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L'amour en fuite. La chaleur écrasante. J'ai pris un café en terrasse du Petit-Suisse, face aux jardins du Luxembourg, entre deux touristes qui suaient sur une omelette baveuse. Puis suis allé à la boutique d'affiches, de revues et de livres, qui jouxte le cinéma de la rue Hautefeuille pour voir s'ils avaient l'affiche de la rétrospective "Les aventures d'Antoine Doinel" qui va avoir lieu au MK2 cet automne. 

Cette nuit - si je renonce à sortir, et puisqu'il fait beaucoup trop chaud pour dormir - je regarderai pour la énième fois Antoine et Colette, et Baisers volés; cela donnera sans mal une meilleure idée de l'amour que la fenêtre ouverte sur la cour emplie des râles nocturnes, mornes et espacés, provenant de l'appartement d'une voisine occupée à jouir mollement des petits coups sommaires et sans génie qu'un type choisi parmi les prétendants furieux du samedi soir lui assène distraitement en essayant de concentrer ses pensées sur un carré de chair plutôt que sur le rêve obsédant d'une bouteille de soda frais.

  

26.08.01 

  

Un coeur défiguré plus que ne pourrait l'être un visage. 

  

Christophe me signale très prosaïquement que d'après la biographie de François Truffaut écrite par Serge Toubiana les relations entre Godard et l'auteur de L'amour en fuite s'étaient sérieusement envenimées. "Je cite de mémoire, Truffaut écrit dans une lettre à Godard qu'il le considère comme une merde. C'est très violent, sur la fin." Il n'empêche que Godard, à la mort de François Truffaut, dit - et s'en inquiète, que dorénavant, il n'y aura plus personne pour le défendre. 

Dans les années 90, j'ai tenu pendant un an mon Journal Intime par téléphone - histoire de divertir les supports, c'est-à-dire que j'ai enregistré la totalité de mes conversations téléphoniques - amicales ou amoureuses - je suis retombé dernièrement sur les K7 et en ai écouté quelques bribes, surpris jusqu'au dégoût par ma propre voix d'alors, jouée, très post-adolescente, modèle Hippolyte Girardot dans Un monde sans pitié. La beauté par contre de voix d'amantes ou d'amis qui depuis ont disparu de ma circulation, et la façon incroyable, intolérable avec laquelle je me comportais, insolent et obstiné, orgueilleux et injuste, avec une exigence hautaine et déplorable dont j'étais déjà conscient mais contre laquelle je ne pouvais pas lutter, qui ne laissait pas de chance, aucune, et qui me faisais rompre instantanément avec un amour ou un ami pour une parole de travers, une attitude jugée décevante, comme si la fin du monde en eût été précipitée. Christian me téléphone de Londres au moment où je retrouve les K7. Comme j'ai des séquences enregistrées avec lui, je lui en fait part, et il me demande si à l'époque j'étais déjà de bon conseil en affaires amoureuses. Je lui dis que non, qu'à l'époque j'étais incroyablement romantique. 

- Ah oui, se souvient-il spontanément, qu'est-ce que tu étais chiant!" 

Hier soir X proposait qu'on se retrouve au cinéma en plein air, à La Villette; bien que j'avais dans l'idée de ne plus me déplacer que dans le VIème arrondissement j'ai voulu en gage de bonne volonté faire une entorse au règlement, seulement me faisant une entorse, je n'étais plus en mesure de me déplacer. 

Je suis quand même, l'autre soir, allé dîner avec David dans son quartier de la Place Clichy (quartier qu'à chaque fois il s'époumone à faire passer pour un coin branché, un nouvel Oberkampf), au Bistrot des Dames, rue des Dames, parce qu'il est très amoureux de la serveuse et comme tout bon lecteur de mon Journal il mesure toute la difficulté qu'il y a à draguer une serveuse (voir chapitre 1 ); il souhaitait également connaître mon opinion sur cette fille - voilà à quoi les garçons quand ils se retrouvent, occupent leurs soirées. Il me la décrit comme une fille "que tu vas adorer, aux cheveux bruns coiffés comme une squaw". Comme dans 99% des cas où l'on m'assure à l'avance que telle fille ne peut que me plaire, je suis foncièrement déçu. David depuis qu'il est amoureux vient dîner deux fois par semaine au Bistrot des dames mais aucune complicité ne s'est créée entre la serveuse et lui, il faut dire qu'il est extraordinairement timide, attendri et peureux devant l'amour comme un enfant devant sa première maîtresse d'école, et elle extrêmement indifférente, occupée au va-et-vient pressé et incessant des commandes et des plats dans ce bistrot bondé en permanence. Après qu'elle nous ait apporté nos assiettes - filets de rascasse avec une sauce - David me dit comme s'il avait eu ne serait-ce qu'une fraction de seconde l'intention de tenter quelque chose: 

- C'est impossible de faire quoi que ce soit, elle est trop sur la réserve.

- Normal, dis-je, pour une squaw." 

J'ai reçu d'Emilie et d'Arnaud qui ont passé leurs vacances en Italie une charmante et parfaite carte postale à l'effigie de petits chevaux ailés d'un bige, Tarquinia (IVe - IIIe siècle avant J.C.) - le texte de la carte cligne de l'oeil à mon Journal dont Emilie et Arnaud sont de fervents lecteurs: "Cher Jérôme. Sous une chaleur de plomb, nous voilà dans un des hauts lieux de la littérature attalienne. Emilie termine l'opus durassien. Je souffle un peu et nous repartons pour une petite ballade en pédalo". Peu de temps après je reçois un coup de fil de Christophe qui me dit qu'il abandonne la lecture des Petits chevaux de Tarquinia, qu'au bout de dix pages il trouve ça nul, épouvantable, fatiguant, creux, j'en passe et des meilleurs. Par contre il a adoré Ethan Frome d'Edith Warthon que je lui ai conseillé; ce triste et sublime livre l'a profondément bouleversé et il me dit: "c'est un bouquin que je vais recommander au cas où je rencontre des gens qui lisent mais c'est pas demain la veille..." 

Il y a un moment où je suis arrivé au bout de Duras. Pas rassasié, ni fatigué, mais arrivé à la fin matérielle de Duras. J'avais épuisé le stock. En dernier: La pute de la côte normande, L'amant, Emily L. Et voilà, plus rien. A la fin de L'amant, j'ai pleuré. Il ne m'est arrivé que peu de fois de pleurer avec un livre, l'émotion est si facile à maîtriser, on peut la fragmenter comme une barre de chocolat, on a le temps de s'écarter du livre, de refuser les pleurs en y introduisant une autre durée, d'autres pensées, de la fatigue même. On ne nous met pas des oeillères sur le reste du monde comme au cinéma par exemple. Il est très rare pour moi de pleurer avec un livre, alors qu'au cinéma les larmes me viennent facilement, j'ai donc pleuré avec l'Amant et puis après il n'y avait plus qu'Emily L, et puis plus rien. J'avais tout lu, épuisé le stock. Cet été j'ai relu La maladie de la mort, parce que je ne pouvais faire autrement cet été que de relire La maladie de la mort, j'expliquerai pourquoi, un jour, et puis aussi Détruire dit-elle et Agatha, si beau Agatha, si violent combiné à ce que j'éprouvais dans ma vie intime au moment où je le lisais qu'il me tombait des mains, si beau cet amour absolu qu'il me tombait des mains, mains fines, blanches et picturales, de portrait classique, comme laissées trop longtemps sur la flamme d'une bougie, obligé de lâcher prise, à un moment. Après avoir lu mes premiers Duras: La vie matérielle, Le ravissement de Lol V Stein, Le vice-consul, La douleur, Le navire night, je me disais que je ne connaîtrais jamais plus un tel choc littéraire. Je me trompais. 

Avec Salinger aussi je me suis dit la même chose. Nine stories, Franny and Zooey. Bien sûr il y a Flaubert, Nabokov, Dostoïevski, qui sont eux: La littérature; surtout les deux premiers, la plus haute idée qu'on pourrait se faire de la littérature. Mais Salinger et Duras vont bien au-delà de la littérature, par-delà pour parler comme ce grand malade schizophrène qui se jetait au cou d'un cheval, pas à Tarquinia mais à Turin. Et bizarrement c'est ce que j'aime par dessus-tout chez Duras, cette particularité qui, de la même manière, m'ennuie prodigieusement chez Nietszche (prodigieusement, l'adverbe lui aurait plu; Nietszche, auquel je préfère de loin Schopenhauer et Cioran). Ce qui me bouleverse chez Duras et m'horripile prodigieusement chez Nietszche c'est bizarrement cette même particularité, cette constance: un manque total et obstiné d'humour. 

  

Auteuil. Toutes ces très jolies filles qui rentrent de vacances, exhibent leur bronzage, fières de parader comme des statues grecques ou des starlettes de music-hall, et devant toutes ses peaux cuites, lissées et bronzées par le soleil, je ne peux m'empêcher de penser à la phrase de Cioran: "La pâleur est la couleur que prend la pensée sur le visage humain". 

  

Nouveaux fragments d'un discours amoureux: tellement. tout. plus. plus que tout. les autres. pas. personne. autre. personne d'autre. plus que les autres. déjà. connaître. avant. jamais. ne plus (vivre, manger, dormir). mourir. aimer. aimer mourir. ne pas supporter. ne plus non plus. oublier sur commande. trahir. aimer. dériver. absolu. toi seule. toi. seule. 

  

Je suis chez X. Assis sur son lit. Bas. Il se trouve que X voyage dans la pièce d'à côté, elle est au téléphone, dialogue enthousiaste, à pas vifs, dans l'appartement. Elle revient précipitamment dans la chambre et me jette le combiné de l'appareil - comme on dégrafe puis se débarrasse d'une combinaison - entre les mains, blanches, voir plus haut. 

Déraisonnablement triomphante m'apparaît dans toute sa candeur l'expression de son visage. Il s'avère qu'à l'autre bout du fil il y a cette fille - très belle, envoûtante, que j'ai tant désiré, par une chaude soirée d'été, il y a de cela près de deux ans. Désirée déraisonnablement. A en mourir sur le champ (de Bataille), puis à en mourir à petit feu, dans le souvenir. A petit feu dans le souvenir c'est comme ça que ça se passe. Et que ça passe, finalement, le désir.

J'entends sa voix à l'autre bout du fil. Je balbutie quelques mots, la surprise l'emporte, je suis stupide comme un personnage de cartoon ou comme Frédéric Moreau en certaines situations, ce qui revient à peu près au même. A ce moment très précis, je me sens comme un enfant égaré dans les rayons d'un supermarché, abasourdi de colère et de larmes parce qu'il ne trouve plus ses parents. Hésitant dans ses larmes entre la colère et la tristesse d'être livré seul au monde, une goutte de chaque, il y a deux yeux après tout, comme c'est bien fait. 

La responsable de caisses du supermarché en blouse bleue n'est pas encore venue me prendre la main et passer une annonce dans le micro en forme de robinet: "le petit Jérôme à perdu ses parents et les attend à l'accueil". 

C'est terrible de voir ça, un enfant qui se retrouve seul, en larmes, au milieu de cette kermesse indifférente, submergé par la tristesse et la colère. Ca a à voir avec le Christ, directement, l'évangile selon Saint Matthieu: "Eli, Eli, lama sabachtani ? c'est-à-dire: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné?" 

  

27.08.01 

  

Valérie est un prénom qui m'ennuie. Elle était cependant fort jolie. Elle m'ordonnait au détour d'une conversation axée sur sa personne de lui faire l'amour avec les doigts. Elle adorait mes mains. Moi aussi. Ce qui nous faisait d'entrée un (bon) point commun. 

Sur ces bonnes dispositions j'obtempérais parce que j'adore jouer du piano sur un corps dénudé, en tirer d'insoupçonnées mélodies. Elle disait que comme ça, seulement avec les doigts, elle n'avait pas trop l'impression de tromper son copain, enfin que ce n'était pas pareil. Ce genre de salades ne dure pas bien longtemps, mais soit. Elle aimait son copain. Elle le trouvait gentil. 

Elle disait que j'étais le garçon le plus intelligent qu'elle eût jamais rencontré. Je n'en tirais aucune vanité particulière, 1/ parce que je ne suis pas particulièrement vaniteux, 2/ parce qu'en fait elle n'avait connu que très peu de garçons: un webmaster, un journaliste sportif spécialisé F1, et un jeune attaché de presse qui travaillait en freelance mais principalement pour la télé - elle avait d'ailleurs participé à une émission de grande écoute, quelque part dans le public. 

Elle jouait de la flûte traversière comme Marie Fuseseri qui était une fille en classes de quatrième et troisième avec moi. Sauf que dans le cas présent, elle ne s'appelait ni Marie Fuseseri, ni Valérie Fuseseri. 

Je crois qu'elle était triste. Je ne pouvais démêler si elle était triste pour se mettre dans un état permettant de jouer de la flûte traversière, ou bien parce que tout ce qu'elle savait dire de son copain c'est qu'il était gentil. Je n'aimais pas ses sous-vêtements. C'est à ça que j'ai pensé quand elle s'est déshabillée - et aussi qu'elle se déshabillait un peu comme je l'aurais fait, chez le médecin - si à cet instant elle avait pu lire dans mes pensées peut-être qu'elle ne m'aurait pas du tout trouvé intelligent. Mais elle était trop pressée, puis par la suite, trop occupée à se laisser ensevelir sous mes mains.

Marie Fuseseri, elle, jouait de la flûte traversière et imposait le respect dans notre classe parce que nous autres on jouait tous de la flûte à bec comme des cons. 

Elle était très jolie et s'habillait à la garçon. Quand j'ai écrit la chanson Sèvres-Babylone, je n'ai pas du tout pensé à Marie Fuseseri mais maintenant j'y pense: 

Les cheveux noirs l'allure garçonne

Elle me plaît elle me désarçonne

Et je l'embrasse sur les Sèvres

Sur les deux Sèvres-Babylone.

Marie Fuseseri avait une allure garçonne mais n'avait pas les cheveux noirs. Elle portait des chemises blanches de garçon assez mouvantes et déboutonnées pour laisser apparaître / deviner la naissance des seins, qui n'en finissaient pas de naître, à l'époque. Marie Fuseseri n'avait pas un prénom ennuyeux. Elle avait beaucoup de frères et soeurs, et elle voulait m'en donner parce que ça lui faisait de la peine que je sois fils unique. 

  

31.08.01 

  

Cela se passe en fin d'après-midi, mais je ne crois pas que nous allions en étude ou alors les rangs seraient plus clairsemés. La cloche de fin de récréation vient de sonner pour la seconde fois. C'est le cours de musique, on joue de la flûte à bec trois fois sur quatre, la quatrième heure mensuelle est consacrée à des exposés qui passent en revue les champions de la musique classique ainsi que le titre une compilation que la voisine de mes parents a acheté pour son fils dans un catalogue de vente par correspondance. Mais, comme les vacances d'été approchent, les sujets d'exposés deviennent un peu plus spéciaux, divertissants, je fais un exposé sur les Beatles, je suis en classe de troisième (orange), Paul McCartney est mon Beatle préféré, et tout irait pour le mieux s'il n'y avait cette trace rouge collée à ma joue, trace profonde de la gifle dont vient de me gratifier Nathalie Rivière, couleur rouge brique, entretenue par la honte et la stupeur, et personne ne regarde le Poster collector que j'ai décroché méticuleusement du mur de ma chambre pour expliquer à ces rangées d'incultes qui ne jurent que par The Cure et U2, lesquels sur la photo sont John, Paul, Georges et Ringo; non, ce que je raconte ils s'en foutent pas mal; toute la classe a les yeux rivés sur ma joue écarlate qui ne décolère pas. Vient peut-être de là, ma décision de faire du spectacle. 

Patientant dans le hall d'une résidence où j'attends Irina - qui repart pour l'Angleterre - je lis les pages finales de la nouvelle de Francis Scott Fitzgerald: A nice quiet place. Le temps se déchire mollement derrière les grandes baies vitrées, Londres toute entière qui vient la chercher, il y a une vieille machine métallique (tirette à surprises) du modèle de celles qui trônaient au coin des rues lorsque j'étais enfant, en banlieue parisienne, avec pour chaque colonne un exemplaire du contenu - ballons gonflables, araignée gluante, squelette phosphorescent - écrasé contre la glace de protection. 

Je ne suis pas parti en vacances. Je crois qu'il faut me tenir dans la mesure du possible à distance de l'océan, sinon ce n'est pas possible, tu comprends. 

Sur un discman délabré elle écoutait le poème d'Allen Ginsberg, America, mis en musique par Tom Waits, et c'était terminé, on ne s'embrassait plus. J'avais le coeur comme une après-midi trop claire, trop légère, en un mot: épuisante. 

Je me souviens que la première fois que j'ai surpris le désir d'une fille pour une autre c'était dans les limbes chaudes nocturnes et mouvantes d'une piscine olympique, je restai tardivement pour m'entraîner à récupérer une figurine en plomb - c'est un exercice que l'on faisait en natation avec l'école et dont mon manque de dextérité, de réussite, d'aptitude à me maintenir sous l'eau, me ridiculisait de semaine en semaine devant toute la classe. Alors je m'entraînais le soir, à l'heure où la piscine est relativement déserte, après le rush des adultes qui viennent se dédouaner de la bombance des déjeuners d'affaires en effectuant quelques longueurs. J'avais des lunettes de plongées avec un élastique en caoutchouc et je m'approchais sous l'eau des jambes serrées - nerveuses et battant mécaniquement la platitude du bassin, jambes fines et plus charnues au niveau des cuisses, collées les unes aux autres, de deux filles au corps élancé, un peu plus âgées que moi, toutes deux coiffées d'un bonnet de bain bleu ciel, costume aussi caractéristique que si elles eussent porté dans une salle au parquet latté et tapissée de miroirs des collants de danseuse.

L'une s'était appuyée contre le rebord, dos aux gradins, et l'autre face à elle pressait ses jambes contre les siennes, vu du dessus on aurait dit qu'elles jouaient à se maintenir l'une et l'autre à la surface; sous l'eau je vis que l'une passait un doigt sur le tissu tendu, légèrement enflé dans la descente du maillot de l'autre; un doigt frotté, dressé comme à la perpendiculaire des lèvres, la bouche entrouverte, barrant les lèvres pour dire: chuuut... 

Millie Lammoreaux coince le bas de sa robe dans la portière. Je les imaginais se déshabiller dans les vestiaires déserts, à peine dérangées par un battant de porte qui claque et se referme, au loin. 

Les lèvres du sexe, sous le maillot de bain, fraîches comme une fleur après la rosée. 

Quand je sortais de la piscine, il pleuvait dans la nuit froide de novembre. Bois-colombes était sinistre, Argenteuil aussi. Saint-germain-en-laye de même. Quand c'était Bois-Colombes, je longeais pour rentrer le mur en briques de l'usine. 

  

Christophe au téléphone, me parle du clip de la chanson Henry Lee: "Pour moi c'est l'ancêtre de la trash T.V. On a l'impression que Nick Cave n'a pas donné à P.J. Harvey le scénario du clip, et qu'il essaye de lui rouler une pelle en direct, qu'elle n'est pas d'accord, et ça en devient extrêmement gênant et fascinant pour le spectateur. 

- Ah oui, dis-je, c'est terrible, PJ Harvey très belle, le teint de lait, les cheveux noirs, très belle. 

- Je la trouve laide à vomir." conclue Christophe obligé de raccrocher car son oncle à l'autre bout de la pièce lui demande s'il n'a pas des DVD de karaté.

Me promenant avec Céline (S) j'achète rue de l'Odéon, chez Hang Seng Heng un coussin chinois d'un rouge incroyable pour mon nouveau canapé gris foncé, avec en son centre des dragons imprimés, et aux extrémités des fleurs bleues sang et or. 

Antoine Doinel par ordre de mes préférences, 1/ ex-aequo: Baisers volés & Antoine et Colette (L'amour à 20 ans). 2/ ex-aequo: les 400 coups & L'amour en fuite 3/ Domicile conjugal. 

Truffaut achève le cycle Doinel quand le personnage est dans sa trentaine. Parce qu'après, ce n'est plus viable de continuer dans cette liberté, cette exigence, avec ce caractère (character) à moins d'un déraillement. Jean-Pierre Léaud continue seul, après. 

J'aime beaucoup la phrase de Georges Bataille, "Ce qu'il faut demander à l'être aimé ? Etre la proie de l'impossible". Voilà le genre de belles phrases impraticables, pourtant. Parce que même si l'amour doit rester immense, avec ses côtes sauvages, ses régions inexplorées, la plupart du temps l'amoureux ne supporte pas l'immensité de l'autre, il vit toute préoccupation étrangère à lui comme une agression, une négation de soi, une régression vers l'oubli. L'amoureux veut conquérir, gagner du terrain, du territoire, il veut coloniser le corps de l'autre, coloniser le sexe, les adorables seins, la tête, l'esprit, et chute lamentablement dans le temps comme un ange maudit parce que l'âme enfin, ultime frontière, l'extrémité blanche du monde, ne supporte pas qu'on y plante un drapeau. 

La jeune fille dans A nice quiet place s'avance vers le ténébreux jeune homme et dit:"Je vous assure que je suis sympathique. Il ne manque pas de candidats à danser avec moi, et j'ai rendu un aveugle amoureux de moi." 

Elle pourrait dire ça, elle, tout aussi bien, qu'elle a rendu un aveugle amoureux d'elle. 

"Night and day / I dream of / making-love / to you now baby / Love-making / on-screen / impossible dream / and I have seen / the sunrise / over the river / the freeway / reminding of / this mess we're in and..." 

Nathalie Rivière portait des jupes très courtes, en toute saison. Elle ne se rendait pas compte, ni de la violence des garçons, ni des railleries des autres filles qui dans son dos la traitaient de pute et disaient qu'elle se mettait du violet jusque là en faisant de grands gestes sur leurs visages. C'était une fille que la médiocrité du désir qu'éprouvaient les autres pour elle défigurait tragiquement. Je n'aurais plus jamais pensé de toute mon existence à Nathalie Rivière, si je n'avais pas écrit. 

Je suis dans l'automne en mes terres. Pris dans la dérive claire d'un sentiment immense. Ecrire sauve de l'intolérable. Elle pourrait dire ça, tout aussi bien que moi. Ajouter peut-être: "Et j'ai rendu un aveugle amoureux de moi". 

Il est quatre heures trente neuf du matin - en chiffres formés de gros bâtonnets rouges sur un réveil électronique. "I have pulled myself clear". En quittant la chambre je les laisse toutes deux pour endormies, et trébuche dans le chapitre, que je ferme, sans un bruit, derrière moi.

01.09.01   Dans les jardins du Luxembourg une jeune japonaise très belle, habillée d'un sweat-shirt de couleur mandarine et d'un jean charismatique; la finesse des membres qui balance entre la consolation et la douleur, et les pointes des petits seins qui percent, ballottés de façon aérienne sous la cape du tissu mandarine.   

 

02.09.01   J'ai dû voir le film Maria's Lovers à 17-18 ans, en vidéo. Le film ne m'a pas laissé un grand souvenir excepté cette scène où John Savage n'hésite pas à poser sa main un long moment - une éternité - sur une plaque de cuisson brûlante pour montrer à quel point il est amoureux du personnage interprété par Nastassja Kinski. A l'époque, tous les jours, j'aurais été prêt à laisser ma main sur une plaque de cuisson et, la plupart du temps, pour des filles qui n'avaient pas inventé l'eau chaude. Quoiqu'il en soit, c'est quelque chose que je comprenais parfaitement, la motivation d'un tel acte, la réflexion sur la douleur qu'il induisait, et la passion qui, si on dût lui attribuer un adjectif, ne pût être qu'écarlate. oui, écarlate. Je comprenais aussi très bien qu'on pût éprouver une telle passion pour Nastassja Kinski. Après, j'ai rencontré Anas qui adorait Nastassja Kinski; il avait tapissé les murs en pente de sa chambre d'étudiant du boulevard Raspail de photos noir et blanc tirées de films de Nastassja Kinski. Après trois années d'une vie amoureuse particulièrement sportive et dissolue il a fini par rencontrer une fille qui ne ressemblait pas du tout à Nastassja Kinski. Il a emménagé chez elle, rive droite. Il a quitté la chambre d'étudiant du boulevard Raspail et a dépunaisé toutes les photos du mur, une quantité incroyable de photos de Nastassja Kinski dans la féline, paris texas, maria's lovers, tess. Je n'ai jamais su ce qu'il avait fait des photos, s'il les avait rangées dans un carton, ou dans une boîte à chaussures; sort ordinairement réservé par chacun de nous à la correspondance amoureuse que nous gardons des années de notre adolescence. Malgré tous les efforts de John Savage qui se tuait d'amour pour Nastassja Kinski, le film n'a pas laissé un souvenir impérissable, et même si aujourd'hui encore, j'attribuerais la couleur rouge, écarlate, à la passion, dans la plupart des cas je n'envisage plus les plaques de cuisson que je rencontre que comme le moyen le plus prompt à faire chauffer l'eau pour le thé.  

 

 05.09.01   Ca n'est pas un événement isolé. Il y a aussi Van-Gogh qui a mis sa main sur une flamme pour (é)prouver son amour pour sa cousine Kay; ses biographes à moins que lui-même ne le mentionne dans ses lettres à son frère Théo je ne sais plus, appellent ça: "l'épisode de la main cuite". Quand nous habitions tous deux le quartier latin, je retrouvais Anas le dimanche midi devant la laverie de la rue Lobineau et pendant que son linge tournait dans le tambour d'une des machines nous prenions un café à la minuscule terrasse du bar situé à côté. C'étaient de bonnes années. Anas poussait le dandysme à avoir une amante qui habitait rue Madame, et une seconde amante qui habitait rue Mademoiselle; la compagnie des thés Mariage Frères ouvrait une boutique rue des grands Augustins; Marguerite Duras et Cioran peuplaient toujours de leur imbattable génie le quartier; et à Michelet en Histoire de l'Art nous ne devions pas être plus de cinq garçons par classe de 40 filles, situation analogue à celle que j'avais connu pendant mes années de lycée où dans cet établissement huppé tenu par des Soeurs, et où j'arrivais, à peine une année après qu'elles aient sans doute pour des raisons économiques instauré la mixité, nous étions en tout et pour tout moins d'une cinquantaine de garçons pour plus de deux mille filles. J'étais très amoureux de X qui me le rendait bien, mais comme à l'adolescence chacun agite les bras comme il le peut dans une vision très expérimentale, très romantique de l'amour, il arriva en fin de compte que parlant l'un à l'autre, l'un de l'autre, nous arrivions à croire sur l'instant qu'il eût s'agit d'étrangers, de rivaux potentiels sortis d'on ne sait où, au point de nous faire bizarement devenir jaloux de soi-même.  

 

 07.09.01   Funèbre fut la journée. Comme une fleur délicate aux parfums étouffés. La joie salée des bouches, une euphorie adverse. Dans le réfectoire le vague à l'âme recouvrait les bols de soupe. J'avançais le front soucieux et les cheveux en bataille dans mon pull Agnès b passé fripé pouilleux des encolures et aussi l'extrémité des manches. J'aurais pu me jeter dans n'importe quels bras pour peu que j'y retrouve ne serait-ce qu'un dixième de l'appel qui rendait les nuits impossibles. Le vent soufflait dans les allées du parc du Château de Saint-germain-en-laye pleines de lycéennes à rabord et mon corps immature à choisir te préférait aux moustiques. Ce qui nous éloigne à jamais de l'enfance c'est cette impossibilité découverte à user son chagrin, à passer à autre chose - une joie spontanée for instance - avec une facilité déconcertante, dé-concernée. Je pensais à elle tout le temps. Il n'y avait pas d'interruption à cet événement qui était de penser à elle tout le temps. Funèbre est ma journée. Comme une fleur délicate aux parfums étouffés.   

 

08.09.01 Matinée glaciale dans les Jardins du Luxembourg où je lis quelques pages de Wuthering Heights. Bataille adorait ce roman également Balthus pour lequel Hurlevent reste une influence littéraire majeure qui se retrouve de diverses façons, diluée si j'ose dire, dans ses toiles. Trois adolescentes fondent sur moi d'un pas spectral et décidé; je crois être en présence de la promenade matinale des fantômes des soeurs Brontë; ce ne sont que trois lycéennes qui s'enquièrent de ma lecture, bavardent un peu, poliment, avant de me demander des cigarettes. Les jardins sont retournés d'un coup de vent qui glace les chairs jusqu'aux massifs de feuilles automniques, rousses, jaunes, brunes nervurées; un couple de touristes étrangers se passionne à offrir la grande partie d'un sandwich à une vingtaine de pigeons et moineaux rassemblés; les deux tourtereaux ont l'air tellement captivés par le spectacle qu'ils provoquent qu'ils envisagent probablement les gros et affreux pigeons comme une espèce d'animaux aussi exotique que le sont pour nous les koala et le renard des sables, peut-être projettent-t-ils d'en rapporter un en captivité sur leur continent, dans leur salon; en tout cas, si un quémandeur venait à passer par là il serait bien inspiré de leur annoncer que c'est une attraction payante et qu'ils doivent lui verser tant d'argent. Avant, après, la rue Madame et la rue Mademoiselle, ou simultanément je le crains, Anas - que je surnommais en raison de ses nombreuses conquêtes féminines et de sa nationalité marocaine: le Casanova de Casablanca - tomba très amoureux d'une jeune fille qui vivait dans la région de Caen. Un matin je le caenduisais en voiture passer la journée avec sa dulcinée, décision impulsive qui n'avait de motivation que de lui faire plaisir et aussi donner une conscience à ma voiture. En effet c'est à ça que devraient servir les voitures, et servir uniquement, conduire l'un vers l'autre pour des rendez-vous précipités, délicieux et impatients, des êtres qui s'aiment. Pour le reste c'est vraiment le moyen de locomotion le plus con que je connaisse, à égalité avec la moto, la mobylette, le roller, le vélo, le ballon dirigeable, l'avion, le train et le bateau. Toute la journée nous nous promenâmes sur les plages normandes et bien que je tins un peu la chandelle, je pense qu'en raison de son caractère imprévu et romantique ce fût une journée que ni Anas ni moi n'oublieront. Il faisait froid le vent balayait la plage déserte comme une lande irlandaise, le cinéma de Cabieu jouait des films si mauvais que la mer hautaine et verte se moquait de cette crâne diversion, Anas et la jeune fille s'emmitouflaient dans les bras l'un de l'autre et au moment de se quitter ils durent même échanger leurs pulls comme au terme d'une compétition sportive les adversaires beaux joueurs échangent leurs sueurs et leurs maillots.   

 

09.09.01   Nous ne serons jamais à la hauteur de la beauté quand nous la recevrons, nous ne la reconnaîtrons jamais lorsque nous la croiserons, les filles qui nous retrouvaient à une heure du matin pour boire un chocolat chaud au café Mabillon - lorsqu'il était encore vert et fréquentable - seront fiancées puis mariées deux enfants et auront ouvert des librairies, des magasins de lingerie ou d'épicerie - fine - dans des stations balnéaires où nous ne partirons jamais en vacances. Nous ne pourrons pas nous défaire de l'étonnement puis du dégoût face à la violence des temps, la lâcheté des êtres, le paysage médiéval des pulsions, et nous rechercherons un amour à venir, illustre à supplanter tous les autres, les précédents, le vieux continent, un amour à venir pour les ventres chavirés, pour les attentes invivables comme ce mot n'a encore pris de sens; et aussi pour l'inconscience de s'être vêtu d'un pull trop léger pour traverser la ville sous le vent.   

 

11.09.01   La nouvelle des attentats sur New-York et Washington se propage très vite, dans la rue. Beaucoup de passants gagnent leurs voitures pour écouter la radio. Je monte les escaliers quatre à quatre et allume LCI. En direct, l'effondrement de la seconde tour des Twin towers. Stupeur. Personne ne comprend rien de cette horreur, même le présentateur qui sur le moment prend l'effondrement de la seconde tour pour une rediffusion de la chute de la première. New-York défiguré. Les commentaires arrivent sur les blessés, les morts, les circonstances, tous plus atroces les uns que les autres. David est à Manhattan depuis hier, X vit à Manhattan. Stupeur comme jamais.   

 

15.09.01   Il est difficile, imprécis, de sortir de cet état de stupeur, de gravité soucieuse et insondable. New-York c'est quoi? New-York c'est l'immense l'inégalé Once upon a time in America de Sergio Leone; c'est Manhattan, Anny Hall, Stardust memories de Woody Allen, c'est Simon and Garfunkel à Central Park, tout ce que ce concert de Simon and Garfunkel ravive et célèbre en Histoire(s); New-York c'est le Velvet Underground Andy Warhol et Allen Ginsberg, c'est Dream on et Seinfeld, Jerry, Georges, Elaine and Cosmo Kramer; c'est Keeping the faith d'Edward Norton et le Late show with David Letterman, c'est Holden Caulfield le personnage du roman de JD Salinger The catcher in the rye qui "souffre pour tous ceux qui souffrent sans le savoir" et se demande ce qu'il advient des canards du parc en hiver; New-York c'est l'hébétude de la guerre racontée aux petites filles riches dans Just before the war with the eskimos... et bien d'autres choses encore... New-York c'est la destination de toutes les idées fantasmes miroirs de la Liberté; Manhattan l'île des derniers recours et des premiers secours; c'est là où atterrissent Duchamp et ses facéties, Breton et sa petite boutique, John Lennon et ses utopies, Kurt Weill et sa fantaisie attristée; là où Burt Bacharach et Hal David écrivent des pop songs à un étage du Brill Building, là où se situe Breakfast at Tiffany's qui réunit Audrey Hepburn, Henry Mancini et Truman Capote; New-York c'est un état d'esprit, un mode de vie, qui sont les miens.    New-York c'est quand, revenant de Greenwich village et traversant Washington Square, X profitait de mon étonnement devant les tables de jeu d'échecs disposées ça et là, pour adoucir la confusion que j'eusse ressenti du succès enfin remporté de trouver soudainement sa main dans la mienne.   

 

16.09.01   Je suis dans le parc qui s'étend vaste et infini jusqu'à la ligne de chemin de fer, j'avance vers le petit château renaissance et ses dépendances où se trouve la cantine et soudain je suis pris d'un vertige extraordinaire, le sang me monte à la tête, et tout se met à tourner autour de moi à une vitesse insensée et douce à découvrir, un détachement presque; je pense à X qui ne m'aime plus et dans le même temps je prends conscience de ma force infinie, de ce que toutes les filles à venir - si j'en survis, ce qui au moment où je le vis, je rassure les jaloux, n'est pas gagné - vont m'aimer avec une dévotion sans pareille parce que la première fois (qui ne compte pas pour du beurre, bien au contraire, malheureusement) j'eusse aimé quelqu'un qui m'aura donné l'occasion - occasions maintes, licencieuses, vachement sublimes et vachement dégueulasses - de démontrer une exigence, une difficulté, un génie de l'autre et pour nous-mêmes un orgueil sans commune mesure; avec tant d'acharnement au quotidien que ça devait bien finir par arriver, ou bien arrivé par finir, cette fin inéluctable, cet épuisement d'aimer. Peut-être que deux êtres qui s'aiment longtemps, sur la durée, sont des personnages plaisants de contes de fées ou bien de parfaits économes qui savent garder des réserves, mais d'autres ne savent pas respirer avec méthode, une fois qu'ils ont plongé tête la première dans l'extase ils ouvrent grande la bouche pour s'emplir de cette sensation infinie, cette éviction de la surface qui a le goût de la mort, cette folle enjambée du parc jusqu'à la ligne de chemin de fer.A l'époque j'ai 18 ans. Je fais tourner une dernière fois le lycée autour de moi parce que j'ai eu une histoire avec la fille la plus déconcertante, la plus désirable, la plus émouvante de toute l'histoire de ce lycée. Et que cette histoire s'achève au moment où s'achève l'histoire de ma présence dans ce lycée. Nous ne sommes que deux garçons pour trente filles en cours de latin . De manière toute à fait fortuite ce sont les mêmes élèves qui ont choisi l'option latin qui ont choisi en classe de gymnastique l'option piscine; à un garçon près. En conséquence et par soucis d'alléger les cartables il y a une épreuve qui consiste à jeter son Gaffiot dans l'eau, puis à plonger pour aller le récupérer, mais le dictionnaire de latin est trop lourd, volumineux, usant avec toutes ses citations, Lucrèce, Virgile, Suétone (qui pèse des tonnes) et là encore je n'arrive jamais à remonter à la surface sans mourir sur place, rester au chaud dans le texte ou bien lâcher prise. Les profs de gym s'entichent de moi parce qu'en raison de mon extrême sensibilité et de ma nullité complète aux résultats sportifs ils me prennent pour un garçon qui en pince pour les garçons, c'est-à-dire, dans un tel contexte lycéen, pour quelqu'un de minoritaire, et ils développent une sympathie à mon égard du fait qu'eux même se considèrent comme minoritaires voire exclus quand il leur arrive d'aller chercher un café ou une information dans la salle des professeurs. Ils pensent que mon histoire avec X n'est qu'une couverture un peu comme David Copperfield et Claudia Schiffer, et ils n'ont pas tout à fait tort dans le sens où plus d'une fois j'ai fait disparaître X sous des couvertures et, en dépit d'avoir su conserver son amour, j'ai conservé des pouvoirs de maître des illusions puisque je peux faire tourner jusqu'au vertige tout un lycée autour de moi par la seule force de la nausée que me donne le monde; oui - j'ai su conserver ce pouvoir, quand bien même il y a des circonstances où je ne donnerais pas cher de mon instinct de conservation.   

 

18.09.01   Au placard les amours et les blousons légers; les filles auront les lèvres comme des portes entrouvertes sur l'océan qui coule dans le coeur en automne; on regardera des films qui parlent de New-York en pleurant doucement sur les villes adorées; les branches d'un arbre aux feuilles jaunes rousses et vertes se glisseront par moments derrière la vitre folles; il n'y aura pas de parc assez vaste, infini, pour nos vies traversées en tenant par la main, la main blanche d'une fille qui éponge nos peurs; nous ne retrouverons pas sur les cartes de ce monde la verdeur de ce parc et nous présumerons que nous sommes vivants pour un baiser volé dans le gris des boulevards; les secrets comme les pulls auront gagné une épaisseur, quelques mailles, à partir, dans les déserts modernes où je serais perdu une fille me fera boire, laper, le goût de l'abandon à la source de son sexe étendue étalé, elle aura fait brûler dans sa chambre de l'encens à l'odeur de cannelle et d'orange confite, le thé sera trop clair mais je ne dirais rien et j'appellerai son corps saoul dans l'obscurité; le matin sera froid et je serais chassé comme un ange ou comme un ouvrier qui rejoint son bataillon d'invisible; il n'y aura plus de fossé ni plus de différences entre celui qui écrit et celui qui fabrique en marchand de souvenirs les petits globes de verre que les enfants secouent pour voir tomber la neige en toute saison.  

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