable, et en chemin j'ai perdu l'habileté de percer à jour les visages et de masquer d'un trait d'esprit le soucis que j'ai de vos maladies tièdes, en chemin j'ai perdu mon chemin - même en revenant en arrière on avance, c'est terrible - j'ai perdu le Paddington bear que m'avait rapporté d'un voyage en Angleterre la première fille dont je suis tombé amoureux, j'ai perdu la carte postale de la Librairie du Pont traversé 62 rue de Vaugirard que m'a envoyé mon ami Robert Saucier peu avant que vous ne m'envoyiez de vos voyages au bout du monde la carte postale du Pont de Brooklyn dont j'ai fait un poème ici même et le prochain type qui tombera amoureux de vous je lui souhaite 1/ bien du courage et 2/ bien du plaisir pour vous écrire des choses aussi belles et définitives mais bon je dis ça avec le sourire bien sûr, vous savez, je comprends que c'est peu de valeur quand on n'a pas la maladie d'y en mettre ; et dans cette forêt aux cimes battantes - comme des pluies, des virgules - j'ai perdu en chemin ma raison, mais jamais les raisons que j'ai de vous aimer.     

 

31.10.03   Musique. Sortir de la forêt pour aller répéter des chansons qui ramènent en forêt. Mauvais calcul mais classe intégrale.   La banlieue c'est mon papa, quand je marche dans ces rues vides bordées de pavillons au coeur des après-midis d'automne où le froid de la nuit tombe plus vite que l'année dernière, il y a une banlieue de mon enfance qui est celle de mon papa, de la sortie des écoles à l'appartement de la rue Cambon, les trains électriques qui font leur petit tour dans la vitrine du magasin de jouets et singent en miniature ceux des grands qui partent vers Saint-Lazare ; les ouvriers en blouse bleue sortaient de l'usine en même temps que moi de l'école, et à l'anniversaire de la petite Caroline j'avais appris l'expression tenir la chandelle, parce qu'évidemment je n'étais sorti avec aucune fille, déjà à l'époque j'attendais toujours que les filles m'embrassent en premier, timide comme un fond de broc d'eau parce que la règle était que celui qui finissait le broc dût se lever pour aller le remplir et donc traverser la cantine devant tout le monde, et puis je préférais qu'elles m'embrassent en premier, je crois que c'est ça le bonheur, alors bon pour mon malheur évidemment y avait toujours des types plus dégourdis qui allaient les embrasser avant qu'elles ne m'embrassent, ô ne soyez pas triste pour moi l'avenir montre que les plus étourdissantes sont souvent les plus motivées, David au téléphone hier était particulièrement remonté contre les filles, il m'a soutenu que la plupart d'entre elles finissaient avec des cons parce que ça les rassurait, comme ça elles n'avaient pas besoin d'être à la hauteur...ah pauvre David, les filles sont si difficiles aujourd'hui, on dirait des pistes de ski, et la banlieue vous savez c'est mon papa, les photos de Robert Doisneau, la douceur des boulangeries et des marchés, des Codec et des Coop, les prénoms fantastiques des enfants d'immigrés qui étaient mes copains soudés comme jamais puis dessoudés par le destin comme c'est triste : Antonio, Djibril, Arthur, José, Amin, mon papa avait emmené au salon du Bourget toute notre tribu du cours élémentaire André Marceau, on avait fait le baptême de l'air en hélicoptère et j'étais le seul à avoir vomi comme c'est pas possible, pauvre enfant pâle aux yeux verts, l'estomac chamboulé d'un rien, et mon papa aimait beaucoup le papa camerounais d'Arthur parce qu'il avait vécu à Douala pour son métier d'aviateur, et aussi à Tahiti, et moi franchement je n'étais pas né pour connaître mon papa de Tahiti ou mon papa du Cameroun ni même celui des Etats-Unis, je n'ai connu que mon papa des banlieues parisiennes qui venait me chercher chez ma grand-mère où j'atterrissais le soir après l'école et qui me ramenait à la maison après les dessins animés de dix-huit heures ; mon papa des banlieues parisiennes qui avec tout le monde et avec moi le premier était plus gentil que tout.  

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