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30.04.00 Rentré à quatre heures du matin. Journée d'hier partagée entre scènes et route. Balances à Rambouillet à midi, puis concert à la Villette dans le brouhaha diffus du salon de la Musique, enfin retour dans la soirée pour le concert à Rambouillet. Sous le chapiteau de la Villette, un public d'une cinquantaine de personnes; heure de notre passage tardive au moment où le salon commence à se vider de ses visiteurs; quelques filles très belles, assises en tailleur devant la gigantesque scène. Dans la salle de photographie où nous posons pour l'album du salon de la Musique, une jeune femme m'apostrophe : "Ca marche très fort pour vous en ce moment : Jérôme Attal & les Argonautes: vous êtes dans de nombreuses programmations, on entend parler de vous partout!"Le soir à l'Usine à Chapeaux (Rambouillet), nous entrons sur scène vers minuit. Pas plus de monde qu'au Salon de la Musique, mais une ambiance de café club cosy et chaleureuse, tournée vers l'essentiel, d'où l'un de nos meilleurs concerts, tendu, efficace, à la Nick Cave. 

La présence émouvante d'une fille qui rôde à l'usine à Chapeaux; je l'avais déjà remarquée quand nous avions fait la première partie de Mathieu Boogaerts en janvier 99. La noirceur de suie, ardente, de ses yeux. Vers deux heures du matin je voudrais l'entraîner par la taille dans la fraîcheur de la nuit et lui murmurer dans l'oreille d'une ville endormie qui ne m'est pas familière : Stars all seem to weep de Beth Orton. Franck dans la voiture me dit qu'il l'a trouvé différente. Oui et non, les mots qui me viennent sont : ardente, douce et bancale. 

 

07.05.00   Soirée pauvre dans un quartier chic. J'ai discuté de Balthus, de la société byzantine et du sex appeal de Cristina Martinez. Puis me suis beaucoup ennuyé. Ai picoré des bouchées à la reine, petites et verdâtres comme des olives. On m'a présenté deux fois comme le leader d'un groupe prometteur, trois fois comme un futur chanteur dans le vent. Réflexion faite c'était peut-être des olives. Une fille un peu saoule qui croit qu'on est le premier janvier à chaque fois qu'une pendule indique minuit et qu'il y a des garçons à embrasser autour d'elle, m'a dit qu'elle lisait mon journal sur Internet et que j'étais un coquin dans l'art de la suggestion. Allez, tout le monde en soirée! Et c'est bien parce qu'il n'y a pas de canapé où poser son cul dans le désert !  

 

09.05.00 Vu avec bonheur et délectation le tour de force qu'est Rien sur Robert de Pascal Bonitzer. Vu également Henry Fool de Hal Hartley. L'actrice Parker Posey, très juste, très belle.   12.05.00 Après-midi chez Samuel. Une petite maison dans la cour d'un immeuble du 14ème arrondissement. Au mur, deux portraits d'Avedon. Je lui parle des séries de photos que Richard Avedon avait réalisé pour la revue de luxe Egoïste, Adjani, Bacon, et de la légende qui courrait en 1990-1991 comme quoi la revue Egoïste n'était déposée que dans certains kiosques et dans de rares boutiques, et les véritables jeu de piste - course au trésor auxquels il fallait se livrer pour mettre la main sur un exemplaire. Pour ma part je le trouvais toujours à deux pas de chez moi, sur le Boulevard St-Germain au niveau de la rue des Saints-Pères. J'ai dans ma bibliothèque le numéro avec Adjani et celui avec Warhol qui exhibe les cicatrices après qu'on lui ait tiré dessus. En 1991, j'étais en fac dans un cursus très orienté art contemporain, et cumulé à la grande expo commémorative à Beaubourg et à la sortie française de son Journal, on mangeait du Warhol à toutes les sauces. Cette fille un peu foldingue, Ultra-Violet, était venue en cours nous narrer les plus belles heures de la Factory, et avec quelques élus de ma section nous avions été invités au concert retrouvailles du Velvet Underground réuni pour l'événement à la fondation Cartier à Jouy-en-Josas. Même si parmi les étudiants privilégiés que nous étions personne n'osait vraiment l'avouer, le Journal de Warhol c'était plutôt pénible à lire, voir superbement rasoir.   Samuel me fait écouter les premières maquettes du projet d'album de son groupe, My old Sofa. Et également beaucoup de Beck, qu'il adore et dont il loue le génie de la simplicité et d'invention. Il me fait une rétrospective en m'expliquant les différentes périodes et, chansons à l'appui, celles de pur bricolage sans aucun moyens et celles où il commence à gagner de l'argent avec sa musique.   David me dit que sa libido dégringole à vue d'oeil. Que ça fait longtemps qu'il n'a pas été charmé par une fille. Qu'il trouve toutes les filles moyennes. Je lui demande: Même les grandes?" 

 

17.05.00 Interview fleuve avec Cyrille dans les locaux de Radio Libertaire. L'émission dans laquelle nous sommes les seuls invités ne dure pas moins de trois heures. Exercice épuisant : savoir parler, mais également savoir se taire. Cinq de nos chansons sont diffusées, des auditeurs téléphonent et gagnent des places pour le Sentier des Halles. Auparavant, nous buvons un verre de vin blanc à L'Estaminet rue Oberkampf en compagnie de Rodolphe et d'une moitié de .Nolderise; le groupe Nolderise pour lequel j'ai de plus en plus de sympathie (excepté quand ils se croient obligés de faire des blagues portées sur le sexe si crues qu'ils ressemblent instantanément à ce genre de garçons que l'on croise dans un repas de mariage, un verre à la main, une grande gueule, des yeux lubriques et un polo rose pale.) Sinon, ils ont tout pour réussir: sur scène ils sortent tellement le grand jeu que dans la vie quand on les rencontre, on les trouve petits (de taille), et on se dit qu'ils iraient très bien dans le poste de télé; qu'ils vont réussir parce qu'à coups sûrs ils vont plaire aux cadreurs!   Avant de rejoindre l'émission de radio nous dînons face au Cithéa, dans un petit restaurant : Chez Georges, dont la serveuse est très belle, de beaux yeux clairs et une manière fragile et imbattable de se pencher sur la table, de vous jeter un sort et de le déguiser en regard, en apportant du vin et aussi un colombo de poulet. Ces derniers temps je suis rentré tard, en voiture, deux trois heures du matin. Surpris dans la ville ou les banlieues muettes que les phares de la voiture qui me reconduit chez moi happent une silhouette errante, déplacée , la silhouette récurrente d'une jeune femme qui, apeurée par l'immersion soudaine d'une voiture dans sa solitude, se cherche une contenance sous forme de destination. La rue de la Convention à Paris ou le parking d'un Habitat en bordure de nationale. De plus en plus de jeunes femmes errantes, seules, comme à la rue, prises dans les feux de croisement qui font l'effet sur le moment de mains trop lourdes, pataudes, qui voulant protéger ne peuvent que blesser, déranger.   C'est une autre situation mais récemment rentrant avec Christian d'un dîner, empruntant vers deux trois heures du matin une petite côte de village dans laquelle Christian conduisait comme un fou, apercevant cette toute jeune fille qui cheminait à pieds dans notre direction, Christian dans un relan de cette adolescence grossière dont il a gardé quelques réflexes comme une langue non maternelle pratiquée en bas âge, lui fit un appel de phares dans le langage des hommes et dans la fraction de secondes où comprenant ses intentions je le suppliais de ne pas l'apeurer. Elle, l'adolescente qui déambulait dans la nuit noire, et nous dans la voiture avec pour seul mode d'expression, un débile appel de phares. 

 

20.05.00 Jeudi soir j'ai regardé Pola X, par intermittences, en faisant beaucoup d'autres choses à la fois, comme téléphoner à C. pour lui annoncer une bonne nouvelle, faire chauffer de l'eau pour le thé, ou encore surveiller la copie k7 pour Rodolphe de notre passage sur Radio Libertaire. Et je dois dire que subissant les épreuves de mon dillettantisme appliqué, ça a très bien tenu le coup, Pola X, j'ai trouvé ça plutôt accrocheur... Si bien que je l'ai visionné à nouveau le lendemain mais cette fois ci dans sa continuité, religieusement, et ça m'a profondément plu, j'ai trouvé ça admirable, c'est un film qui me parle complètement, qui est très limpide pour moi. Autant depuis Les amants du Pont-Neuf j'emprunte volontiers le Pont des Arts quand je me rends d'une rive à l'autre, autant Pola X m'a réellement captivé, tellement envoûté que même pour annoncer une bonne nouvelle ou me verser un thé précieux (deux de mes sports préférés) je n'aurais pas la seconde fois pris le risque de la discontinuité.   Jean-Vic me fait écouter quelques morceaux choisis des Pale Fountains, un groupe duquel je suis complètement passé à côté. A priori c'est du The Smiths light, entre les Smiths et Wet Wet Wet, avec des accents The Supremes dans certains morceaux. Jean-Vic me dit que ce n'est pas si faux, que dans les années 80 à Liverpool on écoutait beaucoup de musique afro-américaine comparé à Manchester, qu'on était davantage tourné vers le monde. Pour parer ma déception devant ces Pale Fountains il sort de sa sacoche une excellente version live de Some girls are bigger than others.Avec Johnny Marr démonstratif et irréprochable à la guitare, et Morrissey dont Jean-Vic est convaincu qu'il n'a jamais aussi bien chanté que dans ce live, ce qui me console car à l'écouter je trouve sa voix notamment dans les écarts entre graves et aigus bien plus épouvantable que la mienne. Ensuite, nous prenons un café à Auteuil, et nous réfugions d'une bourrasque de pluie dans le hall de mon immeuble, quand l'une des très jolies filles qui le peuplent déboule avec un parapluie ouvert qu'elle coince dans la porte de la cour, un gag à la Buster Keaton qui provoque chez elle un fou-rire hystérique, et elle passe devant nous avec son fou-rire pour toute contenance avant de s'engouffrer dans une voiture garée en double file, ce qui fait dire à Jean-Vic qui a le sens de la synthèse : "Elle est très jolie, mais qu'est ce qu'elle a l'air conne : c'est sûrement un mannequin!"  

 

21.05.00 Avec l'immeuble en ravalement, Auteuil ressemble un peu à New-York. Les échelles extérieures reliant les échafaudages d'un étage à l'autre, et la nouvelle voisine du dessus, très belle, et qualité principale pour un voisin du dessous, étrangère à toute notion de haute fidélité. (Je parle musique bien sûr.)  

 

29.05.00   La lumière analytique des Jardins de l'Observatoire. Hôpital Cochin. Devant le plateau repas qu'on lui a apporté pour déjeuner, Rodolphe me dit : - Aujourd'hui j'ai tout mangé, mais enfant j'en aurais jamais voulu de cette daube, c'est bizarre comme on devient..."   Samedi soir, au Fumoir rue de L'amiral de Coligny. Auparavant, apéritif au Coolin où Christian a commandé des kirs et deux assiettes de nachos avec de la sauce salsa et du fromage fondu. Il dit : - Dans les pays nordiques les jeunes sortent pour se torcher. Et quand les bars ferment, ils vont tous chez l'une ou l'un d'entre eux pour baiser. L'ironie quand même, c'est que ce sont des pays où les filles sont jolies et donc t'as pas besoin d'être bourré pour baiser!"   X me dit que je suis comme Chatterton; parce que je suis un poète, ce sera dix fois plus dur pour moi que pour un autre de me sentir bien et d'aboutir à ce quoi je tends. 

 

05.06.00 En sortant poster un courrier pour le programmateur du MCM Café, je me laisse enrôler par le temps venteux et pluvieux, une atmosphère exceptionnelle et douce d'après-midi de décembre. J'achète du thé rue de l'Annonciation, et des doghnuts au Carrefour de la Porte d'Auteuil. Christian m'a téléphoné de Londres pour me raconter cette mésaventure: puisqu'il commence à s'ennuyer dans son travail - pourtant lucratif - de vendeur d'espaces pour des compagnies d'électricité, il a profité de son dimanche après-midi pour aller dans un web café, taper et mettre en ligne un cv. Or le programme d'élaboration des cv a gardé en mémoire celui d'une jeune anglaise qui a précédée Christian sur l'ordinateur du web café, probablement dans la matinée.Notre ami ne s'est évidemment pas gêné pour lire le cv de la jeune fille (et pour me l'envoyer par mail). Elle se prénomme Louise, suit les cours de la très respectable London Contemporary Dance School, et, détail qui n'est pas sans laisser Christian indifférent, elle a 21 ans. Et maintenant, une leçon de tempérament donnée à tous les timides qui en affaires amoureuses ont pris le parti de laisser les hommes de main du destin se tourner les pouces. Que croyez vous que Christian ait entrepris? La jeune fille, cv oblige, ayant laissé son numéro de portable dans l'attente d'un coup de fil d'un hypothétique employeur, Christian s'est empressé de lui envoyer via téléphone un mini message qui dit en substance : "Bonjour, je te contacte car une amie que nous avons en commun m'a donné ton numéro de téléphone, après m'avoir affirmé que nous ferions la paire tous les deux, que nous devrions absolument sortir ensemble!" Le mystère vaguement flatteur, le romantisme échevelé de la situation ont évidemment poussé la jeune fille à répondre sans délai (toujours par mini-messages): - De quelle amie s'agit-il? S'est on déjà rencontrés?" Christian est très fier de son coup, bouillonne au téléphone. Je lui conseille cependant de ne pas répondre tout de suite, d'attendre au moins un jour, pour laisser agir l'imagination de la jeune fille. X, à qui je raconte cette histoire, me dit, pas très fair-play: - Et ça ne vous est pas venu à l'esprit une seule seconde que c'était peut-être une fille super moche qui pour se caser avait eu recours au subterfuge de laisser son cv sur Internet? Le truc évident pour attraper des gogos tels que vous!" 

 

09.06.00 Mercredi reçu ce mail de Christian : "Louise got back to me: (1) She is basically saying that she is sorry for asking more about the friend than about me. She says that she would be curious to meet me but is not certain
her boy friend would like....
Two minutes later she is sending one more message (I have not responded in the
mean time): (2) "My enthusiasm" Guess that if she did not enjoy my messages, I would not have heard from her... Suggestions regarding next move..?" Je lui réponds aussitôt, estimant que c'est le moment d'attaquer, de proposer un rendez-vous (dans tous les sens du terme).   Jeudi, mail lapidaire de Christian, anxieux: She wants to know "when and where?"   Acheté une énième - mais très belle - édition en anglais d'Ada ou l'ardeur. X me dit qu'il a réduit du tiers son cercle d'amis. Qu'il ne recherche plus dorénavant que la compagnie et l'amitié de gens "intéressants". C'est assez prétentieux. Plus humblement, il me suffirait de fréquenter des personnes avec lesquelles on ne s'ennuie pas mortellement, et de nos jours c'est une quête suffisamment difficile comme ça...   Dans certaines maisons de disques, au poste de directeur artistique, c'est tellement les chaises musicales qu'ils finissent par en avoir peur de la musique. 

 

17.06.00 La longue marche jusqu'à la courte échelle. 

 

20.06.00   "Femme qui rit à moitié dans ton lit"...et femme qui pleure à moitié dans ton coeur. 

 

22.06.00 Déjà, avant, dans le milieu de la Pop, tout le monde il était le nouveau Gainsbourg, maintenant tout le monde qui chante il écrit son journal intime sur sa page perso.Dans un sens c'est très triste que mon Journal ait du succès, parce que je suis en train de faire croire au tout venant que chaque chanteur a quelque chose d'intéressant à dire en dehors de ses chansons. Mais bon, soyons bon prince et plutôt fier de susciter des vocations, relevons donc par exemple dans le Journal tenu depuis un mois sur leur page perso par les sympathiques Goo Goo Blown (qui figuraient avec nous sur la compilation Planet of Sound) la date du 24 mai 2000: "Nous avons fait un concert pas trop mal en première partie de Venus. Un concert approximatif, des guitares non accordées ou mals, des morceaux à tout berzingue. On est comme on est. On a pu tester sur scène notre nouveau morceau Devilish FantaZia. Que dire, une sorte de ballade piège, une douceur qui ne demande qu'à exploser...Florence portait une jolie robe Courrèges jaune avec je cite « des poches en forme de pacman »." Mes lectrices et lecteurs auront d'emblée compris que ce qui m'intéresse dans ce petit paragraphe, c'est simplement ce tronçon de phrase: Florence portait une jolie robe Courrèges jaune (...) Florence portait une jolie robe Courrèges jaune, Florence portait une jolie robe Courrèges jaune. Qu'est ce que tu peux dire après ça? C'est définitif. C'est trop fort. C'est la fin du monde. 

 

25.06.00   Concert très chaleureux à Maules sous le chapiteau Latcho-Drom. Festival organisé pour la Croix Rouge par l'association Toumélé. Gentillesse admirable de tous les bénévoles. Nous avons, je crois, charmé et conquis de cent à deux cent personnes qui n'avaient jamais entendu notre musique. Le concert a duré une bonne heure et demi parce que je me suis montré plutôt loquace entre les morceaux, l'ambiance était prompte à la confidence (vraie ou fausse), il avait plu toute la journée et quand nous sommes entrés sur scène aux alentours de 21 h 45, le soleil était revenu, juste pour une toilette du soir sans nuages, baigner la clairière du chapiteau et se coucher. J'ai dit au public: "Ce matin pendant les balances, on a eu peur, il pleuvait des cordes, mais avec les jeunes gens de la Régie on s'est servi de ces cordes pour tendre les toiles du chapiteau, et permettre au soleil de revenir." Après le concert, une jeune fille de l'organisation s'est précipitée vers moi pour me dire : "Je suis désolée pour le monde...". Comme je m'étonnais, elle poursuivit : "oui, deux cent personnes, on en attendait plus, mais la pluie toute la journée, l'euro 2000 à la télé..." C'était très charmant de sa part et je l'ai rassurée en lui assurant que pour moi c'était parfait, vu de la scène le chapiteau était comble et l'ambiance exquise. Racontant cela plus tard à Rodolphe, j'ajoute avec amusement: - Tu imagines, c'est pas au Sentier des Halles que la gérante elle vient te voir pour s'excuser qu'il n'y ait pas le nombre de personnes espérées!   Retour à Paris après le concert, soirée chez Franck, agréable et très classe. Buffet choisi avec goût. Bienfaisance de la glace à la vanille vers trois heures du matin. Il y avait une fille très charmante (qui a également, si ce n'est davantage, tapé dans l'oeil de Rodolphe) et qui en quittant les lieux m'a fait un bisou en me disant étrangement "On ne s'est pas vu" alors que j'ai passé une bonne demi-heure assis en face d'elle, même si effectivement nous n'avons pas échangé le moindre mot, chacun harponné dans son petit groupe de parole. A sa politesse déguisée en regret, j'ai répondu d'une voix blanche et poétique : "Au moins on se sera dit au revoir."   Dans le chagrin d'un soir, si familier qu'on s'y sent vivre, quand tout porte à la mélancolie, nous retrouvons ce temps de l'enfance, dilaté sans la peur de l'échéance, de la disparition, cette volupté de l'amour impossible comme gage d'une douce et contagieuse immaturité, où l'attraction des uns pour les autres ne prenait pas la necessité d'une consommation directe, immédiate, tu me plais je te plais allons dans un coin nous déplaire à nous mêmes, il y avait le temps long, paisible et sans urgence d'emporter le regard de la voisine, de détourner ses fictions, la stratégie raisonnée et dorénavant peu valable de devenir un frère avant d'être un amant, il y avait une mélancolie active, qui travaille, se nourrit d'un calendrier scolaire, je jouais au tennis seul en renvoyant ma balle contre le mur brûlant...et Florence portait une jolie robe Courrèges jaune. 

 

28.06.00 Douce promenade matinale Boulevard St-Germain. Hier soir j'ai visité un appartement avec Céline et Rodolphe qui cherchent à s'installer ensemble, rue Rodier, dans le neuvième arrondissement. Immeuble étonnant avec tous les locataires qui mènent une vie très jeune et conviviale de sit-com américaine, la cage d'escalier sur quatre étages chargée de guirlandes, figurines et décorations de Noël, simplement "oubliées" d'avoir été rangées depuis décembre dernier! Hier, au St-Augustin, 18h45, deux filles qui prennent un verre à la sortie du tennis, chaussettes basses sur baskets, deux raquettes bâchées posées à côté de leurs jambes nues (2 et 2 font 4) interminables. L'une est en short, l'autre en jupe courte. Christophe me dit que je devrais demander des copyrights sur les Journaux intimes qui deviennent un leitmotiv chez les chanteurs des groupes français abonnés à Internet ou à Planet of Sound. Il ajoute que je suis de mauvaise foi pour le Florence portait une jolie robe Courrèges jaune, que c'est "le truc attalien par excellence". J'en conviens. D'ailleurs, aucune mauvaise foi de ma part, puisque justement j'ai relevé ce passage comme étant celui qui m'intéressait le plus, quant à demander un copyright sur les filles que je n'ai pas...c'est une idée de la poésie et de la mélancolie un peu extrémiste tout du moins très audacieuse. Dans la rue les gens déambulent suspendus à leurs portables, ils ne suivent plus un chemin mais une conversation, non seulement le téléphone portable démontre de la manière la plus manichéenne qui soit que le hasard n'intéresse personne en tant que mode de vie, mais en plus il ordonne à chacun d'être joignable sur l'instant, avec si peu de désir ou de science du moment que ça en devient une contrainte ou une obligation, un type qui possède un portable et ne répond pas au bout de la troisième sonnerie devient automatiquement suspect dans l'amitié qu'il vous porte, comme s'il vous en voulait de quelque chose, détenait une raison contre-nature de ne pas se laisser joindre par vous. Encore plus qu'hier, on se parle pour (un) rien et bientôt ça dispensera de se voir, un type et une fille se téléphonant pourront très bien se croiser physiquement dans la rue sans même se reconnaître car trop absorbés dans la conversation qui les relie; en même temps on se donne les moyens d'être rattrapé partout; je ne sais pas ce qu'ils se disent tous, mais dans le quartier latin aujourd'hui ça papote à en vomir, c'est l'ère de l'anecdote et du dépassement de forfait. Christian, dans ses oeuvres (internationales), a rancardé ce soir en tête à tête une jeune tchèque dans un resto branché et très chic de Londres. - En parlant de chic, me dit-il, c'est bien parti, parce qu'on a dîné il y a trois jours avec des collègues parmi lesquels cette jeune fille d'origine tchèque, et au milieu du repas au lieu d'étendre mon bras au travers de la table pour attraper les assaisonnements, je lui ai demandé le plus poliment du monde si elle voulait bien me les passer. Whoooa! s'est elle exclamée, qu'est ce que tu as comme classe Christian! Ce n'est pas dans mon pays que les garçons se comportent avec tant de manières à table! - Dans le mien non plus!" aurait pu répondre Christian. Mais sans doute a-t-il deviné qu'il y gagnait en tout point à se laisser flatter sans moufeter.J'ai acheté l'album de Katerine, Les Créatures, pour la chanson l'appartement que j'avais entendue chez Samuel, scandée par ses caractéristiques : "Tout mortel cette chanson!". Alors parlons immobilier, un appartement c'est quoi? Un hôtel particulier du pauvre... Bon j'exagère, c'est vrai que tout le monde il est le nouveau Gainsbourg, mais convenons que Katerine s'en sort plutôt bien. Très bonne chanson. Il y a du foot à la télé. Je sors me promener dans Auteuil très calme où, sur la placette face à l'église, il y a quelques filles accroupies autour d'un jeune chevelu qui gratte péniblement trois accords de guitare, et se prépare sans doute à la pêche à la finlandaise sur la plage du Canet. En rentrant je déballe le livre "The Essential Groucho" trouvé ce midi à la librairie anglaise, fais chauffer l'eau pour le thé, et me jette sur la chronique: "Why Harpo doesn't talk?". 

 

01.07.00 Paola et Stéphane Baroni m'ont invité à déjeuner au Coolin, jeudi midi. Tandis que nous nous installons dehors, Paddy Sherlock me hèle, lui-même attablé en terrasse en très (très) charmante compagnie. Il me dit tout de suite:- Tu as vu qui est là? Dora! La serveuse (voir au 29.11.98.) Elle est revenue. (elle était partie) Je lui ai parlé de toi l'autre jour parce que cherchant mon nom sur le moteur de recherche Google, voir si j'étais référencé avec mon groupe et le groupe P18 (dont Paddy fait partie) je suis tombé sur ton journal à la page où tu parles du Coolin et de Dora, et je lui ai rapporté qu'un jeune homme lui consacrait un poème sur Internet, ce dont elle était très surprise et intriguée. Tu veux que je te la présente?" Et pendant que Paddy cherchait des yeux la jeune fille qui servait des Coca-light et des Guiness extra cold quelques tables plus loin, je lui ai fait comprendre que non, que je n'étais pas trop dans l'ambiance - ce qui était vrai - que je venais déjeuner calmement avec des amis et que les présentations m'embarrasseraient plus qu'autre chose. Stéphane a trouvé très jolie la jeune fille qui accompagnait Paddy. Très jolie. Elle a commandé un Orangina. Ce détail m'a frappé et j'ai été envahi sur l'instant d'une longue, extra-dry tristesse, songeant que je ne me souvenais pas de toute ma vie avoir fréquenté des filles qui commandent à la terrasse d'un café un Orangina, je veux dire spontanément. Quant au Coolin, c'est une bonne nouvelle que l'adorable Dora soit revenue prendre du service; l'été s'annonce d'excellente composition.  

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